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Le style jésuite
L'architecture jésuitique
On désigne sous le terme d'architecture jésuitique un genre particulier d'architecture qui a pris naissance en Italie à la fin du XVIe siècle, et qui se développa avec le XVIIIe, en même temps que la congrégation ou société de Jésus.

Dans ce style furent construites et décorées de nombreuses églises, similaires par les dispositions de leur plan, par l'agencement de leur façade et surtout par le mode et la richesse de leur ornementation intérieure. Si cette architecture exerça une si grande influence, c'est que les jésuites se firent les promoteurs de ce style tapageur qui en imposait aux yeux du vulgaire, mais qui ne pouvait séduire que médiocrement les connaisseurs, surtout ceux qui admiraient avec passion la belle renaissance italienne. 

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Style : jesuite : portail de la cathédrale de Mexico.
Portail de la cathédrale de
Mexico (détail).

L'architecture jésuitique eut une grande vogue en France jusque vers la fin du XVIIe siècle, et l'influence qu'elle exerça sur l'art architectural s'est pour ainsi dire maintenue jusqu'à nous, mais dans des pays situés en dehors de l'Europe, dans tous les pays où les jésuites avaient un pied, c'est-à-dire dans le monde entier. Nous trouvons même à Mexico un type caractéristique de l'architecture jésuitique, c'est au portail de la cathédrale de cette capitale.

La figure ci-dessus montre une partie bien peu considérable de ce portail; mais cependant, par ce spécimen, on peut juger du caractère des chapiteaux, des ressauts, des niches, des volutes et des enroulements, des pilastres et des contre-pilastres de cette bizarre architecture, si capricieuse et si tourmentée dans ses formes; architecture qui n'a d'autre mérite qu'une grande exubérance de composition. 

Trois églises ont servi de modèle à cette architecture : l'église du Gesù et l'église Saint-Ignace à Rome, l'église Saint-Paul-Saint-Louis, rue Saint-Antoine, à Paris, à quoi on pourrait ajouter quelques sanctuaires que l'on peut considérer comme types de cette architecture et qui, consacrés sous différents vocables, doivent leur origine aux jésuites et furent élevés en l'honneur ou sous les auspices de cette puissante compagnie. 

Une étude rapide des principales données, plan, façade, coupe et ornementation, des trois églises citées plus haut, étude résumant les monographies de ces églises publiées par J. Gailhabaud (Monuments anciens et modernes; Paris, 1850, t. IV, in-4), dira les premiers maîtres et montrera bien l'origine et les développements de cette architecture jésuitique restée si chère encore au catholicisme romain et à plusieurs ordres religieux.

L'église du Gesù, à Rome.
Commencé dès 1568, sur la volonté et aux frais du cardinal Alexandre Farnèse, grand admirateur des jésuites et neveu du pape Paul III qui venait d'approuver à nouveau leur institut, la première église des jésuites à Rome, l'église du Gesù, dédiée à Jésus-Christ, chef et patron du nouvel ordre, eut pour premier architecte J. Vignole , et cet artiste s'inspira, pour le plan, qui fut plus d'une fois imité dans les églises jésuitiques, des plans conçus par Palladio pour l'église Saint-Georges, à Venise

Le plan de l'église du Gesù offre une croix latine formée par une nef unique, le transept et le choeur; des deux côtés de la nef un collatéral, divisé en chapelles communiquant entre elles, supporte des tribunes auxquelles on accède par de petits escaliers circulaires pris dans le mur de la façade principale. La croisée est surmontée d'une coupole érigée à l'aide de pendentifs sur piliers d'angle. La longueur dans oeuvre de l'église est de 71 mètres environ; la largeur de la nef est de 39 mètres; la hauteur de la voûte atteint presque 80 mètres, et celle de la coupole, au pied de la lanterne, est de 50 mètres environ. 
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Plan de l'église du Gesu (Rome).
Plan de l'église du Gesù, à Rome.

