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L'origine
des cartes géographiques se perd dans la nuit
des âges, sans que l'on puisse en dater l'apparition, ni l'origine. S'y
essayer serait sans doute une entreprise vaine. Les cartes, qui partout
viennent en concurrence avec des récits oraux décrivant des itinéraires,
ont été inventées indépendamment en des lieux très différents et
à différentes époques. Faut-il rappeler la carte du chef polynésien
Toupata, rapportée par Forster, lors du premier voyage de Cook?
Elle était établie avec assez de précision, dit Quatrefages, dans
son ouvrage sur les Polynésiens et leurs migrations, pour qu'on
pût déterminer,
« non seulement
les groupes, mais, le plus souvent, les îles elles-mêmes ».
Plus anciennement, le
chef d'une tribu du Mississippi fit à l'un des découvreurs français
de ces contrées
« la carte
de toute la rivière, des nations qui sont dessus, et des rivières qui
se rendent dedans ». ( Mémoires
et Documents, par P. Margry, t. IV, p. 209.).
Du reste, les Indiens
de l'Amérique du Nord
ont eu, de longue date, des cartes grossières
mais suffisantes de leurs territoires de parcours. H.
Duveyrier, le célèbre voyageur au pays des Touareg,
obtint parfois que ses informateurs indigènes lui fissent, sur le sable,
des figures géographiques dont il a été à même de constater la justesse.
Les Inuit de la terre de Booth comprenaient fort bien, pouvaient même
compléter les cartes marines que leur montraient Parry
et Ross; ils avaient, d'ailleurs, des notions géographiques
assez détaillées sur leur pays. Citant l'autorité du père Acosta,
le père Clavijero dit, dans son Historia antigua de Mexico que
les Yucatèques avaient des représentations topographiques et chorographiques
pour déterminer les limites de leurs possessions, la situation de leurs
villes, la direction des côtes et le cours des rivières.
Il y a carte et
carte...
Des exemples montrant
que de nombreuses civilisations ont eu des documents comparables à nos
cartes
géographiques pourraient être multipliés à l'envi. Mais un autre caractère
de ces représentations, dans lesquelles nous voyons des cartes, doit être
souligné : leur grande hétérogénéité. Ces "cartes" peuvent avoir
des significations et des usages très différents, selon les sociétés
qui les ont produites. En particulier, plus on recule dans le passé, et
moins il est simple de dire si telle ou telle figuration peut être interprétée
véritablement comme une carte. L'espace qu'elle semble représenté est-il
réel ou seulement symbolique? Il y a souvent un mélange des deux, comme
dans cette carte de Babylone, tracée sur
une tablette d'argile datant de 600 av.
J.-C, où se superposent topographie
et vision cosmique. On retrouve une coexistence similaire du monde symbolique
et du monde concret (ou supposé tel) dans lebouclierd'Achille,
décrit dans l'Iliade ,
vers le VIIIe
siècle av. notre ère (en admettant que
ce tracé, seulement décrit par Homère, ait
jamais été réellement exécuté dans l'Antiquité ).
Il n'est pas non plus très aisé de dire parfois la différence entre
une carte et un plan, ou même un tableau figuratif. La plus ancienne carte
généralement reconnue comme telle, une peinture murale découverte en
1963
à Çatal Höyük, en Turquie, est datée
de 6200 av. J.-C.,
et relève des trois catégories : on y voit le tracés des rues de la
ville, mais aussi la figuration réaliste d'un volcan du voisinage.
On connaît aussi
des exemples dont l'interprétation semble moins problématique. Mentionnons
une carte babylonienne tracée vers 2500
av. J.-C., ou encore ce morceau de sculpture
assyrienne, malheureusement incomplet, qui représente une partie de la
ville de Suse : c'est un plan plutôt qu'une
carte; les édifices y sont figurés en élévation par des rectangles
percés de portes; des maisons ombragées de palmiers parsèment la banlieue;
un mur garni de tours défend la ville qu'enveloppent deux cours d'eau
sculptés en rubans et volutes au milieu desquels nagent des files de poissons.
Au total, bien que traitée d'une façon décorative, cette représentation
topographique, qui peut remonter au VIIe
siècle av. J.-C., est tout à fait claire
; les signes figuratifs ne diffèrent pas de ceux de nos anciennes topographies.
Un constat similaire
peut être fait en Égypte .
