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Histoire de la géographie antique
Les accomplissements 
de la géographie alexandrine
[La Terre]
Aperçu Premières reconnaissances Les précurseurs grecs
Le  temps des expéditions Accomplissements alexandrins La géographie à Rome

Jalons
Ératosthène.
Ératosthène (274-194), l'encyclopédique bibliothécaire d'Alexandrie, qui fut le plus grand géographe de l'Antiquité, s'appuya sur l'oeuvre de Dicéarque. La sienne n'est connue que par l'analyse qu'en a faite Strabon. Renvoyant pour les détails et pour sa fameuse mesure du degré à sa biographie et aux pages sur l'histoire de la géodésie, nous résumerons brièvement sa géographie. Il l'assit sur une base scientifique et la coordonna méthodiquement. Son traité débutait par un aperçu historique et une histoire physique des pays méditerranéens; le second renfermait la géographie générale, forme et dimensions de la Terre; le troisième, la géographie spéciale, description, pays par pays, du monde connu. Il calcula assez exactement la circonférence terrestre, reconnut que l'ancien continent en occupe environ les deux cinquièmes, de l'Ouest à l'Est. Pour sa carte, il emprunta à Dicéarque son diaphragme et sa perpendiculaire; mais il traça huit parallèles (le 5e par Rhodes) et sept méridiens, employant des observations gnomoniques et astronomiques pour fixer les latitudes et contrôler les itinéraires et les journaux des navigateurs. Il avait une connaissance exacte de l'Éthiopie, des côtes jusqu'au cap Gardafoui, savait que le Nil naît au Sud, dans la zone tropicale, dont les pluies causent ses crues annuelles. Sa chorographie de l'Asie est en grand progrès sur les précédentes. Une géographie, à la fois scientifique et descriptive comme celle d'Eratosthène, il n'en a jamais été fait depuis son temps jusqu'à l'époque moderne. Elle servit de point de départ aux efforts ultérieurs.

D'Eratosthène à Strabon.
Les savants de Rhodes firent avancer la géographie mathématique. Hipparque en traça les règles, indiquant comment les observations d'éclipses et les observations gnomoniques permettaient de déterminer les longitudeset les latitudes. Il dressa une table des éclipses pour six cents ans et une table des climats, indiquant l'aspect du ciel et la longueur d'ombre du gnomon de degré en degré. Malheureusement on ne sut pas utiliser ces tables, et ni les marins, ni les voyageurs ne firent les observations qui eussent permis de dresser, dès le IIe siècle av. J.-C., des cartes comparables aux nôtres. En effet, Hipparque avait aussi divisé le cercle en 360 degrés et représenté les méridiens par des courbes convergentes créant la projection qui est encore usitée. Il accepta, sauf une légère correction, la mesure de la circonférence du globe donnée par Ératosthène. Par contre, on prête à Hipparque une erreur grave d'après laquelle la mer Erythrée (océan Indien) était une mer fermée, l'Afrique rejoignant au Sud l'Asie, Taprobane (Sri Lanka) n'étant pas une île, mais la pointe septentrionale de ce continent. Cette idée était déjà très répandue au temps d'Aristote.

Après Ératosthène et Hipparque, Posidonius reprit le problème de la géographie mathématique; le résultat fut fâcheux. D'une estimation fausse de l'arc compris entre Rhodes et Alexandrie, il conclut que la Terre n'avait qu'une circonférence de 180 000 stades. Cette erreur, qui sera adoptée par Ptolémée, diminuait d'un tiers le pourtour de notre globe. Par d'autres côtés, Posidonius fut un géographe consciencieux; il écrivit un livre sur l'Océan.

Scymnus de Chios écrivit un poème géographique, dont la partie conservée (Europe, bords du Pont-Euxin) est précieuse. Geminos a résumé la géographie générale de son temps, développé l'idée des antipodes (L'hypothèse du continent austral); il observe que sur 16 800 stades compris entre le tropique septentrional et l'équateur, on en a exploré 8 800, ce qui prouve que cette zone est parfaitement habitable, idée développée par Polybe dans un livre De la Terre habitable aux environs de l'équateur.

