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Morale
Le devoir et la loi morale

Le devoir est une action conforme Ă  un ordre rationnel ou Ă  une norme. Il peut ĂȘtre considĂ©rĂ© de deux points de vue. On peut se demander d'abord ce qui le constitue en lui-mĂȘme; on peut se demander aprĂšs quels sont les effets qu'il produit sur la conscience, lorsqu'elle l'aperçoit et le reconnaĂźt. 

Le devoir-ĂȘtre de chaque chose est constituĂ© par la loi mĂȘme qui constitue son essence (pour parler en termes absolus) ou simplement sa dĂ©finition. Et ainsi chaque chose doit remplir sa dĂ©finition, ce qui revient Ă  dire que le devoir-ĂȘtre des choses purement matĂ©rielles consiste en leur intĂ©gritĂ©, en leur puretĂ©. L'eau est est ce qu'elle doit ĂȘtre quand elle est pure, l'air de mĂȘme; l'or est ce qu'il doit ĂȘtre quand il ne contient aucun alliage. Et de mĂȘme les plantes et les animaux sont ce qu'ils doivent ĂȘtre quand ils sont pourvus de tous leurs organes essentiels et que chacun de ces organes accomplit ses fonctions normalement, dans un juste rapport avec l'ensemble des autres organes. Ainsi, Ă  mesure que l'ĂȘtre devient plus complexe, le devoir-ĂȘtre se complique aussi. Plus est grand le nombre des organes qui constituent un animal, plus l'harmonie entre les fonctions devient difficile et rare, plus il devient rare que l'animal fasse ce qu'il doit faire. Mais, cependant, la notion de son devoir-ĂȘtre demeure toujours aussi simple et aussi claire que lorsqu'il s'agissait de l'eau, de l'air ou de l'or. Il est ce qu'il doit ĂȘtre lorsqu'il obĂ©it Ă  sa loi d'existence, lorsqu'il remplit sa dĂ©finition, quand l'harmonie des fonctions organiques constitutives de son ĂȘtre est rĂ©alisĂ©e par le jeu normal de tous ses organes.

Pour les choses inanimĂ©es que l'humain fait servir Ă  ses desseins, elles ont leur devoir-ĂȘtre dans leur fin et ainsi elles sont ce qu'elles doivent ĂȘtre si elles remplissent le but pour lequel elles ont Ă©tĂ© faites. Une table Ă  Ă©crire est ce qu'elle doit ĂȘtre si on peut Ă©crire dessus, etc. Et de mĂȘme l'humain s'Ă©tant asservi les animaux et les ayant dressĂ©s Ă  ses fins, il dit qu'ils font ce qu'ils doivent faire lorsqu'ils servent ses desseins. Ainsi, le chien d'arrĂȘt fait ce qu'il doit faire quand il quĂȘte bien, quand il arrĂȘte bien, quand il rapporte bien. Cette nouvelle acception du devoir-ĂȘtre ne diffĂšre pas essentiellement de la prĂ©cĂ©dente. En effet, la table, le chien d'arrĂȘt sont toujours ce qu'ils doivent ĂȘtre quand ils rĂ©alisent leur essence ou du moins qu'ils rĂ©pondent Ă  leur dĂ©finition, c.-Ă -d. quand ils rĂ©alisent la loi que la volontĂ© de l'humain leur a imposĂ©e. Seulement, ici on voit bien que cette loi est quelque chose de surajoutĂ© au devoir ĂȘtre du chien tout court, par exemple, et Ă  la rigueur il serait possible qu'elle contredise en quelque chose la dĂ©finition de ce qu'est un chien, de sorte que le chien ne pourrait ĂȘtre ce qu'il doit ĂȘtre comme chien d'arrĂȘt qu'Ă  la condition de n'ĂȘtre pas ce qu'il doit ĂȘtre comme chien et ainsi peut-ĂȘtre la chasse pourrait le rendre malade ou impropre Ă  certaines fonctions canines. Mais dans tous les cas il serait ce qu'il doit ĂȘtre, Ă  deux points de vue divers, dĂšs qu'il rĂ©aliserait une de ces deux essences  ou qu'il remplirait une de ces deux dĂ©finitions, qu'il obĂ©irait Ă  une de ces deux lois. Ainsi, ce qui constitue le devoir-ĂȘtre, c'est bien la rĂ©alisation par l'ĂȘtre de la loi constitutive de son essence ou de sa dĂ©finition.

