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Les sursauts gamma
Histoire des découvertes
Les sursauts gamma tracassent leur monde depuis le début des années 1960 et ont fait leur irruption sur la scène astronomique au début des années 1970. Au départ, il ne s'agit que de Guerre froide. A l'époque, les deux superpuissances viennent de signer un traité sur l'interdiction des essais nucléaires atmosphériques. Mais la confiance ne règne pas. Aussi, les États-Unis lancent-ils, entre 1963 et 1970, une série de douze satellites, appelés Vela, afin de contrôler le respect dudit accord. Ces espions de haut vol sont équipés d'instruments capables de détecter les photons gamma émis par une éventuelle explosion de bombe H n'importe où sur la planète. Les Vela, aveugles à toute autre radiation que gamma, ne regardent dans aucune direction particulière. Après tout, on sait bien qui peut faire quoi. Ils sont là simplement pour donner l'alerte. Point. Or, presque aussitôt après leur placement sur orbite, les instruments captent quelque chose. De brèves bouffées de rayons gamma qui ne ressemblent en fait à rien de connu... Dysfonctionnement des appareils? nouvelle arme secrète? C'est l'inquiétude au Pentagone, où l'on demande quand même confirmation. Les spécialistes se mettent donc à l'ouvrage et vont de perplexité en incompréhension. Seule certitude : ces flux soudains de photons gamma n'ont rien à voir avec nos mesquines affaires planétaires; ils sont d'origine extraterrestre.
La nouvelle de la découverte, d'abord frappée du sceau du secret militaire, arrive finalement sur la place publique en 1973. Pendant les années qui suivront, les astronomes, qui disposeront à leur tour de leurs propres satellites d'observation gamma n'en finiront plus de faire toujours ce même et irritant constat : à n'importe quel moment du jour ou de la nuit, pendant, le plus souvent une poignée de millisecondes, et parfois jusqu'à quelques minutes, un flash gamma peut se produire dans une direction quelconque du ciel, puis, en général, plus rien. Un sursaut gamma par jour est signalé en moyenne par les satellites. Mais, après plus d'un quart de siècle passé à se creuser la cervelle, les chercheurs en sont toujours au même point ou presque. Et, en tout cas, ils ne savent toujours pas quelle est l'origine de ces bouffées d'énergie. En attendant la réponse, ils ont baptisé sursauteurs (bursters) les sites émetteurs de flashes gamma.

Une indication sur la nature des sursauteurs est cependant fournie par l'énergie caractéristique de ces événements. Elle est formidablement élevée. En général, de l'ordre du million d'électronvolts (1 MeV). Mais on en a détecté, au moins une fois, atteignant les 200 MeV. C'est beaucoup. Pour comparaison, les photons de la lumière visible - ceux qui nous proviennent du Soleil, par exemple - sont porteurs d'une énergie tournant autour de 1 électronvolt seulement. Les phénomènes dont sont le siège les sursauteurs doivent donc être excessivement violents. Ainsi les astronomes ont-ils évoqué, entre autres, la possibilité que les flashes proviennent de collisions. Soit une collision de deux noyaux cométaires circulant dans le nuage de Oort, à la périphérie du Système solaire. Soit encore d'une comète ou d'un astéroïde avec cette fois une étoile à neutrons. Une comète ou un astéroïde percutant la surface d'un tel astre pourraient sans doute provoquer une réaction thermonucléaire émettrice pendant un court instant des photons gamma détectés.

Hypothèses en stock
Les astronomes ont confectionné d'autres hypothèses qui impliquent également des étoiles à neutrons. On a, par exemple, noté qu'un tel objet perdant de l'énergie par une émission de rayonnement X, se trouverait alors ralenti dans sa rotation. La force centrifuge s'amoindrissant, la déformation équatoriale de l'astre tendrait elle aussi à diminuer. D'où l'apparition de tensions poussant à l'arrondissement de l'étoile à neutrons, et donc à des réajustements brutaux de structure. Autrement dit à séismes éventuellement libérateurs de brusques bouffées énergétiques, façon sursauts gamma... Une étoile à neutrons peut aussi avoir un compagnon. Un objet très peu lumineux, mais assez proche pour que les effets de marées puissent aboutir à un résultat comparable : des déformations, des réajustements structurels épisodiques et brutaux, et une courte libération de photons gamma. La force d'attraction gravitationnelle de l'étoile à neutrons pourrait également aspirer la matière du compagnon supposé. Le gaz ainsi happé viendrait alors butter à grande vitesse sur la surface dure de l'étoile à neutrons et provoquer de temps à autre une déflagration nucléaire, émettrice une fois encore des radiations escomptées. Il s'agirait alors d'un mécanisme comparable à celui par lequel les astronomes expliquent les sursauts X. les seules nuances étant ici un taux d'accrétion plus faible et l'intervention de champs magnétiques plus intenses.