A côté des cartes ou plutôt des représentations
symboliques de la Terre entière, semblables à celles évoquées plus
haut, les Égyptiens ont eu des cartes d'un caractère plus positif et
plus intelligible. Lepsius et Chabas ont reproduit
en fac-similé l'un de ces documents; c'est la carte sur papyrus de la
vallée aurifère de Hammamat, entre Quenné et la mer Rouge. Les signes
figuratifs en sont assez clairs; elle porte en outre des légendes explicatives.
Ce monument vénérable, qui date de Seti Ier,
a plus de 3 000 ans d'existence. Les plans cadastraux du Papyrus de
Turin
répondent de façon encore moins ambiguë aux critères que nous demanderions
aujourd'hui à un travail de cartographie. Même chose pour le Cadastre
de Bedolina (Valcamonica), gravé sur une roche, et que l'on
date de 2400 av. J.-C. (âge de Bronze).
S'il en faut croire
J.-H. Voss, le traducteur allemand des grands poètes grecs et latins,
les Phéniciens et les Carthaginois
auraient possédé des cartes géographiques,
mais les auraient tenues secrètes, afin de n'en pas faire profiter leurs
rivaux dans le commerce du monde. Il est certain que les Phéniciens, marins
et explorateurs entreprenants, durent posséder de précieux documents
géographiques, notamment des cartes. Les notions, à cet égard, sont
enveloppées des obscurités qui couvrent l'histoire même du peuple phénicien
et l'érudition en est réduite à des conjectures.
La cartographie
grecque.
La première des
cartes
grecques
dont la notion nous soit parvenue (laissant de côté le bouclier d'Achille
mentionné précédemment) eut pour auteur Anaximandre
de Milet qui vivait au VIe
siècle av. J.-C. Hécatée,
vers 520,
aurait été le continuateur de l'oeuvre d'Anaximandre. Socrate,
s'il faut en croire les auteurs, possédait une carte qui sert de thème
à Aristophane dans sa comédie les Nuées ,
et qui peut-être aussi a été employée par Socrate pour rappeler Alcibiade
à la modestie en lui montrant que les vastes domaines dont il tirait tant
de vanité n'y figuraient pas. Ératosthène
(276-196
av. J.-C.) appliqua son grand savoir et
sa perspicacité à l'exécution d'une carte qui marque un véritable progrès
pour la géographie .
Le premier, il mesura un arc de degré et des données précises contribuèrent
à la valeur de cette carte. Trois quarts de siècle après lui, le grand
astronome Hipparque le critiqua vivement, mais
contribua, par la division de la sphère en méridiens et parallèles,
à asseoir le tracé des terres et la position des lieux. Malgré les attaques
d'Hipparque, les conclusions d'Ératosthène, abandonnées sur certains
points, furent admises d'une façon générale par tous les géographes
des temps suivants.
On place au IIe
siècle av. J.-C. la construction, par
Cratès
de Mallos (en Cilicie )
du premier globe donnant les contours de la terre habitable. Cette opinion,
émise par Strabon, est contraire à celle de
Diogène
Laërce, d'après lequel Anaximandre
aurait été le constructeur du premier globe. Quoi qu'il en soit, Cratès
indiquait des terres habitables inconnues, comme devant exister à l'opposé
des terres connues, soit dans l'hémisphère arctique, soit dans l'hémisphère
antarctique. La zone intertropicale considérée comme inhabitable était
occupée par les océans. Vers le milieu de ce siècle apparut Marin
de Tyr
qui chercha, non sans succès, à fixer des points de la carte
du monde, d'après des relations de voyageurs et des registres de bord
réunis à Alexandrie. Il paraît avoir
été un cartographe sagace, mais ses oeuvres ne nous sont connues que
par ce qu'en dit Ptolémée. Celui-ci, qui vint
peu après Marin de Tyr, profita des travaux de son devancier. Mathématicien
plutôt que géographe, il inventa d'abord deux modes de projection
qui défiguraient le moins possible la représentation des terres du globe;
puis il fit rentrer dans son cadre les renseignements de Marin de Tyr.
Ce dernier avait fait le monde connu trop allongé de l'est à l'ouest;
Ptolémée réduisit notablement cette dimension; toutefois, il tomba lui-même
dans de graves erreurs. Sa Méditerranée fut portée de vingt degrés
trop loin vers l'est et son Asie s'allongea si démesurément du même
côté, que les rivages de la Chine
se trouvèrent être approximativement à la longitude de la Californie .
Cette erreur, on le sait, fut en partie cause de la découverte
de l'Amérique .
Christophe
Colomb se proposa de "chercher l'Orient par l'Occident "; peut-être
n'eût-il pas tenté l'entreprise si l'espace à franchir par mer avait
eu sa véritable proportion sur les cartes.
