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Cornuel

Anne-Marie Bigot, dame Cornuel est femme célèbre par ses bons mots, ses saillies piquantes et ses vives reparties,  née à Paris le 9 novembre 1605, morte dans la même ville en février 1694. Elle eut à Paris un salon célèbre, d'où s'envolaient, pour courir toute la ville, les bons mots, parfois très piquants, dont elle était friande. Si l'on en croit La Mesnardière, elle n'aimait que les gens d'esprit et écartait soigneusement les autres :
Chez Cornuel, la dame accorte et fine,
Où gens fascheux passent par l'étamine,
Tant et si bien qu'après que criblés sont 
Se trouve en eux cervelle s'ils en ont,
Si pas n'en ont, on leur fait bien comprendre
Que fats céans one ne se doivent rendre.
On trouvera nombre d'épigrammes de Mme Cornuel dans les Lettres de Mme de Sévigné et dans Tallemant des Réaux, qui lui a consacré une de ses Historiettes.

Elle était fille de M. Bigot, qui avait été intendant du duc de Guise, et fut, dit-on, un peu gâtée dans son enfance à cause de sa précoce gentillesse et de la vivacité de son intelligence.

Tallement des Réaux, cet éternel moqueur qui ne sait jamais rien dire comme tout monde, raconte que c'est à l'enterrement de sa première femme que M. Cornuel, trésorier de l'extraordinaire des guerres, rencontra Anne Bigot et lui offrit son nom. Mais M. de Vigneul-Marville (Mélanges d'histoire et de littérature; Paris, 1713) rapporte la chose autrement et d'une façon plus naïve, partant plus vraisemblable :

"S'étant rencontré dans une assemblée où Mlle Bigot brillait par-dessus toutes les autres jeunes filles, M. Cornuel, qui l'aimait, lui prit un bouquet qu'elle avait à son côté, témoignant par cette liberté qu'il la voulait épouser. En effet, il l'épousa au bout de quinze jours. "
Dès qu'elle fut mariée, et tandis que M. Cornuel passait son temps à se ruiner, Anne Bigot ouvrit aux hommes de qualité et d'esprit les portes de son salon ou, plus exactement, les rideaux de son alcôve, et tint bureau d'esprit.

C'était au temps où, près de la cour du Louvre, et d'un accès non moins difficile. brillait une autre cour, celle de Rambouillet, dont les reines s'appelaient tour à tour Julie Savelli, Catherine de Vivonne, Julie d'Angennes, et les courtisans Condé, Conti, La Rochefoucauld, Voiture, Malherbe, etc. Mais la marquise de Rambouillet avait des imitatrices, sinon des rivales, et l'on parlait de ruelles célèbres autres que la ruelle de la chambre bleue d'Arténice : c'étaient celles de Mmes de Brigy, de Chevreuse, de Scudéry, celle enfin de Mme Cornuel.

D'ailleurs, le caractère de Mme Cornuel la faisait estimer autant que son esprit :

"Jamais, dit Vigneul-Marville dans ses Mélanges d'histoire et de littérature, jamais personne n'a mieux entendu qu'elle l'art de se faire des amis et de se les attacher; bien persuadée qu'il en est des amis comme des richesses, que c'est en vain qu'on les acquiert, si on ne les sait conserver. La conversation avec les personnes qui abordaient chez elle était toutes ses délices. Elle écoutoit avec une attention qui débrouilloit toutes choses, et répondoit encore plus aux pensées qu'aux paroles de ceux qui l'interrogeaient [...] On a recueilli plusieurs de ses bons mots, et plût à Dieu qu'on n'en eût perdu aucun! [...] Mme Cornuel, outre qu'il ne lui échappoit rien qui pût la faire rougir ni faire rougir personne, disait si à propos toutes choses et revestoit ses pensées de termes si propres et si agréables, qu'ils instruisaient toujours sans jamais blesser. "
L'auteur termine cet éloge en disant que Mme Cornuel aurait dû, comme Pascal et La Rochefoucauld, écrire ses pensées et maximes, qu'elle s'est contentée de " laisser écrire aux autres. "

La fortune de M. Cornuel était presque toute en rentes sur l'hôtel de ville; ces rentes furent réduites, et Cornuel tomba de l'opulence dans une situation de fortune modeste. Il trouva dans Mme Cornuel une femme que n'effraya pas ce malheur. Elle sut maintenir sa maison dans un état respectable, malgré l'extrême diminution de ses revenus, qui cependant, il faut bien le dire, la laissaient loin, à tous égards, de l'indigence proprement dite. 

