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L'esclavage
L'esclavage est la condition de l'humain qui est la propriété d'un autre humain. Il implique une suppression totale de la liberté personnelle; l'esclave est un objet, une chose, la chose de son maître; on le range au nombre des instruments, avec les animaux domestiques, auxquels on l'assimile. 

L'esclavage est une institution à peu près universelle qu'on retrouve chez les peuples les plus divers et les plus éloignés les uns des autres. C'est même, au cours de l'histoire, la base de la division sociale du travail qui a été le plus répandue, et de loin. Cependant, il ne se constate pas de la même façon dans toutes les structures économiques. Dans les sociétés archaïques, qui vivent principalement de la chasse et de la cueillette, il est un aspect de la division sociale du travail et du patriarcat : l'ennemi vaincu est mis à mort; mais on s'approprie les femmes pour les ajouter à celles de la tribu sur lesquelles les mâles se déchargent de tous les travaux domestiques. Dans les sociétés d'éleveurs nomades, on ne fait guère d'esclaves que pour les revendre; le soin des troupeaux se confond presque avec les travaux domestiques, et les membres de la tribu y suffisent sans peine. C'est dans les sociétés sédentarisées et agraires que l'esclavage se développe. On en a l'indication dès l'apparition de l'écriture, à Sumer.

En son temps, l'économiste Dunoyer a observé, conformément aux idées d'Auguste Comte, que le régime économique de toutes les sociétés qui viennent de se fixer, de passer à l'état sédentaire, repose sur l'esclavage, lequel alimente les professions industrielles. Quand la culture des champs devient le principal moyen d'alimentation, on introduit le travail servile pour nourrir la classe dominante et on lui fait une place de plus en plus grande à mesure que progressent la civilisation urbaine et les industries manufacturières. Rome a ainsi été la société esclavagiste par excellence. L'évolution ultérieure des sociétés industrielles élimine l'esclavage à mesure que le militarisme décroît et que l'importance politique des travailleurs augmente. Dans les sociétés modernes, l'esclavage n'est plus qu'un fait exceptionnel. Cependant, aujourd'hui encore, il se perpétue sous forme plus ou moins institutionnalisée dans la Péninsule arabique, dans une partie de l'Afrique, et même, pour ce qui concerne l'exploitation sexuelle des femmes, sur tous les continents. 

Les combats pour l'abolition de l'esclavage ont commencé au XVIIIe siècle, au temps des Lumières. La traite des esclaves et l'esclavage lui-même ont été interdits progressivement dans les principaux pays esclavagistes dès les premières décennies du XIXe siècle, mais dans dans pays où ce système d'exploitation nourrissait une part importante de l'économie (Etats-Unis, Brésil, etc.), il a fallu attendre le dernier tiers du siècle pour qu'il soit aboli officiellement. Sous la forme atténuée du servage, l'esclavage s'est maintenu jusqu'à la même époque en Russie et, à la fin du XIXe siècle en Allemagne même, vivaient encore des millions de personnes qui sont nés dans la condition servile. 

L'esclavage dans l'Antiquité

L'esclavage a été connu dès les temps les plus reculés de l'histoire, et les auteurs des premiers siècles y font souvent allusion. L'esclavage est mentionné dans les documents chinois dès le XIIIe siècle avant l'ère commune. Il exista chez les Assyriens, les Babyloniens et les Perses dès leurs premières conquêtes. Les Hébreux avaient déjà plusieurs formes d'esclavage. 

Sur le commerce des esclaves, pratiqué dès les temps les plus reculés, nous n'avons aucun détail précis.  Chez les Grecs, le commerce des esclaves s'étendait en Egypte, en Thrace, en Phrygie, en Lydie, en Syrie et dans d'autres contrées. En Phénicie, ce commerce avait une grande extension.  Les Phéniciens pratiquaient sur une vaste échelle l'enlèvement des hommes et des enfants; le commerce des esclaves était alors en pleine vigueur; les esclaves étaient employés dans toutes les branches d'industrie. Les Carthaginois faisaient un immense trafic avec l'intérieur de l'Afrique, et, on l'a dit, les Romains surpassèrent, sur ce point, toutes les autres nations de l'Antiquité

En Inde.
En Inde, les lois de Manou parlent de sept catégories d'esclaves : le captif pris à la guerre; le domestique qui se met au service d'un homme pour que celui-ci l'entretienne; le fils d'une femme esclave, né dans la maison du maître; celui qui a été donné ou vendu; celui qui a été transmis par héritage du père au fils; celui qui a été réduit en servitude par châtiment ne pouvant payer une amende. On voit, dans cette énumération, les différentes origines de l'esclavage : la guerre, la misère, l'hérédité, la condamnation légale, les divers modes de transmission de la propriété.

En Chine.
En Chine, l'esclavage s'est développé surtout dans les périodes de conquête quand prévalait l'activité militaire. II est, pour la première fois, question de la servitude personnelle sous la dynastie des Zhou (Tchéou), vers le XIIe siècle av. J.-C. Il n'est parlé que de servitude publique, non privée; les esclaves sont des captifs et des condamnés; la révolte contre le souverain était punie ainsi; les fils étaient englobés dans le châtiment; on en faisait des eunuques, classe nombreuse et influente. On compta, à certains moments, des centaines de milliers d'esclaves dans les domaines impériaux; plus d'une fois on les affranchit en masse. L'esclavage privé se développa à son tour; il s'alimentait par la guerre étrangère et, à l'intérieur, par la misère qui forçait les pauvres à vendre leurs enfants ou à se vendre eux-mêmes.

Les guerres civiles eurent parfois pour conséquence l'asservissement d'une foule de gens. La vente d'hommes libres, bien qu'interdite par la loi, avait lieu de temps à autre; il fut toujours permis de se vendre soi-même ou de vendre ses enfants; la femme accusée d'adultère et la fille qualifiée d'impudique étaient punies par la réduction en esclavage. Les ordonnances des Han, à la fin du IIIe siècle av. J.-C., constatent cette situation. Le maître avait sur son esclave les droits d'une propriété entière; il peut les vendre ou vendre ses enfants; l'Etat n'intervient pas dans leurs rapports; l'ordonnance des Tang, qui affranchit tout esclave public ou privé qui atteint soixante-dix ans, était plus un moyen de s'en débarrasser qu'un bienfait pour eux. On cite pourtant des cas où le prince affranchit en bloc de grandes quantités d'esclaves, même privés, afin de réparer les vides faits par des guerres meurtrières. La condition de l'esclave était douce. Kouangwou (35 ap. J.-C.), non seulement garantit sa vie mais le met à l'abri des mutilations. 

« Parmi les créatures du ciel et de la terre, l'homme est la plus noble: ceux qui tuent leurs esclaves ne peuvent diminuer leur crime; ceux qui osent les marquer avec le feu seront jugés conformément à la loi; les hommes ainsi marqués rentrent dans la classe des citoyens. » 
L'esclave en Chine est une personne. Du moins, les moeurs sont plus douces que la loi. Dans la famille où il sert, l'esclave a presque la même vie que les membres subordonnés au chef de famille.
« Dans cette vie intérieure, toute d'obéissance , les obligations diverses de la mère, des enfants, des femmes du deuxième rang, s'abaissaient comme par degrés du maître au serviteur, et, en ménageant les transitions, rapprochaient aussi Ies distances. Ainsi, les femmes esclaves ne différaient guère des épouses inférieures achetées comme elles et comme elles soumises à la femme principale; quant aux hommes, ils pouvaient s'élever jusqu'à partager les soins et la confiance du maître et, sans que la loi prescrivît rien, trouver dans certains bénéfices le moyen de se racheter. Ces bons traitements, établis par l'habitude, étaient encouragés par la morale pratique. Dans l'échelle des vertus théologales des Chinois, gronder fortement un esclave compte pour une faute; le voir malade et ne pas le soigner, l'accabler de travail, dix fautes l'empêcher de se marier, cent fautes ; lui refuser de se racheter, cinquante fautes. On ne trouve pas, du reste, que les esclaves en Chine aient tenté de s'affranchir par la force. Nulle révolte, nulle guerre civile n'est inscrite dans les annales. On y voit souvent, au contraire, les esclaves refuser la liberté par attachement pour leurs maîtres; les traits nombreux de leur dévouement font un article à part dans les collections historiques : enseignement pour les esclaves, mais plus encore pour les maîtres qui devaient, par leur humanité, mériter d'en être l'objet à leur tour. » (Wallon, I, p. 41.) 
Ce qui empêcha l'esclavage de dégénérer et d'arriver aux abus que l'on relève dans les sociétés européennes, c'est qu'il ne fut jamais qu'accessoire; le travail libre eut la prépondérance sur le travail servile, et celui-ci fut à peu près confiné dans le service domestique; et encore, pour celui-ci, la solidité du lien familial et la subordination des enfants et des femmes au père de famille dispensent d'avoir recours à l'esclave. Au besoin, on prend des serviteurs à gages, que l'on préfère. Il y eut, toutefois, vers le IIIe et le IVe siècle de notre ère, l'organisation d'un véritable servage; les Qin (Tsin) orientaux le réglèrent. Ces familles attachées à la glèbe furent affranchies de la taxe du service personnel; leur nombre fut limité proportionnellement au rang du seigneur qui tint un registre où il les inscrivit. Dans l'empire du Nord, sous les seconds Wei, l'esclavage se développe dans les campagnes. Une ordonnance prévoit que chaque couple de propriétaires libres aura huit esclaves mâles et femelles pour labourer la terre et veiller aux soins du ménage; le propriétaire foncier, célibataire, en aura la moitié; sur les terres affermées par le gouvernement, à défaut de boeufs, le fermier doit introduire des esclaves. Cet accroissement de la classe servile coïncidait avec celui de l'aristocratie des grands propriétaires fonciers; il fut combattu par les empereurs de la dynastie des Tang et par ceux des dynasties suivantes. Le travail libre reprit le dessus dans les temps pacifiques, et l'esclavage fut éliminé. Les Qing (Tsing) ne le consacrèrent que dans le cérémonial.