Ces principes ne changent pas quand on les applique Ă  l'humain. Le devoir-ĂȘtre humain consistera donc Ă  remplir la dĂ©finition que nous nous faisons de nous-mĂȘmes, Ă  rĂ©aliser ce que nous considĂ©rons comme notre essence d'humains. Humains, nous devons ĂȘtre des humains. Le devoir de l'humain consiste Ă  remplir son essence, Ă  rĂ©pondre Ă  la dĂ©finition ou Ă  la reprĂ©sentation que l'on de soi.

Comment maintenant arriver Ă  spĂ©cifier les diverses obligations qui rĂ©sultent de ce devoir-ĂȘtre? Par l'Ă©tude et la connaissance de l'humain. L'anthropologie permet seule d'avoir une vision assez complĂšte de l'humain pour rendre compte de tout ce qui peut dĂ©terminer la conception que chacun peut se faire de son devoir-ĂȘtre, et par anthropologie nous n'entendons pas seulement l'Ă©tude de l'anatomie et de la physiologie humaines, mais aussi l'Ă©tude de la psychologie et de la sociologie.

Quoi qu'il en soit, quand l'individu prend conscience de ce qu'est son devoir-ĂȘtre, il a alors l'idĂ©e du devoir et le sentiment de l'obligation. Pour peu que l'humain rĂ©flĂ©chisse, il a quelque conscience de sa dĂ©pendance vis-Ă -vis de la loi qui le constitue. Il se sent obligĂ© Ă  quelque chose et vaguement, confusĂ©ment, il discerne parmi ses fonctions quelques-unes qui lui paraissent plus importantes et d'autres qui lui paraissent moins importantes. Il sent alors qu'il est obligĂ© de rĂ©aliser les premiĂšres au dĂ©triment des secondes, qu'il faut le faire, qu'il doit le faire. Que ce discernement lui vienne par ses propres rĂ©flexions, ou, comme c'est l'ordinaire, par l'Ă©ducation, le rĂ©sultat est le mĂȘme; l'humain Ă©prouve, vis-Ă -vis des choses obligatoires, le sentiment d'une absolue dĂ©pendance. Il appelle bien ce qui est fait en conformitĂ© avec ce qu'il nomme son devoir et mal ce qui est opposĂ© Ă  ce devoir. 

Kant a indiquĂ© ce qui caractĂ©rise le devoir dans la conscience en disant que le devoir est un impĂ©ratif catĂ©gorique. C'est un impĂ©ratif, c.-Ă -d. qu'il commande Ă  la conscience, et cet impĂ©ratif est catĂ©gorique, c.-Ă -d. qu'il commande sans condition ni restriction. Le devoir ne dit pas  : Fais cela si tu veux ou si cela te plaĂźt, mais : Fais cela. Et ce caractĂšre se comprend bien par ce que nous avons dit. Notre devoir ne consiste pas Ă  faire ce que nous voulons ou ce qui nous plait, mais Ă  remplir notre essence. Il nous dit : Sois homme, Esto vir, sans y ajouter aucune sorte de condition. Ainsi on peut dire que l'idĂ©e du devoir et le sentiment de l'obligation qui en rĂ©sulte sont innĂ©s dans l'humain et qu'il les porte en lui par lĂ  mĂȘme qu'il a conscience d'avoir une essence et de dĂ©pendre de cette essence; chez tous les humains et chez tous les peuples, on a pu constater des marques de cette idĂ©e et de ce sentiment, des idĂ©es de moralitĂ© et des jugements motivĂ©s par ces idĂ©es. Mais la connaissance des devoirs particuliers n'est aucunement innĂ©e; elle a dĂ» varier de pays Ă  pays, de peuple Ă  peuple, d'Ă©poque Ă  Ă©poque et ainsi, bien qu'il y ait eu toujours et partout une certaine moralitĂ©, le contenu de la moralitĂ© a pu varier et a variĂ© en effet. L'idĂ©e de la vĂ©ritable moralitĂ© s'enrichit, en effet, Ă  mesure qu'augmente la science de l'humain, Ă  proportion que son essence vĂ©ritable est plus connue et que sont mieux dĂ©terminĂ©s ses rapports avec le reste des choses. (G. Fonsegrive).

