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La civilisation grecque
Les éphèbes, l'éphébie
Les Grecs donnaient le nom général d'éphèbes aux jeunes garçons qui atteignaient l'âge de puberté, c.-à-d. quinze ans, et ce nom leur restait jusqu'à l'âge de vingt ans. Mais, dans un sens plus restreint, les éphèbes formaient une catégorie de jeunes gens dont la condition était, dans un grand nombre de villes helléniques, et pour un laps de temps fixé, déterminée par la constitution. Les éphèbes formaient des collèges dont l'institution portait le nom d'éphébie. C'est à Athènes que l'éphébie nous est le mieux connue et qu'elle semble avoir été le plus solidement constituée; en dehors d'Athènes il n'y eut guère qu'imitation d'Athènes; aussi devons-nous étudier principalement l'éphébie attique.

L'origine de cette institution n'est pas certaine, non plus que la date à laquelle on doit la faire remonter. Les textes d'auteurs et les inscriptions ne permettent pas d'en trouver la trace avant le IVe siècle de l'ère antique, mais il est probable, malgré l'opinion d'auteurs autorisés, que si l'éphébie n'a été constituée sous sa forme la plus pure qu'au IVe siècle, elle existait déjà au Ve siècle, et peut-être même auparavant. Du moins le caractère primitif et essentiel n'en est-il pas douteux.

« L'éphébie, dit P. Girard, était un simple noviciat militaire qui ne comportait que des devoirs militaires. Le jeune homme, à dix-huit ans, devenait un soldat que l'Etat se chargeait de dresser à la guerre [...]. Savoir défendre sa patrie par les armes et faire en cela oeuvre de citoyen, voilà tout ce qu'il exigeait de lui. » 
Une preuve irréfutable de cette opinion se trouve dans le serment que prononçaient les éphèbes et qui est parvenu jusqu'à nous : 
« Je ne déshonorerai pas ces armes sacrées; je n'abandonnerai pas mon compagnon dans la bataille; je combattrai pour mes dieux et pour mon foyer, seul ou avec d'autres; je ne laisserai pas la patrie diminuée, mais je la laisserai plus grande et plus forte que je ne l'aurai reçue; j'obéirai aux  ordres que la prudence des magistrats saura me donner; je serai soumis aux lois en vigueur et à celles que le peuple fera d'un commun accord; si quelqu'un veut renverser ces lois on leur désobéir, je ne le souffrirai pas, mais je combattrai pour elles ou seul ou avec tous; je respecterai le culte de mes pères. Je prends à témoins Aglaure, Enyalios Arès, Zeus, Thallo, Auxo, Hégémone. »
Il n'y a dans ce serment, qui ne se modifia pas à travers les âges, rien qui ne convienne à des soldats, et rien qui convienne à d'autres personnages qu'à des soldats-citoyens.

L'institution avait alors une importance capitale, parce que tous les jeunes gens de dix-huit ans étaient nécessairement incorporés parmi les éphèbes, l'éphébie était obligatoire. On connaît très bien la procédure de l'admission. Tous les jeunes gens que le démarque inscrivait sur le registre du dème, sur le lexiarchikon grammateion, étaient, par le fait même, inscrits sur les listes de conscription éphébique; mais ils n'étaient incorporés qu'après un double examen, une double doximasia, s'il était bien prouvé, d'abord qu'ils avaient l'âge réglementaire, ensuite qu'ils appartenaient à l'une des trois classes astreintes au service militaire, pentacosiomédimnes, cavaliers et zeugites; ils devaient de plus être de condition libre, nés de père et de mère citoyens. La première doximasia avait lieu devant les démotes, la seconde devant le Sénat. Une fois éphèbes, les jeunes gens étaient officiellement armés, prononçaient le serment que nous venons de transcrire, offraient des sacrifices aux dieux et commençaient leur éducation militaire.
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Serment d'un éphèbe athénien.
Serment d'un éphèbe athénien.