En Egypte.
Au moment des grandes guerres de conquête, l'Egypte antique importa un grand nombre de captifs réduits en servitude au profit de l'Etat; d'autres étaient donnés en tribut par les peuples vaincus. Les régions du Haut-Nil alimentèrent régulièrement d'esclaves, principalement noirs (c'est-à-dire originaires de l'Afrique sub-saharienne), la vallée inférieure, et, par son intermédiaire, les pays avec lesquels commerçait l'Egypte. Mais il ne semble pas que, dans celle-ci, l'esclavage ait acquis grande importance; l'organisation des castes ou corporations ouvrières ne lui laissait pas beaucoup de place en dehors du service domestique. Celui-ci leur revenait en partie à la cour du roi et cher les grands. On suppose même que c'est en Libye ou en Egypte qu'a pris naissance l'habitude de la castration, et c'est d'Egypte que l'usage des eunuques se serait répandu en Asie. Les eunuques noirs furent toujours préférés.

Dans l'Empire perse
Dans les monarchies de l'Asie occidentale, l'esclavage fut très répandu, d'autant que l'état de guerre y était à peu près permanent; les Assyriens surtout ramenaient de chacune de leurs campagnes des milliers de prisonniers; dans ces sociétés despotiques, la subordination au maître était telle qu'au point de vue du droit public il n'y avait pas grande différence entre le sujet et l'esclave. L'esclavage proprement dit existe surtout pour le service privé dans le palais royal et auprès des grands. La polygamie le suppose et est complétée par l'institution des eunuques qui ont joué un si grand rôle dans ces pays.

Chez les peuples de l'Iran, l'esclavage ne se développa qu'après un contact prolongé avec les civilisations plus avancées. Dans le Zend-Avesta, il en est à peine question. Les Mèdes ont des esclaves, aussi bien dans les campagnes que dans l'entourage des princes et des puissants; à côté de l'esclavage domestique, ils connurent, semble-t-il, le servage; Hérodote dit que Cyrus, fils présumé du berger Mithridate, était esclave d'Astyage

Les Perses, qui réunirent dans leur empire toutes les nations de l'Asie occidentale, n'en modifièrent pas les moeurs; ils connurent donc toutes les formes de la servitude : dans les sociétés pastorales de la Sogdiane et de l'Iran, dans les sociétés agricoles de Bactriane, de Mésopotamie et d'Asie Mineure, dans les grandes cités industrielles de Phénicie, de Lydie, dans les palais et les domaines du grand roi et des seigneurs. 

Le cérémonial asiatique qu'ils ont adopté suppose des légions d'esclaves. Un commerce régulier est organisé pour alimenter les harems de femmes, de jeunes garçons, d'eunuques. Ctésias dit qu'Annarus, officier du roi, esclave lui-même, réunit 150 esclaves dans un festin. La région de l'empire des Perses où l'esclavage est le plus développé est la région occidentale, la plus voisine du monde grec, Asie Mineure et Syrie, particulièrement la Syrie et la Phénicie, contrées de civilisation urbaine et industrielle. Dans la grande cité de Babylone, l'esclavage eut aussi une grande importance. La condition des esclaves se rapprochait de ce qu'elle fut dans les cités grecques.

Chez les Hébreux.
Chez les Hébreux, l'esclavage apparaît dès l'époque légendaire des patriarches. C'est la condition des femmes et des serviteurs domestiques. II est héréditaire pour ceux-ci, et ils sont transmis comme une autre propriété, par vente, donation, succession; Selon l'Ancien Testament, Abraham a des esclaves nés chez lui et des esclaves achetés. Son fils Isaac hérite de tous comme de ses troupeaux. Joseph est vendu pour vingt pièces d'argent à des marchands israélites, qui le revendent en Egypte. Les fils que le maître a d'une esclave sont égaux aux autres fils. Dans cette société patriarcale, les moeurs sont simples; les serviteurs sont dévoués au maître. Les lois dites de Moïse règlent la condition des esclaves. Il est interdit de conserver et d'asservir les Cananéens qui seraient un danger permanent; cependant on épargna les Gabaonites et on en fit des esclaves publics qui furent attachés au service des prêtres; il est interdit d'asservir les Juifs vaincus dans une guerre civile : c'est un sacrilège. 

La valeur moyenne d'un esclave est de 30 sicles; c'est le prix fixé pour celui qui est tué ou blessé par accident; l'homme de vingt à soixante ans vaut 50 sicles; la femme 30 sicles; l'homme âgé de plus de soixante ans ne vaut que 15 sicles; la femme 10; de quinze à. vingt ans, l'homme vaut 20 sicles et la femme 10; d'un mois à quinze ans, l'enfant mâle vaut 5 sicles et la fille 3 seulement. Malgré les efforts du législateur, l'esclavage n'est pas limité aux étrangers; on autorisa l'homme libre à se vendre lui-même et à vendre ses enfants; le voleur qui ne peut payer l'amende est réduit à l'esclavage. La loi accorde à l'esclave certaines garanties. Il est compté parmi les humains. Le maître qui le tue est puni de mort; celui qui le blesse est obligé de lui donner sa liberté, ne lui eût-il cassé qu'une dent. La castration est prohibée. La captive que le maître a fait entrer dans sa couche devient épouse, et s'il la renvoie il faut qu'il l'affranchisse :

« Tu la renverras libre et tu ne pourras ni la vendre, ni la retenir en ta puissance, car tu l'as humiliée». (Deut., XXI,10-15.) 
Un esclave hébreu est affranchi de plein droit la septième année, et peut toujours se racheter. Cet esclavage temporaire est presque un louage. Le jour du sabbat, l'esclave se repose comme le maître; il s'assoit aux banquets religieux à côté de lui. L'esclave a le droit de se faire une famille. II est recommandé de ne pas renvoyer les mains vides celui que l'on affranchit. Et après chaque prescription revient comme un refrain : 
« Souviens-toi que tu as servi en Egypte, et que le Seigneur, ton Dieu, t'en a délivré. »
L'esclavage ne devient perpétuel que si au bout de la sixième année l'esclave refuse de reprendre sa liberté. Il est présenté aux juges du peuple, amené à la porte de son maître, et là on lui perce l'oreille. Il ne faut pas oublier que toutes ces rectrictions à la servitude viennent de ce que les enfants d'Israël sont tous regardés comme les esclaves de Yahveh.

L'esclavage en Grèce.
Suivant Hérodote et Phérécrate, l'esclavage aurait été inconnu en Grèce dans les temps primitifs. Cependant les poèmes homériques prouvent qu'il existait à l'époque où ils ont été rédigés, bien que sans doute il ne fût pas alors aussi répandu qu'il le devint plus tard. Les esclaves dont il est question dans Homère sont en général des prisonniers de guerre attachés au service du vainqueur; mais I'Odyssée nous apprend qu'on s'en procurait aussi par la voie du commerce. Quant au traitement des esclaves, il différa beaucoup selon les diverses contrées; ce fut à Athènes et dans l'Attique qu'ils furent traités avec le moins de brutalité.

Il y avait chez les Grecs deux catégories d'esclaves bien distinctes. Les uns étaient les anciens habitants du pays qui, vaincus par un peuple envahisseur, avaient été réduits en servitude et dépouillés de leurs biens au profit de ce dernier. Ils étaient tenus de cultiver la terre, de payer un cens annuel à leurs oppresseurs, et de les accompagner à la guerre, Ils ne pouvaient ni être vendus hors de pays, ni être séparés de leurs familles; ils étaient même capables de posséder. Tels étaient les Hilotes à Sparte, les Bithyniens à Byzance, les Pénestes en Thessalie, les Callyciriens à Syracuse,et les Aphamiotes dans l'île de Crète

L'autre catégorie comprenait les esclaves proprement dits , c.-à-d. ceux auxquels s'appliquait spécialement la dénomination de douloi. Cette classe se composait d'individus achetés. Ces derniers étaient la propriété absolue de leurs maîtres, qui pouvaient en disposer de la même manière que de toute autre partie de leur avoir. Dans les villes commerçantes, telles qu'Athènes et Corinthe, ces esclaves étaient en très grand nombre et jouaient le rôle de la population industrielle des cités modernes. On en trouvait peu, au contraire, dans les petites républiques uns industrie ou purement agricoles, comme la Locride et la Phocide

La plupart des esclaves, avons-nous dit, étaient achetés. Le nombre des esclaves nés de parents esclaves eux-mêmes élan peu considérable, parce que, d'un côté, le chiffre des hommes l'emportait de beaucoup sur celui des femmes, et que, de l'autre, les Grecs trouvaient plus économique d'acheter des esclaves adultes que d'élever des enfants d'esclaves. L'esclave qui était né chez son maître était appelé oikotrips, et celui qui avait été acheté oiketès. En outre, si ce dernier provenait d'un père et d'une mère esclaves, en le nommait amphidoulos.