La théorie kantienne du devoir

Le devoir a Ă©tĂ© dĂ©fini par Kant la nĂ©cessitĂ© d'accomplir une action par respect pour la loi morale. On peut cependant considĂ©rer le devoir et la loi morale comme les deux aspects d'une seule et mĂȘme idĂ©e. La loi morale, c'est le devoir mĂȘme, le fait du devoir, envisagĂ© dans toute sa gĂ©nĂ©ralitĂ©; le devoir, c'est la loi morale appliquĂ©e Ă  une action particuliĂšre (Critique de la Raison pratique).

L'idĂ©e du devoir, c'est donc l'idĂ©e d'une nĂ©cessitĂ©, analogue Ă  celle des lois civiles qui commandent ou interdisent aux citoyens d'un État un certain ensemble d'actions, analogue aussi Ă  celle des lois naturelles qui dĂ©terminent forcĂ©ment le cours des phĂ©nomĂšnes qu'elles rĂ©gissent.

De là, dans toutes les langues, des métaphores qui assimilent le devoir à une loi; de là l'expression de loi morale. Ainsi Antigone, dans Sophocle, parle de lois non écrites, portées par les dieux, auxquelles on doit obéir de préférence aux lois écrites, portées par les humains.

Les lois naturelles.
« Les lois, dit Montesquieu, sont les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses ». Cette définition ne convient pleinement qu'aux lois naturelles. Ces lois énoncent non ce qui doit se faire, mais ce qui se fait nécessairement: elles sont indicatives et non impératives; ce sont des formules, non des commandements.

On en peut distinguer de deux sortes :

1° Les lois logiques et mathématiques;

2° Les lois naturelles proprement dites (physiques, chimiques, etc.).

Les premiĂšres ont une nĂ©cessitĂ© Ă  la fois idĂ©ale et rĂ©elle, rationnelle et empirique. D'une part, il faut que deux quantitĂ©s Ă©gales Ă  une mĂȘme troisiĂšme soient Ă©gales entre elles; cela est vrai et nĂ©cessaire en droit. D'autre part, cela est aussi vrai et nĂ©cessaire en fait; deux quantitĂ©s Ă©gales Ă  une mĂȘme troisiĂšme sont toujours et immanquablement Ă©gales entre elles. La nĂ©cessitĂ© de ces lois est donc complĂšte et absolue.

Les secondes ont une nĂ©cessitĂ© de fait : un corps abandonnĂ© Ă  lui-mĂȘme tombe nĂ©cessairement; tout organe qui s'exerce Ă  intervalles rapprochĂ©s augmente nĂ©cessairement de force et de volume, etc.; mais, en droit, elles sont contingentes. Leur nĂ©cessitĂ© est rĂ©elle et empirique, non idĂ©ale et rationnelle; valable seulement pour notre monde et notre expĂ©rience, sans valeur peut-ĂȘtre au delĂ .

Du reste, mathĂ©matiques ou physiques, les lois naturelles ne sont sujettes Ă  aucune exception. Comme elles n'impliquent aucune intelligence, aucune libertĂ© dans les ĂȘtres et les faits qu'elles rĂ©gissent, elles n'ont besoin d'ĂȘtre ni connues ni consenties pour ĂȘtre obĂ©ies : elles sont donc partout et toujours observĂ©es.

A vrai dire, c'est par mĂ©taphore ou par hypothĂšse que ces rapports sont appelĂ©s lois. 

Tout se passe comme si une volonté intelligente et toute-puissante avait dÚs l'origine déterminé par des lois la façon dont les phénomÚnes de l'univers devaient se produire dans toutes les circonstances possibles. Mais, toute métaphore et toute hypothÚse étant écartées, l'expérience nous montre seulement que les phénomÚnes se conforment toujours à ces rapports, et la raison, au moins pour quelques-uns d'entre eux, nous en fait comprendre la nécessité en les déduisant de ses propres principes

Les lois civiles. 
Les lois civiles ou positives, Ă©manĂ©es de la volontĂ© d'un lĂ©gislateur, rĂšglent la conduite des citoyens d'un État. Un double caractĂšre les distingue des lois naturelles :

