.
-

Histoire de l'Europe
Les guildes
On désignait, au Moyen âge, sous le nom de guildes ou gildes des associations de secours mutuels, formées principalement de marchands, d'artisans ou de bourgeois. Guilde, en gothique gild; en haut allemand, gelt ou helt; en anglo-saxon, gield, gyld; en nordique, gildi signifiait primitivement rétribution; de là vint le sens d'amende et aussi celui d'offrande ou de sacrifice aux dieux. Par ce dernier sens, nous touchons peut-être à l'origine des guildes. Mais, avant de rechercher cette origine, il importe de déterminer les caractères essentiels des guildes et de dire ce qui les distingue des autres corporations. Toutefois, l'on doit remarquer que certaines associations qui n'ont pas reçu le nom de guildes en ont cependant les caractères et que, d'autre part, un certain nombre de guildes n'ont été que de simples confréries religieuses sans but commercial ou politique. 

La guilde était avant tout une association de secours mutuels, de protection, d'assurances contre toutes sortes d'accidents; une étroite solidarité unissait les membres d'une guilde liés entre eux par un serment. Elle avait en outre des fonctions religieuses : ensevelissement des membres défunts, prières pour le repos de leur âme, aumônes. Ce n'est qu'au XIe siècle qu'apparaissent des guildes composées d'artisans et de marchands et qu'elles ajoutent à leurs fonctions protectrices et religieuses une fonction économique; ces associations de marchands différaient des sociétés commerciales du Midi de la France et de l'Italie en ce qu'elles n'exploitaient pas des capitaux mis en commun; les marchands des guildes ne se syndiquaient que pour monopoliser le commerce ou l'industrie d'une ville ou d'une région et pour les réglementer.
-

Réunion de la guilde des drapiers, par Rembrandt.
Réunion de la guilde des drapiers, par Rembrandt.

Les guildes ne se rencontrent que dans les pays septentrionaux, dans le nord de la France, en Flandre, en Allemagne, en Angleterre, au Danemark et en Suède. Elles paraissent avoir une origine germanique. Comme on voit que les membres d'une guilde se réunissaient en des banquets, on les a rapprochées de ces banquets (convivia) que célébraient les Germains, au dire de Tacite, et où l'on traitait des affaires les plus importantes : réconciliations, mariages, alliances entre chefs, questions de paix et de guerre. Mais ces réunions n'avaient rien de fixe; ceux qui y prenaient part ne formaient pas une association. Les banquets religieux des Scandinaves ont plus d'analogie avec les guildes. Les Germains connaissaient certainement ces festins religieux; les souverains carolingiens, d'accord avec l'Eglise, s'efforcèrent d'en empêcher la célébration; ailleurs, en Angleterre et en Norvège, l'Eglise dut les subir et se contenta de les christianiser. Si l'on remarque que « le trait essentiel des guildes est la solidarité familiale qui existe entre leurs membres, l'assistance mutuelle qu'ils doivent se prêter pour se venger des tiers ou pour échapper à leur vengeance, l'arbitrage amiable qui prévient ou termine les conflits entre eux, on n'hésitera pas à voir dans les guildes les plus anciennes, dans celles dont les capitulaires nous révèlent l'existence, comme la suite de l'organisation familiale germanique. On sait, en effet, le rôle important joué par la famille dans la constitution des Germains et même encore à l'époque mérovingienne la paix qu'elle assurait à ses membres, la solidarité qui les unissait, ses fonctions dans le droit criminel et dans la procédure. La famille, comme fera la guilde, vengeait ses membres des atteintes portées à leur droit, appuyait leurs serments devant les tribunaux. 

On a pu dire qu'un homme sans famille était un homme sans droit. La guilde n'est qu'une famille fictive, artificielle. Ses membres s'appellent frères. On conçoit facilement que ce genre d'association se soit développé au moment où, d'une part, les liens familiaux se relâchaient et où, d'autre part, les pouvoirs publics étaient impuissants à protéger l'individu. On comprend aussi que ces associations aient été conclues, soit entre des personnes qui ne trouvaient pas dans le droit public des garanties suffisantes pour leur personne ou leur bien, comme les serfs ou les artisans, soit entre des personnes à qui leur situation dans la société imposait une vie nomade, comme les marchands. Ainsi la guilde a trouvé son principe dans l'organisation de la famille; le banquet religieux a pu être le noyau autour duquel elle s'est formée. Les guildes primitives, schutzgilden, associations de paix, nous sont peu connues; les documents ne deviennent nombreux qu'à l'époque où leur caractère primitif s'efface et ou leur rôle devient surtout économique.