C'était une maxime du droit public de la Grèce que les prisonniers de guerre devinssent la propriété du vainqueur; mais, en général, les Grecs rendaient la liberté aux prisonniers d'origine hellénique moyennant le paiement d'une rançon. En conséquence de cet usage, presque tous les esclaves qui existaient dans les cités grecques étaient d'origine étrangère. Il semble résulter d'un passage du Timée, que les habitants de Chio furent les premiers qui se livrèrent au trafic des esclaves. Dans les temps primitifs, l'esclave était en grande partie alimenté par les pirates qui allaient faire des descentes sur les côtes pour surprendre et enlever les habitants. Plus tard ce furent les colonies grecques de l'Asie Mineure qui devinrent les grands marchés d'esclaves pour les pays helléniques : elles les tiraient, soit des contrées limitrophes, soit de l'intérieur de l'Asie. La Thrace fournissait également un fort grand nombre d'esclaves, car très souvent les parents y vendaient eux-mêmes leurs enfants.

Comme dans les autres cités de la Grèce, il y avait à Athènes un marché spécialement destiné au commerce des esclaves on l'appelait le Cercle, parce que les malheureux exposés en vente étaient rangés en cercle. Quelquefois on les vendait aux enchères; dans ce cas, on les faisait monter sur une pierre, ou plutôt sur une plate-forme de pierre. Ce marché se tenait à des époques déterminées, ordinairement le dernier jour du mois. Quant au prix des esclaves, il variait nécessairement suivant leur âge, leur force, leurs compétences ou leur industrie. 

« Certains esclaves, dit Xénophon, valent 2 mines; d'autres à peine la moitié d'une mine; il en est qu'on paie de 5 à 10 mines. On assure même que Nicias, fils de Nice-ratus, acheta un directeur de mines au prix énorme d'un talent ».
Un ouvrier mineur ordinaire coûtait de 125 à 150 drachmes. Parmi les 32 ou 33 armuriers qui appartenaient au père de l'orateur Démosthène, quelques-uns valaient 5 mines, d'autres 6, et les moindres 3; ses 40 ouvriers ébénistes valaient en moyenne
mines chacun. Les courtisanes et les joueuses de cithare se payaient bien plus cher; 20 et 30 mines n'étaient pas des prix extraordinaires pour cette catégorie d'esclaves.

La population esclave était considérable à Athènes. Lors du recensement fait sous l'archontat de Démétrios de Phalère (309 avant notre ère), l'Attique comptait 21,000 citoyens libres, 10,000 étrangers domiciliés (métèques) et 400,000 esclaves. Ce dernier chiffre a paru exagéré à plusieurs écrivains modernes à cause de la disproportion qui existe entre le nombre des hommes libres et celui des esclaves, mais cette disproportion n'est qu'apparente. En effet, des historiens ont fait remarquer qu'en dénombrant les citoyens et les métèques, on n'avait dû compter que les individus du sexe masculin parvenus à l'âge adulte, car il s'agissait de constater les droits politiques et les obligations des uns et des autres, tandis que pour les esclaves, comme ils constituaient une simple propriété, il avait fallu, pour connaître sa valeur réelle, comprendre dans le recensement les individus du tout sexe et de tout âge. Boeckh pensait que la population libre de l'Attique comparée avec la population esclave était dans la proportion de 1 à 4. Chez Ies Athéniens, le citoyen le plus pauvre avait un esclave pour tenir sa maison en ordre. Les familles aisées en avaient toujours plusieurs, chacun d'eux ayant sa fonction déterminée; l'un faisait le pain, un autre préparait les aliments, un troisième confectionnait les vêtements, etc. Les citoyens les plus riches de la Grèce n'eurent cependant jamais ces multitudes d'esclaves que nous voyons chez les Romains, à la fin de la République et sous l'Empire. Le père de Démosthène avait 53 esclaves.

On cite encore Lysias et Polémarque qui en avaient, l'un et l'autre, 140, Philoménide qui en avait 300, Hipponicus qui en avait 600, et Nicias qui en avait un millier employé à l'exploitation de ses mines seulement. Une différence essentielle entre les Grecs et les Romains, c'est que les premiers n'entretenaient pas autour d'eux de nombreux esclaves par luxe et par ostentation : ils les employaient à toutes sortes de travaux industriels, afin d'en retirer un profit. A Athènes, les esclaves travaillaient tantôt pour le compte exclusif de leur maître, et tantôt pour leur propre compte; dans ce dernier cas, ils devaient à leur maître une redevance quotidienne fixe. D'autres fois le maître louait ses esclaves au dehors, soit comme domestiques, soit comme ouvriers aux divers entrepreneurs d'industrie. Enfin, la chiourme des navires était composée d'esclaves, les uns appartenant à l'État, les autres appartenant à des particuliers auxquels on payait pour cela une somme déterminée. Toutefois il y avait une exception pour la galère sacrée appelée Paralos; ses rameurs devaient être des hommes de condition libre. 

La rareté des documents rend fort difficile l'évaluation du profit moyen qu'un propriétaire d'esclaves retirait de leur travail. Les 32 on 33 ouvriers armuriers qui avaient coûté 190 mines, prix d'achat, au père de Démosthène, lui rendaient chaque année 30 mines de profit net, et les 20 ouvriers ébénistes qu'il avait achetés 40 mines, lui en rendaient 12. Les ouvriers tanneurs de Timarque rendaient à leur maître 2 oboles par jour ; et Nicias donnait une obole par jour par esclave qu'il louait pour exploiter les mines dont il était le fermier. Du reste, le bénéfice du propriétaire d'esclaves devait être nécessairement élevé relativement au prix d'achat, attendu que la valeur de cette sorte de propriété diminuait chaque année par les progrès de l'âge, et qu'il fallait remplacer les esclaves qui mouraient, ainsi que ceux qui prenaient le fuite, si l'on ne parvenait à rattraper ces derniers. Or, cette poursuite même des esclaves fugitifs entraînait des frais coûteux. Toutefois il y avait Athènes des gens qui assuraient contre la fuite des esclaves. Antigène de Rhodes fut le premier qui imagina ce genre d'assurances. Moyennant une prime annuelle de 8 drachmes par esclave, il s'engageait à en payer la valeur au moment de sa disparition. 

Les champs étaient surveillés par un régisseur, qui, pendant le séjour du maître à la cité, avait souvent la haute administration du domaine. Quant à ceux qui étaient attachés au service de la maison, ils avaient pour les diriger, les hommes un intendant, et les femmes une intendante. Les esclaves publics (dèmodioi) étaient achetés aux frais du trésor et employés à des services d'intérêt général. Ainsi, à Athènes, par exemple, il y en avait qui remplissaient dans les assemblées et les tribunaux certaines fonctions  subalternes, telles que celles d'huissier, de scribe, etc. Nous savons par Ulpien que l'Etat leur faisait donner les connaissances dont ils avaient besoin pour s'acquitter de leur emploi. Il paraît, de plus, que la loi leur reconnaissait certains droits dont ne jouissaient pas les eslaves des particuliers. La force armée chargée de la police de la cité, était aussi composée d'esclaves publics on les appelait généralement archers, et Scythes à cause du pays d'où on les tirait pour la plupart, bien qu'il y eût parmi eux des Thraces el d'autres Barbares. 

Quelquefois encore on les appelait Speusiniens, du nom de celui qui avait organisé ce corps. Ils vivaient sous des tentes plantées d'abord sur la place du marché, et plus tard sur la colline de l'Aréopage. Leurs officiers portaient le titre de toxarques. Enfin, leur nombre, qui était primitivement de 300, fut élevé par la suite à 1200; Malgré cela, à Athènes, les esclaves n'étalent point soumis au service militaire, comme l'étaient les Hilotes de Sparte et les Pénestes de la Thessalie. Les batailles de Marathon et des Arginuses, où les Athéniens armèrent leurs esclaves, furent des exceptions à la règle générale.

