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Aperçu | La jeunesse | La période wagnérienne | L'affranchissement intellectuel |
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![]() R. Berthelot ca.1900 | La période d'affranchissement intellectuel (1876 - 1881) C'est de lui-même, c'est de sa propre nature et de son propre idéal que Nietzsche, au contact de Wagner et de Schopenhauer, avait pris conscience de plus en plus distinctement. Et lorsqu'en 1876 la maladie, le détachant de son milieu et l'affranchissant pendant un an des servitudes, toujours plus pénibles pour lui, du travail professionnel, le laissa seul en présence de sa propre pensée, lorsque les fêtes de Bayreuth Ses maux de tête et ses maux d'yeux ne cessant pas de s'aggraver, il se décida en 1879 à donner sa démission de l'université de Bâle, qui lui assura, par une pension de retraite, la liberté de la vie matérielle. Alors commença pour lui l'existence solitaire, sans amis, presque toujours sans livres, qu'il mena jusqu'en 1888, demeurant en hiver dans le Midi, généralement près de Gênes ou de Nice, et en été dans la haute Engadine, généralement au village de Sils-Maria. Il passa plusieurs années entre la vie et la mort. C'est de cette époque que datent trois nouveaux ouvrages : Vermischte Meinungen und Spräche (composé de 1876 à 1878, publié en mars 1879 comme continuation à Menschliches Allzumenschliches); Der Wandrer und sein Schatten (composé en 1879, publié fin 1879 avec la date de 1880, comme nouvelle suite à Menschliches Allzumenschliches; réuni en 1886 au volume précédent pour former le t. Il de Dies Menschliches Allzumenschliches); Morgenröthe (composé en 1880 et 1881, publié en 1881). Ces ouvrages sont composés d'aphorismes et de morceaux détachés; c'était la seule manière de rendre sa pensée que lui permit sa maladie; elle convenait d'ailleurs à l'expression d'une pensée en voie de développement et qui se cherchait encore elle-même; et elle était l'image la plus exacte du travail d'un esprit qui n'avançait pas par voie de déduction logique, mais par des intuitions et par des observations morales, dont la liaison et l'unité systématiques, tout incontestables qu'elles sont, n'étaient par le produit de raisonnements rigoureux. En 1881, Nietzsche concevait enfin dans ses traits essentiels, sa philosophie définitive, et en 1882 sa santé s'améliorait, sensiblement. La « philosophie tragique » de Nietzsche avait été dirigée contre l'optimisme utilitaire et scientifique. Mais s'il considérait la nature comme une activité aveugle et fatale, dont la conscience, avec le besoin de comprendre et le désir du bonheur, n'est qu'une forme accidentelle et passagère, et si par là il s'accordait avec Schopenhauer, il doutait dès 1867 de sa métaphysique qui érige cette activité, cette « volonté », en «-chose en soi », en essence du monde, et il repoussait sa morale de renoncement pour placer au contraire le but de la vie dans la jouissance et la création artistiques et dans l'action héroïque. Si notre temps est celui du petit bourgeois qui se satisfait d'une existence médiocre, c'est aussi un âge de découragement, de fatigue, de mélancolie, et la lassitude de vivre n'était pas moins antipathique aux instincts les plus profonds de Nietzsche que la médiocrité satisfaite. Elle procède comme elle, suivant Nietzsche, d'un affaiblissement de la volonté, de l'énergie vitale; comme elle, c'est une forme de la lâcheté et lui signe de décadence. Son expression philosophique, c'est le pessimisme romantique d'un Schopenhauer et d'un Wagner. Depuis quelques années déjà, Nietzsche s'interrogeait en silence sur la valeur réelle de la personne et de l'oeuvre de Wagner. Mais à Bayreuth Autant que sa désillusion sur le compte de Wagner et sa rupture avec lui, ce qui détermina Nietzsche à combattre sans ménageaient la morale du découragement et du renoncement, ce fut la volonté