L'ouvrage de Ptolémée,
écrit de 130
à 135
de notre ère, ajouta notablement aux notions fournies par Pline,
Pomponius
Mela et Strabon. Il était indubitablement
accompagné de cartes qui ne nous sont pas
parvenues. Nous savons seulement qu'au Ve
siècle, 300 ans après Ptolémée, Agathodemon
d'Alexandrie entreprit de les refaire
et il existe, à la Bibliothèque nationale, un manuscrit qui est
peut-être la reproduction des cartes d'Agathodemon. Du reste, l'oeuvre
géographique de Ptolémée a fait l'objet de nombreuses éditions accompagnées
de cartes toujours plus ou moins mises à jour pour l'époque où elles
paraissaient. Les plus célèbres de ces éditions de l'Atlas
de Ptolémée furent l'édition gravée sur cuivre à Rome en 1478,
l'édition gravée sur bois à Ulm en 1482,
celle de Sébastien Munster, publiée en 1540,
enfin celle de Mercator qui porte la date de
1578.
La cartographie
romaine.
Les Romains
enrichirent la géographie
d'éléments pratiques; ils dressaient des cartes
des pays soumis à leur domination. Properce
fait dire à Aelia -Galla, femme de Posthumus qui guerroyait en Orient
:
Cogor et
e tabula pictos ediscere mundos...
Ce qui indique l'existence
d'une représentation graphique. En 40
av. J.-C., Terentius
Varro cite une carte
murale de l'Italie
exposée dans un temple ou quelque autre lieu public. Vers la même époque,
Domitius Corbulo, qui se distingua comme militaire en Germanie, envoyait
à Rome, nous dit Pline, des rapports militaires
accompagnés de cartes. Par ordre de Jules César,
il fut entrepris une mesure complète de l'empire romain et, plus tard,
Auguste
chargea Vispianus Agrippa de dresser une carte
du monde si grande qu'elle couvrait les murs d'une galerie ou d'un portique.
Le même auteur fit construire de nombreuses cartes itinéraires
à l'une desquelles travailla, dit-on, le roi de Numidie ,
Juba
Il. Les pays soumis aux Romains
furent couverts de routes dont les mesures, exactement prises, fournirent
aux cartes géographiques de précieuses données. Ainsi se formèrent
les itinera picta (complément des itinera adnotata) qui,
d'abord réservés au gouvernement, pénétrèrent peu à peu dans le domaine
public. La célèbre carte itinéraire dite Table de Peutinger
(Tabula Peutingeriana), le seul spécimen qui nous ait été transmis
de la cartographie des Romains, appartient à cette catégorie de documents.
L'original unique en est conservé à la bibliothèque de Vienne; il n'est
lui-même que la copie faite par un moine, au XIIIe
siècle, d'un document remontant à la
période comprise entre Auguste et les fils de
Constantin.
La Table de Peutinger, qui représente l'Orbis romanus, forme,
dans son développement, une étroite et longue bande sur laquelle sont
resserrées, les unes contre les autres, les régions principales, les
provinces, les peuples, les centres de population les plus importants,
les routes avec les distances en milles ou en lieues gauloises. Elle fut
trouvée dans un monastère à la fin du XVIesiècle
et acquise par un savant d'Augsbourg ,
Conrad
Peutinger, qui lui a donné son nom. Il en a été exécuté diverses
reproductions dont l'un des plus correctes est due à Ernest Desjardins.
Ptolémée avait porté la géographie romaine
à son plus haut point. Ses travaux et ceux de Marin
de Tyr marquèrent la fin d'une période à laquelle succéda peu Ã
peu la décadence.
La cartographie
médiévale.
Les IIIe
et IVe
siècles ne produisirent en cartographie
aucune oeuvre saillante; encore moins les périodes suivantes. A ce point
de vue, les Arabes ne réalisèrent aucun progrès notable.
« Parlerons-nous,
disait en son temps Vivien de Saint-Martin, dans son Histoire de la
géographie (p. 263), des cartes jointes à quelques manuscrits, Ã
ceux de l'Istakhri, par exemple, d'Ibn-Haukal
et de l'Edrîsi? Il est impossible de rien imaginer
de plus informe. Pas de projection, pas de graduation,
rien qui ressemble à une image régulière où l'on a eu égard à la
vérité des formes, des positions et des distances. On ne comprend pas
comment les Arabes ont pu descendre à de pareilles productions, ayant
sous les yeux les cartes gravées de Ptolémée.
