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La classification

On appelle classification un rangement d'objets de même nature, d'après une convention faite ou des principes- rationnels. Le but que l'on se propose en faisant une classification est de rendre plus facile l'étude des objets que l'on classe, en les disposant dans un ordre qui, au moyen de quelques-uns d'entre eux, permette de se souvenir des autres. Les classifications ont encore l'avantage, que l'on peut retrouver sans peine un des objets classés, dès qu'on en a besoin; elles fournissent enfin les moyens de désigner les objets par une nomenclature qui en facilite l'étude. L'esprit humain applique ce procédé de la connaissance de tout ce qui est l'objet de ses travaux; le littérateur classe les diverses figures du langage, les divers genres de styles; le philosophe classe les faits que lui présente l'observation de l'âme humaine; l'architecte classe les divers monuments que nous ont légués les siècles précédents. Mais les sciences, et surtout celles qui ont pour objet des êtres naturels, ont particulièrement employé et perfectionné les classifications. L'histoire naturelle, et principalement la zoologie et la botanique, ont fourni des modèles en ce genre à toutes les autres branches des connaissances humaines. 

Une classification peut reposer sur la considération de caractères pour ainsi dire fortuits, et des conventions faites d'avance et jugées commodes pour l'étude; alors on la dit artificielle. Mais, pour être rationnelle, toute classification doit réunir les objets qui se ressemblent le plus sous tous les rapports, et alors elle suppose une étude préalable; comme, dans ce cas, elle groupe les objets d'après l'appréciation des ressemblances que la nature même a établies entre euxr; la classification prend alors le nom de naturelle, et peut davantage se décrire comme un projet que comme une réalisation, puisqu'elle évolue nécessairement au fil de l'accroissement des connaissances . Un telle classification repose dans son principe sur la considération de caractères tellement essentiels, que toute modification de ces caractères entraîne des modifications profondes dans la physionomie et jusque dans la nature intime des êtres ou des phénomènes. Ces derniers caractères sont ceux que les naturalistes appellent dominateurs. Classer les livres d'une bibliothèque d'après leur format, qui est un caractère accidentel, c'est faire une classification artificielle; les classer par ordre de matière, c'est faire une classification naturelle. Les naturalistes ont pris la coutume de désigner les classifications artificielles sous le nom de systèmes (du grec systéma, assemblage), et les classifications naturelles sous celui de méthodes (du grec méthodos, recherche raisonnée). 

La tendance naturelle est de ranger les objets de ses études suivant des classifications naturelles; mais comme il n'y parvient qu'en acquérant une connaissance assez approfondie de ces objets eux-mêmes, et que, s'ils sont nombreux, il lui est impossible de les connaître sans les classer d'une façon quelconque, il est contraint parfois d'employer au début de ses travaux des classifications artificielles.  L'exemple le plus remarquable en ce genre se trouve dans l'histoire de la botanique. Linné, au commencement du XVIIe siècle, tout en proclamant la nécessité de ranger les végétaux dans une classification naturelle, tout en essayant même de réaliser ce voeu, publia néanmoins, pour donner l'essor aux études botaniques, une classification artificielle basée sur l'étude des étamines et des pistils des diverses fleurs. (B.-E. / Dict. Gén. Sc.).

Définition des espèces.

A. - Définition générale : la classification est une opération par laquelle l'esprit groupe les objets, d'après un ordre méthodique, selon leurs ressemblances et leurs différences. On peut classer les idées aussi bien que les êtres, les sciences aussi bien que les arts. Mais c'est dans les sciences naturelles que la classification est surtout en usage. On la définit alors :

B. - Définition particulière : opération par laquelle on distribue les êtres en genres et en espèces d'après leurs caractères.

C. - Espèces : on distingue trois sortes de classifications :

1° Empirique ou usuelle : c'est celle qui est indépendante de la nature des objets ; vg. les classifications par ordre alphabétique ; la classification des livres par le format clans une bibliothèque.