Le droit de propriété du maître sur ses esclaves ne différait en rien de celui qu'il avait sur ses autres biens; on pouvait même, comme tout autre bien meuble, les donner en nantissement d'une créance. Néanmoins le sort des esclaves n'était pas aussi dur chez les Grecs que chez les Romains, sauf cependant à Sparte où, suivant Plutarque, «-l'homme libre était le plus libre des hommes, et l'esclave le plus esclave des esclaves-». A Athènes en particulier, les esclaves semblent avoir joui de plus de liberté et avoir été traités avec plus d'humanité que dans les autres cités de la Grèce. L'entrée d'un nouvel esclave dans une famille y devenait l'occasion d'une sorte de fêle pendant laquelle on distribuait des gâteaux, comme on le faisait quand deux jeunes gens se mariaient.

La  vie des esclaves y était encore protégée par les lois. Celui qui les frappait ou les maltraitait encourait des poursuites. Un esclave ne pouvait être mis à mort qu'en vertu d'une sentence rendue régulièrement par le juge. Pour se soustraire aux mauvais traitements de son maître, il se réfugiait dans le temple de Thésée, d'où il pouvait demander à être vendu à un autre maître. Cependant la personne des esclaves n'était pas regardée comme aussi inviolable que celle d'un homme libre. Ainsi, par exemple, on leur infligeait constamment des punitions corporelles; ils n'étaient pas crus sur leur simple serment, et pour que leur témoignage fut admis en justice, il fallait qu'il leur fût arraché par les douleurs de la torture.

Quoique l'esclavage fût bien moins cruel chez les Grecs que chez les Romains, la Grèce fut assez souvent le théâtre d'insurrections d'esclaves. Mais, dans l'Attique, on ne cite d'autres soulèvements que ceux des esclaves qui travaillaient aux mines, parce qu'ils étaient traités avec plus de sévérité que les autres. Une fois ils massacrèrent leurs surveillants, et s'emparèrent des fortifications de Sunium, d'où ils ravagèrent pendant longtemps le territoire environnant.

A Athènes, les affranchissements d'esclaves étaient beaucoup moins fréquents qu'à Rome. En outre, l'affranchi ne devenait pas citoyen. Il prenait simplement rang parmi les étrangers domiciliés ou métekoi. Il était même obligé d'avoir son ancien maître pour patron et de lui rendre certains offices; et, si ce dernier avait à se plaindre de la conduite de son affranchi à son égard, il pouvait lui intenter une action particulière, et celui-ci, en cas de condamnation, retombait dans la servitude. Enfin, l'affranchi payait, outre l'impôt ordinaire établi sur les métèques, une capitation de 3 oboles; c'était également la taxe à laquelle étaient assujettis les esclaves.

L'esclavage à Rome.
Dans les premiers temps de Rome, presque tous les domestiques étaient esclaves, ainsi que la majorité des ouvriers de la ville. Les premiers esclaves romains étaient exclusivement des prisonniers de guerre, faits sur les peuples immédiatement voisins et vendus à l'encan comme butin de l'Etat. L'esclavage romain commença à prendre une grande extension dans le siècle qui vit naitre les Guerres puniques (264 av. J.-C.). Il ne fut pas seulement confiné aux populations dites barbares, ou à un peuple particulier, mais il enveloppa tout ce qui pouvait être conquis ou acquis. Après la Seconde Guerre punique, les conquêtes de Rome marchèrent avec une grande rapidité, el le nombre de la population esclave s'accrut dans la même proportion. 

La vente de 150,000 Epirotes fut une des conséquences des succès de Paul-Emile en Macédoine. Une grande quantité de prisonniers, faits à la conquête de Carthage, furent emmenés en esclavage; tous les citoyens de Corinthe subirent le même sort. Les conquêtes de Sylla, de Lucullus, et de Pompée, en Grèce et en Orient, approvisionnèrent largement les marchés d'esclaves, et les guerres des Gaules de Jules César en fourniront près d'un demi-million. On s'en procurait aussi par le commerce. Les enfants étaient quelquefois vendus par leurs parents : on acceptait des hommes pour payer ce qui était dû au trésor impérial et les pauvres gens purent se vendre eux-mêmes. Les Romains, coupables de crimes, punis de peines infamantes, devenaient esclaves : cela dura jusqu'au règne de Justinien, où cette forme d'esclavage fut abolie. 

Les fonctions des esclaves de Rome, tant publics que privés, étaient variées. Les uns s'occupaient a des travaux avilissants, d'autres cultivaient les arts mécaniques, d'autres étaient secrétaires, lecteurs, chirurgiens, précepteurs, artistes, etc. Pendant la Seconde Guerre punique, ils furent régulièrement incorporés comme soldats. La masse des esclaves était rudement traitée, et les lois et arrêtés les concernant étaient très sévères. Ils ne possédaient aucun droit, et la loi ne leur accordait même pas d'individualité. On leur permettait seulement une espèce de mariage (contubernium), mais ils n'avaient aucun pouvoir sur leurs enfants. On ne leur reconnaissait que bien peu les liens de la parenté, et ils ne pouvaient, posséder sans la sanction et l'autorisation de leurs maîtres. 

Sous l'Empire, la condition des esclaves devint un peu meilleure que sous la République. L'affranchissement n'était pas rare et beaucoup d'affranchis eurent une grande influence. La période impériale fut favorable à l'émancipation et les affranchis devinrent tellement nombreux que plusieurs des premiers empereurs, y compris Auguste, furent forcés de restreindre l'affranchissement. Les autres empereurs le favorisèrent et Justinien éloigna tout ce qui y faisait obstacle. Jules César n'employa aucun affranchi; Tibère et Caligula s'en servirent rarement. Mais les esclaves soumirent à leurs lois l'empereur Claude et par lui l'Empire tout entier. Les évaluations d'E. Gibbon portaient à 60 millions le nombre des esclaves sous le règne de Claude. Des insurrections et des guerres intestines éclatèrent fréquemment. En Sicile, deux soulèvements de ce genre furent noyés dans le sang de myriades d'hommes. La guerre des gladiateurs, sous Spartacus, dura plus de deux ans. 

L'esclavage au Moyen âge

Le servage.
Au moment de l'invasion des Barbares le servage tend à absorber toutes les classes inférieures de la population. Le servage féodal peut être, jusqu'à un certain point, assimilé à l'esclavage antique (Le droit privé féodal); car, durant plusieurs siècles, il fut tout aussi barbare et inhumain. Le serf, étant attaché à la glèbe, appartenait au sol plutôt qu'au seigneur; mais, pendant longtemps celui-ci eut droit de vendre les serfs de son domaine, d'en disposer comme de bêtes de somme et de les revendiquer partout où ils se réfugiaient. 
« Au VIIIe siècle, les serfs de la glèbe pouvaient être distribués arbitrairement sur le domaine, transférés d'une portion de terre à l'autre, réunis dans la même case, ou séparés l'un de l'autre, selon les convenances du mettre, sans égard aux liens de parenté, s'il en existait entre eux.» (Augustin Thierry, Essai sur l'histoire du Tiers-Etat, chap. Ier).
Ainsi, le pouvoir du seigneur sur ses serfs était alors sans limites; il pouvait les punir à son gré, les frapper, les torturer et les faire mourir, Celui-là était serf, qui était le fils d'un père ou d'une mère serfs. 
« Celui-là était encore serf qui était le fils d'un noble et d'une femme non affranchie. Celui-là était encore serf, qui était libre, mais qui avait habité un an et un jour dans des terres où le domicile faisait perdre la franchise. » (Alexis Monteil, Histoire des Français des divers états, XIVe siècle, Ep. 29). 
Les serfs ne possédaient rien en propre, et en conséquence ils ne pouvaient succéder ni tester. Il était interdit au serf de se marier avec une personne qui n'était pas de sa condition ou qui n'appartenait pas au même domaine. S'il en obtenait la permission du seigneur, il devait payer le droit de formariage. Quant à l'infâme droit de prélibation, que l'on nommait aussi droit de marquette, droit du seigneur, il a été nié par quelques panégyristes du bon vieux temps; mais des documents irréfutables constatent qu'il était pratiqué dans plusieurs pays de France. Le serf vivait de son travail sur la portion du sol dont la jouissance lui était concédée; il était tenu de cultiver les terres du seigneur, de suivre ce dernier à la guerre et de lui fournir gratuitement tous les services requis. La servitude corporelle fut interdite plusieurs fois par des édits sans qu'elle disparut. L'affranchissement des main-mortables fut prononcée en 1141 par Suger, régent du royaume, en 1315 par Louis X, et en 1553 par Henri Il, et néanmoins le servage a subsisté jusqu'à la Révolution

Les conditions de cette servitude différaient selon les coutumes locales; elles furent peu à peu adoucies, à partir du XIIIe siècle, dans les domaines du roi et dans ceux de quelques seigneurs. Les serfs restèrent cependant dans un état de vassalité plus ou moins rigoureux, et ils étaient soumis à de nombreux services gratuits ou corvées et à des redevances de toutes sortes. Eux et leurs biens, quand ils en eurent, étaient imposables à volonté ou, comme l'on disait alors, taillables à merci (ad misericordiam domini). Un grand nombre de serfs obtinrent leur affranchissement à prix d'argent, et ils constituèrent des familles libres. Quelques villes jouissaient du privilège d'affranchir de la servitude ceux qui venaient y demeurer. L'anoblissement et les charges de la magistrature produisaient les mêmes effets.

