 |
Oasis d'Ammon
est le nom ancien d'une oasis située au centre du désert de Libye
(environ 23° de longitude Est, 29° de latitude Nord), et connue de nos
jours sous le nom d'Oasis de Syouah ou Siouah. Elle se trouvait, au dire
des historiens classiques, placée à douze journées de marche de Memphis,
à 400 milles de Cyrène, dix jours de Thèbes,
et cinq jours d'Apis, bourg voisin de Paraetonium ou Ammonia. Cette oasis
fut célèbre dans toute l'antiquité à cause du temple de Zeus-Ammon
(plus connu sous l'appellation romanisée de Jupiter-Ammon) qui y était
bâti, et dans lequel on rendait des oracles .
Le nom de l'oasis s'écrit Ammôn en grec, et plus souvent encore
Hammon, en latin. En réalité, ces orthographes sont fautives;
le nom devrait s'écrire Amon. Les Grecs et les Latins, dans leur
manière naïve de concevoir la philologie, cherchaient à rapporter Ã
leurs langues tout mot étranger dont la consonance se prêtait à cette
assimilation. Nous en voyons des exemples en mille endroits, et surtout
dans le Traité d'Isis
et d'Osiris de
Plutarque. Le dieu adoré dans l'oasis libyenne
était Amon ;
d'autre part, le temple de ce dieu était de tous côtés entouré de sables.
Sable, en grec, se dit ammos. Cette similitude de son entre les
deux mots suffit aux voyageurs pour leur faire voir, dans Amon, non pas
le nom d'un dieu égyptien, mais un adjectif dérivé de ammos;
ils écrivirent donc Ammon avec deux m (ou deux µ, si vous préférez...).
Comme ammos s'écrit parfois avec l'esprit rude, les Latins employèrent
la transcription Hammon de préférence à Ammon. Le désir
de latiniser ou de gréciser toutes les notions étrangères amena de même
les auteurs classiques à identifier le dieu Amon
avec leur Zeus
ou avec leur Jupiter .
'Oasis d'Amon, dieu égyptien, devint donc pour eux l'Oasis de Jupiter-Ammon,
ou Jupiter des sables. En écrivant Oasis d'Ammon, nous ne faisons
que nous conformer à l'usage qui a prédominé, tout en ayant conscience
de faire une faute d'orthographe.
Ammon
sur une monnaie
de
Barca
en Cyrénaïque .
Les écrivains classiques nous présentent
de diverses manières les faits qui donnèrent lieu à l'édification d'un
temple à oracle
dans l'oasis libyenne. D'après Diodore (Bibl.
hist., III, 67-72), Dionysos ,
fils d'Ammon, roi de Libye, et d'Amalthée ,
construisit une ville dans l'oasis, déserte jusque-là , et y institua
un oracle en l'honneur de son père-:
«
Ammon y était représenté avec une tête de bélier ,
insigne que ce roi portait sur son casque de guerre. Quelques mythographes
prétendent qu'il avait naturellement une véritable corne sur chaque côté
des tempes, et son fils Dionysos avait le même aspect. C'est ce qui accrédita
la tradition que Dionysos
était né cornu. Après la fondation de la ville et l'établissement de
l'oracle d'Ammon, Dionysos fut, dit-on, le premier qui consulta l'oracle
de son père; et il obtint pour réponse qu'il acquerrait l'immortalité
par ses bienfaits envers les humains. »
La légende transmise par Diodore
ne fait d'Ammon, comme on le voit, ni un personnage égyptien, ni même
un personnage divin. Hérodote nous a conservé,
au sujet de la fondation de l'oracle d'Ammon, une seconde légende, rédigée
sous deux formés un peu différentes, et qui a sur la première ce double
avantage que d'abord elle est bien plus ancienne, et qu'ensuite elle place
les faits sous leur véritable jour, en nous montrant, à travers les idées
symboliques dont elle est obscurcie, que le temple de l'oasis tût fondé
par les Égyptiens, en l'honneur d'Amon ,
la principale divinité de Thèbes .
