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Les Goliards
On a appelé Goliards, Bachants ou Bacchants (de vagantes?), des vagabonds du Moyen âge, originairement des écoliers pauvres voyageant pour apprendre, ou des maîtres non moins pauvres, colportant pour vivre un misérable enseignement. Ils allaient souvent par groupes, par bandes nombreuses et bruyantes, causant force désordres, dans les campagnes surtout, car on les chassait volontiers des villes. Le mot goliard apparaît à la fois dans les textes latins et dans les textes en langue vulgaire, vers 1220, pour désigner ces clercs vagabonds, indociles, burlesques, de mauvaises moeurs et de libres propos, qui étaient en quelque sorte les jongleurs de la société ecclésiastique en France, en Angleterre, en Italie et en Allemagne, où Luther les malmènera pour leur grossièreté et leur ignorance. Gérald de Barri cite, en son Speculum ecclesiae, plusieurs pièces profanes, en vers latins rythmiques, qu'il attribue à un certain évêque Golias, éponyme des gens qu'on appelle « goliards ». 
« Ce Golias, dit-il, si fameux de nos jours, était un parasite; il aurait été mieux nommé Gulias, car il était adonné à la goinfrerie (gula) et à la crapule. » 
L'étymologie à peu près ainsi rapportée par Gérald a fait fortune, et cela est naturel, car la poésie goliardique est en très grande partie une poésie d'ivrognes et de forts en gueule. Il est cependant certain que, malgré l'apparence, il n'y a aucun rapprochement à établir entre Golias et gula. « Golias » n'est autre chose que la forme ordinaire du nom propre Goliath en latin du Moyen âge. Mais il n'y a pas de Goliath dans les listes épiscopales du XIIe ou du XIIIe siècle; l'episcopus Golias est un évêque de fantaisie. On a donné au XIXe siècle une explication satisfaisante de ce mystérieux pseudonyme. Nous avons, sous le nom de Golias, plusieurs pièces, dont quelques-unes sont très belles, la Confessio Galiae, par exemple; d'autres sont attribuées à tel ou tel « disciple de Golias ». Les plus anciennes de ces pièces, d'un style uniforme, ont des caractères communs : d'une part, ce sont évidemment des chansons de clercs écoliers, et de clercs écoliers de Paris; d'autre part, elles sont animées d'un violent esprit d'opposition à la cour de Rome et à l'Eglise établie; elles sont anticléricales, antipapistes. Or, depuis quelle époque l'opposition au papisme s'est-elle surtout accentuée parmi les écoliers de Paris? Depuis le temps des débats passionnés entre Abélard, le maître populaire , et saint Bernard, l'homme du pape. Cela posé, n'est-il pas remarquable que saint Bernard, dans une lettre fameuse à Innocent II, ait comparé l'orgueilleux Abélard, cuirassé de sa brillante dialectique, au Philistin des livres saints ? : 
« Il s'avance, le nouveau Goliath, précédé de son écuyer, Arnaud de Brescia... » 
Il est, dès lors, séduisant de croire que les disciples enthousiastes du grand dialecticien se sont parés, comme d'un titre d'honneur, de l'injurieuse comparaison du polémiste pontifical. Ils auront ramassé le nom de « goliards » comme les insurgés des Pays-Bas, au XIVe siècle, ont ramassé celui de « gueux ». Plus tard, le souvenir d'Abélard s'étant effacé, le nom de « goliard » subsista avec le sens vague de «-mécontent » et d'« irrégulier », et l'on commença à parler d'un certain « évêque Golias », père et modèle des goliards. Ce soi-disant prélat fut bientôt affublé d'une légende gaillarde, car ceux qui, sous les règnes de Philippe-Auguste et de Louis IX, se disaient de la « famille » de Golias, n'étaient plus des écoliers hardis et frondeurs : c'étaient des chanteurs ambulants, des clercs marrons.

Les goliards, contempteurs ou bouffons de la société cléricale, fils d'Abélard ou du crapuleux Golias, n'ont jamais été en odeur de sainteté. Ils ont été généralement méprisés et persécutés quelquefois. Cette circonstance a persuadé un grand nombre d'auteurs modernes que les goliards formaient, au XIIe et au XIIIe siècle, une sorte de confrérie secrète, hétérodoxe et sacrilège; on a été jusqu'à prétendre qu'il existe encore aujourd'hui une corporation de « goliards » dans le monde des vagabonds et des Tsiganes. Mais cette thèse n'a jamais reposé sur rien de concret; nous avons, au contraire, de fortes raisons de penser que les goliards n'ont jamais formé de compagnie ni, à plus forte raison, de secte. Libres chanteurs, qui gagnaient leur vie en amusant le désoeuvrement des abbés et des prélats, il ne paraît même pas qu'ils aient éprouvé de sentiments confraternels à l'égard les uns des autres. 

La littérature goliardique, presque tout entière anonyme ou pseudonyme, est considérable; des clercs allemands et italiens ont grandement contribué, pendant la seconde moitié du XIIe siècle, à l'enrichir. Elle est très variée; à côté de satires virulentes contre l'Église et contre Rome, on y trouve des chansons à boire, des chansons d'amour, des badinages de circonstance, des contes lascifs, des apologues, des exhortations morales. Il n'est presque pas de thème banal, familier aux jongleurs laïques, qui n'ait été employé et orné de grâces latines par les goliards, vrais jongleurs du monde clérical. (L.).



En bibliothèque. - Les textes de la poésie goliardique ont été, pour la plupart, publiés dans les recueils de Flavius (Varia doctorum piorumque virorum de corrupto Ecelesiae statu poemata; Bâle, 1556); d'Edélestand du Méril, Poésies populaires latines du Moyen âge; Paris, 1847, in-8, et Poésies inédites du Moyen âge; Paris, 1854, in-8); de Th. Wright (The Latin Poems commonly attributed to Walter Mapes; Londres, 1844, in-4), et de Schmeller, l'éditeur du fameux manuscrit goliardique de Benedictbeuren en Bavière (Carmina Burana; Stuttgart, 1847, in-8). Wattenbach a dressé un précieux répertoire de toutes les poésies latines profanes en vers latins rythmiques, qui ont été imprimées çà et là depuis le XVe siècle jusqu'à l'année 1872 (Zeitschrift für deutsches Alterthum, XV, pp. 471-506); ce répertoire serait aujourd'hui aisément augmenté d'un tiers, tant est grand le nombre des pièces goliardiques qui ont vu le jour, dans les revues d'érudition ou à part, depuis 1872, par les soins de Novati, Hagen, Klemming, Hauréau, Delisle, Kingstord, etc. Les chansons goliardiques, totalement oubliées en France, sont restées longtemps populaires (surtout les Potatoria et les Amatoria) dans les universités allemandes; on les rééditait encore à la fin du XIXe siècle à l'usage des étudiants (Carmina clericorum. Studentenlieder des Mittelalters, edidit Domus quaedam vetus; Heilbronn, 1877). 
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