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Ghiberti

Lorenzo Ghiberti est un orfèvre, architecte, sculpteur et peintre né à Florence en 1378, mort en 1455. Son père, Cione di ser Bonaccorso, mourut jeune, et le second mari de sa mère, l'orfèvre Bartoluccio, fut chargé de son éducation. Il s'en acquitta si bien que son beau-fils, le considérant comme son véritable père, garda, jusqu'à l'âge de soixante ans, le nom de Lorenzo di Bartolo; ce ne fut qu'alors, et pour pouvoir briguer des fonctions publiques, qu'il reprit son véritable nom de Lorenzo di Cione.

La grande oeuvre qui résume pour la postérité la vie de Ghiberti, ce sont les deux portes de bronze du Baptistère de Florence. L'histoire en est intéressante, et Ghiberti lui-même l'a racontée en des souvenirs ou Commentaires qu'il rédigea pendant ses dernières années. En 1401, la Seigneurie et le Tribunal des marchands de Florence ayant décidé d'orner le Baptistère d'une nouvelle porte de bronze, analogue à l'unique porte alors en place, qu'avait fondue Andrea Pisano, ouvrirent un concours entre tous les artistes pour l'exécution, aux frais de l'État, d'un bas-relief proportionné à ceux de la vieille porte. Le sujet choisi était le Sacrifice d'Abraham. Parmi les sept concurrents, il y avait l'illustre Siennois Jacopo della Quercia, Niccolo di Piero Lamberti d'Arezzo, Simone dei Bronzi de Colle di Val d'Elsa, et Filippo Brunelleschi. Le délai d'une année expiré, les juges ne gardèrent que les bas-reliefs de Brunelleschi et de Ghiberti, et Brunelleschi se retira de lui-même devant son rival. Les deux bronzes sont maintenant exposés au Musée national de Florence. On reconnaît, à première vue, la grande supériorité de l'oeuvre de Ghiberti, la perfection du nu et des draperies, l'élégant agencement de la composition. A l'unanimité Ghiberti fut déclaré vainqueur du concours. Le 23 novembre 1403, il signait le contrat par lequel il s'engageait, à partir du 1er décembre, à travailler sans interruption à la porte du Baptistère jusqu'à son entier achèvement; il devait livrer trois bas-reliefs par an. Cette clause ne fut pas observée; et quatre ans plus tard, en 1407, on renouvelait le traité, obligeant cette fois le sculpteur à continuer son travail à l'exclusion de tout autre, moyennant un salaire de 200 florins par an. Après vingt et une années, en 1424, la porte fut terminée et mise en place; elle pesait 34 000 livres, et avait coûté 16 204 florins. Les vingt-huit compartiments dont elle est décorée, d'encadrement pareil à ceux du Pisano, sont tous consacrés aux récits du Nouveau Testament : les huit premiers (en commençant par le bas) représentent les Évangélistes et les Docteurs de l'Église; les vingt autres, la Vie du Christ. Voici l'énumération de ces vingt sujets :

1 ° l'Annonciation

2° la Nativité; 

3° l'Adoration des Mages; 

4° Jésus parmi les Docteurs; 

5° le Baptême du Christ; 

6° le Christ tenté par Satan;

7° le Christ chassant les marchands du Temple;

 8° le Christ apaisant la Tempête; 

9° la Transfiguration

10° la Résurrection de Lazare;

11° l'Entrée à Jérusalem;

12° la Cène

13° le Christ au mont des Oliviers;

14° le Baiser de Judas; 

15° la Flagellation;

16° Pilate se lavant les mains;

17° la Montée au Calvaire;

18° Jésus en Croix;

19° la Résurrection;

 20° la Pentecôte

Tous ces sujets sont traités sobrement et selon la tradition gothique, mais avec une élégance et une souplesse extrêmes; seules les figures des Docteurs et des Évangélistes laissent paraître quelque gêne dans leur attitudes maniérées. Tous les compartiments sont encadrés de cordons de feuillages et de fleurs, d'où ressortent, à chaque angle, des têtes viriles du plus gracieux effet. Enfin, sur les montants des portes, se déroule une longue frise de bouquets de fleurs et d'épis, de feuillages, de fruits, où des oiseaux se jouent et picorent; le tout étudié avec une précision minutieuse, un sens consommé de la nature.