Dans la période dont nous nous occupons, les explorations et les descriptions particulières se multipliaient. Polybe appuya son histoire sur des enquêtes géographiques extrêmement soignées et, fort instructives. Agatharchide de Cnide publia une excellente description des bords de la mer Erythrée, surtout du golfe Arabique (mer Rouge). Artémidore d'Éphèse (vers l'an 100) décrit outre ces parages ceux de la Méditerranée, dans un ouvrage très estimé dont quelques fragments et abrégés ont survécu. Nommons encore Polémon de Glycie, Mnaseas de Patara, le mythographe Apollodore; puis quelques auteurs de manuels intitulés Périple, Paraplous, Pénégesis, Géographie, etc. : Nicandre de Colophon, Alexandre Lychnus d Éphèse; Alexandre dit Cornelius Polyhistor; Métrodore de Scepsis; Théophane de Mytilène, compagnon de Pompée; Timagène d'Alexandrie; Varro Atacinus; le roi Juba de Mauritanie, qui écrivit sur la Libye et l'Arabie; Apollodore d'Artemita, Apollonide de Nicée; Isidore de Charax, auteur d'une géographie de l'empire des Parthes, etc. Une mention spéciale est due à Eudoxe de Cyzique qui fut un véritable explorateur à la manière moderne, mu par la curiosité; il visita l'Inde, voulut remonter aux sources du Nil, consacra sa fortune à l'entreprise de la circumnavigation de l'Afrique; après un premier échec, il y périt peut-être. Eudoxe est un caractère exceptionnel dans l'Antiquité; celle-ci ne connut pratiquement comme explorateurs que des commerçants ou des administrateurs, mais non des voyageurs pour l'amour de la découverte.

Strabon.
A l'époque de la domination romaine, le vaste travail d'arpentage à travers tout l'empire qui fut réalisée fut mise à profit par un grand géographe, Strabon. La paix romaine était très favorable à l'élaboration d'un grand ouvrage descriptif. Cicéron y avait songé. Son contemporain Tyrannion fut le maître de Strabon. Celui-ci fit le tour de la Méditerranée orientale et ajouta aux fruits de son enquête personnelle un dépouillement des ouvrages de ses prédécesseurs. Il a pris comme cadre celui d'Eratosthène, le développant et le complétant. Il a laissé de côté la géographie scientifique, même biologique et économique, pour s'étendre sur la description, sur la sociologie, les moeurs, les lois, les religions, les antiquités de chaque peuple. S'il n'a embrassé que la moitié à peine de la tâche et trop sacrifié la précision des mesures, il a du moins tracé un tableau complet du monde romain, et son ouvrage heureusement conservé est inestimable. Notons seulement que ses théories générales sont empruntées surtout à Ératosthène et à Posidonius; il persiste à croire la zone torride inhabitable, juge que les trois quarts de la Terre sont inconnus et doivent renfermer d'autres continents, celui qu'il décrit étant une sorte de grande île de l'un des quadrilatères du Nord. Il lui donne 70 000 stades de long, mais seulement 30 000 stades de long de la côte Cinnamomifère (cap Gardafoui) au parallèle d'lerné (Irlande) et nie l'existence de Thulé. Cette mappemonde ne comprend donc que la moitié de l'Europe, le quart de l'Asie et de l'Afrique. Strabon cite quatre grands golfes ou mers intérieures se ramifiant sur l'Océan, les mers Caspienne ou Hyrcanienne, Méditerranée, Arabique (= mer Rouge) et Persique. Il pense qu'on pourrait de l'Inde gagner le détroit par où communiquent la Caspienne et l'océan Boréal; il estime le golfe Persique aussi grand que le Pont-Euxin.

Les matériaux ne manquaient donc pas pour la rédaction d'une carte et d'une nouvelle géographie universelle. Celle de Strabon étant une oeuvre littéraire purement descriptive, n'en pouvait tenir lieu, surtout pour des gens d'affaires. Dans le IIe siècle de l'ère chrétienne, la géographie mathématique est tirée de l'oubli par deux Grecs, Marin de Tyr et Ptolémée. Marin renouvela le système des cartes plates d'Eratosthène; il dressa une carte accompagnée d'un commentaire abondant. Il mit à exécution le plan d'Hipparque de définir les lieux sur sa carte par latitude et longitude. Mais ses cartes, comme ses ouvrages, sont perdues, et Ptolémée seul nous fait connaître les unes et les autres.

Ptolémée.
Cet astronome alexandrin eut la bonne fortune que son livre fut pendant douze siècles le fond de la géographie et n'est devenu inutile qu'au XVIIIe siècle. C'est donc, malgré de nombreuses et importantes erreurs, une oeuvre de premier ordre. Il s'agit d'un travail de cartographe, tout le contraire de celui de Strabon, une simple nomenclature méthodique; mais ces tables renferment 8 000 noms géographiques. On avait 400 observations de latitude; pour la longitude, aucune sérieuse. Ptolémée ne recula pas devant la tâche de donner cette double notation de longitude et latitude en degrés et minutes pour tous les lieux. Il ne disposait pour cela que d'itinéraires souvent contradictoires. Il n'a pu les concilier, ne s'est pas occupé de mettre en rapport les routes longitudinales et transversales; de là une extrême confusion. Il a commis une erreur aussi dommageable en adoptant un stade de 500 au degré et en appliquant cette valeur à tous les stades; or le stade olympique vaut 1/600e de degré, l'égyptien un 1/ 700e. Le résultat fut de vicier tous ses chiffres. Prenant les 25 400 stades qu'on comptait comme longueur de la Méditerranée, il compte 62 degrés (le degré de 500 à l'équateur n'étant plus que de 404 au parallèle de Rhodes), alors qu'il n'y en avait que 45° (réellement d'après les mesures modernes 42°33') Une simple confusion de mots eut ce résultat que Ptolémée exagéra d'un tiers la longueur de la Méditerranée. Par le même procédé il compta, pour les 72 800 stades (130 degrés) d'Eratosthène, 180 degrés. De cette erreur de 50 degrés de longitude, on conclut qu'on connaissait la moitié de la circonférence terrestre; c'est seulement à la fin du XVIIe siècle qu'on rectifia la faute. Songez que durant mille cinq cent ans la négligence du calculateur alexandrin pesa sur la géographie, sur la navigation...
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Carte de Ptolémée
Le monde selon Ptolémée.

