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Richter

Jérémie Benjamin Richter est un chimiste, né en 1762 à Hirschberg en Silésie, mort en 1807, fut essayeur des mines à Breslau (Wroklow) puis attaché à la manufacture de porcelaine de Berlin. On lui doit de savantes recherches sur le palladium, le nickel, le cobalt, la glucine, etc.; mais il a surtout bien mérité de la science par la découverte de la loi des proportions des éléments chimiques, loi formulée depuis par Berzélius; ses recherches sur ce point important sont consignées dans ses Rudiments de Stoechiométrie ou Art de mesurer les éléments chimiques, 3 v. in-8, Breslau, 1792-94.
Johann-Paul-Friedrich Richter est un écrivain allemand, né à Wunsiedel, dans le Fichtelgebirge, le 21 mars 1763, mort à Bayreuth le 14 novembre 1825. Le caractère de Jean-Paul - c'est le nom familier qui lui est resté - et ses écrits, où éclate un singulier génie d'émotion, lient son nom, d'une part, à ceux des romanciers humoristes allemands, Wieland, Musoeus et Hippel, qu'il dépasse tous en certains genres, et, d'autre part, à ceux des plus grands parmi ses contemporains, les vrais classiques, dans la région desquels il s'est élevé souvent pour de courts instants; il y a dans la plupart de ses ouvrages des pages d'une verve satirique si pénétrante ou d'une tendresse idyllique si profonde que les meilleurs juges les croient assurées de vivre autant que la langue allemande. 

Issu d'une famille modeste de pasteur de campagne, Jean-Paul vécut jusqu'à l'âge de treize ans en pleine nature, au milieu des paysans; ce contact prolongé fut décisif; il créa entre son sa sensibilité et la nature une union étroite et féconde, plus intime et plus passionnée que celle dont le Werther de Goethe, ce fils de Rousseau, nous offre le pathétique exemple, et aussi prête à la joie chez Jean-Paul, à l'espérance, qu'elle est disposée, chez Goethe, à renoncer à la vie. 

Ce ne fut qu'à l'âge de treize ans que Jean-Paul fréquenta une école, celle de Schwarzenbach où son père venait d'être appelé à exercer son ministère; mais soit qu'il ne trouvât pas chez ses maîtres une tendresse de coeur en harmonie avec ses sentiments délicats, soit que le travail méthodique rebutât sa nature aimante et enthousiaste, il se replia sur lui-même et chercha dans les livres la conversation des esprits sympathiques au sien. Il s'engageait ainsi plus avant dans sa propre nature. Emprisonné désormais, pour ainsi dire, dans le monde des sensations peu variées et des expériences de sa jeunesse, il n'en sortira plus. Il le parcourra en tous sens pour en trouver l'issue, mais en vain; et, en l'étudiant à fond, il y trouvera des trésors, car la nature vivante se communique à l'humble sensibilité idyllique sincèrement aimante aussi bien qu'aux titans en qui elle s'incarne tout entière. A la nature champêtre dont son imagination est peuplée viendront se joindre, pour la diversifier et l'animer, les souvenirs des oeuvres de la littérature humoristique. 

La mémoire de Jean-Paul devint, dès ce temps, une bibliothèque ou s'emmagasinèrent d'innombrables fragments idylliques, et comiques, satiriques et humoristiques; anecdotes, mots, traits malicieux, scènes bouffonnes, idées risibles, rêves fantastiques, occupèrent, venant de partout, de la lecture, de l'observation et du multiple jeu de l'association des idées, sa vie intellectuelle; c'est ainsi qu'il enrichit son fond surtout par la lecture. 

Il vécut en esprit parmi les héros de l'humour et les railleurs sensibles. Ce sont des esprits d'aspect maladif et d'attitude affectée. Ils manquent de naturel; il faut qu'ils soient doués d'un talent puissant pour imposer leur conception particulière de la nature. Certes ils émeuvent alors profondément, car ils disent à la nature son fait, et que si elle nous prend pour dupes du jeu qu'elle joue avec nous, c'est elle-même qui est jouée. L'essence du génie humoristique est une lumière dans laquelle nous voyons l'inanité de la vie tout entière. Devant nous, elle remplit sa tâche avec la gravité imperturbable de l'enfant qui réédifie sans cesse sa maison de cartes. Notre esprit s'illumine du sourire de celui qui voit l'erreur; mais aussitôt il devient triste, car il s'est reconnu lui aussi dans cet enfant. 