Pendant la longue durée de ce travail, et malgré les clauses rigoureuses de son contrat, Ghiberti n'avait pas laissé que de produire nombre d'oeuvres intéressantes. Architecte, il s'était présenté en même temps que Brunelleschi aux divers concours pour la construction de la coupole du Dôme; il avait été nommé architecte en chef de la fabrique du Dôme, obligé à une séance d'une heure chaque jour; il s'était encore occupé de la façade, et, en 1436, avait dessiné un nouveau projet pour la lanterne du Dôme, bien inutilement d'ailleurs, car le génie de Brunelleschi devait triompher de tous les obstacles. Sculpteur, il avait fondu en bronze, pour l'oratoire d'Or San Michele, les statues de Saint Jean-Baptiste, de Saint Mathieu, de Saint Etienne et de Saint Jacques, oeuvres distinguées mais froides auprès des vivantes créations de Donatello; il avait également dessiné des dalles funéraires. Orfèvre, il avait ciselé, en 1419, une mitre d'or pour le pape Martin V, sans parler d'un grand nombre d'autres travaux de moindre importance.

Ce fut le 24 avril 1425 que lui fut confiée l'exécution de la troisième porte du Baptistère, celle qui regarde la façade du Dôme. Il devait y représenter les épisodes de l'Ancien Testament, selon les indications de l'humaniste Leonardo Bruni. Ces épisodes, il les groupa en dix compartiments, en allant de haut en bas (à la différence de la porte précédente, où la série se suit de bas en haut) : 
 

1° l'Histoire d'Adam et d'Eve;

2° l'Histoire de Caïn et d'Abel

3° l'Histoire de Noé

4° l'Histoire d'Abraham

5° l'Histoire d'Isaac et de Jacob;

6° l'Histoire de Joseph

7° l'Histoire de Moïse;

 8° l'Histoire de Josué;

 9° l'Histoire de David

10° l'Histoire de Salomon

Ces bas-reliefs sont de véritables tableaux, dont certains réunissent près de cent figures, en des paysages délicats ou en de nobles architectures inspirées de l'Antiquité.
« J'ai représenté, nous dit Ghiberti, tous les édifices, tels que dans leurs proportions ils paraissaient à la vue, et avec une telle vérité d'apparence, qu'en s'éloignant d'eux ils nous paraissent détachés sur le fond. Ils ont très peu de relief, et, comme dans la nature, les figures plus rapprochées de la vue paraissent plus grandes que celles qui sont éloignées.-» 
Il y aurait cependant à reprendre dans la perspective de Ghiberti; mais l'ensemble des bas-reliefs est d'une harmonie extrême. L'unité de composition n'est pas observée, et il faut convenir qu'elle ne pouvait l'être; seul le dernier compartiment, qui nous fait assister à l'entrevue de la reine de Saba et de Salomon, est équilibré avec la science et l'élégance d'une fresque de Ghirlandajo. Mais c'est surtout dans les bustes et les statuettes qui se détachent de la bordure que Ghiberti est inimitable; ces têtes de prophètes et, de patriarches sont ciselées avec un amour, une vérité extraordinaire. Plusieurs sont des portraits : voici, vers le milieu de la porte, la tête chauve et pensive de Ghiberti, auprès de l'honnête et bienveillante figure de son beau-père et collaborateur, l'excellent Bartoluccio. L'imitation de l'antique est surtout sensible dans les statuettes bibliques debout sous leurs niches, en des attitudes aussi éloquentes que variées : Samson, brandissant une colonne, est un Hercule; ces héroïnes de la Bible sont des muses; ces prophètes couchés, des divinités fluviales; et jamais l'Antiquité n'a rien produit de plus fin ni de plus charmant. Enfin, aux montants extérieurs de la porte, ce sont les mêmes bouquets de fleurs et de fruits qu'à l'autre porte, avec non moins de grâce et de liberté, une étude aussi minutieuse des plantes et des oiseaux. Cette porte, que Michel-Ange, dans un élan d'admiration, nomma la « Porte du Paradis », et qui conserve encore les traces de son éblouissante dorure, fut achevée en 1452, après vingt-sept années; elle avait coûté 14 594 florins.
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Ghiberti : la Porte du paradis, à Florence.
La Porte du Paradis, au Baptistère de Florence, par Ghiberti.