L'éphébie attique ne tarda pas à subir des modifications importantes qui, sans en altérer l'essence, en changèrent peu la forme et la valeur. D'abord - et ce mot indique plutôt la gravité de la réforme qu'une date - d'abord l'éphébie cessa d'être obligatoire. Des jeunes Athéniens qui, dans le principe, étaient tous incorporés, un certain nombre seulement entra au collège. On possède plusieurs inscriptions qui sont des catalogues d'éphèbes; on a remarqué qu'au IIIe siècle, et déjà même au IVe, le nombre de ces jeunes soldats, non seulement est très variable, mais va sans cesse en décroissant. 

« Le plus ancien catalogue [que nous connaissions], dit P. Girard, permet d'évaluer à 1000 jeunes gens environ le contingent éphébique d'une seule année (334-333). Un marbre de date postérieure (305-304) nous montre deux tribus, l'Erechthéis et l'Acamantis, dont les listes, il est vrai, sont incomplètes, ne fournissant, à elles deux, que 34 éphèbes. Sur un troisième, plus récent encore (282 ou 281), les douze tribus ne sont représentées que par 33 éphèbes. Quelques années plus tard, en 276, ces mêmes tribus n'arrivent qu'au chiffre de 29 éphèbes. Plus tard encore, ce chiffre tombe à 23. »
Avec cette diminution d'effectif coïncide l'introduction de jeunes étrangers parmi les jeunes Athéniens; l'institution cesse donc d'être nationale en même temps que d'être obligatoire. Enfin, comme conséquence naturelle de ce fait, nous devons noter un changement radical dans l'éducation des éphèbes. A l'origine, tout l'effort de leurs maîtres se portait sur l'art militaire; du temps que les jeunes gens étaient encore enfants, paides, chacun avait fait, où, quand et comme il l'entendait, les études intellectuelles et gymnastiques de son choix ou du choix de ses parents, car l'Etat laissait sur ce point, on ne le met plus en doute, toute initiative et toute liberté aux citoyens; l'Etat, quand il s'emparait des nouveaux éphèbes, n'avait donc plus à se préoccuper de ce genre d'instruction. 

Mais lorsque l'éphébie devint une institution de luxe, pour ainsi dire, une sorte d'association de jeunes gens encouragée et dirigée par l'Etat, mais peu nécessaire en somme au recrutement de l'armée, on trouva que les exercices militaires ne devaient pas absorber tous les loisirs de cette jeunesse d'élite; à côté des travaux de soldats, peut-être même au-dessus d'eux et à leur détriment, prirent place les études littéraires, philosophiques, oratoires ou artistiques. On peut dès lors comparer l'éphébie à quelques-unes de nos écoles spéciales (comme Saint-Cyr ou Polytechnique, en France) où les jeunes gens, tout en apprenant le métier des armes, ou se préparant même à devenir des officiers, s'occupent de science pure ou de belles-lettres. Ajoutons une dernière modification assez grave : la durée du stage éphébique est réduite à une seule année. On est étonné qu'une institution qui, peu à peu, avait ainsi dévié de son principe et de son but, ait duré si longtemps; on la retrouve encore, et très brillante, à la fin du IIIe siècle de notre ère.

Au beau temps de l'éphébie, les jeunes gens incorporés menaient une vie assez dure, et rendaient de vrais services à la cité. Les pédotribes leur apprenaient la gymnastique. Ces maîtres très importants étaient élus par le peuple. Au IVe siècle, il y avait deux pédotribes pour tout le contingent éphébique; à partir de 305-304, il n'y en eut plus qu'un. D'abord annuels, ils purent ensuite rester en charge pendant plusieurs années, et même pendant toute leur vie. Peut-être les pédotribes avaient-ils plutôt à surveiller les autres professeurs (didaskaloi) qu'à professer eux-mêmes. Ces professeurs étaient l'oplomachos, ou instructeur des exercices des hoplites, l'akontistès, qui enseignait le jet du javelot, le toxotès, ou maître d'arc, l'aphétès ou katapeltaphetès, maître de catapulte. 