Lorsque Vignole mourut en 1573, la construction avait atteint la hauteur de le première corniche, et le cardinal Alexandre Farnèse dut s'adresser à un élève de Vignole, Giacomo della Porta pour continuer l'oeuvre, mais le nouvel architecte,  voulant marquer son influence et laisser une trace de son passage dans cet édifice, sacrifia sans scrupule les projets de son maître, remania le portail, la décoration des voûtes et des piliers; il exécuta aussi une grande portion de la chapelle de la Vierge, les voûtes et la coupole; ancien stucateur, il surchargea la décoration de stucs : en somme, nombre d'auteurs trouvent fort regrettables les travaux exécutés par della Porta dans l'église du Gesù, si bien entendue et si bien comprise par son premier auteur Vignole. 

G. della Porta décora la façade principale de deux ordonnances corinthiennes superposées, celle du bas, élevée au-devant de la nef et des collatéraux, et celle du haut, élevée seulement au-devant de la partie supérieure de la nef; en revanche, deux grands ailerons, sortes de volutes allongées ou de consoles renversées formant amortissement, rachètent la différence de largeur des deux ordonnances, et ces ailerons, dits aussi consoles jésuitiques, se retrouveront plus ou moins accentués ou atténués dans les façades de presque toutes les églises de la Compagnie de Jésus ou d'architecture jésuitique.

Outre un fronton triangulaire compris dans un fronton circulaire, lesquels surmontent les colonnes encadrant rentrée principale de la nef, un important fronton triangulaire couronne l'ordonnance supérieure, et une lanterne ajourée, surmontée d'une croix, s'élève au-dessus de la coupole, laquelle est extérieurement de forme octogonale comme le tambour qui lui sert de base. Tels sont les principaux éléments de la façade de cette église du Gesù si souvent imitée et qui marque une phase, non la plus heureuse de la Renaissance italienne; en outre, l'ornementation intérieure de cette église, dont l'exécution s'est poursuivie postérieurement à l'achèvement de sa construction, accentue bien plus encore la révolution qui s'est produite dans l'architecture italienne et, sous l'influence des jésuites, à travers le monde entier. C'est partout, dit J. Gailhabaud,

« un luxe, une richesse, une magnificence qui éblouissent, mais que réprouve le bon goût; car ou y sent les idées dominantes de l'époque, c.-à-d. cette manie, cet engouement du bizarre et de la surchar e en matière de décoration, l'action enfin du Bernin et du Borromini, et, plus encore, celle de leurs élèves et de leurs imitateurs, qui surenchérirent, par leurs excentricités, sur les écarts déjà blâmables de ces deux maîtres ». 
G. della Porta, pour le grand autel; Pierre de Cortone, pour le transept de droite dédié à saint François-Xavier; la P. Pozzi, un jésuite, pour le transept de gauche, dédié à saint Ignace de Loyola, le fondateur de l'ordre; le Bernin, enfin, pour les figures de la Religion et de la Sagesse décorant, près du maître-autel, le tombeau du cardinal Bellarmin : tels sont les maîtres italiens auxquels l'église du Gesù doit les parties les plus caractéristiques de son ornementation, ornementation dont une vue de la chapelle de Saint-Ignace fera, mieux que toute description, concevoir la richesse.

L'église Saint-Ignace, à Rome.
La seconde des églises des jésuites, l'église Saint-Ignace, à Rome, dont la construction commença en 1626, plus d'un demi-siècle après celle de l'élise du Gesù, c.-à-d. au moment où les jésuites étaient le plus en faveur à la cour de Rome, fut, elle aussi, élevée aux frais d'un cardinal, neveu d'un pape, le cardinal Louis Ludovisi, neveu de Grégoire XV

Des plans furent demandés à l'architecte bolonais Domenico Zampieri, dit le Dominiquin, qui fit deux projets, lesquels furent remis au P. jésuite Horace Grassi ce dernier les combina et en tira le projet qui fut suivi. Le plan de l'église Saint-Ignace qui comprend grande nef avec bas côtés, transept dont la croisée est surmontée d'une coupole, et abside, toutes données habituelles aux églises jésuitiques, rappelle assez bien le plan de l'église du Gesù. Il en est de même de la façade dessinée par l'architecte bolonais Alessandro AIgardi, qui succéda dans la direction des travaux au P. Grassi : on voit, à l'église Saint-Ignace comme à l'église du Gesù, les deux mêmes ordonnances corinthiennes dont la différence de largeur est également rachetée par des ailerons, et une coupole octogonale surmonte la croisée des deux églises. 