La fin servage en France  à la Révolution.
Louis XVI, par un édit du 8 août 1779, accorda la franchise complète à tous les habitants des terres de la Couronne. Cependant le servage existait encore dans un certain nombre de seigneuries et sur les terres de quelques couvents, lorsqu'il fut aboli par les décrets que rendit l'Assemblée constituante, dans la nuit du 4 août 1789. Ces décrets n'étaient qu'à l'état de déclaration générale, et le servage ne fut expressément détruit qu'en mars 1790. 

Grâce au rayonnement des principes d'humanité que la Révolution française a apportés, le servage a disparu au XIXe siècle de l'Europe entière. Il a été supprimé successivement: en Bavière (1808), en Westphalie (1809), en Prusse (1811), en Autriche (1848); et enfin, il a été aboli en Russie (1863) par un ukase du 19 février 1861. (On trouve, à la fin du livre plein de verve et d'agrément, Impressions de voyage en Russie d'Alexandre Dumas père, une histoire abrégée, fort intéressante, du servage tel qu'il a existé chez les Romains, en France et en Russie).

L'esclavage proprement dit.
L'esclavage proprement dit existait chez les Germains, et la classe des esclaves paraît avoir été nombreuse; du temps de Tacite on les emploie à labourer la terre et on les traite avec bienveillance; on présume que c'étaient des prisonniers de guerre ou des populations asservies. Au moment de l'invasion, les Germains ont beaucoup d'esclaves, les nobles particulièrement; ils en ont soit sur les domaines ruraux, soit pour le service privé. Le commerce des esclaves est organisé; il prit une réelle extension lorsque les guerres de conquête des Francs, puis du royaume germanique furent méthodiquement conduites contre les populations de l'Est. Les Slaves, entre l'Elbe et l'Oder, ceux des rives de la mer Baltique, furent vendus par milliers pendant des siècles; c'est de là même qu'est venu le nom d'esclave qui n'est autre que celui de slave. Les grandes républiques commerciales de l'Italie firent en grand ce trafic. En Angleterre, du temps des Saxons, la traite des esclaves fut florissante, et Bristol en fut le principal entrepôt.

L'esclavage privé existait donc et sous sa forme la plus nette, celle de l'esclavage domestique. A partir du XIIIe siècle, il cessa avec le commerce des esclaves; les marchés de la Baltique se fermèrent. Dans les autres pays d'Europe, à côté du servage, on constate la persistance de l'esclavage alimenté par les prisonniers de guerre. Les Maures pris en Espagne sont revendus jusqu'en FranceLyon était le grand marché et les Juifs les trafiquants ordinaires. En Italie, le principal marché était Rome où les Vénitiens venaient acheter des Blancs qu'ils revendaient aux Musulmans. C'est en Espagne que le commerce des esclaves se prolongea le plus; il durait encore au XVIe siècle; cela s'explique par le contact permanent avec les pays musulmans.

Pendant la longue lutte entre les Turcs et les Etats chrétiens, qui suivit la conquête de Constantinople, les parties adverses se partagèrent les possessions maritimes des Romains,et les rivalités de religion et de culture réduisirent, à l'esclavage une multitude de personnes. Un nombre énorme de prisonniers furent employés comme rameurs de galères, les Chrétiens sur les bancs de celles des Musulmans et ceux-ci sur les vaisseaux chrétiens. Les corsaires musulmans s'avancèrent jusqu'au Nord de l'Europe et s'emparèrent des gens qu'ils purent saisir sur les côtes d'Irlande

L'esclavage dans les pays musulmans. 
L'Islam a trouvé l'esclavage et l'a conservé, mais en a atténué la rudesse primitive. Ainsi, le Coran recommande-t-il aux maîtres la douceur, leur fait un mérite de l'affranchissement et défend de traiter en esclaves les coreligionnaires. Ce qui est capital, ni Mohammed (Mahomet), ni les califes n'ont réduit en esclavage les prisonniers de guerre. Il n'y avait guère d'esclaves à cette époque que ceux du harem, particulièrement les Noirs qu'on achetait en Afrique. A l'époque des croisades, au contact des Européens, on vit les Musulmans faire comme eux et réduire en servitude les prisonniers de guerre. 

Ces moeurs se sont perpétuées dans l'Empire ottoman  dont la constitution sociale a peu changé au cours des siècles de son existence, et où l'esclavage s'est maintenu à peu près le même. L'esclavage, qui n'y a représenté d'ailleurs qu'une imperceptible minorité de la population, s'y est maintenu par des achats de Noirs importés d'Afrique et de Blancs achetés dans les régions montagneuses du Nord de l'Euphrate. La cour comprend une quantité d'esclaves qui, de tout temps, ont pu s'élever aux plus hautes situations. Il y en a même qui leur sont nécessairement réservées, celles d'eunuques, dont les chefs sont de grands personnages. L'esclave turc privé peut sortir de sa condition et devenir un simple serviteur en embrassant l'Islam; on le laisse se marier et ses enfants sont traités comme ceux de la maison. Ils sont placés sous la protection des lois; une esclave qui a donné un enfant au maître est affranchie à sa mort. 

Au Maghreb, c'est-à-dire dans les pays musulmans de la côte septentrionale d'Afrique, qui étaient (sauf le Maroc) des dépendance de l'Empire Ottoman, l'esclavage s'est perpétué jusqu'au XIXe siècle dans des conditions bien plus dures qu'en Turquie même. Ces pays avaient à la fois des esclaves noirs et des esclaves blancs. Ces derniers, spécialement, étaient des prisonniers de guerre, plus exactement des victimes de la piraterie exercée dans toute la mer Méditerranée contre les Chrétiens depuis le IXe siècle. Les prisonniers étaient entassés dans de véritables bagnes, et ceux qu'on ne pouvait racheter achevaient leur vie dans l'esclavage. La prise d'Alger par les Français (1830) et l'abolition de l'esclavage en Tunisie (1845) y mirent un terme.

Esclavage moderne

Traite des Noirs.
L'esclavage, tel que nous l'avons étudié jusqu'à présent, fut une institution résultant de l'état social des peuples chez qui elle apparut; elle joua un grand rôle dans leur évolution et s'effaça ou s'atténua en se transformant progressivement. Il n'en est pas ainsi de la dernière forme de l'esclavage dont nous avons à parler, l'esclavage des Noirs dans les colonies européennes d'Amérique

L'origine historique de cette dernière forme de l'esclavage doit être cherchée dans les pratiques des Espagnols et des Portugais qui, à la fin du Moyen âge, continuaient sur une petite échelle le commerce des esclaves. Le contact avec les Barbaresques entretenait ces habitudes. Les Portugais avaient joint ce trafic aux autres qu'ils pratiquaient le long des côtes d'Afrique. En 1541, deux officiers du prince Henri s'emparèrent de quelques Maures, qui furent amenés au Portugal. L'année suivante, on autorisa ces Maures à se racheter; parmi les biens qu'ils donnèrent pour leur rançon, figurèrent dix esclaves noirs, ce qui donna l'idée de la traite des Noirs. Ce genre de commerce fut commencé ouvertement en 1444, par une compagnie formée à Lagos dans ce but et un comptoir portugais fut, établi sur les îles Arguin; on enlevait des esclaves sur les côtes africaines  et chaque année, 700 ou 800 esclaves noirs étaient envoyés de cette factorerie au Portugal  où on les revendait sur le marché de Lisbonne, tandis que d'autres esclaves de même origine étaient vendus à d'autres marchands qui les conduisaient à Tunis et en Sicile. 

La découverte de l'Amérique ouvrit à ce commerce un débouché imprévu. Dès sa première expédition, Christophe Colomb envisagea comme une des principales sources de bénéfice le commerce des esclaves qu'on pourra prendre dans les Indes occidentales (Antilles). Bientôt, les Espagnols commencèrent-il ainsi à asservir les naturels. Plusieurs furent envoyés en Espagne dès 1495; un grand nombre d'entre eux périrent pendant l'assujettissement des colonies et leur population entière fut exterminée dans les îles. Dès 1503, quelques esclaves noirs furent amenés à Hispaniola (Haïti); on s'aperçut qu'ils étaient beaucoup plus vigoureux que les Indiens, en particulier pour le travail des mines. 
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Caravane d'esclaves en Afrique.

Caravane d'esclaves en Afrique. - Esclaves capturés à l'intérieur de l'Afrique 
pour être vendus aux Européens sur les côtes.

L'évêque Las Casas, défenseur des Indiens, qu'on faisait périr par milliers en les astreignant à un labeur excessif, proposa à Ximénès d'organiser pour les travaux des mines une population méthodique de Noirs; le cardinal-régent refusa, mais Charles-Quint fut moins scrupuleux. En 1517, il accordait à un gentilhomme flamand une patente l'autorisant à introduire annuellement 4000 esclaves noirs dans les îles de Porto-Rico, Hispaniola, Cuba et la Jamaïque. Celui-ci vendit ce privilège 25.000 ducats à des commerçants génois, lesquels achetèrent des esclaves aux Portugais. A partir de là, ce commerce de « pièces d'Inde » se généralisa; l'exemple des Espagnols fut suivi par tous les pays européens qui acquirent des colonies en Amérique.C'est à cette concession que remonte l'organisation de la traite des Noirs. Ce commerce ayant donné lieu à toute sorte de difficultés, à une organisation très complète.