1° Ce sont des lois pratiques et non thĂ©oriques : elles Ă©noncent ce qui doit se faire, non ce qui se fait nĂ©cessairement. Elles sont impĂ©ratives et non simplement indicatives. C'est qu'elles impliquent l'intelligence et la libertĂ© des ĂȘtres qu'elles rĂ©gissent elles ne peuvent ĂȘtre obĂ©ies qu'Ă  la condition d'ĂȘtre connues et consenties. D'oĂč il suit qu'elles sont sujettes Ă  ĂȘtre violĂ©es et que les faits ne leur sont pas nĂ©cessairement conformes.

2° Établies par la volontĂ© humaine, elles sont toujours plus ou moins artificielles et arbitraires. Elles ne dĂ©rivent de la nature des choses, ni en droit, comme les lois mathĂ©matiques, ni en fait, comme les lois physiques. Aussi sont-elles contingentes au regard de la raison, et l'expĂ©rience montre qu'elles ne sont ni universelles ni invariables, mais diffĂ©rentes selon les lieux et les temps.

La loi morale.
La loi morale participe Ă  la fois des caractĂšres des lois civiles et des lois naturelles.

D'une part, comme les lois civiles, elle est une loi pratique, un commandement et non une simple formule. Par cela mĂȘme, elle n'est obĂ©ie que si elle est connue et consentie des ĂȘtres intelligents et libres qu'elle gouverne : aussi ne l'est-elle pas toujours. « On ne doit pas mentir », dit la loi morale. L'expĂ©rience n'en montre pas moins qu'on peut mentir.

Mais d'autre part, comme la loi naturelle, la loi morale dĂ©rive de la nature des choses : elle n'est ni artificielle ni arbitraire, et c'est pourquoi elle est universelle et immuable. Elle se rapproche mĂȘme en un sens de la nĂ©cessitĂ© idĂ©ale ou rationnelle des vĂ©ritĂ©s. mathĂ©matiques. Étant donnĂ©e, par exemple, la nature d'un dĂ©pĂŽt, il est rationnellement nĂ©cessaire que ce dĂ©pĂŽt appartienne au propriĂ©taire et non au dĂ©positaire : cette vĂ©ritĂ© s'impose Ă  notre raison aussi irrĂ©sistiblement qu'un thĂ©orĂšme de gĂ©omĂ©trie. Mais les vĂ©ritĂ©s mathĂ©matiques, nĂ©cessaires en droit, le sont aussi en fait : un triangle n'a jamais que les propriĂ©tĂ©s qu'il doit avoir. Il n'en est pas ainsi des vĂ©ritĂ©s morales. Le dĂ©pĂŽt, qui en droit appartient au propriĂ©taire, peut rester en fait aux mains du dĂ©positaire.

Les caractĂšres de la loi morale.
La loi morale est marquée de trois caractÚres principaux : 1° elle est obligatoire; 2° elle est absolue; 3° elle est universelle.

1° L'obligation est une espĂšce toute particuliĂšre de nĂ©cessitĂ©, la nĂ©cessitĂ© pratique ou morale (necessitas moralis). Dire qu'on est obligĂ© de faire une chose, ce n'est pas dire qu'on est forcĂ© de la faire. L'obligation n'est pas une contrainte qui exclut la libertĂ©: elle n'existe, au contraire, qu'autant qu'on est libre, de s'y soumettre ou de s'y soustraire. 

Ainsi nous sommes tenus de faire notre devoir; aucune puissance au monde ne peut nous en dispenser, et cependant il est en notre pouvoir de le faire ou de ne pas le faire. Celui qui demanderait pourquoi il doit le faire, du moment oĂč rien ni personne ne l'y force, prouverait seulement par lĂ  qu'il n'a pas l'idĂ©e claire du devoir.

2° L'obligation imposée par la loi morale n'est pas relative, comme celle des lois civiles-: elle est absolue. Kant distingue à ce propos deux sortes d'impératifs : l'impératif hypothétique et l'impératif catégorique.

Un impĂ©ratif hypothĂ©tique est un commandement subordonnĂ© Ă  une condition exprimĂ©e ou sous-entendue, laquelle n'est pas elle-mĂȘme obligatoire. Telles sont les rĂšgles de la prudence ou de l'intĂ©rĂȘt personnel.