Outre les écrits de Rousseau qui semble avoir été son auteur de chevet, Jean-Paul analysa les humoristes anglais; il fit aussi des extraits de toutes sortes de livres concernant les différentes sciences et prit goût à l'histoire et à la géographie, à la médecine, à la théologie, tout autant qu'aux romans. Plus tard, il transportera ses extraits dans ses romans. Il les y encadrera tant bien que mal, plus souvent mal que bien, les y accrochera, les y amoncellera, pareil à un voyageur, riche de mille objets hétéroclites, dont il fait un ameublement qui étonne; rien ne lui plait tant que ce pêle-mêle; son art, nous voulons désigner par là seulement la composition de ses oeuvres, est l'application de l'idée qu'il a professée, que la meilleure méthode esthétique, serait ce travail d'analyse, de découpage et d'assemblage d'extraits disparates. Cette idée est exposée dans sa jolie dissertation intitulée Die Taschenbibliothek des Pagenhofmeisters Aubin, où, heureusement, il n'a pas eu assez de place pour l'appliquer; et, à ce propos, il faut dire que, en général, ses ouvrages les plus courts sont aussi les meilleurs; il n'atteint la perfection classique que dans ses dissertations; il pèche partout ailleurs contre le principe de l'art qui n'est, après tout, que d'exprimer la loi de la vie, principe d'unité et d'organisation de la variété. 

Si la discipline sèche et routinière de l'école l'attrista, il ne s'épanouit pas davantage dans l'atmosphère du gymnase de Hof où nous le trouvons eu 1779. A ce moment, la mort de son père introduit la misère au foyer de sa famille. A Leipzig, où il était venu étudier la théologie, sa détresse fut extrême. Point de leçons! Il fallut donc chercher un éditeur, solliciter l'attention du public, et vivre du métier d'écrivain! La première partie des Groenlaendische Prozesse parut à Berlin en 1783-1784. Cette première tentative ne parvint pas à le tirer de l'obscurité; elle lui valut même le mépris des gens de Hof où la détresse l'avait ramené au misérable foyer de sa mère. Un ami d'Université, Adam Oerthel, lui ayant offert d'instruire ses jeunes frères, Jean-Paul accepta cette situation de précepteur; il l'occupa deux ans, jusqu'à 1789; il créa alors une petite école libre à Schwarzenbach; des amitiés vives rassérénèrent son âme et y réveillèrent l'inspiration, l'enthousiasme et la verve créatrice; enfin son roman Hesperus força l'attention, vainquit l'indifférence et révéla un talent capable d'émouvoir les coeurs les plus malveillants. 

A partir de cettee date, le pauvre maître d'école de Schwarzenbach put concevoir l'espoir de vivre de ses travaux littéraires. Il quitta ses élèves et revint auprès de sa mère. La mort la lui ayant enlevée en 1797, il s'établit à Weimar en 1798. Les beaux esprits que la sollicitude du grand-duc avait réunis ici accueillirent le nouveau venu avec une cordialité réconfortante. Un heureux mariage affermit le bonheur un peu tardif de l'excellent homme, et ce bonheur lui resta fidèle pendant vingt années, dont la plus grande partie s'écoula à Bayreuth, parmi les joies de la famille, au milieu d'amis dévoués, d'admirateurs et de protecteurs généreux. 

Jean-Paul eut ainsi les loisirs, la quiétude et l'aisance dans l'âge où le corps, jouissant de la plénitude de ses forces, seconde le génie dans tous ses ressorts, et il faut reconnaître qu'il justifia par une activité féconde, à la fois la nature de l'avoir doué d'un beau talent, et la fortune de l'avoir à la fin protégé et aidé; mais la terrible humoriste finit cependant par un de ces tours féroces dont elle est coutumière : elle enleva le fils de notre romancier en 1821; Jean-Paul traîna encore pendant quatre années une vie empoisonnée.
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La nature du risible

« A l'infiniment grand, qui éveille l'admiration, il doit être opposé un infiniment petit, qui détermine le sentiment contraire. Mais dans le monde moral, il n'y a rien de petit; car le sentiment moral, dans son activité intérieure, engendre l'estime de soi-même et des autres, son absence engendre le mépris; dans son activité extérieure, il produit l'amour, et soit absence produit la haine; or, le risible n'est pas assez important pour devenir un objet de mépris, et il n'est pas assez mauvais pour devenir un objet de haine. Il ne lui reste donc que la sphère de l'entendement, et encore, dans celle-ci, seulement la forme négative de l'entendement. Mais pour que cette forme négative éveille un sentiment, il faut qu'elle devienne saisissable pour les sens dans une action ou dans un état permanent; et pour que cela soit possible, il faut que l'action fasse connaître et en même temps contredise l'intention de l'entendement, et que l'état permanent en fasse autant à l'égard de l'opinion qui lui correspond.

