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Les îles Trinidade et Martin Vaz
IIha da Trinidade, Ilhas Martin Vaz

20° 32' S, 29° 5 W
Dans l'Atlantique Sud, à peu près à l'Est de Rio de Janeiro, à  1100 km de distance, il existe un petit groupe d'îles et de rochers, qui appartiennent au Brésil, et qui ont longtemps été pour les hydrographes un sujet d'incertitude et de confusion. 

Ce groupe se compose, en premier lieu, d'une île principale située au couchant, sous une latitude moyenne de 20° 30' sud, et une longitude moyenne de 29° 19' à l'ouest du méridien de Greenwich; en second lieu, de trois îlots rangés sur une même ligne nord et sud, à cinquante kilomètres de distance au levant, une longitude commune de 28° 51' Ouest ; le grand îlot se trouve au milieu, et, par suite de la submersion constante de l'isthme qui unit entre eux les sommets rocheux d'un même îlot, les deux petits se trouvent dédoublés en apparence, et le nombre des cimes émergées est ainsi porté à un total de cinq têtes distinctes; circonstance utile à noter pour l'éclaircissement des questions de synonymie qu'offrent à résoudre les anciennes cartes.

L'île principale est appelée par les Portugais, qui l'ont découverte, a Trindade (ou ilha da Trinidade),  c'est-à-dire, en français, la Trinité (ou île de la Trinité). Les trois îlots de l'est ont conservé le nom du pilote portugais Martin Vaz, qui les découvrit.

Occupons-nous successivement de l'île et des îlots qui forment les deux parts distinctes de ce groupe.

La Trinidade.
L'île de la Trinité mesure 6,4 km dans sa plus grande longueur, du nord-ouest au sud-est; sa largeur est de 2,6 km, et sa circonférence de 18,2 km; sa superficie totale ne dépasse guère un 8 km². C'est une terre fort haute, que l'on peut apercevoir, par un temps clair, à près de 100 km de distance. Elle offre un profil très accidenté : on voit d'abord, au sud-est, une masse à arêtes droites, qui de loin ressemble à un énorme édifice, ayant à sa base une ouverture à demi elliptique qui traverse sa charpente entière, et permet d'apercevoir le jour de l'autre bord; ensuite surgit un gros cône incliné, isolé, dépouillé, haut de 360 mètres, que les Anglais ont nommé Sugar-loaf, ou Pain de sucre : au pied de ce rocher sont deux mouillages, si toutefois on peut leur donner ce nom, l'un au sud-est, l'autre au sud-ouest. A l'autre extrémité de l'île, c'est-à-dire au nord-ouest, on admire un rocher presque cylindrique, de 280 mètres de haut sur 30 seulement de diamètre, presque entièrement détaché de la masse, à pans verticaux et même un peu rentrants vers la base on dirait de loin une tour immense élevée par la main des hommes. Le sommet des montagnes est hérissé de petites pointes cylindriques déliées, qui semblent quelquefois posées comme en équilibre sur les cônes qu'elles couronnent.

La mer brise partout avec force sur le rivage, qui est couvert de roches; l'accès en est souvent impraticable, surtout du côté de l'ouest; et les raz de marée le rendent même quelquefois impossible du côté de l'est, où se trouve cependant, en tirant au nord, une anse sablonneuse avec un ruisseau d'eau douce d'un mètre de large.

Cette île n'offre aux yeux qu'un aspect rocailleux et aride; la formation en est volcanique, composée de basalte, de laves et de scories; le sable même des rivages accuse la même origine, bien que mêlé de débris de coquilles et de coraux. Le sol paraît extrêmement stérile; on n'aperçoit guère qu'une maigre verdure aux environs de l'anse du sud-est, quelques bouquets d'arbustes dans les ravins, et des arbres à tige élancée sur le sommet des mornes. 

Dans le fond des gorges, entre les montagnes, se laissent quelquefois apercevoir des chèvres, des sangliers, des chiens sauvages, restes sans doute de ceux qui purent y être autrefois importés. Les oiseaux de mer y sont nombreux.

La nature, suivant l'observation de La Pérouse n'avait pas destiné ce rocher à être habité, les hommes ni les animaux n'y pouvant trouver qu'à grand-peine leur subsistance; et il reste en effet désert; mais la trace y subsiste encore toutefois, dans l'anse du sud-est, d'un ancien établissement.

