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La
littérature anglo-saxonne.
Quand les missionnaires chrétiens
eurent apporté l'usage de la langue latine
et l'art d'en tracer les caractères, les Bardes, poètes primitifs
des sociétés celtiques et
teutoniques,
se rangèrent sous leur discipline; de toutes parts s'élevèrent
de saintes retraites, dont les habitants composèrent une foule de
livres, et qui, par leurs efforts autant que par leurs exemples, propagèrent
l'instruction.
Ce premier âge de la littérature
anglo-saxonne vit naître des traités historiques, théologiques,
politiques même, et de pieuses et poétiques légendes.
Le plus ancien écrivain de la Grande-Bretagne est Saint
Gildas, missionnaire chrétien de la fin du Ve
siècle, descendant de ces familles bretonnes qui avaient échappé
à l'invasion germanique en se réfugiant dans les montagnes
de la Cumbrie, où s'était conservée la langue nationale
et où le christianisme avait pénétré dès
l'an 340 : il est auteur d'une curieuse Histoire des Bretons, écrite
en latin.
D'autres auteurs s'essayèrent à
écrire dans la langue vulgaire : mais ces compositions, qui n'étaient
peut-être pas sans mérite sous le rapport de la naïveté
du style ou de l'originalité de la pensée, furent dédaignées
par les érudits d'alors, qui, regardant le latin comme seul digne
d'être employé pour les oeuvres de l'esprit, se mirent peu
en peine de recueillir les fragments de la poésie anglo-saxonne.
Toutefois, Bède le Vénérable
nous a transmis quelques-uns de ces fragments, et même certains détails
sur l'un des écrivains fidèles à la langue maternelle,
Caedmon,
bouvier-poète, qui fut moine au couvent de Whitby. Caedmon composa
nombre de poèmes bibliques, et des traités religieux, dont
plusieurs ont été conservés. Son poème intitulé
la
Chute de l'homme offre quelques rapports avec l'oeuvre bien postérieure
de Milton, et divers passages pourraient faire
penser que le poète anglo-saxon du VIe
siècle n'a pas été tout à fait inconnu de l'auteur
du Paradis perdu .
Au milieu de noms obscurs, tels que ceux
de Ceolfrid et d'Adhelm, abbé de Malmesbury,
il faut accorder une place particulière à Bède
le Vénérable (672-735), par qui l'on connaît ces
échantillons de la poésie anglo-saxonne, embrassa toutes
les sciences de son temps. II a laissé une foule d'écrits
sur l'histoire, une traduction des livres saints, des commentaires, des
biographies curieuses à consulter, des traités religieux,
et une histoire ecclésiastique des Anglo-Saxons. Les auteurs qui
vinrent après lui sont peu connus et n'ont, pour la plupart, écrit
qu'en latin; le temps où ils ont vécu serait également
obscur, si le nom d'Alfred le Grand, roi
de Wessex, n'y eût jeté un vif éclat. Osburge, mère
d'Alfred, qui faisait ses délices de la lecture des poètes
saxons, excita en lui une noble émulation : poète distingué
dans la langue nationale, il étudia encore le latin,
et chercha à s'instruire par les voyages, et par la conversation
des savants qu'il appelait à sa cour. Il traduisit en anglo-saxon
l'Epitome de Paul Orose, l'Histoire ecclésiastique
de
Bède, la Lettre pastorale du pape Grégoire
le Grand pour l'instruction du clergé, et le livre De la
Consolation de Boèce. II composa aussi,
dit-on, une foule de contes et de légendes
en vers, des allégories ou des apologues
à l'imitation d'Esope, et, voulant que tout
homme libre sût lire et écrire, fonda de nombreuses écoles.
Après Alfred, un archevêque
de Canterbury, Alfric, traduisit en anglo-saxon
les sept premiers livres de la Bible .
On a de lui un recueil d'homélies,
quelques traités religieux, et une grammaire
latine.
Dans la liste des illustrations anglo-saxonnes
on doit faire entrer Winfried ou Saint Boniface,
apôtre de la Germanie .
Il étudia les lettres sacrées et profanes dans les monastères
d'Exeter et de Melseeble, et, au milieu des
agitations d'une vie employée aux travaux de l'apostolat et aux
affaires de l'Église
il ne perdit aucun des goûts littéraires de sa jeunesse. Il
avait enseigné avec honneur la grammaire, l'éloquence et
l'art des vers; du fond de la Germanie, il s'informait de l'état
et des progrès des écoles dont il avait vu commencer la prospérité
dans son pays natal, et se faisait transcrire quelques-uns des écrits
de Bède. Il associa à ses travaux
sa parente Lioba, qui, devenue plus tard abbesse de Bischoffsheim, enseigna
la prosodie latine aux filles des Germains. C'est peut-être à
elle qu'il adressa son poème des Vertus, petit ouvrage d'environ
200 vers, dans lequel il met successivement en scène la Charité,
la Foi, l'Espérance, la Justice, la Vérité, la Miséricorde,
la Patience, la Paix, l'Humilité et la Chasteté, rien que
du beau monde.