« Si tu veux retenir ta clientÚle, pourrait-on dire à un marchand, ne la trompe pas sur la qualité des marchandises. »
ImpĂ©ratif hypothĂ©tique, qui exprime une nĂ©cessitĂ© relative, la nĂ©cessitĂ© de vouloir les moyens si l'on veut la fin; mais il suffit de renoncer Ă  la fin pour y Ă©chapper. Ainsi le marchand pourrait rĂ©pondre : 
« Je ne tiens pas Ă  conserver mes clients; pourvu qu'ils se renouvellent assez vite et que j'aie le temps de m'enrichir avant que le public s'aperçoive de ma fraude, c'est tout ce que je demande. » 
 Mais le mĂȘme commandement devient un devoir, si on le prĂ©sente sous forme catĂ©gorique : 
« Tu ne dois pas tromper. » 
Le devoir, en effet, commande sans condition; c'est un impératif catégorique. On peut, il est vrai, exprimer une condition apparente dans la formule d'un devoir, dire, par exemple :
« Tu ne dois pas tromper, si tu veux ĂȘtre juste. » 
Mais cette prĂ©tendue condition n'est elle-mĂȘme qu'un devoir plus gĂ©nĂ©ral impliquĂ© dans le premier. De proche en proche, on arriverait finalement Ă  cette formule : 
« Tu dois faire cela (ou ne pas le faire), si tu veux faire le bien. » 
Or, dans cette formule il y a identitĂ© entre le devoir et sa condition le devoir n'est rien s'il n'est le devoir de faire le bien. D'oĂč il suit que le bien est moins la condition que la raison du devoir et que le vrai sens des formules prĂ©cĂ©dentes est celui-ci : 
« Tu ne dois pas tromper, car tu dois ĂȘtre juste; - tu dois faire cela, car tu dois faire le bien. »
Par ce caractĂšre absolu, la loi morale diffĂšre non seulement des maximes d'action que chacun peut se faire pour sa propre gouverne, mais encore des lois civiles, lesquelles tirent toute leur autoritĂ© soit de la loi morale (si tu veux ĂȘtre juste, obĂ©is aux lois de ton pays), soit de la sanction qui les accompagne (obĂ©is aux lois de ton pays, si tu veux Ă©viter les peines qu'elles infligent).

3° Enfin, la loi morale est universelle. Ses commandements sont les mĂȘmes pour tous les humains, dans tous les temps et dans tous les lieux. L'universalitĂ© est, d'aprĂšs Kant, le caractĂšre constitutif de la loi morale. Il est le criterium du bien et du mal :

« Agis toujours de telle sorte que tu puisses vouloir que la maxime de ton action soit érigée en loi universelle. »
Telle est, selon Kant, la formule de l'impĂ©ratif catĂ©gorique. En effet, toutes les fois qu'on fait le mal, c'est par une sorte d'exception et de faveur qu'on se le permet Ă  soi-mĂȘme; mais on ne consentirait pas volontiers Ă  transformer son action en rĂšgle et en modĂšle pour tous les humains. Par exemple, on veut bien tromper les autres, mais on ne veut pas soi-mĂȘme ĂȘtre trompĂ©. La volontĂ© du mal ne peut s'universaliser sans se contredire. Le bien, au contraire, est tel qu'on peut le vouloir partout et toujours, chez soi et chez autrui, sans contradiction. Ce que l'honnĂȘte homme a fait, il est prĂȘt Ă  le refaire, prĂȘt Ă  vouloir que les autres le fassent comme lui. 

Au fond, les deux maximes populaires si célÚbres « Ne faites pas aux autres ce que vous ne voudriez pas qu'on vous fit; faites aux autres ce que vous voudriez qu'on vous fit », ne sont que des corollaires de la formule de Kant.

Le devoir, fondement de la loi morale.
Il reste Ă  dĂ©terminer le fondement de la loi morale ou du devoir. Le devoir, on l'a vu, prĂ©suppose nĂ©cessairement le bien, de quelque façon d'ailleurs qu'on envisage le bien lui-mĂȘme, soit qu'on le dĂ©finisse comme nous l'avons fait, soit qu'on le fasse consister, avec Kant, dans la simple universalitĂ© des maximes ou dans la personne fin en soi (c'est-Ă -dire dans la dignitĂ© humaine).