Les îles Martin Vaz.
Le groupe des îlots de Martin Vaz est formé, comme nous l'avons déjà dit, de cinq têtes rocheuses alignées du nord au sud sous le méridien moven de 28° 50' à l'ouest de Greenwich, et comprises entre les parallèles de 20° 28' et 20° 29' 10" de latitude australe; c'est-à-dire qu'elles n'atteignent, dans leur plus grande extension, à peine plus de 3 km. En mesurant leurs distances relatives au point culminant de chacune d'elles, on trouve un 850 m de l'îlot du nord (Ilha do Norte) à l'îlot principal (Ilha da Racha), et 2,4 km de ce dernier à celui du sud (Ilha do Sul) ; quant aux deux petites têtes de rocher qui sont, à proprement parler, des appendices à l'égard des îlots extrêmes, l'une est précisément au milieu de la distance entre l'îlot principal et celui du nord; l'autre à 300 mètres au sud-est de l'îlot du sud. Toutes ces distances seraient beaucoup moindres si on les mesurait seulement d'un rivage à l'autre.

Quant à l'étendue, l'îlot principal, quatre fois plus grand à lui seul que tous les autres ensemble, n'a cependant que 900 de long sur 640 m de large; son périmètre ne dépasse pas 2,6 km, y compris les sinuosités, et sa superficie totale ne saurait être évaluée à plus de 0,4 km². L'îlot du nord, dont la figure ressemble beaucoup à celle d'un têtard, a 300 mètres de long, dont moitié pour le prolongement étroit qui représente la queue, 200 mètres de largeur, à peu près 820 m de tour, et une surface de 3 hectares. L'îlot du sud, d'une forme plus ramassée, mais très découpé à sa périphérie, a environ 400 mètres de long, 200 mètres de large, un 1,5 km de circonférence, et 4 hectares de superficie. Quant aux deux petits rochers, on peut leur accorder approximativement, à chacun, 150 mètres de tour, et une quinzaine d'ares de surface.

On doit au capitaine de vaisseau Bérard une carte détaillée de ces îlots, levée sous voiles en octobre 1822, pendant la campagne de circumnavigation de la corvette la Coquille. Mais une visite effective du grand îlot a été faite, le 25 janvier 1833, par le capitaine de navire Malvillain, commandant le trois-mâts l'Aline, de Nantes, qui se rendait à l'île Maurice : nous allons transcrire ici textuellement le rapport qu'il en fit à son retour.

Les îlots de Martin-Vaz sont presque inabordables, par suite du ressac très fort et continuel qui s'y fait sentir. Les rochers, détachés les uns des autres, sont d'une hauteur et d'un escarpement presque inaccessibles, leurs bases étant rongées par des brisants qui lavent le roc et le revêtissent d'un limon glissant. On voyait une herbe légère ondoyer au-dessus de leur sommet, des myriades d'oiseaux posés sur leurs nids, et du pourpier dont la verdure contrastait avec la lave noirâtre qu'il tapissait.

Après avoir fait le tour de l'îlot le plus considérable (I. Racha), on put l'aborder; mais l'escalade du rocher était périlleuse : partout ou la pierre était dure, elle était glissante et sans aucune aspérité. A chaque instant on était obligé de se cramponner à un tuf sans consistance, qui souvent fuyait sous les pieds, ou a des touffes rares d'une herbe flétrie que les mains arrachaient sans efforts et qui les laissaient sans appui. Ce qui augmentait encore le danger de la position, c'était la chute des rochers qui roulaient en avalanches, et qui auraient infailliblement écrasé les visiteurs de dessous, s'ils n'avaient eu la précaution de marcher tous de front.

Les oiseaux habitants de ces rocs arides sont des goélettes blanches et noires, des taille-vents, des fous et des frégates. Nos visiteurs y trouvèrent aussi quatre espèces de végétaux : deux de la famille des graminées, du pourpier, et de la saxifrae ou casse-pierre; en fait d'insectes, ils ne virent qu'une grande quantité d'araignées; en coquillages, des oursins et quelques lépas. Voilà toutes les richesses animales et végétales de ces flots inhospitaliers, que l'homme n'avait jamais peut-être visités. Leurs flancs, décharnés et sillonnés par les éboulements, ne sont composés que d'une lave molle et poreuse que la vétusté décompose chaque année, et qui n'est plus que le noyau sans consistance et ramolli d'une île qui, dans des temps plus reculés, pouvait être grande et compacte. A l'exception d'une couche de terre végétale qui résulte de la fiente des oiseaux mêlée à la poussière de la lave, ces îlots, amas de scories volcaniques, ne contiennent qu'une lave noire ou grise, des piles basaltiques, et de la pouzzolane violette. 