Cynwulf, évêque de Winchester,
Wulfstan, archevêque d'York, et quelques
autres écrivains ecclésiastiques, continuent la liste des
noms littéraires anglo-saxons jusqu'à la conquête normande.
Rappelons enfin que Charlemagne puisa dans
les bibliothèques des Anglo-Saxons,
et qu'il fit venir à sa cour le célèbre
Alcuin
( La
littérature latine au Moyen âge). La langue
anglo-saxonne, un peu altérée déjà par
le latin des missionnaires et par le danois
qu'avaient apporté les pirates du bord, survécut à
l'invasion de Guillaume le Conquérant
: tandis que les hautes classes de la nation, les vainqueurs, et ceux qui
s'étaient ralliés à leur cause, donnaient la préférence
au normand (français), le peuple
resta fidèle à la langue nationale.
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Page
d'une Chronique anglo-saxonne.
(Manuscrit
du XIe s.).
La fusion des deux groupes, qui fut le
résultat du temps, amena plus tard celle des langues, et l'anglais
moderne sortit du mélange de l'anglo-saxon et du français.
Mais, depuis la conquête normande, l'anglo-saxon disparut presque
entièrement des oeuvres littéraires; nul auteur distingué
ne s'en servit. Les Chroniques anglo-saxonnes n'ont pas été
composées dans la langue primitive, mais par une série d'auteurs,
qui, bien après le règne d'Alfred
et jusqu'au règne de Henri II,
écrivirent soit en latin, soit en anglo-saxon corrompu. Un
certain nombre de mots anglo-saxons ne se sont pas perpétués
dans l'anglais : Turner dit que, dans trois pages de l'Orose du
roi Alfred, il a trouvé 78 mots tombés en désuétude,
sur un total de 548, et, dans trois pages du Bède
du même prince, 230 sur 969.
Ce n'est qu'au XIIIe
siècle qu'on voit apparaître les premières lueurs de
la littérature anglaise proprement
dite, qu'avait précédée celle des Anglo-Saxons.
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Pendant ce
temps en Irlande...
La
littérature irlandaise comprend deux classes distinctes de compositions,
les vieux chants des bardes païens que nous a conservés la
tradition, et les oeuvres chrétiennes des anciens moines. Quelques
chants irlandais remontent très probablement aux VIIe et VIe siècles;
on les trouve réunis dans l'important ouvrage publié par
O'Connor sous le titre de Rerum hibernicarum scriptores veteres,
4 vol. in-4°.
Du
Ve au VIIIe siècle, période pendant laquelle les pays du
continent tombèrent dans la barbarie, la tradition des lettres
latines et grecques se conserva
en Irlande
: il y eut à Hy, Lismore, Bangor, Clonfert, Clonard, Armagh, etc.,
des écoles où l'on allait étudier de toutes les régions
voisines.
Les
maîtres irlandais se répandirent à leur tour sur le
continent à partir du Ve siècle : parmi eux on distingue,
d'abord le moine Columb, que l'Irlande, la France austrasienne ,
la Germaine
et les régions conquises par les Anglo-Saxons, connurent sous le
nom de St Colomban. II puisa une instruction
solide et variée au monastère
de Bangor, et conserva, toute sa vie, un pieux amour pour la poésie.
Il est peut-être l'auteur d'un éloge de la vie monastique,
écrit en vers rimés par assonances seulement, et qui fut
longtemps populaire à Bangor. Lorsqu'après 60 ans d'apostolat
il était arraché de son monastère
de Luxeuil
et exilé en Germanie, il se consolait encore de l'injustice des
hommes par le culte des Muses : nous avons une épître
en vers dans laquelle il compare les joies du monde aux vains trésors
qui font périr avec eux les empires.
Après
Saint Colomban, on peut citer Saint Gall, son
disciple; Saint Roding, fondateur de Beaulieu en Argonne; Saint Furcy,
fondateur de Lagny; Saint Livin, qui prêcha la foi chrétienne
aux Gantois. Puis vinrent, au VIIIe siècle, Saint Virgile, qui fut
évêque de Salzbourg, et ses compagnons de prédication
en Bavière ,
Saint Declan et Saint Alto; Dobdan, dit le Grec, évêque de
Chiemsée; les grammairiens Colchus ou Coelchu le Sage, Cruindmelus
et Malrachanus.
Au
IXe, Clément, qui fut appelé à la cour de Charlemagne;
le moine Dicuil, auteur du De mensura orbis
terrae, publié par Walckenaër en 1807; Claude, qui a laissé
des gloses sur presque tous les livres de la Bible ;
Dungal, chargé par Charlemagne d'instruire la jeunesse de Pavie ;
Mannon et Jean Scot Erigène, qui vinrent
en France à l'époque de Charles le
Chauve, etc. |
Les débuts
de la littérature en langue anglaise.