Dans cette seconde période, si féconde, de son existence d'artiste, Ghiberti termina quelques moindres oeuvres de sculpture. Ce furent d'abord, en 1427, deux bas-reliefs en bronze pour les fonts baptismaux de Sienne (ils avaient été commandés en 1447) : ils représentent le Baptême du Christ, et Saint Jean conduit devant Hérode. Il faut noter dans le premier de ces morceaux la grâce exquise des figures d'anges, que Ghiberti surpassa encore dans le chef-d'oeuvre qu'il fit pour la fabrique du Dôme, la chasse en bronze destinée à enfermer le corps de saint Zanobi. Sur le devant et sur les côtés de cette châsse, il composa trois miracles du saint évêque: la résurrection d'un enfant mort, celle d'un homme écrasé par un chariot, celle enfin d'un serviteur de saint Ambroise, trois scènes d'une animation, d'une énergie dignes de Donatello. Sur la dernière face il sculpta, selon ses propres termes, 

« six petits anges qui tiennent une guirlande de feuillages de lierre, au milieu de laquelle se trouve une inscription en l'honneur du saint, en caractères antiques ». 
En 1434, le pape Eugène IV lui commanda une tiare d'or, 
« dont le métal pesait 15 livres et les pierres 5 livres et demie. Sur le devant, on voyait Notre Seigneur assis sur un trône, au milieu d'anges; sur le côté opposé la Madone dans la même attitude. Le bord de la tiare contenait les quatre Évangélistes et des anges de petite dimension. Le tout était d'une grande magnificence. » 
Ce rare monument fut fondu par Benvenuto Cellini, en 1527, lors du siège de Rome. Pour Jean de Médicis, frère de Cosme, Ghiberti monta en or une cornaline antique, où était gravé le supplice de Marsyas; il la fit porter par un dragon d'or dans une couronne de feuilles de lierre

Ghiberti avait, dans sa jeunesse, étudié la peinture; et, s'il ne nous a pas laissé de tableaux, comme un autre grand sculpteur, Verrocchio, du moins nous savons qu'il fit des cartons de vitraux pour le Dôme de Florence et l'église de Santa Croce. Les vitraux exécutés d'après ces cartons sont : au Dôme, une Assomption de la Vierge, grand oculus de la façade (1423); la Présentation au Temple, le Christ au Jardin des Oliviers, et la Résurrection du Christ, trois oculi du tambour de la coupole (1442); puis quelques fenêtres des nefs latérales, avec des figures de Prophètes et l'Histoire de la génération de la Vierge, dans la chapelle de Saint-Zanobi. A Santa Croce, la Descente de Croix, oculus de la façade, d'une composition dramatique, aux couleurs vives; le rouge et le vert y dominent. Deux fenêtres de la nef ont des figures de Saints qui se ressentent également du style de Ghiberti.

Benvenuto Cellini a finement jugé Ghiberti en déclarant que sa manière minutieuse et délicate était celle d'un orfèvre, et que, s'il lui arriva d'exécuter de grandes figures, il y laissa voir cependant que sa vocation était d'en faire de petites (Introduction au Traité d'orfèvrerie). C'est un orfèvre de génie, qui ressuscita au XVe siècle la grâce harmonieuse et noble des sculpteurs grecs, dont il s'appliquait d'ailleurs à deviner les oeuvres; car il avait rassemblé à grands frais une collection inappréciable de marbres et de bronzes, d'origine grecque, qui furent vendus à sa mort. Il n'a ni la fougue dramatique, ni la science anatomique de Donatello; aussi ne réussit-il parfaitement qu'aux figurines, qu'il anime d'un souffle mystique, d'un sentiment où l'on reconnaît parfois l'influence de son contemporain Fra Angelico. Les Commentaires, qu'il écrivit vers la fin de sa vie; sont tout remplis de son admiration pour les maîtres grecs, particulièrement Lysippe et Polyclète. Ils nous sont précieux par les détails qu'ils nous donnent sur les oeuvres des vieux peintres siennois et florentins; car, pour l'histoire de l'art antique, ce n'est qu'une compilation de Pline et de Vitruve. Ghiberti est, plus d'un siècle avant Vasari, le premier historien de l'art italien; c'est encore un théoricien à la façon d'Alberti, s'il faut lui attribuer (comme on le fait souvent) le Traité d'architecture, enrichi de dessins, conservé manuscrit, ainsi que ses Commentaires, à la Bibliothèque nationale de Florence. 

L'atelier de Ghiberti fut un des grands centres de l'activité florentine dans la première moitié du XVe, siècle. Donatello et Brunelleschi vinrent y travailler; Paolo Uccello et Masolino s'y formèrent. Parmi les élèves du maître sculpteur, il faut aussi compter ses fils, qui continuèrent sa tradition, mais en la poussant au précieux et au maniérisme; Vittorio Ghiberti encadra la porte d'Andrea Pisano, au Baptistère, de guirlandes de fruits et de fleurs, d'un relief excessif, où l'on ne reconnaît plus le charme sobre et discret des oeuvres de son père. Lorenzo Ghiberti mourut, en 1455, à l'âge de soixante-dix-sept ans. (A. Pératé).

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Dictionnaire biographique
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