L'origine
du mal, selon Leibniz
«
On demande d'abord d'où vient le mal? Si Deus est, unde malum?
Si non est, unde bonum? Les anciens attribuaient la cause du mal à
la matière, qu'ils croyaient incréée et indépendante
de Dieu; mais nous qui dérivons tout être de Dieu, où
trouverons-nous la source du mal? La réponse est qu'elle doit être
cherchée dans la nature idéale de la créature autant
que cette nature est renfermée dans les vérités éternelles
qui sont dans l'entendement de Dieu indépendamment de sa volonté.
Car il faut considérer qu'il y a une imperfection originale dans
la créature avant le péché, parce que la créature
est limitée essentiellement, d'où vient qu'elle ne saurait
tout savoir et qu'elle se peut tromper et faire d'autres fautes.
Platon
a dit dans le Timée que le monde avait son origine de l'entendement
joint à la nécessité. D'autres ont joint Dieu et la
nature. On y peut donner un bon sens. Dieu sera l'entendement, et la nécessité,
c'est-à-dire la nature essentielle des choses, sera l'objet de l'entendement,
en tant qu'il consiste dans les vérités éternelles.
Mais cet objet est interne et se trouve dans l'entendement divin. Et c'est
là-dedans que se trouve non seulement la forme primitive du bien,
mais encore l'origine du mal : c'est la région des vérités
éternelles qu'il faut mettre à la place de la matière,
quand il s'agit de chercher la source des choses. Cette région est
la cause idéale du mal, pour ainsi dire, aussi bien que du bien;
mais, à proprement parler, le formel du mal n'en a point d'efficiente,
car il consiste dans la privation, comme nous allons voir, c'est-à-dire
dans ce que la cause efficiente ne fait point. C'est pourquoi les scolastiques
ont coutume d'appeler la cause du mal déficiente.
On
peut prendre le mal métaphysiquement, physiquement et moralement.
Le mal métaphysique consiste dans la simple imperfection, le mal
physique dans la souffrance, et le mal moral dans le péché.
Or, quoique le mal physique et le mal moral ne soient point nécessaires,
il suffit qu'en vertu des vérités éternelles ils soient
possibles. Et comme cette région immense des vérités
contient toutes les possibilités, il faut qu'il y ait une infinité
de mondes possibles, que le mal entre dans plusieurs d'entre eux, et que
même le meilleur de tous en renferme; c'est ce qui a déterminé
Dieu à permettre le mal. »
(Leibniz.
Essais
de théodicée. Partie I, 20).
|