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Lacépède

Bernard-Germain-Etienne de la Ville-sur-Illon , comte de Lacépède est un naturaliste né à Agen le 26 décembre 1756, et mort à Epinay, près de Saint-Denis, le 6 octobre 1825. Il montra de bonne heure du goût pour l'histoire naturelle qu'il étudia surtout dans Buffon, pour la musique qu'il cultiva non seulement comme exécutant, mais comme compositeur, enfin pour la physique qui le conduisit à des théories assez bizarres. Buffon l'accueillit au Jardin des plantes avec une rare bienveillance, Gluck l'encouragea dans la composition musicale; un prince allemand, dont il fit la connaissance, lui procura le brevet de colonel au service des cercles, mais il ne vit jamais son régiment; le comte de Maurepas voulut faire de lui un diplomate; il se rencontra en 1778 chez d'Alembert, avec Voltaire. Sur l'invitation de Gluck, il écrivit plusieurs opéras qui ne furent pas représentés; il composa des symphonies qui furent exécutées aux séances publiques de l'Académie des beaux-arts ou de la Société philomatique, des sonates et des sextuors; il mit en musique tout le Télémaque de Fénelon; puis, en 1785, il publia la Poétique de la musique (Paris, 2 volumes), ouvrage qui fut accueilli avec faveur par les gluckistes et lui valut une lettre flatteuse de Frédéric Il. En revanche, son Essai sur l'électricité naturelle et artificielle (Paris, 1781, 2 volumes) et sa Physique générale et particulière (Paris, 1782-1784, 2 volumes) eurent peu de succès. Buffon, dont la bienveillance envers lui ne s'était pas démentie. lui offrit la place de garde et sous-démonstrateur du cabinet du roi. Lacépède accepta cet emploi pénible et, dès 1788, publia le premier volume de son Histoire des Quadrupèdes ovipares et des Serpents, faisant suite à l'Histoire naturelle de Buffon (Paris, 1788-1789 2 volumes), souvent reimprimé, et suivi immédiatement de l'Histoire naturelle des Reptiles (Paris, 1789). Cuvier a ces ouvrages en haute estime et loue les classifications de Lacépède tout en faisant ressortir ce qu'elles ont d'artificiel.
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Le Lézard gris

« Le lézard gris paraît être le plus doux, le plus innocent, et l'un des plus utiles des lézards. Ce joli petit animal, si commun dans le pays où nous écrivons, et avec lequel tant de personnes ont joué dans leur enfance, n'a pas reçu de la nature un vêtement aussi éclatant que plusieurs autres quadrupèdes ovipares; mais elle lui a donné une parure élégante: sa petite taille est svelte, son mouvement agile, sa course si prompte, qu'il échappe à l'oeil aussi rapidement que l'oiseau qui vole. Il aime à recevoir la chaleur du soleil; ayant besoin d'une température douce, il cherche les abris; et lorsque, dans un beau jour de printemps, une lumière pure éclaire vivement un gazon en pente, ou une muraille qui augmente la chaleur en la réfléchissant, on le voit s'étendre sur ce mur, ou sur l'herbe nouvelle, avec une espèce de volupté. Il se pénètre avec délices de cette chaleur bienfaisante, il marque son plaisir par de molles ondulations de sa queue déliée; il fait briller ses yeux vifs et animés; il se précipite comme un trait pour saisir une petite proie, ou pour trouver un abri plus commode. Bien loin de s'enfuir à l'approche de l'homme, il paraît le regarder avec complaisance; mais au moindre bruit qui l'effraye, à la chute seule d'une feuille, il se roule, tombe, et demeure pendant quelque temps comme étourdi par sa chute; ou bien il s'élance, disparaît, se trouble, revient, se cache de nouveau, reparaît encore, et décrit en un instant plusieurs circuits tortueux que l'oeil a de la peine à suivre, se replie plusieurs fois sur lui-même, et se retire enfin dans quelque asile, jusqu'à ce que sa crainte soit dissipée. »
 

(Lacépède, Histoire naturelle des Reptiles).