Les guildes en France

Les guildes carolingiennes.
Un capitulaire de 779, qui ne faisait que renouveler un édit de Pépin, interdit les serments pro gildonia; Charlemagne autorise les sociétés ayant pour but de faire des aumônes, de réparer les dommages causés par les incendies ou les naufrages; mais il ne veut pas que les membres de ces corporations soient liés par des serments, conjurantes. Des capitulaires de 789 et 794 proscrivent encore les conjurations et les conspirations. Un capitulaire de 805 interdit toute conspiratio avec ou sans serment. Un concile tenu à Nantes au IXe siècle, et dont Hincmar nous a conservé le texte, chercha à tracer une ligne de démarcation entre les guildes permises et celles qui ne l'étaient pas. On voit que les associés se réunissaient en des festins qui dégénéraient en orgies et où des rixes s'élevaient assez violentes pour entraîner mort d'homme. Le concile désigne ces associations sous les noms de collectae; confratriae, consortia; celles-là seules sont autorisées qui se proposent un but pieux, le salut des âmes, le service religieux, les offrandes aux églises, l'entretien du luminaire, les prières, les enterrements et les aumônes.

On voit aussi que ces confréries se constituaient en tribunaux d'arbitrage, pour maintenir la paix entre leurs membres. Un capitulaire de Louis le Débonnaire (821) mentionne des associations de serfs en Flandre et en Zélande. Elles avaient sans doute pour but de protéger les biens contre les rapines, car dans un capitulaire de Carloman (884) on lit :

« Nous voulons que les prêtres et les officiers du comte interdisent aux villains de faire des associations, appelées vulgairement guildes, contre ceux qui leur ont ravi quelque chose. »
Les guildes des XIe et XIIe siècles.
Il faut ensuite venir aux XIe et XIIe siècles pour trouver des guildes en France; mais ce ne sont plus que des sociétés de marchands : telles la guilde de Saint-Omer, la guilde d'Arras, la charité de la Halle basse de Valenciennes; la guilde de Rouen qui possédait le monopole du commerce normand avec l'Irlande, un comptoir à Londres, des franchises dans les foires anglaises, le monopole du commerce de la basse Seine; on peut assimiler aux guildes la hanse parisienne, qui avait le droit exclusif de la navigation de la Seine dans le domaine royal.

Les guildes en Angleterre

Les guildes de l'époque anglo-saxonne et danoise.
En Angleterre, les guildes semblent remonter à une époque très ancienne. Il est question de gegildan dans les lois d'Ina, roi de Wessex (688-726) et d'Alfred le Grand (871-901). Dans les lois de ce dernier sont mentionnés des personnages appelés gegildan qui sont responsables du paiement du wergeld (prix de rachat d'une vengeance privée) au même titre que les parents. Mais les auteurs ne s'accordent pas sur le sens à attribuer à gegildan. Tandis que les uns y voient des membres d'une guilde, les autres interprètent ce mot par compagnons de paiement. II est difficile de croire que tout homme libre fît partie d'une association; mais, dans la seconde interprétation, il faudrait expliquer à quel titre des personnes qui ne font pas partie de la famille sont obligées au paiement du wergeld.

Les Judicia civitatis Londoniae, qui remontent au règne d'Athelstan (924-940), témoignent de l'existence de plusieurs guildes sur le territoire dépendant de Londres, se distinguant par les classes d'individus qu'elles comprenaient : guildes de nobles, guildes d'hommes non libres. Elles avaient pour but la répression du brigandage, la protection de la propriété des troupeaux et des esclaves. Elles avaient une caisse commune à laquelle chaque membre contribuait suivant ses ressources. Elles se divisaient en escouades de dix hommes dirigées par le plus âgé; dix de ces escouades étaient placées sous l'autorité d'un centenier; ce dernier, d'accord avec les dix autres chefs, administrait les finances, fixait les contributions et répartissait les indemnités entre ceux qui avaient éprouvé quelque dommage. On se réunissait en des repas mensuels. Des offices étaient célébrés pour les morts. 