»
Revenant à l'Europe,
nous ne trouverons, du Ve
au VIIIe
siècle, que bien peu de cartes;
encore reflètent-elles l'état confus des connaissances géographiques
d'alors. Au IXe
siècle, avec Charlemagne
et Alfred le Grand, roi des Anglo-Saxons,
se produit une sorte de mouvement intellectuel, et la géographie en profite.
Charlemagne, en 814
dit-on, fit graver, sur de grandes planches d'argent, un plan de Rome,
un plan de Constantinople et une carte
du monde entier. Ces planches furent brisées bientôt après pour servir
à la paye des soldats de Lothaire, petit-fils
du grand empereur. Il faut arriver jusqu'au XIIIe
siècle pour que la renaissance géographique
prenne un caractère bien net. Elle coïncide tout naturellement avec un
mouvement philosophique dont Albert le Grand
et surtout Roger Bacon sont les plus hauts
promoteurs. Bacon, notamment, remit en honneur la doctrine aristotélique
de la sphéricité de la Terre
qui, pendant longtemps adoptée, avait été combattue avec énergie, dans
un but religieux, par Cosmas Indicopleustes, au
VIe
siècle ( La
cosmographie médiévale ).
C'est au XIIIe
siècle que parurent une série d'ouvrages
où les théories purement philosophiques tendaient à céder la place
aux observations exactes. A ce siècle appartiennent aussi les relations
de voyage de Plan-Carpin, d'Ascelin
et de Marco Polo, de l'Arménien Haïtoun, de Ricold
de Monte-Croce, de Juan de Monte-Corvino, etc., qui enrichirent dans une
large mesure, la carte du monde oriental. Sans parler des oeuvres arabes,
notamment de celles d'El Edrisi, on connaît environ
une douzaine de documents cartographiques dus ou attribués à cette époque.
Les plus remarquables
sont la carte anglo-saxonne de Richard de Haldingham,
dite Carte de la cathédrale de Hereford ;
puis, une carte du British Museum dont
« l'auteur
se réfère aux quatre cartes qui étaient alors regardées, en Angleterre ,
comme ayant le plus d'autorité : la carte de Robert de Melkeleia, celle
de l'abbaye de Waltham, celle de la chambre
du roi à Westminster, et la carte de Mathieu
Paris ».
La cartographie de ce
temps-là est fort rudimentaire; elle a grand-peine à se débarrasser
des conceptions fabuleuses ou légendaires pour n'enregistrer que des notions
positives; elle se compose de données de la géographie ancienne et de
la géographie arabe combinées sans contrôle, sans critique, avec les
informations recueillies par des voyageurs sans instruction.
La cartographie
à l'aube des Grandes découvertes.
L'impulsion donnée
par le XIIIe
siècle s'accentua encore dans le siècle
suivant. Bien qu'en pareille matière, la longueur du catalogue des documents
n'ait qu'une signification relative, nous dirons qu'on connaît une vingtaine
de mappemondes, cartes marines et cartes terrestres
portant ou révélant un millésime compris entre 1300
et 1400.
Les deux oeuvres les plus importantes de cette série sont la carte de
l'ensemble du monde connu, jointe par le Vénitien Marino Sanudo, en 1321,
à un mémoire écrit pour décider le pape Jean XXII à une nouvelle croisade .
Vient ensuite la célèbre carte catalane (conservée à la Bibliothèque
nationale de Paris) dont le millésime est de 1370.
Dans ces deux monuments du XIVe
siècle, la Mappemonde de Sanudo
et la carte catalane, l'imitation des cartes arabes est manifeste, et la
relation de Marco Polo a fourni les noms de l'Asie
orientale.
« Le XVe
siècle, dit encore Vivien de Saint-Martin, nous a laissé plusieurs cartes
analogues. L'une est une Mappemonde circulaire qui a, sauf les dimensions,
beaucoup d'analogie avec la Mappemonde de Sanudo : elle a été
trouvée dans la bibliothèque de la maison Borgia
[...]. Elle est du milieu du XVe siècle
(1452).
L'autre carte, postérieure de quelques années seulement, est le planisphère
peint par un religieux de l'ordre des camaldules
le célèbre Fra Mauro, sur la muraille d'une
des salles du monastère de San-Michel
de Murano, près Venise [...]. Par ses dimensions,
par la beauté de l'exécution, par la nouveauté des détails que présentent
certaines portions du tableau, l'intérieur de l'Afrique
notamment, et enfin par l'étendue et le nombre des légendes qui y sont
répandues, la carte de Fra Mauro est incontestablement le plus précieux
monument de la géographie
du Moyen âge .