Lacépède accepta facilement la Révolution. Successivement président de sa section, commandant de la garde nationale, député extraordinaire d'Agen à l'Assemblée constituante, administrateur du département de la Seine, député de Paris à l'Assemblée législative, il devint le 30 novembre 1791 président de cette assemblée. Plein de modération, il n'hésita pas cependant à se compromettre, à l'époque des massacres de septembre, par d'énergiques représentations qu'il fit à Danton; il dut quitter Paris, se démit de sa place au Muséum et ne rentra dans la capitale qu'après le 9 thermidor, avec le titre singulier d'élève de l'Ecole normale. Quoiqu'il ne fût pas compris dans la réorganisation du Muséum, il y rentra cependant dans une chaire créée pour lui et affectée à l'histoire naturelle des reptiles et des poissons. Il fut appelé à faire partie de l'Institut à sa création (1796) et fut l'un des premiers secrétaires de la classe des sciences. De 1798 à 1803, Lacépède publia l'Histoire naturelle des poissons (Paris, 6 volumes, souvent réimprimé comme suite à Buffon), ouvrage remarquable pour le fond et pour le style. En 1804 parut l'Histoire des Cétacés (Paris, souvent réimprimé comme suite à Buffon).

Nommé membre du Sénat après le 18 brumaire, Lacépède en devint le président en 1801, puis grand chancelier de la Légion d'honneur en 1803 et ministre d'Etat en 1809. C'est lui qui fit au Sénat le rapport sur le sénatus-consulte tendant à déférer au premier consul le titre d'empereur des Français et d'établir l'hérédité de la dignité impériale dans sa famille; c'est lui aussi qui, en 1809, fit au Sénat le rapport sur la dissolution du mariage, de l'empereur avec Joséphine. Il harangua plusieurs fois l'empereur, et on lui reproche une adulation trop servile à l'égard du maître; en revanche, au milieu de ses flatteries, l'amour de la paix et les exhortations indirectes à l'obtenir percent toujours. Comme grand chancelier de la Légion d'honneur, il rendit de grands services; c'est lui qui organisa les maisons d'Ecouen, de Saint-Denis, de la rue Barbette et des Loges, destinées à donner l'éducation gratuite aux filles des membres de la Légion d'honneur; il secourut de sa propre bourse nombre de légionnaires pauvres ou de veuves tombées dans la misère, en laissant croire que ses bienfaits et les pensions qu'il payait provenaient de fonds publics qui avaient cette destination. Il finit du reste par se ruiner et même par s'endetter; Napoléon lui assigna alors 40,000 F d'honoraires et lui fit accepter l'arriéré; les pauvres n'y perdirent pas.
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La Dorade

« Plusieurs poissons présentent un vêtement plus magnifique que la dorade, aucun n'a reçu de parure plus élégante. Elle ne réfléchit pas l'éclat éblouissant de l'or et de la pourpre; mais elle brille de la douce clarté de l'argent et de l'azur. Le bleu céleste de son dos se fond avec d'autant plus de grâce dans les reflets argentins qui se jouent sur presque toute sa surface, que ces deux belles nuances sont relevées par le noir de la nageoire du dos, par celui de la nageoire de la queue, par les teintes foncées ou grises des autres nageoires, et par des raies longitudinales brunes qui s'étendent comme autant d'ornements de bon goût sur le corps argenté du poisson. Un croissant d'or forme une sorte de sourcil marqué au-dessus de chaque oeil; une tache d'un noir luisant contraste, sur la queue et sur l'opercule, avec l'argent des écailles; et une troisième tache d'un beau rouge, se montrant de chaque côté au-dessus de la pectorale, et mêlant le ton et la vivacité du rubis à l'heureux mélange du bleu et du banc éclatant, termine la réunion des couleurs les plus simples, et en même temps les mieux ménagées et les plus riches. »
 

(Lacépède, Histoire naturelle des Poissons).

Après l'abdication de Fontainebleau, Lacépède fut privé de la grande chancellerie, mais obtint de Louis XVIII une place à la Chambre des pairs. Pendant les Cent-Jours, il redevint grand chancelier et membre de la Chambre des pairs nommée par l'empereur. Il tomba en disgrâce après la seconde Restauration, mais rentra en 1819 à la Chambre des pairs et dès lors se montra dévoué aux principes constitutionnels. 