Il est très probable que les éphèbes séjournaient d'abord quelque temps, à Athènes pour y recevoir les premiers éléments de leur nouveau métier; ensuite ils étaient envoyés dans les postes fortifiés de l'Attique, sur les frontières maritimes, comme le Pirée ou Munychie, ou sur les frontières terrestres, comme Anaphlystos, Phylé ou Eleusis; ils remplissaient l'office de peripoloi, c.-à-d. qu'ils parcouraient le pays en patrouilles armées, autant pour s'exercer que pour maintenir le bon ordre. Ils pouvaient d'ailleurs, à l'occasion, prendre une part active à la guerre. C'est bien eux que Thucydide désigne sous le nom d'oi neôtatoi, opposé au nom d'oi presbytatoi, dans deux dénombrements des forces militaires d'Athènes. 

Attachés en principe à la défense du sol de l'Attique, il arrivait cependant qu'on les employât hors de ce territoire; c'est ainsi qu'en 458, ils combattirent en Mégaride; en 425, au dire d'Aristophane, leur cavalerie assura la victoire aux Athéniens dans le combat de Solygia, près de Corinthe. Lorsque les études et les occupations intellectuelles vinrent s'adjoindre pour les éphèbes aux travaux du soldat, à côté des maîtres que nous avons énumérés prennent place des philosophes, des rhéteurs, des grammairiens - on sait toute l'étendue du mot grammaire chez les Grecs - un musicien (nommé simplement didaskalos); sous l'empereur Hadrien, on trouve même le « professeur des chants du dieu Hadrien ». Toutes les leçons (akroaseis) de ces maîtres étaient obligatoires, et les éphèbes étaient astreints à certains devoirs, comme des poèmes (poièmata), des éloges (egkomia ). Mais tous ces professeurs étaient officiellement de moindre importance que les maîtres militaires; ils n'avaient pas d'autorité directe, conférée par l'Etat, sur les éphèbes, et ceux-ci, à leurs leçons, pouvaient se trouver mêlés à d'autres jeunes auditeurs qui n'étaient pas des éphèbes.
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Ephèbe athénien.
Ephèbe athénien 
en costume officiel.

Si l'on veut enfin se rendre un compte exact de la vie des éphèbes, il faut rappeler qu'ils prenaient une part très importante à certaines fêtes. Ils paraissaient aux processions, celle d'Artémis Agrotera, par exemple; ils étaient spécialement chargés, dans les cérémonies, de l'initiation éleusinienne (Les mystères dans la Grèce antique), d'aller chercher à Eleusis les objets sacrés (hiera) et de s'avancer, sur la Voie Sacrée, à la rencontre de l'image d'Iacchos, pour lui servir d'escorte. Aux Dionysies (Dionysos : aspects du culte I et II), aux Eleusinies, ils avaient pour mission d'accompagner les victimes. En un mot, ils contribuaient par l'éclat de leurs armes et l'intérêt de leurs évolutions, au bel effet des fêtes publiques. De plus, et cela va de soi, ils célébraient pour leur propre compte des cérémonies nombreuses et brillantes, et l'on a même pu conjecturer que des fêtes comme celle d'Artémis Agrotera ou des Dioscures étaient particulièrement des solennités éphébiques. Sous l'Empire (La Grèce sous la domination romaine), le nombre de ces solennités augmenta d'une façon singulière, en même temps que celui des jeux et concours de toute sorte; il serait oiseux de les énumérer.

Tous les éphèbes n'étaient pas éphèbes au même titre : il y avait entre eux des distinctions quelquefois assez difficiles pour nous à bien comprendre. Nous ne parlons pas ici de la distinction entre les éphèbes athéniens et les étrangers, distinction qui indiquait seulement une différence d'origine, ni de la différence toute naturelle et nécessaire entre les cavaliers et les fantassins. Mais nous savons que les éphèbes étaient divisés en taxeis, en bataillons, en compagnies; en systremmata, sortes d'associations présidées par un systremmatarque. Le mot sustremma doit avoir à peu près la même valeur que les mots synepheboi, philoi, gargoi, etc. qui, dans les textes épigraphiques, désignent les groupes de camarades. Mais ces groupements étaient-ils officiels ? 

