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Rue du Cardinal-Lemoine, à Paris   (Ve' arrondissement). - Cette rue relie aujourd'hui le quai de la Tournelle à la place de la Contrescarpe. Mais ce nom a d'abord été donné au seul tronçon situé entre le quai de la Tournelle et la rue des Ecoles. Au-delà, elle portait le nom de rue des Fossés-Saint-Victor, elle-même dans le prolongement de la rue des Fossés-Saint-Bernard.

La partie nord de cette voie publique a été ouverte sur l'emplacement d'un collège, dit du Cardinal-Lemoine. Celui-ci fut fondé par Jean Lemoine, cardinal, qui vint en France en qualité de légat pour terminer la fameuse querelle qui s'était élevée entre Boniface VIII et Philippe-le-Bel. Le cardinal, pour établir son collège, fit choix de l'emplacement autrefois occupé par les Augustins et donna, dans les années 1302 et 1308, des règlements dans lesquels il désignait ainsi ceux qui habitaient cet établissement : les pauvres maîtres et écoliers de la maison du Chardonnet.

Jean Lemoine mourut en 1313; son corps fut transporté dans la chapelle du collège qu'il avait fondé. Les parents du cardinal augmentèrent par de nouveaux bienfaits les revenus et le nombre des boursiers de ce collège. Un des descendants de Jean Lemoine établit, en mémoire du fondateur, une fête annuelle qu'on nomma la Solennité du cardinal Lemoine. La cérémonie avait lieu le 13 janvier. Un familier du collège jouait pendant la fête le personnage du cardinal. Revêtu d'habits pontificaux, il le représentait à l'église et à table, et recevait avec gravité les compliments en vers et en prose que lui adressaient humblement les élèves. 

Les comédiens de l'hôtel de Bourgogne assistaient à la célébration d'une messe solennelle en exécutant des morceaux de musique et de chant en l'honneur du cardinal. C'était un tribut de reconnaissance que ces artistes acquittaient pour les bienfaits que leur théâtre avait-reçus de la famille du prélat, qui possédait dans leur salle une loge longtemps appelée loge du cardinal Lemoine. 

Trois hommes célèbres, Turnèbe, Buchanan et Muret ont étudié dans ce collège, dont les bâtiments furent réparés vers 1757. Cet établissement, qui occupait une superficie de 4160 m environ, fut supprimé en 1790, devint propriété nationale et fut vendu le 21 messidor an V; à la condition suivante :

