|
. |
|
Histoire
des mathématiques
Les chiffres |
![]() |
Le système de notation numérique adopté de nos jours est basé sur une idée aussi simple que féconde en résultats : c'est d'attacher à chaque signe ou symbole non-seulement une valeur absolue, mais encore une valeur de position. Les chiffres adoptés (1, 2, 3, 4, 5, 0, 7, 8, 9, 0) sont communément appelés chiffres arabes; ce n'est pas qu'ils aient été empruntés tels qu'on les trace de nos jours, aux Arabes, mais c'est en souvenir du système entier de numération qu'ils ont transmis. D'autres systèmes de notations ont été en usage au cours de l'histoire. On se contentera ici de mentionner rapidement les systèmes utilisés par les Hébreux et les Grecs, puis, plus longuement les systèmes de chiffres romains et de chiffres arabes. | |||||
![]() |
Figuration
des nombres chez les Hébreux et les Grecs.
Chez les Hébreux, les nombres sont figurés par des lettres et, de deux lettres, celle de droite représente la valeur la plus élevée; les mille, dizaines et centaines de mille seront représentés par les mêmes caractères, surmontés de deux points. Voici un tableau résumé : -
Les Grecs employaient
un système analogue, mais où les chiffres les plus forts
se plaçaient à la gauche, cette fois, des plus faibles. Ainsi,
leurs symboles principaux
Cependant, les Grecs n'avaient pas de système homogène : les myriades (c'est-à-dire les dix-mille) pouvaient se noter de plusieurs façons différentes; parfois, ils utilisaient les grandes lettres avec une manière de chiffrer analogue à celle des Romains. Les lettres renfermées l'une dans l'autre figuraient une multiplication. Ainsi, par exemple : ![]() et M (myrioi) = 10.000. Chiffres romains.
Les principes de
cette numération sont la répétition, jusqu'à
quatre au plus, des unités d'un même ordre; l'addition
de tous les nombres figurés, tant que les caractères de valeur
supérieure sont placés à gauche. Par une règle
généralement adoptée aujourd'hui, on évite
la juxtaposition de quatre unités du même ordre, grâce
à un principe dit de soustraction, en plaçant
une unité de cet ordre à gauche de l'unité ou de la
demi-unité d'ordre supérieur. Abstraction faite de ce dernier
principe, que les Romains n'employaient pas
d'ailleurs toujours, mais qu'ils appliquaient parfois en lui donnant une
plus grande extension, leur numération écrite était
identique, sauf les caractères, avec celle dont les Grecs
se sont servis avant l'invention des lettres numérales (IIIe
siècle av. J.-C.), et qu'on retrouve
dans leurs inscriptions. Mais les caractères de ces inscriptions
grecques représentent, sauf pour l'unité simple, les initiales
des noms de nombre (système dit d'Hérodien).
Il en était autrement chez les Romains, malgré l'apparence
contraire pour les lettres C et M. Le véritable caractère
romain pour mille n'est en effet nullement la lettre M (qui est
en réalité l'abréviation de millia); c'est De même, dans
les anciennes inscriptions, cent est figuré Chiffres arabes.