La Chronique rimée du moine
Robert de Glocester, dépourvue d'art et d'originalité, indique
néanmoins l'époque où la langue
anglaise commença à se former. Elle n'est écrite
ni en saxon, ni en français, mais
en anglais. En même temps, les ménestrels
de la Grande-Bretagne traduisaient et imitaient les Trouvères.
La poésie ne prit cependant un véritable
essor que sous le règne d'Édouard
III. Les Visions de Guillaume au sujet de Pierre le Laboureur
(Piers Ploughman), ouvrage qu'on appelle ordinairement à
tort, les Visions de Pierre le Laboureur, datent de 1362. C'est
la première oeuvre poétique de quelque étendue et
de quelque importance que nous rencontrions dans l'histoire de la littérature
anglaise. Elle fut composée par un prêtre séculier,
Robert Langland, qui se proposa de faire la satire'
allégorique
des moeurs du clergé et de la société laïque
de son temps. Mais le plus grand écrivain du XIVe
siècle, en Angleterre ,
fut Chaucer, qu'on appelait dans le style de
l'ancienne critique, le Père de la poésie britannique.
II imita, dans ses premières oeuvres, la forme allégorique
du Roman de la Rose .
Puis, apès un voyage en Italie ,
il s'inspira des Italiens et particulièrement de Boccace.
Son grand poème, les Contes de Canterbury, qui renferme des
portraits si vigoureusement tracés des moeurs contemporaines, et
où il prend tous les tons, depuis le plus familier jusqu'au sublime,
est composé sur le modèle des Contes de Boccace. Chaucer
a conservé le rang le plus élevé dans la littérature
anglaise : la critique moderne le met sur la même ligne que Spenser
et Shakespeare. A côté de son
nom on cite quelquefois celui du poète Gower,
qui a laissé un poème intitulé : Confessio amantis.
A cette période appartient John
Wicklilfe, professeur de théologie à Oxford,
l'un des premiers fondateurs de la prose anglaise.
Deuxième
période (de 1400 à 1558).
On a comparé l'apparition de Chaucer
dans l'histoire de la littérature
anglaise à celle d'une belle journée de printemps qui
devance prématurément toutes les autres, et après
laquelle reviennent le froid et les brouillards. Après lui, en effet,
on ne rencontre pendant longtemps que des écrivains de second ordre.
Dans la poésie,
c'est Lydgate, qui fait l'histoire de Thèbes
et celle de la destruction de Troie ;
c'est surtout le comte de Surrey, soldat, voyageur et poète, qui
imite le rythme et la mélodie de la poésie italienne,
et qui, dans ses poésies amoureuses, prend Pétrarque
pour modèle. Surrey a pour rival de gloire sir Thomas Wyatt, dont
les chansons et les sonnets,
malgré des traces d'affectation, ne manquent ni de grâce ni
de fraîcheur. Les règnes les plus stériles de cette
période sont ceux d'Edouard IV,
de Richard III et de Henri
VII. La poésie se réveillera sous Henri
VIII, et jettera plus d'éclat que dans tout le XVe
siècle.
Le principal prosateur, au XVe
siècle, est sir John Fortescue, qui
a écrit un traité politique sur
la Différence entre une monarchie
absolue et une monarchie limitée, ouvrage destiné à
prouver la supériorité de l'Angleterre
sur la France .
(AM).
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... et en
Ecosse
On
a conservé des poésies en langue
gaélique, dont il n'est pas possible de fixer la date, mais
qui sont assurément antérieures au XIe siècle. A cette
époque, la multiplication des couvents fit naître une littérature
latine, composée surtout de Chroniques, d'Annales,
d'Histoires ecclésiastiqes.
Dès
la fin du XIIIe siècle, la langue anglaise
devint d'un usage général dans les Basses-Terres, et Thomas
d'Erceldone s'en servit pour composer un poème intitulé Sir
Tristam, dont il ne reste que des copies assez modernes. C'est également
en anglo-écossais que John Barbour écrivit, au siècle
suivant, en vers héroïques, les Aventures de Robert Bruce,
qui sont un poème épique aussi bien qu'une histoire, quoique
l'auteur ait donné à son oeuvre le titre modeste de roman
(romance).
Au
XVe siècle, la littérature écossaise atteignit son
apogée : outre le roi Jacques Ier,
à qui le malheur inspira de gracieuses compositions, on peut citer,
parmi les poètes originaux et vraiment remarquables, Robert Henryson,
qui compose des fables morales, W. Dunbar,
Georges Douglas, David Lindsay, et surtout Henri
l'Aveugle, ménestrel errant, auquel on doit une Chroniquerimée,
inspirée sans doute par celle de Barbour,
les Aventures de sir William Wallace. Le premier des prosateurs
du même siècle fut André de Wyntown, auteur d'une Chronique
d'Écosse qui, selon l'usage du temps, remonte à l'origine
du monde, et que Macpherson publiera en 1795. |
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