Les plus anciens statuts de guildes qui nous soient parvenues ne remontent qu'au XIe siècle. L'une des plus anciennes de ces associations est la thegnagilde ou gratnabrycge à Cambridge, formée de nobles, guilde de protection. Citons encore la guilde d'Oxford composée des chanoines de Saint-Pierre et de laïcs hommes et femmes. Vers 1020, un chevalier nommé Orc, familier du roi Knut, établit en l'honneur de Dieu et de saint Pierre une guilde qui était dans la dépendance de l'abbaye d'Abbootsbury. 
-

Ghildhall (Londres).
Le Guildhall de Londres (gravure du début du XIXe siècle).

Les guildes de marchands.
Les guildes de marchands (gilda mercatoria) qui devaient prendre une si grande extension et exercer une influence économique et politique, n'apparaissent qu'après la conquête normande. Gross donne une liste de 92 localités de l'Angleterre pourvues de guildes marchandes; 13 de ces guildes sont sans date; les 79 autres apparaissent dans la période comprise entre Henri ler (1100) et Edouard II (1327). Les guildes se donnaient librement leurs statuts, mais leur institution devait être autorisée par le pouvoir royal. En 1180, quinze guildes de Londres durent payer une amende pour s'être formées sans la permission du roi. 

La guilde était placée sous la direction d'un alderman et de ses associés, dont le nombre variait comme le nom; ils s'appelaient stewards (senescalli), skevins (scabini), wardens (custodes). Ils étaient assistés d'autres officiers inférieurs. Certaines guildes avaient plusieurs aldermen. Pour devenir gildanus, congildanus, frater, il fallait payer un droit d'entrée qui s'appelait hanse à Leicester, bika à Launceston, fordede à Totnes. Le nouveau membre jurait d'observer les statuts de la guilde, de défendre ses privilèges, de ne pas divulguer ses décisions, d'obéir à ses officiers. Les femmes n'étaient pas exclues. Certaines guildes avaient différentes classes de membres dont les droits n'étaient pas égaux. Des banquets se tenaient à des jours déterminés. Les obligations religieuses étaient moins étendues que dans les autres guildes, car le but principal des guildes de marchands était la réglementation de l'industrie et du commerce. La guilde possédait une maison, la guildhall, qui lui servait à la fois de lieu de réunion et d'entrepôt pour les marchandises.

L'influence des guildes ne se fit pas sentir à l'origine des constitutions urbaines, mais elle se manifesta dans le développement du droit municipal. Les plus anciennes guildes marchandes comprenaient aussi des artisans; mais quand l'industrie se distingua du commerce, les artisans furent exclus des gilda mercatoria. Des guildes formées exclusivement d'artisans s'étaient d'ailleurs constituées à coté des guildes de marchands. Mais, en Angleterre, il n'y eut jamais entre les marchands et les artisans, entre l'aristocratie et les classes inférieures, l'antagonisme violent qu'on constate en Flandre dès le XIIIe siècle. Les guildes de marchands ont disparu peu à peu devant l'organisation moderne de l'industrie. La dernière guilde marchande de l'Angleterre est celle de Preston qui, en 1882, célébra encore des fêtes.

Les marchands étrangers à l'Angleterre se constituèrent aussi en guildes. Dès le XIIe siècle, les marchands de Cologne possédaient une maison à Londres appelée Guildhall où ils déposaient leurs marchandises (Hanse).

Les guildes en Flandre,dans le Brabant et en Allemagne

Flandre et Brabant.
Les guildes apparaissent en Flandre et dans le Brabant au XIIe siècle. Dans la période primitive, tout comme en Angleterre, les artisans et les marchands étaient confondus dans les mêmes associations; peu à peu les gens de métiers furent éloignés; les guildes marchandes formèrent une aristocratie. Le commerce des draps était de beaucoup le plus important; aussi voyons-nous qu'à Bruxelles, Malines, Tirlemont, Anvers, Louvain, la guilde fut restreinte aux marchands de draps, Lakengilde.

Dans beaucoup de villes flamandes tout bourgeois qui voulait entrer dans la guilde devait jurer de ne se livrer à aucun travail manuel. Les chefs des guildes étaient juges de toutes les causes relatives à la corporation, mais ils devaient appliquer le droit existant; ils ne pouvaient le modifier qu'après avoir pris avis des magistrats municipaux. C'est à tort que certains auteurs ont fait sortir les communes flamandes des guildes et que d'autres ont vu dans ces associations comme les corps dirigeants des villes.