de lutter contre l'influence déprimante de la maladie, qui d'année en année semblait mettre sur lui une prise plus forte. Mais cette morale du renoncement, c'est celle du christianisme Mais toutes les métaphysiques-abstraites, en opposant à la diversité et au devenir du monde sensible, tissu bigarré d'apparences illusoires, le monde « vrai », « rationnel », « intelligible », le monde des « idées », l' « unité » immuable, la « substance », le «-noumène », la « chose en soi », « le Nirvâna », ne procèdent-elles pas de la morale pessimiste du découragement? Ne placent-elles pas derrière, le monde multiple et perpétuellement changeant des phénomènes sensibles au au-delà chimérique pour y trouver la paix, le repos, le bonheur ou du moins l'éternel anéantissement, qu'on ne saurait trouver dans le monde sensible, royaume des agitations douloureuses? Toute métaphysique n'est-elle pas l'expression d'un état morbide de l'âme et du corps? Contre les tentatives des « idéalistes », des « rationalistes » pour réduire le monde sensible à une apparence illusoire, l'instinct artistique de Nietzsche se révolte, aussi bien que son courage et sa loyauté protestent contre ce qui lui semble une lâcheté hypocrite. Guerre donc à toute métaphysique comme à toute religion Ce n'est: pas seulement la religion Ce n'est pas seulement la maladie qui nous explique dans quel sens Nietzsche à cette époque dirigea ses réflexions, c'est encore I'influence d'un jeune homme, moins âge que lui de quatre ans, Paul Rée, avec lequel il passa à Sorrente l'hiver de 1876-77 et qui, sans avoir une action profonde sur le développement de son esprit, contribua à orienter sa pensée vers l'observation et l'explication psychologiques des faits moraux. Paul Rée est l'auteur de deux petits livres, Observations psychologiques (1875) et Sur l'origine des sentiments moraux (1877), rédigés, le premier avant qu'il ne connut bien Nietzsche, le second pendant l'hiver que tous deux passèrent à Sorrente. Le premier de ces ouvrages, écrit dans la manière des moralistes français du XVIIe et du XVIIIe siècle, ramène tous nos sentiments à l'égoïsme. L'intérêt que Nietzsche y prit nous fait comprendre comment il fut conduit à subir l'influence d'un Montaigne, d'un La Rochefoucauld, d'un Vauvenargues, que déjà Schopenhauer avait admirés et imités. Il leur emprunta leurs procédés d'analyse psychologique, leurs idées sur l'universalité de l'égoïsme; la forme littéraire que ces maîtres de la maxime et de l'aphorisme avaient su donner à leur pensée. C'est Rée aussi qui, sans doute, attira l'attention de Nietzsche sur les théories de l'école anglaise et spécialement de Spencer, relativement à l'origine des sentiments moraux. Il est impossible de méconnaître l'action de Spencer dans les efforts que fit Nietzsche à partir de cette époque, pour expliquer l'origine de la moralité par l'évolution biologique et sociale. La loi morale, dit-il, ne s'explique pas seulement par un affaiblissement physiologique, elle s'explique encore par l'évolution sociale qui changea en « bête de troupeau » la bête de proie primitive; et l'appauvrissement de l'énergie vitale tient en grande partie à cette transformation sociale, qui affaiblit et adoucit l'humain en diminuant les dangers auxquels il était exposé. Les ouvrages de cette époque nous révèlent des altérations également profondes dans les procédés intellectuels de Nietzsche et dans l'atmosphère morale où baigne sa pensée. Ce n'est plus un mélange de métaphysique et d'histoire littéraire ou d'histoire de l'art: ce ne sont plus des affirmations enthousiastes, encore un peu confuses et vagues. Ce sont des analyses psychologiques, c'est, l'attitude critique et satirique d'un esprit lucide et désabusé : critique impitoyable de la religion, de la métaphysique, de ce qu'on nomme communément la morale, de la foi |
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