Cependant, tout en s'inspirant de l'oeuvre de J. della Porta - et peut-être cette quasi-imitation lui fut-elle imposée - Algardi sut apporter dans les lignes et dans les profils une sobriété rappelant plutôt les oeuvres de Vignole que celles de son élève. L'intérieur de l'église est aussi plus sobrement décoré, au moins pour ce qui est de la nef; mais à l'église Saint-Ignace comme à l'église du Gesù, les croisillons du transept brillent d'une trop exubérante richesse. Au reste, pour les Italiens dévots du XVIIe siècle, le mérite et la beauté de ces églises jésuitiques consistèrent surtout dans les draperies tourmentées des sculptures, dans l'abus des marbres et des stucs des bronzes et des ors, enfin dans de grandes compositions picturales, d'un style non moins riche et non moins tourmenté que celui des sculptures. C'est ainsi qu'à l'église Saint-Ignace, la peinture de la voûte, oeuvre du P. jésuite Pozzi, est une des plus renommées de ce genre et consiste en une architecture fantastique, avec corniche, ressauts, tribunes, etc., au travers de laquelle des anges et des saints font cortège à Ignace de Loyola entrant dans la cour céleste. Et que dire des autels, des tombeaux, des chaires à prêcher, des stalles et des flambeaux de cette église : ils sont à l'avenant de l'architecture, de la sculpture et de la peinture, et c'est tout dire.

L'église Saint-Paul-Saint-Louis, à Paris.
L'église Saint-Paul-Saint-Louis fut élevée, de 1627 à 1641, rue Saint-Antoine, à Paris, grâce aux libéralités de Louis XIII et du cardinal de Richelieu, pour être le sanctuaire de la maison professe des jésuites : aussi ne le cédait-elle en richesse d'ornementation extérieure et intérieure à aucune autre de cet ordre. Le P. jésuite François Derand, très habile en stéréotomie, en donna les plans et en surveilla les travaux. Trois ordres corinthiens, dont un composite, superposés, des frontons, des ailerons à la partie supérieure et partout des festons, des entrelacs et des vases caractérisent, plus encore sur le portail de cette église que sur les portails des églises de Rome citées plus haut, le style jésuitique à son épanouissement. L'intérieur de cette église rappelle, comme disposition, l'église du Gesù à Rome; mais le dôme octogonal, qui surmonte la croisée, était, à l'époque où il fut élevé, le plus important de cette forme en France. La Révolution vit priver ce sanctuaire des richesses innombrables qui y étaient accumulées et parmi lesquelles il faut citer les anges d'argent soutenant un reliquaire renfermant le coeur de Louis XIII et surtout le fameux monument élevé en l'honneur de Henri de Bourbon, prince de Condé, sur les dessins de Jacques Sarazin.

Presque toutes les églises élevées en pays catholiques pendant les XVIIe et XVIIIe siècles présentèrent plus ou moins quelques-uns des caractères du style jésuite, et à Paris on peut citer, entre autres, les portails des églises Notre-Dame des Victoires, Sainte- Elisabeth, Saint-Thomas d'Aquin et le portail de l'ancienne église Saint-Barthélemy de la Cité, transporté et reconstruit au-devant de l'église des Blancs-Manteaux, comme tous inspirés, tant dans leur ordonnance d'architecture que dans leur ornementation sculpturale, de ce style jésuite dont les trois églises étudiées plus haut montrent les éléments principaux à leur naissance et dans leur développement. (Charles Lucas).

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Dictionnaire Architecture, arts plastiques et arts divers
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