« Que l'adjudicataire serait tenu de subir le retranchement pour le percement et l'alignement des rues projetées, sans avoir à prétendre pour raison de ce aucune indemnité contre la république venderesse. » 
Cette clause a été exécutée en partie par suite de l'ouverture, de la rue de la partie septentrionale de la rue du Cardinal-Lemoine, dont le projet date de la fin du XVIIe siècle :
« Le roy estant informé par les prevost des marchands et eschevins de sa bonne ville de Paris, qu'en exécution des arrests du conseil de sa majesté, ils faisoient travailler à l'ouverture et élargissement de la rue des Nonnaindières et à former le terre-plein qui doit estre en face des aisles du Pont-Marie, et vers l'hostel de Sens pour la communication de l'île Nostre-Dame au quartier Saint-Antoine et Marais-du-Temple par la place Royalle, et que pour la plus grande commodité, publique et décoration de la ville, on pourroit faire ouverture d'une rue nouvelle au bout du pont de la Tournelle sur le quay, qui communiquerait à travers les chantiers et anciens ramparts de la ville aux quartiers Saint-Victor et Saint-Marceau, par la nouvelle rue des Fossés-des-Angloises, qui se rencontrant de droite ligne au dit pont de la Tournelle, alligneroit pareillement la rue des Nonnaindières jusques à la rue Saint-Antoine, en indemnisant les propriétaires des maisons qu'il conviendroit démolir à cet effet, tant des deniers patrimoniaux de la ville que de ceux qui proviendroient des contributions qui seront faites par les propriétaires des maisons du quai de la Tournelle, à proportion de l'advantage qu'ils recevroient de l'ouverture de cette rue. Sa majesté auroit eu ce dessein agréable, et voulant qu'il soit exécuté, sa majesté estant en son conseil a ordonné et ordonne que la dite rue sera ouverte à travers les héritages, chantiers et marais estant vis-à-vis le, pont de la Tournelle, et qu'à cet effet les maisons marquées sur le plan que les prevost des marchands et eschevins en ont fait lever pars es ordres seront démolies, etc. Fait au conseil d'état du roy, le 8 novembre 1687. »
Cet arrêt ne fut pas exécuté. Il fallut attendre  une ordonnancé royale du 7 juillet 1824 qui portait ce qui suit :
« Vu les plans et procès-verbaux d'alignement des rues à former sur l'emplacement de l'ancien collège du cardinal Lemoine à Paris; vu les contrats domaniaux des 18 frimaire an V, 9 brumaire an IX et 13 germinal an XIII, portant vente de cet emplacement, à charge par les acquéreurs de fournir le terrain nécessaire à l'ouverture des rues dont il s'agit, etc...; nous avons ordonné  et ordonnons ce qui suit : - Article 1e. Les alignements des trois rues à former sur l'emplacement de l'ancien collège du cardinal Lemoine à Paris, sont arrêtés conformément aux lignes noires tracées sur les plans ci-joints, et qui donnent à chacune des deux rues 12 m de largeur. - Art. 2e. Elles seront ouvertes, quant à présent, sur les terrains qui devront être livrés gratuitement à la ville; quant à celle de ces trois rues désignée sous le nom de rue du Cardinal Lemoine, et qui exigera des acquisitions de propriétés particulières, il sera pourvu à son achèvement, soit par mesure de voirie, soit en traitant de gré à gré avec les propriétaires des bâtiments à acquérir, soit en procédant, s'il y a lieu, à l'expropriation suivant les formes prescrites par la loi du 8 mars 1810. » 
Quant à la partie méridionale de la rue, qui, on l'a dit, portait jusqu'au vers le milieu du XIXe siècle, le nom de rue des Fossés-Saint-Victor, elle a été bâtie sur l'emplacement de l'enceinte de Philippe-Auguste et quelques maisons gardent des vestiges de cette enceinte. Buffon y a demeuré. Un peu plus loin est une maison qui a été habité par le poète Baïf, où il réunissait les beaux esprits de son temps et dans laquelle Charles IX et Henri III assistèrent à des représentations musicales. Cette maison devint, en 1633, le couvent des religieuses anglaises de Notre-Dame de Sion, fut vendue en 1790 et a été rachetée en 1816 par les mêmes religieuses. Auprès d'elle est une maison qui a été bâtie par le grand peintre Lebrun et où il est mort. 

Non loin de là était le collège ou séminaire des Écossais, fondé par Philippe-le-Bel, rebâti entre 1662 et 1665 par Robert Barclay pour les catholiques de la Grande-Bretagne; la chapelle, achevée en 1672, renfermait les tombeaux de plusieurs princes de la maison des Stuart, et possède encore un mausolée où repose dans une urne de bronze doré, le cerveau de Jacques II d'Angleterre, mort à Saint-Germain-en-Laye en 1701. Transformé en prison sous la Terreur, le collège fut rendu à l'église anglaise en 1806 et loué par un établissement d'enseignement de 1815 à 1914. 
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Collège des Ecossais, à Paris (5e arrondissement).
Façade de l'ancien collège des Ecossais, rue du Cardinal-Lemoine, à Paris.
© Photo : Serge Jodra, 2009.

A la suite de la rectification de la pente de la rue en 1685, le rez-de-chaussée de la façade sur la rue devint premier étage. Mais la façade sur le jardin est restée intacte.  De l'autre côté de la rue a demeuré l'auteur des Essais historiques sur Paris, Saint-Foix. 

Parmi les anciennes institutions qu'a abrité cette rue, mentionnons encore la congrégation des prêtres de la Doctrine chrétienne, fondée en 1627 par Gondi, archevêque de Paris, pour former des professeurs et des prédicateurs. La bibliothèque était très riche et publique.  Au coin de cette rue et de la rue des Ecoles était la maison de l'épicier Desrues, fameux empoisonneur, qui fut brûlé en place de Grève en 1770. (L. / Th. L.).

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Dictionnaire Villes et monuments
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