Mais le devoir dérive-t-il nécessairement du bien, de sorte que notre esprit ne puisse concevoir le bien sans le concevoir comme obligatoire, ou quelque autre principe doit-il intervenir pour opérer la liaison de ces deux termes?

D'aprĂšs un certain nombre de thĂ©ologiens et de philosophes, le bien n'est pas obligatoire par lui-mĂȘme : il ne devient tel que par la volontĂ© de Dieu. Le devoir est donc, dans cette doctrine, le commandement divin. Si l'on fait abstraction de la volontĂ© divine, le bien peut encore subsister comme un idĂ©al qui nous attire, mais non plus comme une loi qui nous oblige; il peut conserver encore quelque influence (au moins sur les ĂȘtres raisonnables qui le conçoivent), il n'a plus d'autoritĂ©; il n'oblige, Ă  proprement parler, que ceux qui veulent bien s'obliger eux-mĂȘmes.

On ne doit pas confondre cette doctrine avec celle qui fait dĂ©river non seulement le devoir, mais encore le bien mĂȘme, de la volontĂ© arbitraire de Dieu, doctrine qui supprime en rĂ©alitĂ© toute morale.

Il est certain que la croyance Ă  un commandement divin donne une plus grande force au devoir; mais est-elle la condition de son existence mĂȘme? Il est permis d'en douter.

D'abord, en fait, notre esprit attache le plus souvent l'idĂ©e du devoir Ă  certaines actions, par cela seul qu'il les juge bonnes en elles-mĂȘmes, sans faire intervenir l'idĂ©e de la volontĂ© de Dieu. Ainsi, celui qui a fait une promesse croit qu'il doit la tenir, et cela, Ă©videmment, non parce que Dieu commande de tenir ses promesses, mais parce que tenir ses promesses est juste, et parce qu'on doit faire ce qui est juste.

Puis, en droit, la liaison immĂ©diate du bien et du devoir est logiquement impliquĂ©e dans la doctrine mĂȘme qui prĂ©tend la faire dĂ©river de la volontĂ© de Dieu. En effet, si l'on admet que l'on doit obĂ©ir Ă  la volontĂ© de Dieu, la raison n'en demande pas moins pourquoi on doit lui obĂ©ir. 

Il ne suffirait pas de rĂ©pondre qu'on doit lui obĂ©ir parce qu'il est tout-puissant et qu'il nous punira infailliblement si nous lui dĂ©sobĂ©issons; car, dans cette hypothĂšse, le mal lui-mĂȘme pourrait devenir obligatoire si Dieu commandait de le faire. 

On rĂ©pondra qu'on doit obĂ©ir Ă  Dieu, parce que ce qu'il commande est juste et bon en soi. Mais alors la premiĂšre et essentielle raison du devoir, c'est le juste ou le bien en soi, et non le fait du commandement. 

On peut, il est vrai, ajouter qu'on doit obĂ©ir Ă  Dieu, non seulement parce qu'il commande ce qui est bien, mais encore parce que, Ă©tant pour les crĂ©atures la cause de leur existence et de toutes leurs facultĂ©s, il a droit Ă  leur reconnaissance et partant Ă  leur obĂ©issance. 

Mais cette rĂ©ponse mĂȘme prĂ©suppose la liaison immĂ©diate du bien et du devoir. Pourquoi, en effet, doit-on ĂȘtre reconnaissant? Ce devoir ne peut dĂ©river de l'autoritĂ© de Dieu, puisqu'il fonde lui-mĂȘme cette autoritĂ©. La raison n'en peut ĂȘtre que celle-ci : on doit ĂȘtre reconnaissant, parce que la reconnaissance est juste et bonne en elle-mĂȘme.

Ainsi, la volontĂ© de Dieu (Ă  supposer qu'on soit assez prĂ©tentieux pour s'imaginer qu'on la connaĂźt!) peut bien ĂȘtre un motif additionnel pour faire le bien : elle ne peut pas, elle ne doit pas ĂȘtre le motif unique ou mĂȘme principal, et cela sous peine de dĂ©truire la moralitĂ©, qui consiste avant tout Ă  faire le bien pour le bien lui-mĂȘme.

