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Jean Scot
ou
Scott, dit Erigène, est un philosophe
et théologien du IXe siècle.
Il nous paraît impossible d'offrir sur son origine, sa jeunesse et
la fin de sa vie, autre chose que des indications approximatives, très
hypothétiques. Il est probable qu'il naquit entre les années
800 et 815 en Irlande. Un passage d'un de ses écrits a fait supposer
qu'il avait visité la Grèce et l'Orient. Entre 840 et 847,
il vint en France, appelé par Charles le
Chauve, et il passa presque tout le reste de sa vie à la cour
de ce prince, qui l'établit recteur de l'Ecole palatine, encore
brillante alors. Vers 865 ou 867, il fut dénoncé comme hérétique
par le pape Nicolas ler.
On suppose qu'il se retira dans un couvent, mais qu'il demeura en France,
et qu'il y mourut vers 876.
Penseur original, sachant le grec, quelques-uns
disent aussi l'hébreu, nourri de la lecture des écrits d'Origène,
traducteur de ceux qui étaient alors attribués à Denis
l'Aréopagyte. Scot Érigène fut plutôt un philosophe
qu'un théologien. Il est le seul des savants du IXe
siècle, qui soit indépendant de la tradition orthodoxe; il
se rattache à la tradition alexandrine
et figure, au IXe siècle, le personnage
singulier d'un métaphysicien panthéiste,
égaré au milieu d'une époque incapable de le comprendre.
Son ouvrage capital, intitulé De
divisione naturae, se compose de cinq livres de dialogues entre un
disciple et un maître. L'unité de
la philosophie et de la religion
y est affirmée : l'une et l'autre ont le même objet, qui est
Dieu ,
cause
première de toutes choses; la philosophie le cherche par la réflexion,
la religion l'adore avec humilité; la première suit la raison,
la seconde est guidée par l'autorité de I'Église.
La raison et l'autorité ne peuvent se contredire, car elles dérivent
pareillement de Dieu. Lors même que l'une semble contraire à
l'autre, le conflit n'existe qu'en apparence.
«
Quand on nous dit que Dieu fait tout, nous devons comprendre que Dieu est
dans tout, qu'il est l'essence substantielle de toutes les choses. Seul,
en effet, il possède en lui-même les conditions véritables
de l'être, et seul il est en lui-même tout ce qui est au sein
des choses auxquelles à bon droit on attribue l'existence. Rien
de ce qui est n'est véritablement par soi-même; mais Dieu
seul, qui seul est véritablement par lui-même se partageant
entre toutes les choses, leur communique ainsi tout ce qui répond
en elles à la vraie notion de l'être. » (Scot Erigène.
De Divisione naturae, I, LXXII).
Le système
exposé dans ces dialogues nous semble pouvoir être ainsi résumé
: la nature, c.-à-d. l'ensemble de l'univers,
présente, à première vue, deux grandes catégories;
les choses qui sont et celles qui ne sont pas, l'être
et le non-être, Dieu et les phénomènes.
On y distingue ensuite une nouvelle division,
opposant l'immobilité et le mouvement, l'immuabilité et le
changement. En combinant ces diverses catégories, on trouve quatre
formes générales, que Scot Érigène appelle
natures :
1° la
nature qui crée, sans être créée elle-même
: Dieu;
2° la nature
qui crée et qui est créée : les causes primordiales,
les prototypes idéaux ;
3° la nature
qui est créée et qui ne crée pas : l'univers visible;
4° la nature
qui n'est pas créée et qui ne crée pas non plus :
Dieu comme fin de tout, comme celui vers qui tout retourne.
Il y a ainsi un cercle
d'évolutions partant de Dieu et revenant à lui, Dieu formant
de cette manière le commencement, le milieu et la fin de tout l'univers.
Dieu
est supérieur à tous les attributs,
parce que tous les attributs sont limités, et qu'on peut opposer
à chacun de leurs termes un terme contraire. Il est au-dessus de
l'être, « exalté superessentiellement au-delà
de tout ce qui est ». Inaccessible et incompréhensible
en soi, il se manifeste dans les créatures, qui deviennent ainsi
des théophanies. La plus haute de ces théophanies,
c'est l'intelligence humaine; plus elle
se reconnaît, plus elle connait Dieu. Les deux connaissances se fondent
en une seule l'intelligence vertitur in Deum. Elle est capable de
cette transformation, parce qu'elle porte en elle une empreinte de la Trinité.
La manière dont Scot Erigène
conçoit la Trinité est très
éloignée de la doctrine orthodoxe : le Père est la
première cause créatrice; le Fils ou le Verbe est l'organe
de cette création, laquelle existe en lui à l'état
d'idée; le Saint-Esprit en est l'ordonnateur
: c'est lui qui diversifie les effets et les phénomènes.
Mais les trois personnes ne sont pas des réalités elles ne
sont que des noms donnés à des relations divines :
«
Dieu est plus que unité et plus que trinité. »
L'essence universelle
est l'être unique. Cet être a évolué de manière
à produire la création. La création existait dans
le Verbe, à l'état d'idée: elle a été
réalisée par les causes primordiales contenues dans le Verbe
et qui sortent de lui comme théophanies. Rien n'a une existence
réelle au dehors de Dieu, et rien n'est en dedans de Dieu, qui ne
soit Dieu lui-même; Dieu est donc tout en tout. La religion enseigne
que le monde a été tiré du néant, ex nihilo
factum est. Ce nihil, c'est Dieu; en créant, Dieu sort
du néant de son absoluité; il apparaît, et le monde
fini manifeste la forme de l'infini. C'est pourquoi
Dieu et la création sont une seule et même nature : Dieu est
tout, et tout est Dieu.
Comme l'intelligence humaine porte en elle
l'image de la Trinité, elle devient le sujet d'une évolution
analogue. Elle crée les choses, en les concevant. En les rapportant
à Dieu; elle rentre elle-même en Dieu. Dieu est Dieu par l'excellence
de sa nature; l'humain devient Dieu par un effet de la grâce. La
grâce est nécessaire à cause de la chute. L'humain
déchu n'a pas cessé d'être un résumé
de la création; seulement il n'en a plus conscience,
il ne eut plus remplir sa fonction de tout rapporter à Dieu. Pour
le ramener au bien, le Verbe est apparu sous une forme humaine; il est
l'humain idéal et éternel, l'humain-Dieu. En lui on contemple
l'unité du fini et de l'infini. Cette contemplation nous délivre
du mal, elle nous apprend à supprimer les différences : nous
devenons un avec Dieu, « par l'efficacité de la contemplation
». Le terme final de l'univers sera une absorption de tout en Dieu;
le mal se consumera dans le bien éternel, la misère dans
la béatitude, la mort dans la vie. (E. Vollet).
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Principaux
ouvrages : De divisione naturae.
La première édition de cet ouvrage a été préparée
par Gale (Oxford, 1681, in-fol.); elle a été reproduite par
Schlüter (Munster, 1838). La meilleure est celle de Floss, dans la
Patrologie
de Migne, t. CXXII. De divina praedestinatione, imprimé dans
le recueil de Moulin : Veterum auclorum qui, saeculo IX, de praedestinatione
scripserunt opera et fragmenta (Paris, 1650, 2 vol. in-4). De visione
Dei, fragment trouvé en manuscrit à Saint-Omer. Expositions
diverses : Super Hierarchiam caelestem Dyonisii; Super Ecclesiasticam;
In mysticam theologiam Dyonisii. Homilia in prologium Johannis. |
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