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Îles Cassitérides.
- Groupe d'îles, ainsi nommées par les Grecs
parce qu'elles fournissent beaucoup d'étain (cassitéros,
en grec), furent exploitées successivement par les Phéniciens,
les Carthaginois
et les Romains
qui les identifièrent avec les îles Sorlingues (Scilly ),
au Sud-Ouest de la Grande-Bretagne .
C'est assurément un bon choix pour ce qui concerne les îles
Cassitérides (ou OEstrymnides) évoquées à propos
du voyage de Himilcon. Cependant le nom de Cassitérides
pourrait aussi s'appliquer, selon les auteurs, à l'ensemble des
îles Britanniques
ou à certains de leurs rivages, voire à des îles plus
méridionales, telles que les Açores .
Les arguments en faveur de l'identification des Cassitérides avec
ce dernier archipel ne sont d'ailleurs pas dépourvus d'intérêt,
même si le terme, désignant simplement l'endroit d'où
l'on tirait l'étain, a plus certainement désigné,
selon les auteurs et les époques, indifféremment l'un ou
l'autre de ces lieux.
Hérodote
est le plus ancien des auteurs qui ont décrit les Cassitérides.
Parlant des extrémites septentrionales de l'Europe ,
il cite l'Eridan d'où vient l'ambre et les Cassitérides d'où
l'on extrait l'étain, mais il avoue qu'il ne sait rien de positif
sur ces régions, et ne peut rien affirmer, sinon que l'Eridan est
un fleuve, et les Cassitérides un archipel, et que l'ambre et l'étain
sont des produits de ces terres lointaines. Strabon
est bien plus explicite :
«
Les îles Cassitérides qui suivent sont au nombre de dix, toutes
très rapprochées les unes des autres. On les trouve en s'avançant
au nord en pleine mer à partir du port des Artabres. Une seule de
ces îles est déserte, dans toutes les autres les habitants
ont pour costume de grands manteaux noirs, qu'ils portent par dessus de
longues tuniques talaires, serrées par une ceinture au dessus de
la poitrine, ce qui, joint au bâton qu'ils ont toujours à
la main quand ils se promènent, les fait ressembler tout à
fait aux furies vengeresses de la tragédie. Ils vivent en général
du produit de leurs troupeaux, à la façon des peuples nomades.
Quant aux produits de leurs mines d'étain et de plomb, ils les échangent,
ainsi que les produits de leurs bestiaux, contre des poteries, du sel,
et des ustensiles de cuivre ou d'airain que des marchands étrangers
leur apportent. Dans le principe, des Phéniciens de Gadès
étaient le seul peuple qui envoyât des vaisseaux trafiquer
dans cette île, et ils cachaient soigneusement à tous les
autres la route qui y mène [...]. A force d'essayer cependant, les
Romains finirent par découvrir la route de ces îles. Ce fut
Publius Crassus qui y passa le premier et, comme il reconnut le peut d'épaisseur
des filons et le caractère pacifiquedes habitants, il donna toutes
les indications pouvant faciliter la libre pratique de ces parages, plus
éloignés de nous pourtant que ne l'est la mer de Bretagne
».
Diodore de Sicile
se contente de faire la remarque suivante :
«
les plus riches mines d'étain sont dans les îles de l'Océan,
en face de l'lbérie, et au-dessus de la Lusitanie, et qu'on les
nomme pour cette raison les îles Cassitérides. »
Pline l'Ancien, dans
le chapitre qu'il intitule les îles de la mer Atlantique ,
énumère les îles
Fortunées et les îles Cassitérides, en face
de la Celtibérie. Les autres géographes, Solin, Denys, le
commentateur d'Eustathe, et Nicéphore Blemmydas confirment ces renseignements,
et tous, sans exception, décrivent séparément les
îles Cassitérides et l'archipel Britannique.