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Le devoir et la personnalité, selon Kant

« Devoir! mot grand et sublime, toi qui n'as rien d'agrĂ©able ni de flatteur, et qui commandes la soumission, sans pourtant employer, pour Ă©branler la volontĂ©, des menaces propres Ă  exciter naturellement l'aversion et la terreur, mais en te bornant Ă  proposer une loi qui d'elle-mĂȘme s'introduit dans l'Ăąme et la force au respect (sinon toujours Ă  l'obĂ©issance), et devant laquelle se taisent tous les penchants, quoiqu'ils travaillent sourdement contre elle; quelle origine est digne de toi? OĂč trouver la racine de ta noble tige, qui repousse fiĂšrement toute alliance avec les penchants, cette racine oĂč il faut placer la condition indispensable de la valeur que les hommes peuvent se donner Ă  eux-mĂȘmes?

Elle ne peut ĂȘtre que ce qui Ă©lĂšve l'homme au-dessus de lui-mĂȘme en tant qu'il est une partie du monde sensible, ce qui le lie Ă  un ordre de choses purement intelligible; elle ne peut ĂȘtre que la personnalitĂ©, c'est-Ă -dire la libertĂ©, ou l'indĂ©pendance Ă  l'Ă©gard de tout le mĂ©canisme de la nature, considĂ©rĂ©e comme la facultĂ© d'un ĂȘtre qui appartient sans doute au monde sensible, mais qui en mĂȘme temps est soumis Ă  des lois pures pratiques qui lui sont propres, ou qui lui sont dictĂ©es par sa propre raison, et par consĂ©quent, Ă  sa propre personnalitĂ©, en tant qu'il appartient au monde intelligible.

[Selon Kant, l'humain vit à la fois de la vie sensible et de la vie intelligible; sous le premier rapport, il est soumis aux lois mécaniques et nécessaires de la nature; sous le second rapport, il est soumis qu'à sa propre loi, il est libre.]

Cette idĂ©e de la personnalitĂ©, qui excite notre respect, et qui nous rĂ©vĂšle la sublimitĂ© de notre nature (considĂ©rĂ©e dans sa destination), en mĂȘme temps qu'elle nous fait remarquer combien notre conduite en est Ă©loignĂ©e, et que par lĂ  elle confond notre prĂ©somption, cette idĂ©e est naturelle mĂȘme Ă  la raison commune, qui la saisit. aisĂ©ment. Y a-t-il un homme, tant soit peu honnĂȘte, Ă  qui il ne soit parfois arrivĂ© de renoncer Ă  un mensonge, d'ailleurs inoffensif, par lequel il pourrait se tirer luimĂȘme d'un mauvais pas, ou rendre service Ă  un ami cher et mĂ©ritant, uniquement pour ne pas se rendre secrĂštement mĂ©prisable Ă  ses yeux? L'honnĂȘte homme frappĂ© par un grand malheur qu'il aurait pu Ă©viter, s'il avait manquĂ© Ă  son devoir, n'est-il pas soutenu par la conscience d'avoir maintenu et respectĂ© en sa personne la dignitĂ© humaine, de n'avoir point Ă  rougir de lui-mĂȘme, et de pouvoir s'examiner sans crainte? Cette consolation n'est point le bonheur sans doute, elle n'en est pas mĂȘme la moindre partie. Nul en effet ne souhaiterait l'occasion de l'Ă©prouver, et, peut-ĂȘtre ne dĂ©sirerait la vie Ă  ces conditions; mais il vit, et ne peut souffrir d'ĂȘtre Ă  ses propres yeux indigne de la vie. Cette tranquillitĂ© intĂ©rieure n'est donc que nĂ©gative, relativement Ă  tout ce qui peut rendre la vie agrĂ©able; car elle vient de la conscience que nous avons d'Ă©chapper au danger de perdre quelque chose de notre valeur personnelle, aprĂšs avoir perdu tout le reste Elle est l'effet d'un respect pour quelque chose de bien diffĂ©rent de la vie, et au prix duquel au contraire la vie, avec toutes ses jouissances, n'a aucune valeur.-»
 

(Kant, extrait de la Critique de la raison pratique).