Outre les ouvrages déjà cités de Lacépède, mentionnons : Éloge historique de Daubenton (Paris, 1799); Notice historique sur la vie et les ouvrages de Dolomieu (Paris, 1802); Histoire générale, physique et civile de l'Europe depuis les dernières années du Ve siècle jusque vers le milieu du XVIIIe (Paris, 1826, 18 volumes, publiée après sa mort); Histoire naturelle de l'homme, précédée de l'Éloge historique de l'auteur par Cuvier (Paris, 1827, 1840); les Ages de la nature et l'histoire de l'espèce humaine (Paris, 1830, 2 volumes); nombreux articles dans Mémoires de l'Institut, Annales du Muséum, Mémoire du Muséum, Magasin encylopédique, Dictionnaire des sciences naturelles (article Homme), etc. Les Oeuvres d'histoire naturelle de Lacépède ont été réunies par Desmarets (Paris, 1826 et années suivantes, 11 volumes. in-8; rééditions de 1830 à 1840). (Dr L. Hn).
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Eloge de Lacépède par Georges Cuvier

«...M. de Lacépède conduisait des affaires si multipliées avec une facilité qui étonnait les plus habiles. Une ou deux heures
par jour lui suffisaient pour tout décider, et en pleine connaissance de cause. Cette rapidité surprenait le chef du gouvernement lui-même [Napoléon], cependant assez célèbre aussi dans ce genre. Un jour il lui demanda son secret. M. de Lacépède répondit en riant : « C'est que j'emploie la méthode des naturalistes » : mot qui, sous l'apparence d'une plaisanterie, a plus de vérité qu'on ne le croirait. Des matières bien classées sont bien près d'être approfondies; et la méthode des naturalistes n'est autre chose que l'habitude de distribuer dès le premier coup d'oeil toutes les parties d'un sujet jusqu'aux plus petits détails, selon leurs rapports essentiels.

Une chose qui devait encore plus frapper un maître que l'on n'y avait pas accoutumé, c'était l'extrême désintéressement de M. de Lacépède. Il n'avait voulu d'abord accepter aucun salaire; mais, comme sa bienfaisance allait de pair avec son désintéressement, il vit bientôt son patrimoine se fondre, et une masse de dettes se former, qui aurait pu excéder ses facultés; et ce fut alors que le chef du gouvernement le contraignit de recevoir un traitement, et même l'arriéré. Le seul avantage qui en résulta pour lui fut de pouvoir étendre ses libéralités. Il se croyait comptable envers le public de tout ce qu'il en recevait, et dans ce compte c'était toujours contre lui-même que portaient les erreurs de calcul. Chaque jour il avait occasion de voir des légionnaires pauvres, des veuves laissées sans moyens d'existence. Son ingénieuse charité les devinait même avant toute demande. Souvent il leur laissait croire que ses bienfaits venaient de fonds publics qui avaient cette destination. Lorsque l'erreur n'eût pas été possible, il trouvait moyen de cacher la main qui donnait. Un fonctionnaire d'un ordre supérieur, placé à sa recommandation, ayant été ruiné par de fausses spéculations, et obligé d'abandonner sa famille, M. de Lacépède fit tenir régulièrement à sa femme 500 francs par mois, jusqu'à ce que son fils fût assez âgé pour obtenir une place, et cette dame a toujours cru qu'elle recevait cet argent de son mari. Ce n'est que par l'homme de confiance employé à cette bonne oeuvre, que l'on en a appris le secret.

Un de ses employés dépérissait à vue d'oeil; il soupçonne que le mal vient de quelque chagrin, et il charge son médecin d'on découvrir le sujet : il apprend que ce jeune homme
éprouva un embarras d'argent insurmontable, et aussitôt il lui envoie 10,000 francs. L'employé accourt, les larmes dans yeux, et le prie de lui fixer les termes du remboursement. "Mon ami, je ne prête jamais",  fut la seule réponse qu'il put obtenir.