Il faut remarquer, toutefois, que ni le planisphère de Fra Mauro, ni les
cartes antérieures, ne sont assujettis à aucun tracé de parallèles
et de méridiens. Ce sont de simples tableaux où la position relative
des lieux et des pays, de ceux-là surtout qui s'éloignent de la Méditerranée,
est jetée un peu au hasard et, dans une foule de cas, étrangement altérée.
En cela, du reste, ils n'en représentent que mieux l'état, encore bien
vague, des notions acquises sur les contrées extérieures. On en est revenu
à la carte d'Anaximandre. »
La carte
de Fra Mauro, cependant, marquait un notable
progrès sur les précédentes, en ce que les signes conventionnels commençaient
à prendre la proportion voulue pour une carte géographique; on n'y voyait
pas, par exemple, des fleuves larges comme des bras de mer ou des villes
de fantaisie, figurées avec leurs murailles, leurs tours, et couvrant
une immense étendue de pays, au détriment d'autres indications. Les notations
adoptées par Fra Mauro sortaient de l'image, pour se rapprocher des notations
concrètes qui ont prévalu plus tard, en raison du nombre considérable
des éléments à placer sur les cartes. Les XIIIe
et XIVe
siècles virent aussi se développer notablement
le trafic et la navigation sur la Méditerranée. Le mouvement produit
par les croisades ,
au XIIe
siècle, l'application, faite vers la
même époque, de la boussole à la direction des navires, contribuèrent
à ce développement, et les marins qui voyageaient naguère de cap en
cap, d'île en île, se familiarisaient avec la haute mer. Il leur fallut
des cartes sur lesquelles fussent marquées l'orientation des côtes, la
direction et l'emplacement des ports. De cette époque date la véritable
origine des cartes marines, et le progrès réalisé en ce sens exerça
une influence incontestable sur la valeur des cartes terrestres. La plus
ancienne carte marine qui soit restée est celle du pilote Petro Vesconte,
qui remonte à l'an 1318
et dont l'original est à la Bibliothèque de Vienne.
« A dater
de cette époque (dit toujours Vivien de Saint-Martin), d'autres cartes
semblables, qui s'échelonnent à des dates diverses dans le cours du XIVe
siècle et du siècle suivant, se sont
conservées dans les grands dépôts scientifiques de l'Europe .
Ces cartes ont été dessinées pour la plupart à Gênes, à Pise ,
à Venise, et quelques-unes dans l'île de
Majorque, centres principaux des travaux cartographiques de cette période.
»
Ces cartes
étaient construites sans graduation et appuyées seulement sur la rose
des vents; toutefois, la plupart d'entre elles sont d'une grande exactitude
:
« Pour
la première fois, l'examen de ces cartes nous met sous les yeux des oeuvres
de géographie positive. C'est déjà de la géographie moderne; moderne
par la nomenclature, moderne par l'exactitude mathématique. Sous ce rapport,
elles ont devancé de beaucoup les autres productions géographiques du
même temps [...]. Colomb, Gama,
Magellan,
- l'Amérique ,
la route de l'Inde ,
la circumnavigation du globe, - trois noms et trois faits qui ouvrent si
glorieusement l'ère nouvelle de l'histoire géographique, et posent une
démarcation profonde entre les temps anciens et les temps modernes. »
Nous voilà aux XVe
et XVIe
siècles où la cartographie, qui suit
le sillage de la géographie ,
a réalisé des progrès immenses. L'invention de l'imprimerie
est venue féconder dans une mesure inattendue, les éléments de grandeur
de cette brillante époque; il est à remarquer que, dès 1478,
c.-à -d. trente-huit ans seulement après l'invention de l'imprimerie,
une édition de la géographie de Ptolémée
fut publiée à Rome, avec des cartes gravées sur cuivre.
Les nouveaux mondes
de la cartographie.
Une carte
dont la perte est hautement regrettable, celle de Toscanelli,
dressée en 1474,
a joué un rôle important dans la découverte de l'Amérique .
Toscanelli, homme fort savant, l'avait envoyée à Christophe
Colomb qui, vers 1480,
était déjà tout préoccupé de son projet. Cette carte offrait
« l'espace
entier compris entre le couchant et le commencement des Indes ».
Toscanelli
y avait indiqué les îles et les lieux qui sont situés sur la route et
où l'on pourra s'arrêter s'il arrivait qu'à cause des vents contraires
ou de quelque autre accident il fallût chercher un asile.
« Vous
ne serez pas surpris que je nomme ici le Couchant, le pays des Épiceries,
appelé généralement parmi nous le Levant; car ceux qui continueront
à naviguer à l'ouest trouveront vers l'occident ces mêmes lieux que
ceux qui vont parterre dans la direction de l'est trouvent au Levant ».