Nous ne sommes pas encore au but. Bien qu'aucun objet sensible; c'est-à-dire inanimé, pris isolément, ne puisse devenir comique à moins d'être personnifié, et qu'aucun objet spirituel pris isolément, comme une pure erreur ou un simple manque d'entendement, ne puisse également le devenir, la question est précisément de savoir : par quels objets sensibles les objets spirituels (et quelle espèce d'objets spirituels) peuvent se manifester.

Une erreur par elle-même n'est pas plus comique que l'ignorance : sans cela les différents partis religieux et les différents Etats devraient toujours se trouver réciproquement ridicules. Il faut pour cela que cette erreur puisse se manifester par un effort, par une action. Ainsi cette même idolâtrie, devant laquelle nous restons sérieux quand elle se présente à nous comme une simple conception, nous paraîtra ridicule dès que nous la verrons mise en pratique. Un homme sain, qui s'imaginerait être malade, ne nous paraîtrait ridicule que par les soins dont il s'entourerait sérieusement contre son mal. L'action et l'état permanent doivent l'une et l'autre devenir des objets de connaissance immédiate, pour élever leur contradiction jusqu'à la hauteur comique. Mais jusqu'à présent nous n'avons encore qu'une erreur finie s'offrant à nos facultés de connaissance; il n'y a pas encore là d'absurdité infinie. Un homme ne peut jamais, dans un cas donné, agir que conformément à sa manière de voir. Quand Sancho, pendant toute une nuit, se tient en équilibre au-dessus d'un fossé peu profond, parce qu'il suppose qu'un abîme s'ouvre devant lui, la peine qu'il se donne est, relativement à la supposition qu'il fait, tout à fait raisonnable; il serait même véritablement et complètement insensé, s'il s'exposait à se rompre les os. Pourquoi cependant rions-nous? C'est ici le point capital : nous attribuons à son action notre propre jugement et notre manière de voir et c'est par la contradiction qui en résulte que nous engendrons l'absurdité infinie. Notre imagination qui est ici, comme pour le sublime, l'intermédiaire entre le monde intérieur et le monde extérieur, ne peut être déterminée à faire cette substitution, que si l'erreur est susceptible d'être saisie par les sens. Notre propre illusion, qui nous fait rapporter à l'action d'autrui une conception incompatible avec elle, en fait précisément ce minimum d'entendement, cette négation sensible de l'entendement, dont nous rions. Da sorte que le comique, de même que le sublime, n'est jamais dans l'objet, mais dans le sujet.

C'est pourquoi on peut se moquer d'une action, soit intérieure, soit extérieure, ou approuver cette même action, suivant que notre supposition lui est ou ne lui est pas applicable. Personne ne rit du malade en démence qui se prend lui-même pour un négociant, et prend son médecin pour son débiteur : on ne rit pas davantage du médecin qui cherche à le guérir. Dans Foote, il arrive extérieurement la même chose; mais intérieurement le malade est aussi sensé que le médecin, et nous rions quand nous voyons le négociant véritable réclamer d'un médecin le paiement de véritables marchandises, et la voleuse de ces marchandises persuader à ce médecin que le négociant est fou, et que sa créance est une idée fixe. Nous savons que cette femme ment, et l'illusion comique nous fait rattacher cette connaissance aux actions de ces deux hommes sensés.

On demandera sans doute pourquoi on ne rapporte pas cet élément du comique à toutes les erreurs et à toutes les fautes de l'entendement, non reconnues pour ce qu'elles sont. Voici la réponse : ce n'est que dans l'influence irrésistible et la rapidité de la perception qui nous entraînent, et nous précipitent dans ce jeu trompeur.

Quand, par exemple, dans les Comédiens voyageurs d'Hogarth, on rit de voir sécher des bas sur des nuages, la vue soudaine de la contradiction entre le moyen et le but détermine nécessairement en nous la croyance momentanée qu'un homme fait jouer à de véritables nuages, gros de pluie, le rôle de cordes à sécher. Pour le comédien lui-même, ce fait de sécher sur l'image massive d'un nuage n'a rien de ridicule, il en est de même pour nous au bout d'un certain temps.