Le premier Anglais qui s'y livra fut Hawkins, qui approvisionnait les colonies espagnoles. Au temps des Stuarts, quatre compagnies anglaises furent établies pour transporter les esclaves d'Afrique; Charles Il et Jacques II furent membres de la quatrième. Après la révolution, ce trafic fut abandonné, mais, plus tard, la Compagnie royale africaine fut soutenue par le parlement, En 1713, le privilège de la traite des Noirs des colonies espagnoles fut assuré aux Anglais pour 30 ans, pendant lesquels on débarqua 144,000 esclaves. 

En 1620, un navire hollandais vendit une cargaison de 20 esclaves noirs aux planteurs de tabac de Virginie; ainsi fut introduit l'esclavage dans l'Amérique britannique. L'esclavage exista bientôt dans chaque partie du nord de l'Amérique, et les Indiens y furent assujettis aussi bien que les Noirs. La traite entre l'Amérique du Nord et l'Afrique fut poussée avec une grande vigueur.

En 1689, ce commerce fut déclaré libre dans le Royaume-Uni. Comme il était très lucratif, les armements de négriers se multiplièrent chez les nations maritimes, Hollande, Angleterre, France; non contentes de porter des esclaves dans leurs propres colonies, elles se disputèrent la traite vers les colonies espagnoles. Au traité d'Utrecht, l'asiento, privilège d'importer 4800 Noirs par an, durant trente années, fut attribué à l'Angleterre; ce monopole fut conféré à une compagnie et, lorsque Philippe V le révoqua à cause des fraudes qu'il couvrait, Walpole fut forcé par l'opinion publique anglaise à déclarer la guerre à l'Espagne.

A la fin du XVIIIe siècle, l'Angleterre possédait près de 800,000 esclaves répandus dans 19 colonies, à savoir : plus de 300,000 à la Jamaïque, 80,000 à la Barbade, 80,000 en Guyane, plus de 60,000 à l'île Maurice, le reste dans les petites colonies de la Trinité, de la Grenade, Antigua, Saint-Vincent, etc. La France, dans ses colonies des Antilles, de l'île de la Réunion, de la Guyane et du Sénégal, possédait 250,000 esclaves. Il y en avait 27,000 dans les petites colonies du Danemark et environ 600 dans l'île de Saint-Barthélemy, appartenant alors à la Suède. La Hollande, qui a su éviter le travail servile à Java, conservait plus de 50,000 esclaves au Surinam et à Curaçao. Mais ces nombres sont peu de chose, comparés au chiffre de la population asservie des colonies espagnoles et portugaises qui comptent au moins 600,000 esclaves, du Brésil qui en contient plus de 2 millions; enfin des Etats-Unis qui, au seuil de la guerre de Sécession, en posséderont à eux seuls 4 millions.

En 1790, l'on évaluait à 74.000 le nombre de travailleurs noirs transportés chaque année dans les colonies d'Amérique; 38.000 par les Anglais (Liverpool étant le centre des négriers); 20.000 par les Français (de Saint-Malo, Nantes, etc.); 10.000 par les Portugais, 4000 par les Hollandais, 2000 par les Danois. Ce ravitaillement était nécessité par la mortalité excessive des esclaves; à la Jamaïque, on en comptait 40.000 en 1690 et 340.000 en 1820; dans l'intervalle, il en avait été importé 800.000; la mortalité était donc presque triple de la natalité. Mais les 74.000 Noirs qui arrivaient aux colonies n'étaient qu'une faible partie des victimes de ce barbare commerce de vies humaines.

Les estimations les plus modérées admettent que pour un importé quatre étaient morts, succombant aux souffrances du trajet où les esclaves étaient enchaînés et parqués comme du bétail, mais surtout succombant au cours de ces chasses à l'homme qui s'organisaient sur le continent africain afin de pourvoir aux achats des négriers. De proche en proche la dévastation s'étendait; les villages disparaissaient; les populations étaient égorgées ou vendues; la traite était une prime au brigandage, aux guerres atroces, à l'anarchie qui, durant trois siècles, ont désolé l'Afrique occidentale et destructuré durablement l'organisation sociale et politique qui avait existé jusque là dans les Etats tout le long du Golfe de Guinée.

L'abolition de l'esclavage.
Ces crimes finirent, malgré les gains réalisés par les négociants, par exciter une indignation générale; les idées humanitaires du XVIIIe siècle étaient si violemment heurtées par la traite que les protestations se multiplièrent.

L'abolition de la traite.
En 1776, le congrès continental supprma l'importation des esclaves en Amérique. En 1788, lors de la formation de la constitution américaine, il fut défendu au congrès d'interdire le trafic. L'état de Georgie prohiba la traite en 1798. Les Etats-Unis interdirent finalement l'importation d'esclaves africains (2 mars 1807), et une loi de 1820 la classa au même rang que la piraterie. De semblables statuts furent, promulgués par le parlement britannique en 1825. L'Angleterre se mit d'ailleurs à la tête du mouvement et poursuivit la suppression de la traite avec une grande persistance; elle fit d'ailleurs des mesures appliquées pour la répression un instrument de domination sur les mers. 

Le Congrès de Vienne décida, en principe, l'interdiction de la traite. Le traité anglo-français du 30 mai 1814 l'avait abolie pour les colonies françaises à partir du 1er juin 1819 : la traite était interdite aux étrangers et aux sujets français; en mars 1818, cette prohibition passa dans la loi. 

Le 16 mai 1792 le Danemark abolit la traite pour 1802. En 1813 la Suède, en 1814 la Hollande avaient supprimé la traite. Les Pays-Bas l'abolirent en 1818; en janvier 1815, le Portugal l'interdit à ses sujets au Nord de l'équateur, et partout à dater de 1830; l'Angleterre lui alloua une indemnité de 300.000 livres sterling; finalement l'exportation des esclaves noirs des possessions portugaises fut interdite le 10 décembre 1836. L'Espagne abolit la traite en 1820, moyennant 400.000 livres payées par l'Angleterre. 

L'abolition proprement dite.
Même si en France  la Convention abolit l'esclavage en même temps que la traite jusqu'alors favorisée par un système de primes. Interdire la traite des esclaves ne mettait pas fin à l'esclavage lui-même. 

En Angleterre, ce commerce fut d'abord dénoncé par des particuliers. Des hommes éminents travaillèrent ainsi avec zèle à supprimer la traite. Le plus célèbre d'entre eux fut Granville Sharp, qui, pendant un demi-siècle, fit tous ses efforts en faveur de l'émancipation. Les Quakers présentèrent au parlement la première pétition pour l'abolition de la traite. Clarkson commença en 1786 ses travaux antiesclavagistes et Wilberforce se joignit à lui peu de temps après. En juin 1787, une commission de 12 membres, presque tous quakers, fut instituée pour abolir le commerce des esclaves; elle eut à soutenir une violente opposition des hommes les plus éminents du pays. La question fut soumise au parlement en 1788, mais ce ne fut qu'en 1807 que des mesures furent adoptées à ce sujet. En 1823, une société se forma pour l'adoucissement et l'abolition graduelle de l'esclavage dans les possessions anglaises. Ses principaux chefs furent Clarkson, Wilberforce et Buxton. Vers la même époque fut publié par la quakeresse, Elizabeth Heyrick, un pamphlet intitulé Immediate, not Gradual, Abolition. Ses opinions conduisirent plus tard la société à abandonner les doctrines et les mesures de gradation qui firent place à celles d'émancipation immédiate et sans réserve. A partir de ce moment, la question marcha avec une grande rapidité. 

En 1833, un acte d'émancipation ordonna un apprentissage de six ans pour les esclaves et le paiement aux propriétaires d'une somme de 20 millions de livres sterling, prise sur le trésor national. Le jour fixé pour l'émancipation fut le1er août 1834, et l'autorisation fut donnée respectivement à chaque législation locale d'adopter ou de rejeter le système d'apprentissage. Antigua et les Bermudes le rejetèrent, les autres îles l'acceptèrent. Ce système ne donna pas de bons résultats; aussi, dans plusieurs cas, les lois locales l'abolirent-elles, et, en 1838, un décret du parlement le supprima-t-il définitivement. En 1843, la Grande-Bretagne émancipa plus de 12 millions d'esclaves dans ses possessions des Antilles. 

En France, l'Assemblée (15 mai 1791), après beaucoup d'hésitations, accorda virtuellement des privilèges politiques égaux à tous les hommes libres, sans distinction de couleur. A Haïti, les Blancs résistèrent, et lorsque la Convention voulut faire exécuter le décret, ce conflit entre les Noirs et les Blancs, libres, amena les massacres que l'on a si faussement attribués à l'émancipation des esclaves, proclamée seulement à la fin de 1793 et confirmée par le décret du 4 février 1794, par lequel la Convention décréta d'enthousiasme l'abolition de l'esclavage dans toutes les colonies françaises.