Les découvertes de la Trinidade.
La découverte de cette île remonte certainement au commencement du XVIe siècle, et on la voit figurer depuis cette époque sur toutes les cartes nautiques, souvent même, et longtemps, en double emploi, sous les noms distincts de l'Ascension et de la Trinité, à cent lieues l'une de l'autre sur un même parallèle, et accompagnées chacune, dans l'est, d'un petit groupe de trois îlots. Comme il a été rigoureusement constaté, par des explorations répétées, qu'il n'existe dans ces parages qu'une seule île accompagnée de trois îlots dans la disposition indiquée, et que cette île et ces îlots, bien et dûment reconnus, sont ceux qui portent encore les noms de la Trinidade et de Martin Vaz, il finit par être admis que la prétendue île de l'Ascension n'était pas différente de l'île même de la Trinidade.

Or on avait cru trouver, dans le routier portugais du pilote major Alexo da Motta, une mention précise de la découverte de cette prétendue île de l'Ascension, et par conséquent de l'île de la Trinidade : il énonce en effet que l'Ascension, située par 20° de latitude sud, fut découverte par Juan de Nova en 1501; mais il est bien certain que l'Ascension découverte en 1501 par Juan de Nova n'est pas du tout par 20° de latitude, et nous savons que l'île par lui rencontrée à cette date est l'Ascension revue en 1503 par Alphonse d'Albuquerque, celle en un mot à laquelle le nom d'Ascension est demeuré invariablement attaché, et dont la latitude est seulement de 7° 55'.

Alexo da Motta avait donc, par une confusion née, à ce qu'il semble, de la simple identité des noms, attribué à l'une des deux îles une indication historique appartenant à l'autre. Devons-nous supposer qu'une confusion pareille aura été faite, et qu'une erreur analogue, mais en sens inverse, aura été commise, par le voyageur anglais John Ovington, lorsqu'il énonce que l'Ascension, au nord-ouest de Sainte-Hélène, que nous savons découverte en 1501 par Juan de Nova, l'aurait été en 1508 par Tristan da Cunha? Nous pouvons penser, du moins, que, si l'indication fournie par Ovington sur une découverte faite en 1508 d'une île de l'Ascension, par Tristan da Cunha, a quelque application possible, ce ne peut être qu'a l'égard de l'île de l'Ascension identique à celle de la Trinidade.

Le célèbre astronome anglais Edmond Halley, dans son second voyage, fait en 1700, ne dédaigna pas de prendre possession de cette île au nom de la Grande-Bretagne, et l'on assure que ses compatriotes cherchèrent à s'y fixer en effet; du moins maintenaient-ils, à raison de cette prise de possession, un droit de souveraineté contre lequel les Portugais se crurent fondés à réclamer. Ils avaient un intérêt réel à demander la restitution de l'île, dans la crainte qu'elle ne pût devenir le foyer d'un commerce interlope avec leur riche colonie du Brésil; ils la revendiquèrent donc avec insistance, et quand elle leur eut été rendue, ils s'empressèrent d'y établir un poste, que La Pérouse visita en 1785.

« Au fond de l'anse formée par la pointe du sud-est, dit le célèbre voyageur,  j'aperçus un pavillon portugais hissé au milieu d'un petit fort autour duquel il y avait cinq ou six maisons en bois. La vue de ce pavillon piqua ma curiosité : je me décidai à envoyer un canot à terre, afin de m'informer de l'évacuation et de la cession des Anglais [...]. On compta dans ce poste environ 200 hommes, dont 15 seulement en uniforme, les autres en chemise. Le commandant de l'établissement, auquel on ne peut donner le nom de colonie, puisqu'il n'y a point de culture, dit que le gouverneur de Rio de Janeiro avait fait prendre possession de l'île depuis environ un an; il ignorait ou feignit d'ignorer que les Anglais l'eussent précédemment occupée. Il prétendait que sa garnison était de 400 hommes, et son fort armé de 20 canons, tandis que nous étions certains qu'il n'y en avait pas un seul en batterie aux environs de l'établissement Il engagea l'officier français à se rembarquer, en lui disant que l'île ne fournissait rien, qu'on lui envoyait tous les six mois des vivres de Rio de Janeiro, et qu'il y avait à peine assez d'eau et de bois pour la garnison : encore fallait-il aller chercher ces deux articles fort loin dans la montagne. »
Mais ce poste, qui sans utilité réelle était une charge pour le Portugal, ne tarda pas à être abandonné; et l'île n'eut désormais plus d'habitants: quelquefois seulement elle servit de refuge aux équipages des bâtiments en détresse, et plus d'un navigateur trouva asile sur ses tristes rivages. 

Le Robinson de la Trinité.
En mars 1826 , l'amiral Gourbeyre, alors capitaine de frégate, commandant la corvette la Moselle, passant devant cette île, eut le bonheur de sauver un marin anglais délaissé depuis vingt jours sur ces bords ingrats.