On ignore l'époque précise à laquelle les chiffres s'introduisirent en Occident : les plus anciens rnanuscrits ou on les rencontre ne paraissent pas remonter au delà du XIe siècle. En tous cas, la forme la plus archaïque est connue sous le terme : apices de Boèce, parce qu'elle se trouve dans la Geometria attribuée à cet auteur, mais qui est l'oeuvre d'un faussaire dont l'âge, inconnu d'ailleurs, ne doit pas remonter au delà du IXe siècle. D'après le récit de cet écrivain, les neuf chiffres significatifs seraient une invention pythagoricienne, liée à celle de l'abacus. Le pseudo-Boèce
ne donne pas au reste les règles du calcul de l'abacus; on
les trouve dans les Oeuvres de Gerbert
(Liber abaci de son élève Bernelinus), mais il n'est
nullement établi que Gerbert ait jamais employé les chiffres
dits de Boèce; il paraît s'être exclusivement servi
de jetons marqués à la romaine. On ignore également
quelles sont en réalité les origines de l'abacus du Moyen
âge C'est donc au XIIe
siècle seulement que le zéro
fut réellement connu en Europe Les Grecs
de Byzance restèrent, plus longtemps que les Latins,
fidèles aux traditions antiques; leur système de numération
alphabétique était du reste infiniment supérieur à
celui des Romains. Cependant des chiffres
semblables à ceux des Arabes d'Orient apparaissent déjà
dans des manuscrits grecs mathématiques Les Latins importèrent leurs chiffres à Constantinople au XIIIe siècle et ils y restèrent à côté des formes arabes ou persanes (adoptées par Maxime Planude dans son traité du Calcul hindou, écrit vers 1300). Ce dernier titre indique l'origine véritable des chiffres, unanimement reconnue du reste par tous les auteurs orientaux. Après avoir forgé tout d'abord, à l'imitation de celui des Grecs, un système alphabétique qui s'est longtemps maintenu pour les calculs astronomiques, les Arabes apprirent à connaître la numération indienne vers la seconde moitié du VIIIe siècle et Al-Khârismi, au commencement du IXe, marque l'époque de son adoption définitive. Il est difficile
de rechercher plus haut l'origine des chiffres; il y en a aujourd'hui en
Inde
De nombreux érudits
(Waepcke, Th.-H. Martin, M. Cantor) ont soutenu la véracité
du récit de la Geometria de Boèce
et essayé de le concilier, au moyen de diverses hypothèses,
avec les autres faits relatifs à la transmission des chiffres. Ceux-ci
auraient été en réalité connus des néopythagoriciens
(sans le zéro, pour le calcul sur l'abacus), soit qu'ils les aient
inventés en empruntant partiellement des signes numéraux
à l'écriture hiératique
égyptienne, et que d'Alexandrie
ces chiffres soient passés dans l'Inde Quant à l'origine des noms singuliers qui accompagnent les apices dans les manuscrits, elle a donné lieu à de nombreuses dissertations; on a notamment voulu (Vincent) y retrouver des mots grecs et appuyer ainsi la thèse de l'origine néopythagoricienne. Quoique plusieurs des étymologies proposées soient inacceptables, il est certain que, grâce à la riche synonymie mystique des pythagoriciens pour les nombres de la décade, c'est ainsi qu'on peut encore le plus facilement expliquer la totalité de tous ces noms, quoiqu'au moins deux d'entre eux, pour 4 et 8, représentent immédiatement les racines sémitiques des noms de ces nombres. Mais de pareilles recherches sont illusoires, comme toutes les tentatives étymologiques, quand on ne possède pas les éléments suffisants; ici, il serait essentiel de retrouver tout d'abord les noms dont il s'agit sous la forme d'où ils ont été transcrits. Cette forme est certainement sémitique; elle peut d'ailleurs être arabe ou hébraïque, car il est assez probable que les Juifs ont été vecteurs plus ou moins actifs dans la transmission des chiffres. Il est d'ailleurs très possible que les noms en question ne se trouvent liés aux chiffres que d'une façon tout accidentelle. Ils peuvent ne représenter que des désignations conventionnelles d'un jargon secret soit de marchands, soit peut-être d'astrologues. J'ajouterai deux remarques indispensables : la filiation des diverses variétés de chiffres peut souvent être masquée par des anomalies peu explicables; il est certain toutefois que chaque peuple a modifié les siens en les rapprochant des caractères de son écriture. Ce fait est très visible chez les Arabes d'Orient, comme chez les Grecs byzantins, et les apices de Boèce ont certainement subi des influences de ce genre. L'invention des neuf premiers chiffres est scientifiquement un fait secondaire relativement à celle du zéro. Or si l'application de ce dernier symbole à la numération est bien due aux Indiens, il ne faut pas oublier que, dès le commencement du IIe siècle av. J.-C., dès leur adoption de la numération sexagésimale pour la division du cercle, les Grecs ('Anaphorikos d'Hypsiclès), pour remplacer les ordres manquants, ont employé le même signe dans les manuscrits ô (initiale de ouden, rien, avec une barre horizontale (remplacée ici par l'accent circonflexe) servant à distinguer les lettres employées comme signes numéraux). La division sexagésimale remonte d'ailleurs aux Babyloniens et quoique dans les très anciens monuments (table de Senkereh) qui nous l'ont révélée chez eux, aucune trace de zéro n'apparaisse, il paraît difficile qu'ils aient pu s'en passer toujours. (Paul Tannery). |
. |
|
|
||||||||
|