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Il n'est pas de
figure qui ait plus prêté à la fantaisie des artistes
que celle du Diable auquel ils donnent souvent
une forme quasi humaine. Son corps est généralement couvert
de poils rudes et noirs; de grandes cornes ornent son front, accompagnées
de larges oreilles pendantes. Ses pieds sont fourchus; au lieu de mains,
il a des griffes. Il a une longue queue, un museau fantastique, des yeux
effrayants.
On ne saurait dire
à quelle époque précise les peintres et les sculpteurs
ont commencé à figurer le Diable,
dont on ne connaît pas d'images remontant aux premiers temps du christianisme.
Dans les manuscrits grecs des VIIe et VIIIe
siècles,
on voit les Esprits célestes, jamais le Diable. Il se montre aux
côtés de Job dans une vignette au trait
d'une Bible
latine du IXe ou Xe
siècle : il y est nimbé, ailé, avec des ongles crochus
aux pieds. Sur le diptyque d'ivoire
qui recouvre l'Évangéliaire
de Charles le Chauve, son front est armé
de cornes; sous son bras est une espèce
de houlette, en guise de sceptre; d'une main il dirige un serpent
qui s'enroule autour de son corps, de l'autre il tient un vase d'où
s'échappe un poison noir. Dans l'Hortus deliciarum
(XIe s.), une miniature représente
le mauvais esprit sous la figure d'un oiseau. De même au XVIe
siècle.
Mais, où le rôle du Diable
devient bien plus important, c'est dans les représentations qui
figurent sur les vitraux, sur les colonnes, sur les arcades
sculptées des cathédrales .
Les
sculpteurs du XIe et du XIIe
siècle en France commencent à faire figurer le Diable sur
les chapiteaux et les tympans;
ils lui donnent les formes les plus hideuses et les plus étranges,
un corps humain grêle, décharné, plus ou moins difforme,
une chevelure ébouriffée, une bouche énorme, des mains
et des pieds volumineux, des ailes de chauve-souris,
quelquefois une queue terminée par une tête de serpent; ou
bien ils le représentent sous la forme d'un animal
fantastique, sirène, dragon,
serpent, crapaud, basilic (oiseau à queue
de serpent), singe, centaure, satyre,
loup
à queue de serpent, chien à tête
d'homme. Les artistes rivalisent de bizarrerie : les têtes
d'oiseau, de taureau, sont posées tant
bien que mal sur un corps humain. Les pieds sont empruntés aux faunes,
aux sylvains, ces ancêtres du Diable
catholique.
Le Diable joue,
en quelque sorte, le principal rôle dans la scène de la pesée
des âmes au Jugement dernier. Sur les
portails
des basiliques ,
à Notre-Dame
de Paris, saint Michel prend les âmes
et les met dans sa balance, mais le Diable s'accroche avec ses griffes
au plateau pour faire basculer l'appareil. Les artistes ont vu quelquefois
dans le Diable une véritable
trinité
du mal, et l'ont représenté avec trois visages. On a même
figuré quelquefois trois têtes au bas du corps, trois ou quatre
têtes à la poitrine, trois têtes ou trois faces au-dessus
du tronc, toutes trois surmontées de trois cornes de cerf.
A la main droite de cet étrange monarque du mal, est un sceptre
fleuronné de trois têtes monstrueuses. Du reste, à
partir du XIVe siècle, ce n'est
plus le premier art chrétien si gai, si serein; l'imagination est
obsédée de tourments, de terreurs. Le sombre symbolisme de
l'Apocalypse
se montre partout comme une sanglante menace contre le siècle méchant.
Pourtant, dès
le XIIIe siècle, une autre tendance
avait déjà commencé à s'affirmer en parallèle.
Les artistes avaient commencé à être moins préoccupés
de rendre le Diable effrayant et terrible : sa
physionomie devint ironique; il figurait dans des légendes où,
malgré ses tours et ses finesses, il jouait le rôle de dupe.
Toujours à Notre-Dame
de Paris, on voit un Diable couronné,
gras, lippu, pourvu de mamelles gonflées, et un serpent pour ceinture.
Au XVe siècle, on ne trouvera plus
dans les bas-reliefs
que des diablotins comiques, risibles à force d'être laids.
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Trinité
du mal absolu.
Miniature
française du XIe siècle.
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