2° Artificielle : celle qui classe les objets d'après un seul caractère ou d'après un petit nombre de caractères choisis non parmi les plus importants, mais parmi les plus visibles; ex. : la classification des plantes de Tournefort est fondée sur la présence ou l'absence de corolle; les plantes, clans la classification de Linné, sont classées d'après les étamines et les pistils.

Avantages : a) elle permet de retrouver rapidement, au milieu de beaucoup d'autres, une observation déjà faite; - b) elle met un ordre provisoire dans l'ensemble des êtres à étudier et fraye ainsi le chemin aux classifications naturelles : ex. :. les classifications de Tournefort, de Linné et d'Adanson ont préparé celle de Jussieu.
 

3° Naturelle : elle repose sur les caractères essentiels des êtres. Le scientifique cherche à reproduire les rapports qu'il suppose relier les êtres entre eux dans la nature. Cependant une distinction absolue ne sépare pas ces deux dernières espèces de classifications. La classification botanique de Linné n'est pas entièrement artificielle, car elle se rapproche sur quelques points des classifications naturelles. De même les classifi-, cations naturelles les meilleures ne laissent pas d'être plus ou moins artificielles, parce que la connaissance parfaite de tous les caractères essentiels des êtres et de leur importance est un idéal, qui n'est pas, pleinement réalisable.

Formation des classifications dites naturelles.
Il faut, dans la formation d'une classification naturelle, distingue deux opérations : 1° la fixation des groupes inférieurs; - 2° la détermination des groupes supérieurs. Chacune de ces opérations se fait à la lumière d'un principe particulier :

I. - Détermination des groupes inférieurs (Principe de l'affinité générale).
Le groupe fondamental est l'espèce : c'est le groupe ultime des individus ayant entre eux le plus grand nombre de caractères com muns et capables de se reproduire indéfiniment. L'espèce peut se divise en variétés et, dans le cas d'espèces dont la reproduction est contrôlée, en races. La variété résulte d'une modification accidentelle et plus ou moins passagère de l'espèce. Elle a pour cause des influences extérieures, comme le climat, la nourriture. La race est une variété devenue héréditaire du fait de l'intervention humaine qui a cherché à privilégier certains caractères sur d'autres (ex. : races de chiens, races de chevaux). L'espèce est constituée par un ensemble de carac tores essentiels communs à plusieurs êtres. Nous avons vu quel critérium permet de discerner les caractères essentiels des accidentels : l'existences de l'influence. - Le principe, qui domine la fixation des groupe inférieurs, est le principe de l'affinité générale qu'on peut formuler ainsi d'après Cuvier : Les êtres, qu'on réunit dans une même classe, doivent se ressembler entre eux plus qu'ils ne diffèrent les uns des autres, et, en même temps, se ressembler plus qu'ils ne ressemblent aux êtres des autres classes.

II. - Détermination des groupes supérieurs (Principe de subordination des caractères).
Après avoir ramené l'innombrable multitude des individus à une certaine quantité d'espèces, le savant compare entre eux ces groupes spécifiques, comme il a comparé les individus. Nous avons vu à quel signe on peut, parmi les éléments constitutifs des êtres, reconnaître les caractères dominateurs et les subordonnés : le mode spécial d'influence. - C'est à la lumière du principe de la subordination des caractères, mis en avant par Jussieu (1789), que le naturaliste établit la gradation des groupes supérieurs : entre les groupes les plus restreints (= espèces) et les groupes les plus étendus (= Règnes) s'échelonnent, dans une série de généralisation croissante, les Genres, familles ordres, classes, embranchements. Chacun de ces groupes doit être considéré comme une espèce à définir, dans laquelle le genre prochain est constitué par les caractères dominateurs, et la différence spécifique par les caractères subordonnés.