On ignore enfin par quel lien les mellephèboi, ou candidats à l'éphébie qui se préparaient au Pirée, ou les éphèbes sortants (oi ex ephèbôn, oi enoi ephèboi) étaient rattachés à l'éphébie active ou régulière. Quant aux enfants désignés par ces mots oi peri Diogeneion, ce sont des aspirants éphèbes qui, n'ayant pas encore l'âge légal, sont élevés dans un gymnase spécial. Le Diogeneion avait avec l'éphébie des rapports très amicaux, sinon officiels, car il est fait souvent mention de ses élèves dans les textes éphébiques, et les éphèbes allaient même y célébrer la fête des Diogeneia.

Il reste à montrer comment la République gouvernait l'éphébie. La direction en fut peut-être confiée, au Ve siècle, à l'Aréopage; mais cette direction garda sans doute quelque chose de tout moral; c'est le collège des stratèges qui était tout naturellement désigné pour surveiller de près ces apprentis soldats; il est même curieux que sous l'Empire romain, comme le raconte Plutarque, le stratège des hoplites fit passer aux élèves de Diogenion, dépendant de l'éphébie, des examens de littérature, de géométrie et de musique

Au IVe siècle, les éphèbes sont gouvernés, au nom de l'Etat, par des chefs que nous connaissons assez bien, les sophronistes. Aristote nous dit comment les sophronistes étaient élus par le peuple, à raison d'un par tribu, choisi sur une liste de trois que présentaient les pères des éphèbes; chacun des dix sophronistes recevait une drachme de salaire par jour. Ils devaient veiller sur la conduite et l'instruction des éphèbes et les entretenir matériellement. A cet effet, les éphèbes remettaient entre leurs mains les quatre oboles qui leur étaient journellement allouées. Dès la fin du IVe siècle, aux sophronistes sont d'abord associés, puis, bientôt après, substitués les cosmètes. Les cosmètes sont tirés au sort pour un an. Le rôle de ces fonctionnaires qui sont plus directement soumis au peuple - auquel ils doivent rendre des comptes - est analogue à celui des sophronistes; ils ont un droit nouveau et de haute importance, celui de nommer les maîtres et les professeurs des éphèbes. Il est arrivé qu'on adjoignit au cosmète un anticosmète, c.-à-d. un auxiliaire ou un suppléant.

L'institution de l'éphébie existait, hors Athènes, dans un grand nombre de cités helléniques, dans la Grèce continentale d'abord, en Mézanide, en Béotie, en Locride, en Thessalie, en Macédoine et en Thrace, dans le Peloponnèse; elle avait une grande extension dans les îles, en particulier à Délos, et surtout en Asie Mineure, où l'on cite plus de vingt villes; on la retrouve en Afrique, à Cyrène, en Sicile et même dans la ville gauloise de Marseille. On peut dire que, si, dans toutes les cités où fut constituée l'éphébie, peut-être à cause du succès de l'éphébie attique, le principe en resta le même, l'application en fut assez variée. Dans certaines villes, comme Hyettos de Béotie, l'éphébie fut purement militaire; à vingt ans les éphèbes de cette petite ville étaient officiellement versés dans le corps des peltophores; mais dans la plupart, surtout en Asie Mineure, on trouve le mélange des travaux du soldat et des études intellectuelles; comme à Athènes, l'éphébie n'est plus qu'une institution de luxe, une sorte de jeu, une occasion de fêtes et de concours en même temps que d'associations amicales, où se réunissaient les jeunes gens riches et oisifs, amoureux des exercices du corps et de l'esprit.

Très souvent, à côté des maîtres des éphèbes, analogues d'ordinaire à ceux d'Athènes, se trouve une hiérarchie de personnages, comme le gymnasiarque, l'éphébarque, l'hypéphébarque, qui sont tout simplement des éphèbes choisis pour chefs par leurs camarades. L'éphébie semble donc à peu près indépendante de l'Etat. Elle doit être assimilée à ces autres collèges de jeunes gens plus âgés, peut-être les anciens éphèbes, que les inscriptions signalent si souvent sous le nom de neoi. (P. Paris).

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