Les magistrats de la ville et ceux de la guilde ne sont pas les mêmes; tous les bourgeois ne faisaient pas partie de la guilde. Si la guilde a joué un rôle considérable dans l'administration urbaine c'est qu'elle comprenait les plus riches bourgeois. Mais la guilde n'est qu'un élément complémentaire de la constitution urbaine; elle reste toujours subordonnée à l'autorité municipale.
-

Tenier le Jeune : Confrérie des arquebusiers d'Anvers.
Guilde des arquebusiers d'Anvers, par D. Teniers le Jeune (1690, musée de l'Ermitage).

Allemagne.
En Allemagne, la plus ancienne corporation d'artisans qu'on connaisse est celle des pêcheurs de Worms mentionnés en 1106. En 1134, l'empereur Lothaire constitua à Quedlinbourg une association de pelletiers et de drapiers. En 1152, Henri le Lion, duc de Saxe, donna un privilège de guilde aux tailleurs de Hambourg. Mais les corporations allemandes, qui ont été si nombreuses à partir du XIIIe siècle, n'ont été que rarement désignées sous le nom de guildes; elles s'appelaient Brüderschaften, Amter, Jnnungen. Cependant aux XIXe et XVe siècles on trouve dans quelques villes des guildes de marchands proprement dites : à Göttingen, à Hoxter. A Cologne, il y eut une guilde au XIIIe siècle; mais on ne connaît pas ses statuts.

Les guildes en Scandinavie

Danemark.
Au Danemark, les guildes s'appelaient laugh, lag, et dans les documents latins, convivium fraternitas. La plus ancienne dont on puisse constater l'existence est celle de Slesvig appelée convivium conjuratum dans un document de 1134. Des noms de saints locaux que les guildes avaient choisis comme patrons on peut déduire l'époque de leur établissement : les guildes du roi Knut se rapportent au commencement du XIIe siècle, celles du duc Knut à la fin du même siècle, celles du roi Eric à la seconde moitié du XIIIe siècle. Ces guildes étaient composées de gens de toutes classes; les ecclésiastiques y étaient admis, et souvent le prêtre qui s'occupait des intérêts religieux de la corporation en était le chef; les femmes n'étaient tenues de remplir leurs devoirs que dans la mesure où le rôle qu'on assignait à leur sexe le leur permettait. Là comme ailleurs une étroite fraternité unissait tous les membres appelés conjurati fratres; la guilde danoise plus que tout autre ressemblait à la famille germanique; elle défendait ses membres devant les tribunaux. Au milieu du XIIIe siècle, dix-huit guildes de Knut s'unirent et formèrent une ligue dont le chef-lieu fut fixé à Skanor. A Bornholm il y avait une guilde de marchands étrangers dont les statuts furent confirmés en 1378 par l'archevêque de Lund; il leur permit de construire une gildehaus, les exempta d'impôts, les autorisa à terminer entre eux leurs contestations, et à recueillir, sans l'intervention du bailli, les biens de leurs confrères jetés à la côte par la tempête.

Suède.
En Suède les guildes n'apparaissent qu'au XIVe siècle. Elles y ont été importées du Danemark. On a conservé les statuts des guildes de Stockholm, et de la guilde d'Eric à Upsala; ils ne présentent rien de particulier. Les compagnies commerciales ne connaissaient pas l'usage des festins.

Norvège.
En Norvège, au contraire, les festins ont toujours été pratiqués : on y chantait les dieux et plus tard les saints. Dans les sagas, le mot gildi a le sens de festin. On attribue au roi Olaf Kyrre (fin du XIe siècle) l'introduction des guildes à Nidaros et dans d'autres villes. Ce n'étaient que des sociétés ayant pour but la célébration de banquets. Le roi Eric Magnusson en 1295 interdit les guildes d'artisans à Bergen. Dans la même ville les marchands allemands avaient établi une guilde sous l'invocation des saintes Catherine et Dorothée, mais elle était affiliée à la hanse de laquelle elle reçut ses statuts et dont elle prenait les ordres. Les guildes n'ont eu en Norvège aucune influence politique. (M. Prou).

.


[Histoire politique][Biographies][Cartothèque]
[Aide][Recherche sur Internet]

© Serge Jodra, 2020. - Reproduction interdite.