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Francisco Suarès
ou Suarez est un jésuite ,
décoré par Paul V et Benoît
XIV, du titre de Doctor eximius, né à Grenade
en 1548, mort en 1617. Son père, avocat renommé en sa province,
l'avait envoyé à Salamanque pour suivre les cours de la Faculté
de droit; mais il fut détourné des études profanes
par les prédications de Juan Ramirez. Il entra dans le noviciat
des jésuites, à l'âge de dix-sept ans. Il enseigna
la philosophie à Ségovie, puis
la théologie
à Valladolid et, pendant huit années à Rome, où
il fut constamment traité avec grande faveur par Grégoire
XIII.
Rentré en Espaqne, il professa la
théologie morale à Alcala de Henarès, à Salamanque
et finalement (1597-1617) à Coïmbra, le Portugal
ayant été soumis à la domination espagnole. Il le
fit partout avec un immense succès. L'épitaphe de Francisco
Suarez exprime l'admiration des contemporains, en des termes qui lui attribuent
toutes les qualités réunies des principaux Pères
et docteurs de l'Eglise
:
Orbis
universi magister, Aristoteles in naturalibus scientiis, Thomas angelicus
in divinis, Hieronymus in scriptione, Ambrosius in cathedra, Augustinus
in polemicis, Athanasius in fidei explication, Bernardus in melliflua pietate,
Gregorius in tractatione Bibliorurn ac verbo.
Benoît XIV
considérait, lui et Velasquez, comme « les deux lumières
de la théologie-»;
Bossuet
le citait comme une grave autorité. L'ascétisme
de Suarès était encore plus grand que sa science : il ne
prenait jamais plus d'une once de nourriture, jeûnait trois fois
par semaine et se flagellait
avec un fouet dont les cordes étaient entremêlées de
baguettes de fer.
Les oeuvres de Francisco Suarez ont été
imprimées en divers lieux. Leur collection, publiée à
Mayence
et à Lyon (1630), comprend 23 vol. in-fol.
; elle a été rééditée et revue par l'abbé
Berton (Paris, 1859 et suiv., 26 vol. gr. in-8). Un traité De
Conciliis et variis quaestionibus, affecté à l'examen
des cas les plus étranges et les plus subtils, est resté
en manuscrit, ainsi que des dissertations sur la Logique et d'autres
écrits d'Aristote. Dans la collection
des oeuvres imprimées, les trois premiers volumes comprennent les
dissertations métaphysiques de Suarez;
elles ont joui pendant longtemps d'une autorité incontestée.
Dans les autres se trouvent son Commentaire sur la Somme de Thomas
d'Aquin. Le traité de la Grâce divine n'y tient
pas moins de trois volumes. Au mot Molina, nous
avons indiqué la doctrine de Suarez sur
le congruisme.
A l'occasion du serment imposé
par Jacques II, à ses sujets (Oath of allegiance), il fut
chargé par Paul V d'exposer la foi catholique
sur les points se rapportant à cette matière. Il composa
en conséquence une Defensio fidei catholicae et apostolicae adversus
Anglicanae sectae errores, dans laquelle il affirmait, conformément
aux prétentions de la cour de Rome, que le pape doit exercer sur
les princes chrétiens une autorité qui lui permet de casser
les jugements d'un tribunal quelconque, d'abroger les lois impies et d'interdire
une guerre injuste. Lorsqu'un prince se rend coupable d'hérésie
ou de schisme notoires, le peuple est délié de son devoir
de fidélité. Lorsqu'un prince gouverne tyranniquement, on
peut l'assassiner dans l'intérét public. Le pape félicita
Suarez sur la manière dont il s'était acquitté de
sa tâche; mais Jacques Ier fit brûler
la
Defencio par la main du bourreau. Pareille condamnation fut prononcée
par le Parlement de Paris (26 juin 1614) qui infligea, en outre, une sévère
réprimande à quatre jésuites parisiens pour s'être
livrés à l'apologie des maximes énoncées dans
le livre de Suarez.
Caractères
généraux de la philosophie de Suarez.
a) Le bon sens et
l'absence d'esprit de système. Sous ce rapport, la pensée
thomiste traditionnelle, telle que Suarez l'interprète et la développe,
peut être considérée comme l'expression de la Philosophia
perennis.
b) La prédominance
du point de vue psychologique sur celui de la métaphysique pure.
- Suarez borne ordinairement ses recherches métaphysiques aux principes
explicatifs, composants des concepts vrais, et non des choses elle-mêmes.
La beauté et la profondeur du système en souffrent un peu
: c'est la rançon de la sécurité parfaite de sa doctrine.
c) La pénétration
et la rigueur de sa critique qui réduit définitivement à
néant la valeur de tels postulats couramment admis sans preuves
suffisantes.
La doctrine de
Suarez.
Nous l'avons dit,
la doctrine philosophique de Suarez est celle de la tradition scolastique
et notamment celle de saint Thomas d'Aquin.
Les points principaux
de sa philosophie sont :
a) Tout d'abord
ceux que nous avons mentionnés plus haut comme formant le fond de
la doctrine de saint Thomas.
«
La philosophie de Suarez, écrivait le dominicain Zeferino, archevêque
de séville,, coïncide avec la philosophie scolastique, ou,
pour mieux dire, elle est la philosophie même de saint Thomas, qu'il
cite et qu'il suit à chaque page de ses oeuvres philosophiques.
Si l'on excepte les questions relatives à la distinction réelle
entre l'essence et l'existence, à la connaissance intellectuelle
du singulier, à, la manière d'expliquer le concours divin
dans l'action de la créature, à peine trouverait-on un problème
de quelque importance où il s'écarte de la doctrine du Docteur
Angélique. Dès lors, la dénomination de Suarisme,
entendue comme désignant un système philosophique différent
du Thomisme, manque absolument de fondement, si par ce nom on veut exprimer
la conception philosophique personnelle de Suarez. Car les trois ou quatre
points où il se sépare de saint Thomas, lesquels ne sont
que d'importance secondaire au point de vue purement philosophique, ne
justifient pas semblable dénomination. »
b) En dehors des points
de détail, particuliers à Suarez, qui viennent d'être
rappelés, il faut encore mentionner les suivants. Suarez admet que
la matière première dans les substances corporelle possède
par elle-même une existence propre en vertu de laquelle il ne répugnerait
pas métaphysiquement que Dieu la conservât sans la forme.
- Il considère l'intellect possible et l'intellect agent comme réellement
identiques entre eux. - D'après lui, le principe d'individuation
est constitué dans tout être corporel par l'entité
même de cet être et non par la matière. - Enfin il professe
la théorie des modes, manières d'être réelles
possédant une réalité incomplète intermédiaire
entre l'ens quo de l'école thomiste et la formalité de Duns
Scot. Cette dernière théorie est exposée aux objections
décisives, semble-t-il, qui atteignent les formalités scotistes.
Beaucoup, même parmi les plus fidèles disciples de Suarez,
l'ont abandonnée. (E.-H. Vollet/ CH. Lahr). |
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