Je n'ai pas besoin de dire qu'avec de tels sentiments il n'était accessible à rien d'étranger à ses devoirs. Le chef du gouvernement l'avait chargé, à Paris, d'une négociation im portante, à laquelle le favori trop fameux [Manuel Godoy] d'un roi voisin prenait un grand intérêt. Cet homme, pour l'essayer en quelque sorte, lui envoya en présent de riches productions minérales, et entre autres une pépite d'or, venue récemment du Pérou, et de la plus grande beauté. M. de Lacépède s'empressa de le remercier, mais au nom du muséum d'histoire naturelle, où il avait pensé, disait-il, que s'adressaient ces marques de la générosité du donateur. On ne fit point de seconde tentative.

Ce qui rendait ce désintéressement conciliable avec sa grande libéralité, c'est qu'il n'avait pas de besoins personnels. Hors de ce que la représentation de ses places exigeait, il ne faisait aucune dépense. Il ne possédait qu'un habit à la fois, et on le taillait dans la même pièce de drap tant qu'elle durait. Il mettait cet habit en se levant, et ne faisait jamais deux toilettes. Dans sa dernière maladie même il n'a pas eu d'autre vêtement. Sa nourriture n'était pas moins simple que sa mise. Depuis l'âge de dix-sept ans il n'avait pas bu de vin; un seul repas et assez léger lui suffisait. Mais ce qu'il avait de plus surprenant, c'était son peu de sommeil : il ne dormait que deux ou trois heures : le reste de la nuit était employé à composer. Sa mémoire retenait fidèlement toutes les phrases, tous les mots; ils étaient comme écrits dans son cerveau, et vers le matin il les dictait à un secrétaire. Il nous a assuré qu'il pouvait retenir ainsi des volumes entiers y changer dans sa tête ce qu'il jugeait à propos, et se souvenir du texte ainsi corrigé, tout aussi exactement que du texte primitif. C'est ainsi que le jour il était libre pour les affaires et pour les devoirs de ses places ou de la société, et surtout pour se livrer à ses affections de famille, car une vie extérieure si éclatante n'était rien pour lui auprès du bonheur domestique. C'est dans son intérieur qu'il cherchait le dédommagement de ses fatigues; mais c'est là aussi qu'il trouva les peines les plus cruelles. Sa femme, qu'il adorait, passa les dix-huit derniers mois de sa vie dans des souffrances non interrompues; il ne quitta pas le côté de son lit, la consolant, la soignant jusqu'au dernier moment : il a écrit auprès d'elle une partie de son histoire des poissons, et sa douleur s'exhale en plusieurs endroits de cet ouvrage dans les termes les plus touchants.

Un fils qu'elle avait d'un premier mariage, et que M. de Lacépède avait adopté; une belle fille, pleine de talents et de grâces, formaient encore pour lui une société douce : cette jeune femme périt d'une mort subite. Au milieu de ces nouvelles douleurs M. de Lacépède fut frappé de la petite vérole, dont une longue expérience lui avait fait croire qu'il était exempt. Dans cette dernière maladie, presque la seule qu'il ait eue pendant une vie de soixante-dix ans, il a montré mieux que jamais combien cette douceur, cette politesse inaltérable qui le caractérisaient, tenaient essentiellement à sa nature.

Rien ne changea dans ses habitudes; ni ses vêtements, ni l'heure de son lever ou de son coucher; pas un mot ne lui échappa qui pût laisser apercevoir à ceux qui l'entouraient un danger qu'il connut cependant dès le premier moment. « Je vais rejoindre Buffon », dit-il; mais il ne le dit qu'à son médecin. C'est à ses funérailles surtout, dans ce concours de malheureux qui venaient pleurer sur sa tombe, que l'on put apprendre à quel degré il portait sa bienfaisance; on l'apprendra encore mieux, lorsqu'on saura qu'après avoir occupé des places si éminentes, après avoir joui pendant dix ans de la faveur de l'arbitre de l'Europe, il ne laissa pas à beaucoup près une fortune aussi considérable que celle qu'il avait héritée de ses pères. »
 

(G. Cuvier, Eloge historique de Lacépède, fin).
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