Le bien est donc par lui-mĂȘme le principe du devoir. La raison ne peut concevoir la perfection comme supĂ©rieure Ă  toutes les fins possibles sans juger par cela mĂȘme qu'elle doit leur ĂȘtre prĂ©fĂ©rĂ©e. 

Il y a pour elle une sorte de convenance a priori entre la perfection et l'ĂȘtre : on peut mĂȘme se demander si une synthĂšse est nĂ©cessaire pour relier les deux termes, s'ils ne dĂ©rivent pas analytiquement l'un de l'autre. Le bien doit ĂȘtre; cela veut dire, au fond : il est bon que le bien soit (FouillĂ©e, La libertĂ© et le dĂ©terminisme).

Quelque opinion qu'on ait de la valeur logique de la "preuve" de l'existence de Dieu, proposĂ©e par saint Anselme et par Descartes, elle montre bien que, dans l'idĂ©e de l'ĂȘtre absolument parfait, l'esprit ne peut s'empĂȘcher de mettre ou de voir l'idĂ©e de l'existence nĂ©cessaire. C'est, en quelque sorte, la mĂȘme loi intellectuelle qui, l'idĂ©e du bien Ă©tant donnĂ©e, force l'esprit Ă  y ajouter ou Ă  en tirer l'idĂ©e du devoir.

Le devoir, c'est donc la supĂ©rioritĂ© que la raison reconnaĂźt Ă  l'idĂ©al moral sur toutes les autres fins de la volontĂ© humaine et la sorte d'empire que cet idĂ©al exerce sur nous en vertu de sa supĂ©rioritĂ© mĂȘme.

Peut-ĂȘtre, cependant, faut-il distinguer l'idĂ©e du devoir, qui est purement rationnelle, et le sentiment de l'obligation, qui rĂ©sulte du conflit de cette idĂ©e avec les diverses inclinations de notre sensibilitĂ©. La premiĂšre existerait encore chez un ĂȘtre qui, par hypothĂšse, serait tout entier raison pure ou dans lequel la volontĂ© serait toujours conforme Ă  la raison; le second n'existe que chez un ĂȘtre tel que l'humain, dans lequel la raison est unie Ă  la sensibilitĂ©.

Ainsi l'humain ne juge pas seulement que le bien doit ĂȘtre rĂ©alisĂ©; il juge que lui-mĂȘme doit le rĂ©aliser, et cela malgrĂ© la rĂ©sistance de ses penchants : 

« Fais ce que dois, advienne que pourra. »
Mais ce jugement est par cela mĂȘme accompagnĂ© d'un sentiment, le sentiment d'une lutte et d'une contrainte, le sentiment de l'obligation.

Il résulte de cette condition particuliÚre de l'humain la nécessité, pour la morale, de justifier le devoir, non pas seulement au regard de la raison, mais encore au regard de la sensibilité.

Le devoir se justifie de lui-mĂȘme au regard de la raison, car il est identique Ă  la raison. Le bien, on l'a vu, c'est le rationnel. DĂšs lors, affirmer que le bien doit ĂȘtre rĂ©alisĂ©, c'est affirmer que la raison doit ĂȘtre satisfaite. En proclamant le devoir, la raison ne fait que proclamer sa propre hĂ©gĂ©monie. Mais, si l'on se place au point de vue de la sensibilitĂ©, on peut objecter que c'est lĂ  une pĂ©tition de principe et que la raison est ici juge et partie dans sa propre cause. Certes, pour un ĂȘtre raisonnable, la satisfaction de la raison est un bien; mais, pour un ĂȘtre sensible, la satisfaction des penchants est aussi un bien. DĂšs lors, dans un ĂȘtre Ă  la fois raisonnable et sensible tel que l'humain, la raison peut sans doute affirmer que son bien est supĂ©rieur Ă  celui de la sensibilitĂ© et doit lui ĂȘtre prĂ©fĂ©rĂ©; mais elle n'est pas dispensĂ©e de prouver que, mĂȘme du point de vue de la sensibilitĂ©, son bien est au fond prĂ©fĂ©rable Ă  l'autre, ou, pour mieux dire, que le conflit des deux biens est apparent et que le vrai bien de la sensibilitĂ© se confond avec le sien. (E. Boirac).

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Dictionnaire Idées et méthodes
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