Voici les deux formes de la légende rapportée par Hérodote :
1°
« Les prêtres de Jupiter thébain me racontèrent que des Phéniciens
avaient enlevé à Thèbes deux femmes consacrées au service de ce dieu;
qu'ils avaient out dire qu'elles furent vendues pour être transportées,
l'une en Libye, l'autre en Grèce, et qu'elles furent les premières qui
établirent des oracles parmi les peuples de ces deux pays. Je leur demandai
comment ils avaient acquis ces connaissances positives : ils me répondirent
qu'ils avaient longtemps cherché ces femmes sans pouvoir les trouver,
mais que depuis ils en avaient appris ce qu'ils venaient de me raconter.
Voilà ce que j'ai appris des prêtres de Thèbes. » (Hist., II,
54).
2°
« Les prêtresses des Dodonéens
rapportent qu'il s'envola de Thèbes d'Égypte deux colombes
noires; que l'une alla en Libye, et l'autre chez eux; que celle-ci, s'étant
perchée sur un chêne ,
articula d'une voix humaine que les destins voulaient qu'on établit en
cet endroit un oracle
de Zeus ;
que les Dodonéens, regardant cela comme un ordre des dieux, l'exécutèrent.
Ils racontent aussi que la colombe qui s'envola en Libye commanda aux Libyens
d'établir l'oracle d'Ammon, qui est aussi un oracle de Zeus. Voilà ce
que me dirent les prêtresses des Dodonéens.» (Hist. II,
55).
L'inspection des quelques monuments encore
visibles dans l'oasis de Siouah confirme le dire de l'historien grec. On
y trouve, en effet, un temple égyptien, couvert de légendes hiéroglyphiques
et portant, plusieurs fois répétée, la représentation d'Amon
à tête de bélier .
Nous devons reconnaître que l'oasis d'Ammon était une colonie égyptienne,
comme le furent les mines de turquoises du Sinaï, les carrières d'Ouadi-el-Hammamât ,
les oasis de Dakhel, d'El-Khargéh, et quelques autres du désert libyen.
Quant à l'époque où l'oasis fut colonisée
par les Égyptiens,, tout concourt à nous faire supposer que le fait remonte
seulement à la XVIIIe dynastie (Nouvel
Empire). Amon, en effet, ne devint réellement populaire en Égypte qu'Ã
partir de cette époque. Les dieux égyptiens suivaient un peu le sort
des villes dans lesquelles ils étaient adorés. Jusqu'à la XVIIIe
dynastie, ce furent des villes du Delta ou de l'Heptanomide qui furent
capitales du royaume, et les monuments de ce temps font à peine mention
d'Amon. A la XVIIIe dynastie, au contraire,
Thèbes
devint capitale et son dieu, Amon, devint du même coup le plus important
des dieux égyptiens. De plus, les pharaons de l'Ancien Empire
ou de la XIIe dynastie (Moyen Empire )
n'osèrent guère s'aventurer fort loin, à part dans le Sud, à la poursuite
des envahisseurs. Certes, ils eurent plusieurs fois à soutenir des luttes
contre les Libyens, mais ils se contentèrent de les éloigner de la frontière,
sans trop la dépasser eux-mêmes. A la XVIIIe
dynastie. nous voyons les Ahmessides atteindre Ninive
au Nord-Est, et Napata
au Sud. Cette dernière ville fut pourvue d'un temple d'Amon .
Comme ces pharaons durent aussi combattre les Libyens, il est possible
qu'ils soient entrés au coeur de la Libye, de même qu'ils étaient entrés
au cour de l'Asie et de l'Afrique, et que ce soit en cette occasion qu'ils
atteignirent l'oasis de Siouah et y construisirent un temple à Amon. Du
reste, les monuments de Siouah rappellent par leur style les temples égyptiens
de la XVIIIe ou de la XIXe
dynastie. H. Brugsch et F. Chabas ont cru retrouver,
dans quelques papyrus, le nom hiéroglyphique de l'oasis d'Ammon. En résumé,
il est certain que l'oasis d'Ammon était une colonie égyptienne et que
le dieu qui y était vénéré était l'Amon de Thèbes; il est fort probable,
d'autre part, que l'époque de la colonisation remonte aux premiers règnes
de la XVIIIe dynastie (Nouvel Empire ).