L'erreur a parfois joué
un rôle dans la découverte de la vérité. Si la carte
de Toscanelli, confirmant les appréciations
de Colomb, n'avait mis entre notre extrême Occident
et l'extrême Orient, un intervalle de moitié moindre qu'il ne l'est,
la
découverte de l'Amérique
eût été retardée.
Christophe
Colomb et Vasco da Gama eurent de nombreux successeurs
qui contribuèrent activement à transformer la carte du globe. Cette transformation
fut rapide; les progrès successifs en sont inscrits sur une série de
mappemondes établies avec toute l'exactitude que comportaient les moyens
scientifiques de l'époque et dont quelques-unes nous sont restées. Grâce
aux conquêtes des Espagnols
et à d'audacieuses navigations, les contours presque entiers des deux
continents américains et une quantité de détails de l'intérieur furent
portés sur les cartes avant la fin du XVIe
siècle. Le tracé des côtes y est aussi
exact que le permet l'insuffisance des moyens nautiques de cette époque;
les lignes des fleuves, des montagnes sont encore bien rudimentaires; mais
il est évident que, dès lors, une ère nouvelle est ouverte à la géographie.
Les oeuvres de deux
géographes et cartographes de haut mérite, les Flamands Abraham
Ortelius et Gérard Mercator ont couronné
fin du XVIe
siècle. On avait, à diverses reprises,
publié des éditions de Ptolémée « mises
à jour »; le nom de Ptolémée était devenu une sorte de terme générique
pour désigner une géographie ou un atlas;
la part du vieux géographe, dans ces rééditions, disparaissait sous
l'apport d'éléments nouveaux. Ortelius sépara complètement l'ancienne
géographie de la géographie moderne, tout en comprenant très bien leur
liaison et leur dépendance nécessaire. Il publia deux atlas, l'un le
Theatrum
Orbis Terrarum, combinaison de tous les matériaux géographiques les
plus récents; l'autre le Theatri Orbis Terrarum Parergon (complément
au Théâtre du Monde), consacré à la géographie ancienne .
Presque en même temps que lui, Mercator, son
ami, produisait un Atlas sive Cosmographicae meditationes, etc.,
dont les cartes, soigneusement dressées, étaient
gravées avec une grande finesse. Il ne faut pas oublier qu'à cette époque
les cartographes étaient généralement leurs propres graveurs.
La cartographie
moderne.
Le XVIIe
siècle continua les découvertes du XVIe.
Une suite de navigations hollandaises permit d'inscrire sur la carte une
partie des terres polaires du Nord et aux parties australes du monde, les
premiers contours occidentaux de la « Grande Terre du Sud » qui devint
la Nouvelle-Hollande, puis l'Australie et dont les côtes orientales ne
furent découvertes qu'au siècle suivant. On vit aussi commencer, dans
des conditions vraiment scientifiques, les travaux pour la détermination
rigoureuse de la forme et des dimensions du solide terrestre. Les résultats
de ces recherches exercèrent une influence considérable sur la cartographie
en la dotant de mesures, de degrés et de positions astronomiques obtenues
avec une exactitude sans précédents.
Il faut aussi compter
comme un actif élément de progrès pour la cartographie les perfectionnements
qui s'étaient assez vite introduits dans la multiplication des cartes
par la gravure et l'impression. Le public lettré ayant promptement pris
goût aux cartes, toute une branche de commerce se forma, dont le développement
fut activé par l'émulation parmi les hommes de science et les artistes
et par la concurrence entre les éditeurs. Un certain temps fut nécessaire
pour dégager complètement les cartes de la tradition ptoléméenne, comme
des éléments fournis par la légende, le merveilleux ou la fantaisie.
Les anciennes cartes, parfois brillamment enluminées, semaient de monstres
les flots de la mer et figuraient sur les continents des animaux étranges,
des scènes de la vie sauvage, des portraits du prêtre Jean
installé sur son trône, des villes extraordinaires. Peu à peu, ces éléments,
qui occupaient de grands espaces, disparurent devant l'abondance des informations
à porter sur les cartes et, pour le même motif, les signes conventionnels
de la cartographie se simplifièrent de plus en plus. Quand les détails
géographiques devinrent abondants, les cartographes commencèrent par
répartir un peu à l'aventure, presque arbitrairement sur leurs cartes,
les indications souvent vagues, confuses, mal coordonnées, que leur fournissaient
les relations de voyage. Les fleuves, les lacs, les localités, les données
fausses, les données justes, combinées tant bien que mal avec les éléments
plus anciens, venaient indistinctement prendre place sur la superficie
d'un continent. La carte d'Afrique
peut être citée comme un exemple de ces errements, Au commencement du
XVIIIe
siècle, elle était couverte de données
hypothétiques, fausses ou mal placées et, pour n'en laisser subsister
que les traits exacts, il fallait l'effacer presque entièrement.