« James Owen (c'est le nom de cet infortuné) embarqué sur le navire anglais le Darius, était descendu à terre avec le capitaine Bowen, et avait pénétré par son ordre dans l'intérieur de l'île pour découvrir des sangliers et des chiens sauvages; mais dans son incursion, étant tombé dans un précipice, sa chute le mit hors d'état de rejoindre le canot qui l'attendait. Cinq jours après ce funeste événement, ayant recouvré assez de force pour se traîner avec peine jusqu'au rivage, il n'aperçut ni l'embarcation ni le navire; mais il trouva son coffre et son hamac, que le capitaine, en l'abandonnant, avait cru devoir laisser, pensant sans doute qu'il n'avait pas péri. Mais pourquoi ne lui laissa-t-il pas des vivres? Pourquoi, ayant pourvu à quelques commodités, oublia-t-il ce que réclament les premiers besoins de la vie? »
Gourbeyre, passant en vue de la Trinidade, et la contournant d'assez près pour vérifier s'il n'y avait pas quelque malheureux à sauver, découvrit le soir, au moment de s'éloigner, un feu que les accidents du terrain lui avaient d'abord caché : il fit tirer un coup de canon d'avertissement, et envoya un canot; mais la mer brisant avec violence ne permit pas d'aborder, et il fallut revenir le lendemain avec des grapins, des lignes, une bouée de sauvetage et un petit radeau. Plusieurs hommes tentèrent successivement de traverser les brisants à la nage pour porter une ligne à terre : trois faillirent se noyer, et ne furent repris qu'au moment où leurs forces les abandonnaient; un quatrième, doué de plus de vigueur, fut plus heureux : il parvint, après des efforts inouïs, jusqu'au rivage. Un va-et-vient fut alors établi, le radeau conduit au pied des rochers, et le naufragé, placé sur cette frêle machine, se vit bientôt recueilli par les braves dont l'humanité et le courage méritaient un tel succès.
« Arrivé à bord de la Moselle, James Owen reçut tous les soins que réclamait son état : ses blessures furent pansées; on lui fit prendre quelque nourriture, et l'on s'empressa de lui donner des effets pris sur les approvisionnements de campagne. »
La fantomatique Sainte-Marie d'Août.
Nous avons déjà eu lieu de faire remarquer plus haut que l'Ascension, figurée sur les anciennes cartes à cent lieues dans l'ouest de la Trinidade, était simplement un double emploi, une seconde édition de cette même île de la Trinidade. De telles erreurs, tout énormes qu'elles soient, étaient autrefois assez communes; les Portugais, dans leurs routiers même les plus estimés, supposaient une distance de plus de 500 km entre la Trinidade et les îlots de Martin Vaz, et nous savons pertinemment que cette distance n'est que de 50 km! Voilà donc précisément la Trinidade transportée, sans changer de nom cette fois, sur l'emplacement où on l'inscrivait d'autre part sous le nom d'Ascension : nouvelle preuve de l'identité réelle des deux îles supposées distinctes. Cependant , le capitaine français Duponcel de la Haye, commandant en 1760 la frégate la Renommée, dans une traversée de l'Ile Maurice à Rio de Janeiro, crut reconnaître, à quatre jours d'intervalle, la Trinidade, puis l'Ascension; mais les Portugais eux-mêmes en 1784, La Pérouse en 1785, Krusenstern en 1801, constatèrent de nouveau, par une recherche expresse, que c'était une chimère.

Les mêmes routiers portugais mettaient encore à l'ouest des îlots de Martin Vaz, à 80 lieues de distance, et par conséquent à 40 lieues dans l'est de la Trinidade, une île qu'ils appelaient .Santa-Maria d'Agosto; c'était évidemment une troisième édition de la Trinidade, puisque aucune île n'existe réellement entre elle et les roches de Martin-Vas ; et les trois éditions ont cumulativement pris place sur les cartes nautiques, ou elles ont persisté pendant plus de deux siècles.

Il est vrai de dire toutefois que Santa-Maria d'Agosto, c'est-à-dire Sainte-Marie d'Août ou l'Assomption, et non Sancta-Maria d'Acosta ou da Costa, comme on l'a écrit quelquefois par erreur, se trouve figurée en certaines cartes anciennes, dans un voisinage presque immédiat des îlots de Martin Vaz, et de manière à être considérée comme faisant partie de ce groupe. 

Il est évident qu'en ce cas, ce nom s'appliquerait au plus occidental de ces îlots, celui du nord, et il n'est pas hors de propos d'annoter que, malgré la distance où ils la supposaient, les routiers portugais comptaient en effet Santa-Maria d'Agosto pour l'une des îles de Martin Vaz. On voit aussi apparaître dans les cartes anciennes le nom d'île dos Picos ou des Pics, inscrit au sud-est des mêmes îlots; c'est simplement sans doute un nom applicable à celui du sud. (D'Avezac).

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