Au dire d'Hérodote,
Les deux curiosités les plus importantes de l'oasis d'Ammon étaient le
temple de Zeus et la Fontaine du Soleil .
L'oasis mesurait cinquante stades en longueur ainsi qu'en largeur, renfermait
des sources, des fontaines et une multitude d'arbres fruitiers, et comprenait
plusieurs villes. Un printemps perpétuel y régnait. Au milieu du territoire
se trouvait la citadelle, entourée d'une
triple muraille. Dans la première enceinte, on rencontrait le palais des
anciens princes; dans la seconde, on voyait le gynécée,
c.-Ã -d. l'habitation des femmes et des enfants, les remparts
avancés, un temple du dieu, et une fontaine lustrale dans l'eau de laquelle
on baignait les offrandes avant de les consacrer au dieu; dans la troisième
enceinte habitaient les soldats et les gardes qui accompagnaient partout
les princes. Non loin de la citadelle s'élevait un second temple d'Ammon,
ombragé par de nombreux et immenses arbres et, à côté, la Fontaine
du Soleil. La statue d'Ammon était incrustée d'émeraudes et d'autres
pierres précieuses. Une lampe brillait jour et nuit dans le sanctuaire,
et les oracles s'y rendaient d'une manière toute spéciale, non pas par
paroles, mais par signes. Quatre-vingts prêtres portaient un bateau sacré
sur lequel était placée la statue d'Ammon; le bateau les dirigeait de
lui-même à l'endroit qu'indiquait le dieu, et les devins
interprétaient dans ses mouvements la réponse de l'oracle .
Un choeur de vierges
et de matrones le suivait, chantant des hymnes. La Fontaine du Soleil jouissait
d'une particularité remarquable. L'eau en était tiède au point du jour,
fraîche à l'heure du marchés et extrêmement froide à midi; à mesure
que le jour baissait elle devenait moins froide, jusqu'au coucher du soleil,
où elle redevenait tiède. Elle s'échauffait de plus en plus jusqu'Ã
minuit, heure où elle bouillait à gros bouillons. Puis, le jour approchant,
elle se refroidissait jusqu'au lever de l'aurore (Hérod., IV, 181). Nous
verrons plus loin que tous ces renseignements ont été trouvés assez
exacts par les voyageurs modernes.
L'oasis d'Ammon était fort riche. De nombreux
troupeaux de moutons y paissaient; on y trouvait du sel ordinaire en quantité,
ainsi que du sel ammoniaque, sous forme de morceaux ovoïdes, longs de
trois doigts et transparents comme du cristal : des coquilles ,
connues aujourd'hui sous le nom de cornes d'Ammon ou ammonites ,
en parsemaient la sol. Les documents classiques nous permettent même de
réunir les plantes les plus importantes de l'ancienne flore ammonienne
: Phoenix dactylifera L, (Pline, VII, 62;
Strabon, XVII, III, 23; Théophraste,
Hist, plant., IV, 3), Rhamnus Spina Christi, Willd.
(Pl., VIII, 33; Théophr., IV, 3), Cyperus longus L. (PI., XXI,
70), Thuia articulata Vahl. (Th., V, 3), Ferula ammonitifera
Lémery (Pl., XII, 49, Dioscoride., De
mat, med., III, 88), Olea europaea L. (Arrien,
Exp. Alex., III, 4). Le Phoenix et le Cyperus de l'oasis
d'Ammon étaient les plus estimés pour la parfumerie. Le Ferula
produit la gomme ammoniaque, et Pline, dont nous tenons ce renseignement,
exprime cette idée naïve que c'est parce qu'elle produit la gomme ammoniaque
que l'oasis se nomme oasis d'Ammon; il est évident que c'est le contraire
qui eut lieu.
Les Ammoniens, encore au dire d'Hérodote,
étaient des colons égyptiens
et nubiens
et leur langue tenait le milieu entre celles de ces deux peuples. On connaît
le nom d'un de leurs rois, Etéarque (Hérodote, II, 32), et l'éloignement
de leur pays, ainsi que la réputation de leur oracle, avait donné naissance
chez les Grecs à un dicton populaire : « Aller le demander à Ammon
(Strabon, XVII, 5) », analogue à notre « Donner
sa langue au chat ».