La cartographie flamande
d'Ortelius et de Mercator,
continuée par Hondius et par Vischer, avait
fait école pendant près d'un siècle, quand surgit en France
une école dont Nicolas Sanson d'Abbeville
(mort en 1667) fut le chef.
«
Sanson,
dit Vivien de Saint-Martin, ne manquait pas d'étude, mais ses cartes,
d'un dessin lâche et d'une assez pauvre exécution, sont loin d'avoir
la netteté de celles de Mercator. Elles sont
d'ailleurs entachées des énormes erreurs de longitude que
Ptolémée
avait léguées à ceux qui le prenaient pour guide. »
Ses fils lui succédèrent,
mais sans beaucoup améliorer son oeuvre. A l'entrée du XVIIIe
siècle,
« il fallait,
poursuit Vivien de Saint-Martin, tout reprendre en sous-oeuvre, étudier
chaque élément en lui-même et comparativement avec tous les autres,
élaguer les hypothèses, rectifier les erreurs, dégager les données
certaines, et après avoir solidement établi, comme autant d'innombrables
jalons, les positions rigoureusement dé terminées par l'observation des
astres, grouper et coordonner autour de ces points fixes les détails fournis
par les journaux de mer et les voyageurs. Cette oeuvre herculéenne, provoquée
par les astronomes, ce fut un Français qui osa l'entreprendre et qui out
la gloire de l'exécuter. La Mappemonde de Guillaume
Delisle et ses cartes particulières des quatre parties du monde, publiées
en 1700,
ramenèrent enfin pour la première fois à leur véritable place et Ã
leurs dimensions réelles les parties orientales de l'ancien continent.
Quelles que fussent les améliorations de détail que dût recevoir par
la suite la carte du Monde, - et ces améliorations étaient immenses,
- l'honneur d'en avoir opéré la réforme radicale revient à Guillaume
Delisle. »
D'Anville
est bien supérieur encore.
« Mettez,
dit avec raison Vivien de Saint-Martin, en regard la Mappemonde
de Delisle, retouchée en 1723,
et celle de d'Anville, publiée en 1761
: il semble que l'on ait sous les yeux un autre monde, tant l'aspect est
différent. L'emplacement astronomique est à peu près le même, mais
les grands contours, mais le détail! L'incontestable supériorité de
d'Anville tient, avant tout, à l'habileté de la mise en oeuvre. »
Si les cartes
de d'Anville sont de premier ordre au point de
vue de l'érudition et de la critique, elles sont, au point de vue de l'exécution
graphique, des modèles de clarté et de sobriété. Les traits en sont
bien liés, le dessin en est terme, souple et léger. Les cartographes
de notre époque et ceux de l'avenir ne sauraient trop s'inspirer de l'oeuvre
de d'Anville.
Les progrès inscrits
par Delisle et surtout par d'Anville
sur leurs cartes se sont beaucoup accélérés
depuis ces grands géographes. La seconde partie du XVIIIe
siècle
fut marquée par des voyages scientifiques qui complétèrent successivement
tous les contours des terres, ou contribuèrent à déterminer avec plus
de précision les lignes essentielles, fleuves et montagnes, de l'intérieur
des continents. Les données à inscrire dans les cartes se multiplièrent
en même temps qu'elles devinrent plus exactes, qu'elles laissèrent moins
de champ à l'indécision des cartographes.
Tandis que s'accomplissaient
ces voyages scientifiques, des recherches et des découvertes d'un autre
ordre venaient enrichir la géographie d'éléments d'exactitude qui lui
ouvrirent une voie nouvelle. Nous avons vu le XVIIIe
siècle aborder, par des procédés et des méthodes scientifiques, la
mesure des degrés terrestres.
En Angleterre ,
en Hollande ,
en Italie ,
en France ,
des opérations de cet ordre avaient été entreprises. Grâce à des découvertes
dans le champ de l'astronomie, Ã l'invention et au perfectionnement des
instruments d'observation, ces travaux avaient donné des résultats intéressants.
Ils avaient augmenté le besoin, en même temps que les moyens de précision,
en particulier ils avaient fourni des procédés pour multiplier le nombre
des déterminations de lieux en latitude et en longitude. G.