Napoléon rétablit l'esclavage et même la traite par la loi du 30 floréal an X. Mais il ne put y réussir à Haïti. En 1815, parut un ordre d'abolition immédiate de la traite, ordre que le gouvernement de Louis XVIII remit en vigueur, et la traite française cessa en 1810. L'esclavage fut aboli par le gouvernement provisoire (décret du 27 avril 1848) sans indemnité pour les propriétaires. 

La Suède abolit l'esclavage en 1846-1847, le Danemark en 1848 et les Pays-Bas en 1862.

L'esclavage ayant été aboli par eux, les pays européens se mirent d'accord pour assurer la répression de la traite et mettre obstacle au recrutement des esclaves dans les pays on subsistait l'esclavage, tels que le Brésil et les Etats-Unis. Ils s'engagèrent à prendre chacun les mesures nécessaires afin d'empêcher les armateurs de leur pays de se livrer à ce commerce lucratif; en outre, dans certaines zones, les bâtiments de guerre des diverses puissances contractantes furent autorisés à visiter réciproquement les navires de commerce suspects de faire la traite; celle-ci fut assimilée à la piraterie, justiciable des mêmes tribunaux et passible des mêmes peines. Toutefois, ce droit de visite réciproque et ses conséquences subirent des restrictions; souvent on stipula que ce seraient seulement les tribunaux de l'État dont le navire capturé portait le pavillon qui seraient compétents pour le juger.
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Esclave évadée : avis de recherche.
100 dollars de récompense. - Avis de recherche pour la capture de la "servante Harriet", évadée d'une plantation du Sud des Etats-Unis, "sans raison connue ou provocation"..

Les traités de commerce franco-anglais du 10 novembre 1831 et du 22 mars 1833 établirent ce droit réciproque de visite; en fait, aucun cas de traite sous pavillon français n'a été officiellement constaté depuis 1830; aussi, ce droit de visite, donnant lieu à d'inutiles vexations de la part des Anglais, devint très impopulaire en France et fut supprimé. On adopta le système libellé dans le traité Ashburton entre l'Angleterre et les Etats-Unis (1842), d'après lequel les deux puissances s'engagèrent simplement à organiser d'accord des croisières sur la côte Ouest d'Afrique. Des rapports annuels à la Chambre des communes relataient les mesures prises contre la traite. En 1853, la Grande-Bretagne avait à ce sujet 26 traités en vigueur avec les grandes puissances et 65 avec des chefs africains, auxquels étaient alloués des subsides et cadeaux annuels à la condition d'interdire la traite. Quant aux traités avec les Etats occidentaux, 10 stipulaient le droit de visite avec juridiction de tribunaux mixtes; 14 le droit de visite avec juridiction des tribunaux nationaux ; enfin ceux avec la France et les Etats-Unis excluaient le droit de visite mais contenaient l'obligation réciproque d'entretenir des croisières sur la côte Ouest d'Afrique. 

Mais ce ne fut que lors de la déclaration de la guerre civile américaine (Guerre de sécession) que ce commerce cessa, dès lors qu'il avait cessé d'être lucratif. Cette guerre et l'agitation causée par l'émancipation dans le Brésil mirent presque fin à la traite à travers l'océan Atlantique. Dans l'intérieur de l'Afrique, ce commerce continua avec beaucoup de vigueur et une constante activité. Sauf à Cuba, l'esclavage disparut de l'Amérique espagnole. Il continua de prospérer au Brésil jusqu'en 1871, époque à laquelle on décréta son abolition graduelle. 

L'abolition de l'esclavage aux Etats-Unis et au Brésil, en fermant les derniers débouchés aux négriers, a supprimé la traite clandestine qui se faisait encore un peu. 
Le nombre total des Africains emmenés en esclavage est estimé à 40 millions. L'Espagne et la France en reçurent quelques-uns, aussi bien que l'Angleterre. Ceux importés dans les colonies anglaises, qui devinrent les Etats-Unis en 1776, étaient évalués à 300,000 au moment de la guerre de l'indépendance. Un premier recensement en 1790 donna le chiffre de 697,897 esclaves, aux Etats-Unis; en 1810, il y en avait 1,191,304. 

Le commerce des esclaves  n'a pas pris fin avec l'abolition juridique de l'esclavage par les puissance occidentales. Le commerce des esclaves continua encore dans l'Asie occidentale où la plupart sont importés d'Afrique. Dans ce continent, l'esclavage subsiste encore tout le long du XIXe  siècle et donne lieu à un trafic considérable; on expédie encore des Noirs au Maroc, dans la Tripolitaine; les caravanes sahariennes se sont détournées de l'Algérie parce que l'esclavage y est aboli depuis 1848 et qu'on met en liberté les esclaves qui y arrivent. Mais dans les colonies et protectorats européens de l'Afrique noire, toutes les puissances ont toléré l'esclavage, institution sociale essentielle. On se borne à empêcher le commerce des esclaves et leur exportation hors d'Afrique. Du côté de l'Asie musulmane, elle continue, malgré les croisières, à traverser la mer Rouge et l'océan Indien. L'Egypte lui a été fermée tardivement. L'aristocratie militaire des mamelouks se recrutait parmi les esclaves étrangers. Plus tard, Mehemet-Ali recrutait son armée d'esclaves noirs qu'il se se procurait par de véritables chasses à l'homme en Nubie et dans les contrées voisines. Celles-ci sont encore à la fin du siècle dominées par les marchands d'esclaves, principaux soutiens du mahdisme. Le commerce des esclaves et les chasses à l'homme dont il était la cause ont été les causes de la désolation du continent africain.

Ce commerce a encore traversé le XXe siècle. Le dernier pays a abolir l'esclavage officiellement est la Mauritanie, en 1981. Mais l'esclavage existe encore de nos jours sous diverses formes.

L'esclavage aujourd'hui

Il existe de nos jours de grandes catégories d'esclavage : 
1) l'esclavage traditionnel, ou esclavage par ascendance, qui correspond à la perpétuation des anciennes pratiques esclavagistes, et que l'on rencontre notamment en Mauritanie, au Niger, au Soudan et Soudan du Sud (où la traite constinue d'exister), dans certains pays du golfe Arabo-Persique, et en Inde (où l'esclavage est en relation avec le système des castes); 

2) ce qu'il est convenu d'appeler l'esclavage moderne, qui concerne le travail forcé, l'esclavage ou le servage pour dettes (auquel au peut rattacher les dettes contractées par les migrants envers les réseaux de passeurs),  le travail des enfants, la mendicité forcée, la prostitution forcée, le mariage forcé, l'esclavage domestique (Maroc, Péninsule arabique, Amérique latine, beaux quartiers aussi bien que quartiers de relégation des capitales européennes, etc.), qui peut aussi être, comme les deux formes d'esclavage précédentes, un esclavage sexuel, etc. On a même découvert avec stupéfaction, en 2017, l'existence, en Libye de marchés aux esclaves, où des migrants venus de l'Afrique subsaharienne et tentant de rejoindre l'Europe étaient vendus aux enchères. Aucun pays du monde n'est épargné par l'esclavage moderne.

Selon l'ONG Walk Free, qui a étudié la situation de 167 pays,  il y aurait aujourd'hui (rapport 2016) 45,8 millions d'esclaves. Chiffre qui représente 0,65% de l'humanité en moyenne, mais la proportion est très variable selon les pays : en Corée du Nord, 4,37 de la population est dans l'esclavage; en Ouzbékistan, 3.97%;  au Cambodge, 1,65 %, en Inde, 1,40 %;  au  Qatar, 1,36% (notamment dans le secteur de la construction des infrastructures sportives destinées à accueillir des événements internationaux en 2022 et en 2030). 

La Mauritanie, qui en 2014 avait encore le premier rang de ce classement est septième deux ans plus tard, avec environ 1% de sa population soumise à l'esclavage. En France (52e rang mondial sur 167), on dénombrerait 12 000 esclaves. Le travail forcé  concerne plus des deux tiers des esclaves modernes, selon l'Organisation internationale du Travail (OIT). Près d'un tiers des esclaves sont des enfants (certains pouvant n'avoir pas plus de 5 ou 6 ans), selon un rapport de l'ONU.

Plus de la moitié des victimes de l'esclavage sont des femmes et des jeunes filles. Tous les pays sont concernés à des degrés divers. 58% des esclaves vivent dans seulement cinq pays : l'Inde, la Chine, le Pakistan, le Bangladesh et l'Ouzbekistan. 

L'esclavage (travail forcé, travail des enfants) est impliqué dans la production d'au moins 136 biens de consommation  courante, dans 74 pays, selon le département américain du travail. Il génère 150 milliards de dollars par an. (A.-M. B. / Trt. / Vorepierre).
 

Des ONG qui luttent contre l'esclavage et sont aussi des sources d'information sur le sujet : Anti-slavery; Walk Free foundation;Comité contre l'esclavage moderne.