L'importance de la perception dans la production du rire paraît plus grande encore à l'égard des rapprochements sans but et sans effet des choses les plus dissemblables : par exemple dans le jeu des propos interrompus ou dans le fait de sauter en lisant une colonne de journal dans une autre, le rire est causé un instant par l'illusion ou par la supposition d'un rapprochement volontaire et d'une détermination libre. Le rapprochement des choses les plus dissemblables ne ferait pas rire sans cette supposition, qui le précède à tort, comme un syllogisme de la sensibilité.

Quels sont en effet les rapprochements des choses dissemblables qui ne se rencontrent sous le ciel de la nuit : taches nébuleuses, bonnet de nuit, voie lactée, lanternes d'écuries, veilleurs, voleurs, etc.? Que dis-je? Chaque seconde de l'univers n'est-elle pas remplie du mélange des choses les plus hautes et les plus basses, et quand pourrait cesser le rire, si ce seul mélange suffisait pour le produire? C'est pour cela que les contrastes de la comparaison ne sont pas risibles par eux-mêmes, ils peuvent même souvent être très sérieux, quand je dis par exemple que devant Dieu le globe de la terre n'est qu'une pelote de neige, ou que la roue du temps est le rouet de l'éternité.

Quelquefois c'est le contraire qui se produit, et ce n'est que par la connaissance de la pensée ou de l'intention d'autrui que la perception devient réellement comique. Qu'un Hollandais, par exemple, se place dans un beau jardin près d'un mur, et, par une fenêtre qui s'y trouve pratiquée, regarde le paysage; il n'y a point de raison pour parler, comme d'un exemple de comique, de cet homme qui appuie ses bras sur le bord d'une croisée pour jouir plus commodément du paysage. Mais cet inoffensif Hollandais entre dans le domaine du comique, si on ajoute qu'ayant vu tous ses voisins jouir de maisons de campagne et de jardins d'où ils avaient au loin de belles perspectives, il fit du mieux qu'il put, et ne pouvant avoir une maison de campagne entière, il fit du moins construire un pan de mur avec une ouverture où il pût se mettre pour contempler, sans gêne et sans embarras, le paysage qui s'étendait devant lui. Pour rire de lui, en passant devant sa tête qu'il met à la fenêtre, il faut lui attribuer tout d'abord l'intention d'intercepter la perspective par un mur, et de l'ouvrir en même temps.

Ou bien, quand l'Arioste écoute d'une manière respectueuse son père qui le sermonne, l'état extérieur du père et celui du fils restent éloignés du comique, tant que l'on ne connait pas ce qui se passe dans l'intérieur du fils, et qu'on ne sait pas qu'il trace dans une comédie un caractère de père grognon, qu'il observe at, tentivement le sien comme un personnage bien trouvé, comme un miroir d'or, comme la théorie appliquée du père dramatique, et qu'en même temps il considère les traits de son visage comme un modèle mimique. C'est seulement alors que l'attribution que nous lui faisons de notre manière de voir les rend tous deux comiques, malgré le peu de comique qu'ont par eux-mêmes un père qui gronde ou un Hogarth qui dessine.

De plus, on rit moins de ce que fait Don Quichotte (car on ne prête pas sa manière de voir à la démence) que de ce qu'il dit de raisonnable en soi; mais Sancho Pança sait se rendre également comique par ses discours et par ses actions.

Pourquoi un homme porteur d'une particularité qui n'est pas comique en soi, devient-il néanmoins comique quand il est l'objet d'une imitation et d'une reproduction mimique qui ne vont pas cependant jusqu'au méconnaissable, et que, cette particularité se présente chez un autre comme un jeu et une te production?

Pourquoi au contraire, deux frères qui se ressemblent, de Ménechmes, vus à côté l'un de l'autre, ne causent-ils pas plutôt le frisson que le rire? On trouve à ce que j'ai dit plus haut la réponse à toutes ces questions.