Reste que les sursauts gamma présentent une grosse différence avec les sursauts X : comme l'a montré en particulier depuis 1991 Batse, l'un des instruments embarqués à bord du satellite gamma Compton, les flashes sont uniformément répartis dans le ciel. Or, s'ils provenaient d'étoiles à neutrons, alors leur répartition sur la voûte céleste devrait calquer la répartition des autres étoiles de notre Galaxie, et se concentrer donc plutôt dans son disque. C'est ce que l'on observe pour les sursauts X. On pourrait bien sûr imaginer que la répartition des sursauteurs gamma dans la Voie Lactée est un peu spéciale et qu'elle se calque en fait davantage sur celle des plus vieilles étoiles de la Galaxie, qui elles présentent une distribution sphérique. Elles appartiennent au halo galactique. S'il en était ainsi, cependant, on devrait enregistrer des excès de sursauts dans les directions des autres galaxies proches, ou même plus lointaines (on pense à l'amas Virgo). Un phénomène difficile à mettre en évidence à cause de la distance et de l'affaiblissement des signaux qui s'ensuit. Mais là encore, les résultats de Batse paraissent écarter cette possibilité, tout comme celle, semble-t-il, de voir provenir les flashes du nuage de Oort.

Il y a peu de choses, en fait, dans l'univers qui possèdent une distribution uniforme. Et si l'on veut de l'homogénéité dans la façon dont la matière se répartit, il convient de considérer l'espace à très grande échelle. C'est-à-dire sur des distances cosmologiques. Disons de l'ordre du milliard d'années-lumière. Si l'on adopte ce point de vue, les sursauts gamma représentent des événements se produisant aux confins du cosmos, et alors caractéristiques d'une époque où l'univers était encore jeune. Ainsi, peut-être a-t-on affaire à la destruction cataclysmique des toutes premières étoiles. A moins que ce ne soit à des phénomènes plus bizarres encore, comme la rencontre torride de certaines de ces antiques étoiles avec un trou noir... Il faut de toute façon que ce soit un peu spécial, car si les sursauts gamma, avec l'intensité qu'on leur connaît, viennent d'aussi loin, alors, ils représentent de prodigieux et inédits déferlements d'énergie. Qu'en est-il réellement?

La meilleure façon de résoudre le mystère, c'est encore de regarder avec de puissants télescopes au sol dans la direction où un sursaut vient d'être signalé. Les astronomes s'y emploient bien sûr depuis qu'ils connaissent l'existence des sursauts gamma. Au début, c'était difficile, car leurs instruments étaient peu directionnels. Mais au fil du temps, les satellites détecteurs de rayons gamma, fonctionnant en réseaux, ont gagné en acuité visuelle. Ils sont devenus capables de dire avec une précision très convenable d'où proviennent les sursauts qu'ils enregistrent. Il est donc possible d'orienter les télescopes vers le point du ciel où vient de se produire l'événement signalé depuis l'espace. Pendant des années, pourtant, après le flash, on ne voyait rien dans la région signalée par les satellites. Les astronomes expliquaient parfois cette absence de contrepartie optique en invoquant la destruction pure et simple de la source émettrice. Le flash témoignant alors justement du cataclysme. Restaient les exceptions. Ainsi, à deux ou trois reprises, comme le 5 mars 1979, quand un sursaut, assez atypique il est vrai, et d'énergie relativement faible, a semblé provenir de la direction d'un reste de supernova (N49), dans une galaxie proche de la nôtre, le Grand Nuage de Magellan. Le genre d'endroit où l'on s'attend à ce que se tapisse une étoile à neutrons. Mais peut-être s'agissait-il de conjonctions fortuites. Il existe aussi des "répéteurs" : plusieurs flashes d'affilée paraissent provenir de la même direction. Le satellite Compton, par exemple, a détecté le même jour, dans la constellation australe de l'Horloge, en décembre 1996, quatre sursauts semblant engendrés par la même source. Et l'on mentionne aussi le cas, plus troublant encore, d'un répéteur qui a dépassé les mille flashes en quelques années. Difficile d'invoquer cette fois le hasard.