Delisle n'avait eu, pour appuyer ses cartes,
qu'une centaine de positions astronomiques, d'Anville
en réunit à peu près le double pour la rédaction de son Atlas moderne,
et, dès la fin du XVIIIe
siècle, ce nombre était notablement
augmenté. On comprend de quel intérêt est ce fait pour les cartographes
dont le travail est ainsi jalonné par des points bien établis. A ces
données vinrent s'ajouter les données de l'altitude, de la hauteur au-dessus
du niveau de la mer, obtenues par l'emploi du baromètre.
En France, Picard,
puis Dominique Cassini et Lahire
avaient commencé au XVIIe
siècle, sous les auspices de l'Académie
des sciences, la mesure de la méridienne entre Calais ,
Dunkerque et Perpignan .
Ce travail eut, entre autres conséquences, celle de donner à la France
sa véritable forme et ses vraies dimensions sur la carte. Les anciens
tracés se trouvèrent considérablement resserrés, ce qui fit dire Ã
Louis
XIV en plaisantant que Messieurs de l'Académie lui enlevaient une
partie de ses États.
Les opérations géométriques
inaugurées par le XVIIe
siècle furent continuées avec plus d'ampleur
par le XVIIIe,
qui en fit exécuter de semblables dans la région du cercle polaire et
la région de l'équateur afin de résoudre définitivement la question
de l'aplatissement de la terre près des pôles. Nous voici parvenus Ã
l'époque où la grande topographie fait son apparition; la Carte de
France à 1/86 400 dressée par Cassini de Thury
et appuyée sur une vaste triangulation du pays est la première oeuvre
de ce genre qui ait vu le jour.
Quant aux cartes
dressées au XIXe
siècle, elles surpassent infiniment tout
ce qui s'était fait jusqu'alors. Il nous suffira de nommer les cartes
de Barbié du Bocage, Bacler
d'Albe, Brué, Lapie, Beautemps-Beaupré,
Berghaus,
Reymann, Zannoni, Inghirami, etc. La Carte
topographique de la Grande-Bretagne ,
dressée par les ingénieurs militaires, sous la direction du colonel Mudge,
mérite une mention particulière. Un ouvrage peut-être supérieur encore,
est celui de la carte de France ,
rédigée par les officiers de l'état-major, et publiée par le Dépôt
de la Guerre. Cette carte est à l'échelle de 1/80 000 se composait de
259 feuilles, et constitua le plus magnifique monument topographique qui
ait jamais été fait jusque là . Cette carte d'état-major était
celle qui fut utilisée par l'Armée lors de la Première
Guerre mondiale (1914-1918).
Parmi les réalisations à cheval entre le XIXe
et le XXe
siècle, on signalera aussi la Carte
du monde au 1:1000000, décidée lors du congrès géographique international,
qui s'était tenu à Berne (Suisse )
en 1891,
et qui n'allait être qu'en partie réalisée au cours du siècle
suivant, ainsi que des atlas, tels que ceux, magnifiques, de Migeon ou
de Vidal-Lablache, où toutes les conventions
cartographiques actuelles étaient déjà présentes, et qui en se posant
comme simples livres scolaires, mettaient à la disposition de tous
de véritables oeuvres d'art.
Les progrès de l'imprimerie,
l'usage de la photographie et le recours à des relevés aériens ont encore
amélioré la qualité des cartes dans la première
moitié du XXe
siècle. Une amélioration poursuivie,
dans la seconde moitié du siècle, avec l'utilisation des satellites associée
à celle de l'informatique. Les systèmes d'information géographique (SIG
ou, en anglais, GIS) se sont imposés à partir des années 1970.
Les SIG permettent, grâce à l'ordinateur, l'analyse automatique de bases
de données géographiques (ou géoréférencées), et leur mise en rapport
avec un mode de représentation (ou de projection) déterminée. Cette
dématérialisation de la carte, qui sépare l'information géographique
de sa représentation (confondues jusque-là ) constitue certainement le
pas le plus décisif accompli par la cartographie depuis la Renaissance .
L'essor de la micro-informatique, depuis les années 1980,
et l'accès à Internet, qui s'est généralisé dans la seconde moitié
des années 1990,
et qui donne à chacun un accès libre à de nombreuses banques de données
géographiques distantes, et à leur analyse, s'inscrivent dans cette révolution
en marche, dont le dernier développement en date est la popularisation
des systèmes de positionnement par satellite (GPS, aujourd'hui,
et peut-être demain Galileo). (GE).
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