O. Pétré-Grenouilleau,  L'histoire de l'esclavage racontée en famille, Plon, 2008. - Est-il vrai que des millions de personnes soient aujourd'hui réduites à la condition d'esclave? Et comment comprendre qu'il puisse encore en être ainsi? Répondre à ces questions oblige à définir ce qu'est l'esclavage, à le différencier des autres formes d'exploitation de l'homme par l'homme. Ce livre présente de façon claire ce que l'on sait aujourd'hui des différents systèmes esclavagistes du passé. Une approche comparative conduit à se demander ce qui a pu favoriser l'émergence des formes de servitude, pourquoi elles ont duré si longtemps, et comment nos prédécesseurs ont heureusement su parfois y mettre un terme. Du même auteur : Les Traites négrières. (couv.)


Françoise Vergès, La mémoire enchaînée - Questions sur l'esclavage, Hachette Pluriel, 2008.


Edouard Glissant, Mémoires des esclavages, Gallimard, 2007. - "S'il y a une raison de fonder un Centre national autour d'un pareil sujet, c'est-à-dire de cet esclavage-ci plus particulièrement, oui de cet esclavage-ci, africain, caraïbe, américain, transindien, européen, alors que nous savons que tous les esclavages sont également monstrueux et hors humanité, peut-être la trouvons-nous avant tout dans ceci qu'il a intéressé la plupart du monde connu à l'occident du monde, c'est-à-dire qu'il a établi un lien d'un ton nouveau entre pays et cultures, que ce lien, on a voulu le faire méconnaître, qu'il a brassé un nombre incalculable de beautés dans un nombre aussi incalculable de supplices, qu'il en est résulté la créolisation de ce grand pan du monde, créolisation aussi belle que sa démocratisation, qui a répercuté sur une partie de notre monde actuel et qui a fait que nous y sommes entrés, et qu'alors ce Centre doit être national parce que c'est là le meilleur chemin pour en démultiplier toutes les approches et toutes les résonances internationales." (Edouard Glissant).


Myriam Cottias, Arlette Farge, De la nécessité d'adopter l'esclavage en France (texte anonyme de 1797), Bayard Centurion, 2007 - L'histoire de l'esclavage a récemment ressurgi dans le débat contemporain, rompant ainsi de manière violente le silence dans lequel elle avait été maintenue. L'universalisme républicain a été largement secoué par l'exclusion ressentie par les descendants des anciens esclaves. C'est dans ce contexte que Myriam Cottias et Arlette Farge découvrirent ce document, inédit et troublant. Dans la France d'après la Révolution, ce texte, daté de 1797, prône le rétablissement de l'esclavage comme remède à l'indigence et à la délinquance. Il témoigne de l'idée, dont on retrouve trace tout au long du siècle, que l'esclavage pourrait faire le "bonheur" du petit peuple miséreux et résoudre le problème social de la pauvreté. Ce document n'est pas seulement choquant et gênant, il jette une lumière nouvelle sur toute l'histoire de la domination et vient interroger nos représentations actuelles. " L'Occident doit déconstruire ces équivalences, comme il doit traquer l'idée, toujours présente, que les dominants sont, par nature, les maîtres de l'échiquier mondial car eux seuls savent ce qu'est la "vraie liberté". " (M. Cottias et A. Farge).


Jean-Michel Deveau, Le Retour de l'esclavage au XXIe siècle, Karthala, 2010. - Tel un serpent de mer, cet esclavage que la Déclaration universelle des droits de l'homme déclarait définitivement aboli, n'en finit pas de muer pour mieux étouffer des millions de victimes à travers le monde entier. A partir des sources de l'ONU, l'auteur dénonce le scandale qu'entoure le silence complice des gouvernements et de la société tout entière. Il en démonte les mécanismes et montre que, si l'on n'y prend pas garde, cette monstruosité risque de se banaliser pour, demain, fournir un pourcentage non négligeable de la main-d'oeuvre mondiale. Alors que, pour l'instant, seules quelques ONG luttent avec des moyens dérisoires contre un tel fléau, Le retour de l'esclavage au XXIe siècle en appelle à la création d'une juridiction internationale qui prenne en compte l'esclavage contemporain comme un crime contre l'humanité. (couv.).


Lawrence C. Jennings , La France et l'abolition de l'esclavage (1802-1848), André Versaille éditeur, 2010.


Malek Chebel, L'Esclavage en Terre d'Islam, Fayard, 2007.


Robert C. Davis, Esclaves chrétiens, maîtres musulmans, l'esclavage blanc en Méditerrannée (1500-1800), Actes Sud, 2007. - La traite des Blancs pratiquée en Méditerranée par ceux que l'on nommait alors les Barbaresques a duré près de trois siècles et a causé plus d'un million de victimes. Qui étaient ces esclaves? Comment se les procurait-on? Comment fonctionnaient les marchés d'Alger, de Tunis et de Tripoli, les trois villes formant le noyau dur de la Barbarie? Quelle forme prenait l'asservissement physique et moral de ces hommes et femmes originaires de toute l'Europe? Comment l'Eglise catholique et les Etats européens tentèrent-ils de les racheter? Les réponses que l'auteur apporte à ces questions et à bien d'autres battent en brèche l'idée élaborée au XIXe siècle et encore dominante d'un esclavage fondé avant tout sur des critères raciaux. Sur un sujet négligé ou sous-estimé par de nombreux historiens mais volontiers exploité par le roman populaire, cet ouvrage très sérieusement documenté, fruit de dix années de recherches, a reçu lors de sa première édition en France (Jacqueline Chambon, 2006) le prix Madeleine Laurain-Portemer de l'Académie des sciences morales et politiques. (couv).


Frédéric Régent, La France et ses esclaves. De la colonisation aux abolitions (1620-1840), Grasset et Fasquelle, 2007. - Pendant plus de deux siècles, des terres françaises ont porté quatre millions d'esclaves. Deux millions d'entre eux sont nés en Afrique et ont été transportés par des navires négriers dans les colonies, les deux autres millions y sont nés. Il existe des histoires de la colonisation française, des histoires de chaque colonie, des histoires générales de la traite, mais il n'existait aucune histoire de l'esclavage français, dans l'ensemble des colonies, sur toute la période coloniale. Le livre de Frédéric Régent - grâce au renouvellement de l'historiographie sur le fonctionnement des sociétés esclavagistes françaises - comble un vide et permet de répondre à de nombreuses questions : Pourquoi des Français ont-ils été amenés à devenir des esclavagistes? Pourquoi ont-ils choisi de recourir à la traite négrière? Comment les notions de Blancs et de Noirs ont-elles été inventées? Quel bénéfice la France tire-t-elle de l'économie esclavagiste? Quelles sont les limites à l'exploitation des esclaves? Pourquoi la France rétablit-elle l'esclavage après l'avoir aboli? Quel rôle jouent respectivement les esclaves et les abolitionnistes dans le processus d'émancipation? Un ouvrage essentiel, au coeur d'une nouvelle approche de l'histoire de France.(couv.).9


Nelly Schmidt, La France a-t-elle aboli l'esclavage? : Guadeloupe, Martinique, Guyane (1830-1935), Librairie Académique Perrin, 2009.


Collectif, Dictionnaire des esclavages, Larousse, 2010. - De débats historiques exacerbés en faits divers dramatiques, l'esclavage reste sous les feux de l'actualité. Existant depuis l'Antiquité et sous toutes les latitudes, ce phénomène aux formes multiples a suscité des justifications et des remises en cause aussi nombreuses que passionnées. De A comme abolitionnisme à z comme (révolte des) Zandjs, ce dictionnaire dresse un panorama complet des esclavages dans leur diversité géographique et historique : aux Etats-Unis bien sûr mais aussi en Asie du Sud-Est ou dans le monde musulman, de la Grèce antique jusqu'aux formes les plus contemporaines. Il présente les différents aspects de la vie quotidienne des esclaves (nourriture, famille, sexualité, mais aussi les formes de résistance) et des destins individuels exceptionnels. Plus proche de nous, il évoque les traces perceptibles dans le monde contemporain (métissage, psychologie...). Enfin, il nous montre aussi la représentation de l'esclave dans l'art (littérature, peinture, cinéma...) et sa place dans notre imaginaire. (couv.).

Pour les plus jeunes : Gérard Dhôtel, L'esclavage ancien et moderne (dès 9 ans),  Milan, 2006. - L'esclavage, qui trouve ses origines dans les plus vieilles traditions, existe depuis la nuit des temps. Durant l'Antiquité, cette pratique était même considérée comme quelque chose de tout à fait normal. Par la suite, l'esclavage s'est développé sur une vaste échelle avec la conquête de l'Amérique par les Européens au XVIe siècle, puis dans le cadre du gigantesque trafic humain qui s'est instauré depuis l'Afrique, et que l'on connaît sous le nom de "traite des Noirs". On a cru, à partir du milieu du XIXe siècle, que l'esclavage était enfin aboli. Hélas, il n'en est rien. De nouvelles formes d'esclavages touchent aujourd'hui encore des millions de personnes : travail forcé, femmes prostituées, enfants vendus. (couv.).

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