Les péripéties de 1997
L'opaque brouillard entourant l'origine des sursauts gamma a semblé se lever en 1997. Un des grands événements astronomiques de l'année pourrait même ainsi avoir été la mise en évidence enfin de contreparties optiques des sursauts gammas. Le 28 février, un flash, initialement détecté par les enregistreurs gamma satellite BeppoSAX dans la constellation d'Orion est aussitôt repéré par les caméras à rayons X embarquées sur le même satellite. Paul Groot, de l'université d'Amsterdam, et ses collègues pointent alors dans la direction signalée le télescope de télescope William Herschel de 4,2 mètres de l'observatoire de La Palma (Canaries). Ils découvrent un très faible objet dont la luminosité diminue entre le 1er et le 8 mars. Les autres observatoires confirment la présence de l'astre et l'identifient à une galaxie lointaine. Les sursauts gammas viendraient donc, pense-t-on à ce moment-là, de distances de plusieurs milliards d'années-lumière. On se trouverait ainsi dans le cas de figure cosmologique. C'est sans compter avec la surprise que réservent à leurs confrères Patrizia Caraveo (Institut de physique cosmique de Milan) et ses collègues, quand ils annoncent, le 17 avril, que le sursauteur supposé, observé par le télescope spatial Hubble, s'est déplacé dans le ciel. Oh, pas beaucoup. Quelque chose équivalent à une demie seconde d'arc tous les ans. Mais cela signifie qu'il s'agit un objet relativement proche. Retour donc, apparemment, aux problématiques hypothèses galactiques...

Le 8 mai, BeppoSAX repère un nouveau sursaut dans la constellation de la Girafe. Aussitôt, Howard Bond, de l'Institut du télescope spatial, photographie la région du sursaut avec le réflecteur de 36 pouces de Kitt Peak. La nuit suivante, lumière s'est accrue d'une magnitude (autrement dit elle est 2,5 fois plus brillante que la veille). Et d'autres chercheurs constatent ensuite que l'astre parvient à un éclat maximal (magnitude de l'ordre de 20) entre le 10 et le 20 mai. Dans l'intervalle, un signal radio a été capté en provenance de la même direction par les instruments du NRAO (National Radio Astronomy Observatory). La succession d'émissions d'énergies de plus en plus faibles (radiations gamma, puis X, lumière visible, et enfin ondes radio) a été interprétée comme provenant d'une explosion dispersant dans l'espace du matériau venant se heurter avec le matériau du milieu environnant. Mais où cela s'est-il passé? Des astronomes de Caltech croient avoir trouvé la réponse. Il sont en effet parvenu à obtenir un spectre en utilisant le surpuissant Keck II du Mauna Kea (Hawaii). Ledit spectre présente des raies d'absorption caractéristiques des ions de fer et de magnésium fortement décalées vers le rouge (z = 0,8). Or, si l'on interprète ce décalage dans le contexte de l'expansion de l'univers, il signifie que l'astre candidat au sursaut se situerait à une distance comprise entre quatre et huit milliards d'années-lumière. L'énergie libérée en quelques secondes par le sursaut du 8 mai correspondrait alors à toute l'énergie produite par le Soleil depuis sa formation!

L'hypothèse cosmologique a donc repris le dessus quand, le 16 juin, le même scénario semble se reproduire presque à l'identique. Un nouveau flash de près de trois minutes et demie, est d'abord signalé par le satellite Compton et plusieurs autres observatoires orbitaux, dans la constellation de la Baleine. Quatre heures plus tard, un satellite de la Nasa détecteur de rayons X RXTE (Rossi X-ray Timing Explorer) découvre dans la même région un source d'énergie inconnue. Dans les jours qui suivent, cependant, le satellite japonais ASCA (Advanced Satellite for Cosmology and Astrophysics) sème un peu le trouble en révélant qu'en fait, plusieurs sources X variables existent dans le petit secteur de ciel désigné par les satellites gamma. Laquelle est donc la bonne? Au sol, le télescope Keck II, et son miroir de 10 m de diamètre, repère une lumière pâlotte et qui s'affaiblit rapidement. Aurait-on identifié cette fois encore l'objet émetteur du sursaut gamma? A y regarder de plus près, les astronomes constatent qu'aucune de ces sources ne se trouve exactement dans la direction du flash. A croire, qu'après toutes ces péripéties, l'enquête sur l'origine des sursauts gamma n'a pas avancé d'un iota. Peut-être même a-t-on simplement mis en évidence un nouveau mystère : celui des sources variables d'un type complètement inconnu (éventuellement comparables aux galaxies actives du genre de BL Lacertae, qui elles aussi sont le siège de variations brusques de luminosité), qui tapisseraient le fond du ciel à des distances inimaginables, et dont on saurait à ce jour encore moins de choses que sur les flashes gamma...

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