Personne ne peut par conséquent rire de ses propres actions, si ce n'est une heure après, quand on est devenu un autre moi et que l'on peut attribuer au premier les pensées du second. L'homme peut s'estimer et se mépriser au milieu même de ses propres actions, mais il ne peut se moquer de lui-même, comme il est impossible de s'aimer et de se haïr soi-même. Je suppose qu'un homme de génie et un sot aient d'eux-mêmes-une opinion également bonne ou précisément la même opinion (ce qui suppose beaucoup d'orgueil chez l'homme de génie) et qu'ils offrent l'un et l'autre cet amour-propre à notre connaissance par les mêmes signes corporels; nous rions en ce cas du sot seulement, quoique l'orgueil et ses signes soient les mêmes d'un côté et de l'autre, parce que c'est à l'égard du sot seulement que nous pouvons faire la supposition. C'est pour la même raison que la stupidité ou le manque absolu d'entendement deviennent difficilement comiques, parce qu'ils nous rendent difficile ou même impossible cette attribution de notre manière de voir qui est nécessaire pour produire ce contraste.

C'est pour cette raison que les définitions ordinaires du risible qui ne tiennent compte que d'une simple contradiction réelle, et ne relèvent pas cette autre contradiction qui n'est qu'apparente, sont tout à fait fausses; que l'être risible ou son absence doivent avoir au moins l'apparence de la liberté; que nous ne rions que des animaux qui ont quelque peu d'intelligence, ce qui nous permet de leur attribuer une personnification anthropomorphique; que le comique augmente en proportion de l'intelligence de la personne comique, que l'homme qui sait se placer au-dessus de la vie et de ses causes se donne à lui-même la plus longue des comédies : car il peut attribuer ses motifs plus élevés à des actions plus basses, et en faire ainsi des absurdités; mais le dernier des mortels peut prendre sa revanche en attribuant à son tour la bassesse de ses motifs aux actions plus nobles du philosophe. C'est encore pour cela qu'une foule d'écrits, de notices et de feuilles savantes, et les plus lourds ballots de la librairie allemande, qui par eux-mêmes sont destinés à se traîner obscurément et tristement, prennent tout à coupleur essor à titre d'oeuvres d'art, dès qu'on leur prête des motifs plus élevés, et qu'on s'imagine par exemple qu'ils ont été écrits dans le but de plaisanter et de parodier... »
 

(J.-P. Richter, Poétique).

« J'ai appelé ma biographie Vérité et Poésie, dit Goethe, parce qu'elle s'élève, par ses hautes tendances, au-dessus d'une basse réalité ». Par esprit de contradiction, Jean-Paul a intitulé les récits de sa vie : Vérité. Comme si la vérité que renferme la vie d'un homme tel que lui pouvait être autre chose que celle de la vie d'un philistin.  Un fait de notre vie n'a aucune valeur par sa vérité, il en a par ce qu'il signifie. La vie de Jean-Paul, nous voulons parler de sa vie intellectuelle, fut en effet, par ses habitudes les plus profondes, celle d'un philistin, c.-à-d. d'un petit bourgeois de très peu de goût artistique, de beaucoup de bonne moralité chrétienne, très attentif à ses émotions, à ses impressions, les recueillant avec soin, humoriste par nature de philistin, car le philistin, quand il exprime sa pensée, incline vers le comique et la satire; il se plait à railler le sentiment dont il s'est délecté, et faisant ainsi l'esprit fort, il se croit à l'abri de la raillerie d'autrui. 

Mais Jean-Paul a du génie. On peut retrancher de ses romans les citations de toute nature, les extraits, les appendices, les post-scriptum, les compléments et les suppléments, et tout le bric-à-brac de notes et de réflexions, de lettres et de fonds de tiroir qu'il jette dans un cadre sans jointures serrées; il reste toujours, tantôt une idylle exquise, tantôt un rêve émouvant, ou bien une scène d'un comique irrésistible, une satire spirituelle, une description passionnée de la nature, une profusion de traits d'esprit et de malice, de figures pittoresques, de scènes émouvantes et de passages de maître, tant pour le fond que pour la forme, au milieu des pages ennuyeuses, où mille détails oiseux s'enchevêtrent dans d'interminables périodes trois ou quatre fois disloquées par des suspensions et des parenthèses qui se rectifient les unes les autres.