C'est le voyageur Browne
(Travels in Africa, Loudun, 1799, in-4) qui a retrouvé dans l'oasis
de Siouah l'ancienne oasis d'Ammon. Il y trouva des temples égyptiens
et reconnut la Fontaine du Soleil. D'autres voyageurs viennent ensuite,
Hornemann, Minutoli, Jomard, Hamilton, etc. Leurs
récits s'accordent parfaitement avec le dire des auteurs anciens. Siouah,
capitale de l'oasis, s'élève, écrivent-ils, en étages sur les ruines
de l'ancienne citadelle. A Omm-Beidah, un peu au Nord de Siouah, se trouvent
les ruines d'un temple couvert d'hiéroglyphes et de représentations où
l'on voit Isis ,
Anubis ,
Khnoum ,
et surtout Ammon (Amon )
à tête de bélier
luttant, dans son rôle de dieu solaire, contre ses ennemis nocturnes.
Près du temple coule une source, nommée encore aujourd'hui Aïn-esh-shams,
Fontaine du Soleil, et les eaux, comme on a pu le constater, en varient
effectivement de température aux différentes heures du jour. A El-Garmi
se trouve un second temple égyptien; à Deir-er-Roum on voit un sanctuaire
d'ordre dorique bâti probablement par les Grecs; à Amoudeïn s'élève
un autre monument antique. Beaucoup d'anciennes catacombes
existent dans l'oasis; quelques tombes, ornées d'hiéroglyphes et de peintures,
renferment des momies
dans leurs sarcophages. Dans l'une, on
a trouvé une inscription grecque presque illisible; dans d'autres, des
statues de bronze, dont l'une représente un lion
couché. Une bourgade, Garm-Ammoun, a conservé dans son nom le nom de
l'ancienne oasis.
Les produits végétaux et minéraux, racontent
encore les voyageurs du XIXe siècle, ont
à peine changé; des sources d'eau douce sourdent du sol au milieu de
gros blocs de sel, et l'oasis compte 68 000 dattiers femelles. Comme dans
l'ancienne citadelle, les femmes et les enfants ont, dans Siouah, un quartier
spécial. Enfin, la langue des habitants modernes, dont on connaît plusieurs
centaines de mots, contient 30 % de mots arabes d'Égypte, 20% de mots
berbères, et le reste, de termes locaux,
probablement dérivés de l'ancienne langue comme le copte dérive des
hiéroglyphes.
Bien avant ces voyageurs modernes, bien
d'autres parcoururent l'oasis d'Ammon pendant l'Antiquité. Pas toujours,
alors par simple curiosité, mais pour consulter l'oracle. L'endroit est
ainsi plein de légendes. Outre les héros
fabuleux, comme Dionysos ,
Héraclès ,
Persée ,
nous voyons, à la suite des conquérants égyptiens, plusieurs personnages
historiques y aller en personne ou y envoyer des missions. Sémiramis,
dit la tradition, y apprit qu'elle disparaîtrait un jour du séjour des
humains et serait changée en colombe ;Crésus
questionna l'oracle pour
savoir si les ennemis qui menaçaient son royaume seraient vainqueurs;
Bocchoris y trouva le moyen de l'aire cesser une épidémie qui régnait
en Égypte. Nous y voyons encore paraître Hannibal,
Ptolémée Ier,
et bien d'autres célébrités du monde antique. La visite la plus importante
que reçut l'oasis d'Ammon fut certainement celle d'Alexandre
le Grand, que la légende nous montre partir de Paraetonium, se perdre
dans le désert, n'être empêché de mourir de soif que par une pluie
providentielle, ne retrouver la route qu'en suivant des oiseaux qui connaissaient
le chemin mieux que lui et, finalement, arrivé au temple, apprendre de
l'oracle qu'il était fils, non de Philippe, mais de Zeus
(excusez du peu). L'oracle perdit bientôt de son prestige; à l'avènement
du christianisme ,
on ne le consultait déjà plus, et Strabon nous
en parle comme d'une chose ancienne et surannée. (V. Loret). |
|