Au point de vue de la géographie spéciale, la mappemonde de Ptolémée représente un grand progrès sur celle de Strabon. Marin de Tyr, grâce aux journaux de marins ou de caravanes, en sait bien plus long que ses devanciers. Ptolémée lui a emprunté ces additions. Par delà l'Inde, il connaît la Chersonèse d'Or ou Chrysé, presqu'île de Malacca, nomme la place commerciale de Cattigara, signale un grand nombre d'îles dans lesquelles on croit reconnaître Sumatra, Java, bien qu'il s'obstine à croire que la terre en face de Cattigara (Sumatra) va rejoindre l'Afrique. Il sait également la route de mer et la route de terre pour aller en Chine, soit chez les Sinae (Chine méridionale), soit chez les Sères (Chine septentrionale). L'Asie centrale est donc connue dans ses routes les plus suivies. En Afrique, il dit que les lacs marécageux d'où sort le Nil sont situés sur le parallèle de l'île Menuthias (Pemba ou Zanzibar); sa montagne de la Lune répond bien à nos massifs du Kenya et du Kilimandjaro (L'exploration de l'Afrique). Dans le Sahara, au delà de la Phazanie (Fezzan), il connaît le district montagneux d'Agisymba qu'on ne sait où placer puisque certains y voient l'oasis d'Asben, tandis que Marin de Tyr le place par 24° de latitude Sud, et Ptolémée par 16° de latitude Sud. Il couvre le Sahara de noms de tribus, inconnues des auteurs antérieurs. En Europe, il cite les Slaves, indique le premier les peuples de la Baltique orientale, décrit le cours du Rha (la Volga) et sait que la Caspienne est une mer fermée. 

Dans les cartes jointes à l'ouvrage, se trouve substituée aux projections d'Eratosthène et d'Hipparque la projection chlamydoïde (c.-à-d. ayant la forme d'un manteau), projection par développement conique modifiée, et qui se rapproche beaucoup de celle que nous appelons aujourd'hui projection de Flamsteed corrigée. Les parallèles y sont également formés d'arcs de cercle concentriques et équidistants, et les méridiens conservent leur espacement réel sur tous les parallèles. Ptolémée donne, au dernier livre de sa Géographie, la description des 20 cartes (10 d'Europe, 4 d'Afrique, 12 d'Asie) qui accompagnent son ouvrage dans les manuscrits que nous avons conservés de lui; mais on pense que ces cartes sont, pour le dessin, l'oeuvre d'un artiste Alexandrin du Ve siècle, Agathodaemon, qui les construisit d'après les calculs de Ptolémée, et qu'elles ont été plus ou moins fidèlement reproduites par les copistes du moyen âge.

Les latitudes et les longitudes de Ptolémée sont loin d'être toujours exactes, et, par suite, ses cartes nous étonnent par la configuration souvent bizarre des pays qu'elles représentent : ainsi, ses longitudes renferment principalement des erreurs énormes vers l'Orient, où il donne à la Méditerranée une étendue de 20 degrés de plus qu'elle n'en peut avoir, erreur qui a persisté jusqu'aux cartes de Delisle au commencement duXVIIIe siècle. II recule les bouches du Gange de plus de 40 degrés au delà de leur véritable position; mais c'est par cette hypothèse de l'extension exagérée de l'Asie vers l'Orient et du peu de distance auquel elle devait se trouver de l'Espagne par l'Ouest, que Colomb a été amené à chercher vers l'Occident la route des Indes, et a découvert un Nouveau Monde qu'il prit pour une partie de l'Asie. Dans l'occident de la Méditerranée, les latitudes et les longitudes de Ptolémée sont beaucoup plus exactes, et, par suite, le dessin de ses cartes, comme leur graduation, s'éloigne beaucoup moins du dessin et de la graduation modernes.

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