Jean-Paul a du génie. Il a surtout le génie de l'idylle. Ce génie est plus fréquent en Allemagne que partout ailleurs, surtout au XVIIIe siècle. Il y a de l'idylle dans toutes les grandes oeuvres de la poésie allemande de cette époque. Dans Jean-Paul, l'idylle tire son originalité d'une émotion et d'une imagination qui participent à la vie de la nature; mais il ne s'agit, bien entendu, que de la petite nature, si l'on peut dire ainsi, à laquelle le poète s'était uni par une communion intime; nature végétative, nature des petites gens, nature des pauvres et des souffreteux; nature des passions villageoises, des convoitises naïves, profondes, des joies simples et intenses causées par des riens. Avec une acuité de regard surprenante, Jean-Paul perçoit le jeu profond des moindres mouvements de sa sensibilité et il sait nous associer à sa vision et à son émotion, au moins par moment.

L'intensité de l'observation émue ne manque guère de provoquer l'esprit à la raillerie. Mais dans un esprit foncièrement bon comme l'était celui de Jean-Paul, la satire ne pouvait rien avoir d'amer; cependant les vices qu'il personnifie dans quelque docteur, pasteur ou instituteur, ou qu'il attaque directement dans les institutions, dans les usages et dans le caractère national ressortent avec une netteté qui les fait mépriser; JeanPaul déploie souvent dans cette oeuvre de moraliste, les ressources d'une ironie merveilleusement inventive. 

On regrette qu'il n'ait pas pu, malgré la rareté de son art, donner à l'Allemagne un seul livre bien fait. Il appartient, par son caractère, au groupe romantique plutôt qu'au groupe classique. Dans presque tous ses personnages, c'est lui qu'il peint, c'est sa nature complexe, anarchique, sentimentale et railleuse, rêveuse, extravagante ou raisonnable, et toujours profondément sincère qui se dessine et nous impatiente et force pourtant la sympathie et l'admiration, sympathie mécontente, admiration qui se reprend et s'attache à des pages, se restreint et se révolte contre les exubérances d'une imagination vraiment trop dépourvue de goût. (E. Bailly).

Ludwig Adrian Richter est un peintre et graveur allemand, né à Dresde le 28 septembre 1803, mort à Dresde le 19 juin 1884. Il était fils d'un graveur sur cuivre, Karl-August Richter. Destiné d'abord à la gravure, qu'il étudia sous son père, il manifesta bientôt des goûts artistiques, qui s'étaient développés par l'étude passionnée de dessins de Chodowiecki. En 1820, il accompagna en France, en qualité de dessinateur, le prince Narischkin et, en 1823, grâce à la générosité du marchand de tableaux Arnold, il put faire le voyage de Rome. Admis dans le groupe d'artistes allemands qui s'étaient assemblés autour de Cornelius et d'Overbeck, il travailla sous la direction du paysagiste Anton Koch et du peintre d'histoire J. Schnorr et produisit un grand nombre de peintures à l'huile sur des sujets empruntés à la nature et à la vie italiennes. 
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Richter : Mon nid est le meilleur.
« Mon nid est le meilleur », par Ludwig Richter (1869).

Rentré en Allemagne en 1826, Richter se fixa d'abord à Meissen, puis, en 1828, à Dresde où il devint professeur à l'Académie. Dès lors, il se consacra à l'illustration du pays et du peuple saxons, d'abord par la peinture, plus tard par la vignette. C'est d'ailleurs son oeuvre de dessinateur et de graveur sur bois, qui constitue son principal titre de gloire. 

Observateur pénétrant et sympathique de la nature, de l'enfance, des petites gens de la campagne et de la ville, il a prodigué son talent dans l'illustration de livres, tels que les Contes populaires de Musaeus, les Chants scolaires et populaires, le Livre des enfants et les Chants populaires de Scherer, les Hymnes pour les enfants, les Contes de Bechstein, les Veillées, etc. D'autre part, une série de compositions les plus importantes comprend l'Album de Goethe, le Chant de la cloche, le Dimanche, Notre pain quotidien, Images et vignettes, etc., mais surtout le recueil Pour la maison (1858-1861).

Ludwig Richter a, joué le rôle d'un initiateur et influencé, non seulement l'évolution artistique, mais encore l'évolu tion morale de l'Allemagne. Il a donné l'exemple de l'étude sincère de la réalité physique et humaine, de l'interprétation parfois malicieuse, plus souvent naïve, voire émue des gestes de l'enfance et des joies de la famille, enfin de la verve et de la franchise d'exécution. D'autre part, par l'inspiration, le nombre et surtout la diffusion de ses images, il s'est élevé au rang d'éducateur de la jeunesse et de guide de la famille allemandes. (Fr. Benoît).

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