De ces divers textes, il est permis de
conclure que les Cassitérides sont des îles, qu'elles sont
au nombre de dix, qu'elles se trouvent au Nord de l'Espagne
et à plusieurs journées de navigation du continent, qu'elles
renfermaient jadis des mines d'étain, mais que ces mines sont épuisées.
Or, comme on a prétendu retrouver les Cassitérides tantôt
en Galicie, tantôt dans la presqu'île Armoricaine ou en Cornouailles,
ou bien encore dans les petites îles qui bordent les côtes
de France et d'Angleterre, spécialement l'archipel des Scilly (Sorlingues),
nous n'avons qu'à rechercher si ces diverses positions répondent
aux descriptions antiques.
Les promontoires de Galicie et d'Armorique
doivent tout d'abord être écartés, puisque ce ne sont
pas des îles. Il en est de même pour les Cornouailles, malgré
la puissante autorité d'Anville, qui se prononçait pour cette
région, sous prétexte que des caps tels que le Bolerium (Lands'end),
le Dumnonium et l'Ocrinum (cap Lizard), séparés par des golfes
profonds, pouvaient être pris pour des îles par des étrangers.
Aussi bien ces promontoires ne sont pas à plusieurs journées
du continent, puisqu'ils en font partie, et, aujourd'hui encore, on y trouve
de l'étain.
Les îles de la côte française
seront également écartées. Sans doute ce sont des
îles, et elles se trouvent à plusieurs journées de
navigation au nord de l'Espagne; mais on en compte plus de dix, elles sont
éloignées les unes des autres, enfin et surtout elles n'ont
jamais produit d'étain.
Les îles Sorlingues forment au contraire
un archipel. Elles sont au nord de l'Espagne, très rapprochées
les unes des autres ; elles ont produit de l'étain. Aussi, bon nombre
de géographes, séduits par ces rapprochements, n'ont pas
hésité à conclure que les Sorlingues correspondaient
aux Cassitérides. Ils avaient oublié qu'on comptait seulement
dix Cassitérides et que les Sorlingues sont bien plus nombreuses;
qu'on ne les abordait qu'après un voyage de plusieurs jours, tandis
que les Sorlingues sont presque en vue des côtes anglaises. Remarquons
enfin que Diodore, énumérant les mines d'étain connues
de son temps, cite celles des Cassitérides, puis celles de Grande-Bretagne
et particulièrement d'Ictis : aurait-il distingué ces deux
centres de production, si les Cassitérides avaient réellement
correspondu aux Sorlingues?
Où donc chercher les Cassitérides,
sinon aux Açores, comme n'hésitait pas à le faire
le cosmographe de Nuremberg, Martin Behaim, qui,
dans son globe de 1492, désignait cet archipel sous le nom d'Acores
ou Catherides? Les Açores ,
en effet, sont de tout point conformes à la description des auteurs
anciens. Ou en Compte dix (Sainte-Marie, Saint-Michel, les Fourmis, Terceire,
Saint-Georges, le Pic, Fayal, Graziosa, Corvo, Florès), rapprochées
les unes des autres. Il faut pour y aborder, qu'on parte d'Espagne, de
France ou d'Angleterre, plusieurs jours de navigation. Enfin les mines
d'étain, dont on retrouve en plusieurs endroits la trace, ont cessé
d'être productives, comme elles avaient déjà cessé
de l'être au moment où Publius Crassus, lieutenant de César,
entreprit de les découvrir. Certains détails caractéristiques
se sont perpétués jusqu'à une époque récente
: Les Açoréens portaient encore au XIXe
s. le même costume qu'au temps de Strabon,
ce costume qui les faisait ressembler « aux furies vengeresses ».
Le grand manteau noir dont ils s'enveloppaient est même devenu pour
eux si important, que les paysans retardaient leur mariage jusqu'à
ce qu'ils aient acheté cette pièce essentielle de leur habillement.
(Gaffarel). |
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