En appliquant le principe de la subordination des caractères, le naturaliste réunit en un groupe plus vaste nommé Genre les espèces infimes qui présentent le plus grand nombre de caractères dominateurs communs. De la même manière il ramène plusieurs genres à une même famille, plusieurs familles à un même ordre, plusieurs ordres à une même classe, plusieurs classes à un même embranchements, plusieurs embranchements à un même règne, la compréhension de chaque groupe étant en raison inverse de son extension. C'est ainsi par exemple que le Lion appartient au genre Panthera, à la famille des Félidés, à l'ordre de Carnivores, à la classe des Mammifères, à l'Embranchement des Vertébrés, au Règne Animal. - Les caractères distinctifs de chaque groupe sont dominateurs par rapport aux caractères constitutifs des groupes inférieurs qu'il contient et commande, et subordonnés relativement aux caractères constitutifs des groupes supérieurs dont il dépend. C'est pour cela qu'il faut non seulement tenir compte du nombre des caractères essentiels, mais surtout de leur importance, c'est-à-dire qu'il faut, comme dit Jussieu, non seulement les « compter », mais encore  les « peser ».

Remarque : la division et la classification. - La division est une étape vers la classification, car la classification n'est qu'un cas particulier de la division. Ainsi les Animaux sont vertébrés, articulés, mollusques, etc. - les Vertébrés sont mammifères, oiseaux, reptiles, etc.. - Les Mammifères sont quadrumanes, carnassiers, rongeurs, etc. Chacune de ces propositions énonce une division; l'ensemble de ces propositions constitue une classification. La classification n'est donc qu'une division systématique à plusieurs degrés.

Avantages d'une classification naturelle.

Une classification naturelle offre, au point de vue scientifique, les plus grands avantages :

I. - Elle diminue le nombre des objets à connaître : en effet, à la multitude indéfinie des individus elle permet de substituer les types des espèces, à ceux-ci, encore bien nombreux, les types des genres, etc. Comme ces types nous représentent ce qu'il y a d'essentiel, les espèces, dans une pluralité d'individus; les genres, dans une pluralité d'espèces, etc., il suffit de se rappeler qu'un être a tel caractère distinctif, pour savoir ses autres caractères, soit dominateurs, soit coordonnés, liés au premier par des rapports constants. C'est un soulagement pour la mémoire, parce que la classification réduit la compréhension aux caractères essentiels ex : si je sais que le cheval est un vertébré mammifère, j'en puis conclure qu'il a un système osseux, un système nerveux, des poumons, une circulation double, etc.

II. - Elle donne à la connaissance une extension illimitée: en effet, au moyen d'une ou de quelques notions générales, on connaît les caractères d'un être et on peut étendre cette connaissance à tous les êtres (semblables, passés, présents et futurs, parce que cette extension est fondée sur la compréhension des caractères essentiels qui sont immuables. En pensant les caractères essentiels d'un être, on peut négliger le reste, car le reste ce sont les caractères accidentels. De là vient la supériorité de la classification naturelle sur la classification artificielle : celle-ci étant fondée sur les ressemblances accidentelles des individus, n'est pa un moyen de les penser, car alors la pensée, laisserait de côté leur essence elle n'est qu'un moyen commode pour les retrouver.

Objection : en simplifiant la représentation, la classification naturelle l'appauvrit. Elle nous présente, dans une série abstraite de genres super posés, un squelette décharné de là nature, au lieu et place de sa vie infiniment complexe et variée. - C'est vrai ; mais c'est inévitable, car il n'y a pas de science du particulier. De plus, il y a des compensa tions. Ce que la connaissance perd en compréhension, elle le gagne en extension : la portée indéfinie des lois de la nature nous est révélée. Elle gagne aussi en fécondité, car les classification acquises servent de base à de nouvelles inférences analogiques.

III. - Elle sert de base au raisonnement analogique, parce que le raisonnement analogique a pour point de départ des ressemblances déjà définies et classées. (G. Sortais).

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