Cornuel mourut en 1650, laissant à sa veuve une fortune suffisante pour vivre, sans carrosse du moins, il est vrai, et sans luxe, mais avec une honorable aisance. Cornuel laissait une belle-fille, Mlle Legendre, née du premier mariage de Mme Legendre, qu'il avait épousée pendant son premier veuvage, et une fille qu'il avait eue de sa première femme; on appelait cette dernière Marguerite ou plutôt Margot Cornuel. Toutes deux étaient bonnes filles et, de plus, filles d'esprit. Mme Cornuel ne se sépara pas d'elles après la mort de leur père et beau-père. Elle vécut avec toutes les deux, non en belle-mère, mais en véritable amie, tenant salon avec elles, et dans la plus cordiale amitié. C'étaient comme trois soeurs aimables et s'aimant, s'entendant à merveille, sans désaccord d'aucune sorte, ce qui honore autant le caractère de Mme Cornuel que son esprit, et l'un et l'autre aussi dans la belle-fille et la fille de Cornuel.

 "Jolies, spirituelles et passablement malignes, dit Monmerqué, ces trois personnes recevaient la cour et la ville; elles donnaient le ton, et chacun s'efforçait d'obtenir leur approbation."
On trouve un témoignage de cette charmante intimité dans une épître à Mlle de Vandy, l'une des filles d'honneur de la reine mère, qu'importunaient certains galants; cette épître, qui fait partie d'un volume intitulé : Nouveau recueil des plus belles poésies (Paris, 1654), et qui pourrait bien être de Benserade, tant les vers sont dans sa manière, donne à Mme de Vandy le conseil suivant :
Ordonnez-leur d'aller chez Cornuel,
Chez Cornuel, la femme accorte, et fine,
Où gens fâcheux passent par l'étamine
Tant et si bien qu'après que criblés sont
Se trouve en eux cervelle, s'ils en ont.
Si pas n'en ont, on leur fait bien comprendre
Que fats céans onc ne ce doivent rendre,
Et six yeux fins, par a entre-regarder,
Semblent leur dire : " Allez vous poignarder."
"Ne trouvez-vous pas Mme Cornuel admirable?",  écrivait de son côté Mme de Sévigné à sa fille. On voit en quelle estime était tenue cette excellente femme. Son esprit et celui de sa quasi-belle-fille, Mlle Legendre, et de sa belle-fille Margot Cornuel, étaient reconnus de tous; mais la plus pénétrante des trois, c'était encore Mme Cornuel, et ses bons mots seuls, pleins de sel et de raison, ont été conservés.

Cette réputation, elle la conserva et la mérita toute sa vie, et dans une vie de plus de quatre-vingts ans. Une épitaphe qu'on lui fit peu après sa mort, dans les premiers jours de février 1694, épitaphe insérée dans le Recueil des pièces curieuses et nouvelles, publié à La Haye par Moetjens (1694), achève de la peindre : 

Ci-gît qui de femme n'eut rien
Que d'avoir donné la lumière
A quelques enfants, gens de bien,
Et peu ressemblants à leur mère,
Célimène, qui de ses jours,
Comme le sage, et sans faiblesse,
Acheva le paisible cours.
Dans ses moeurs, quelle politesse!
Quel tour, quelle délicatesse
Éclataient dans tous ses discours!
Ce sel tant vanté de la Grèce
En faisait l'assaisonnement;
Et, maigre la froide vieillesse, 
Son esprit léger et charmant
Eut de la brillante jeunesse
Tout l'éclat et tout l'enjoûment.
On vit chez elle incessamment
Des plus honnêtes gens l'élite;
Enfin, pour faire en peu de mots,
Comprendre quel fut son mérite,
Elle eut l'estime de Lenclos.
On n'inspire pas de tels vers après sa mort sans les avoir mérités de son vivant. Ils sont anonymes dans le recueil de Moetjens, mais on les dirait de Saint-Evremond, et peut-être en sont-ils.

Demeurée veuve à trente-six ans, belle et avec l'esprit qu'elle avait, elle fut très recherchée, et elle ne put être sans quelque soupçon de galanterie. Sa manière de vivre, tout en dehors, franche et sans pruderie, à la Sévigné, semble contredire ce que quelques médisants en ont dit. Il y avait en Mme Cornuel beaucoup du tempérament et des libres allures de Mme de Sévigné, sans que, pas plus pour elle que pour la célèbre marquise, ce soit une raison de croire que cela tirât à conséquence. Quoi qu'il en soit, c'est surtout par son esprit et par ses bons mots qu'elle nous intéresse aujourd'hui, et nous croyons que, comme on a fait un Sévigniana, on pourrait faire un Cornualiana, qui ne le céderait guère à l'autre. (PL).

Voici quelques-uns des bons mots de Mme Cornuel :

"Qu'est-ce que l'opulence?" demandait Bourvalon, riche maltôtier. "C'est, dit Mme Cornuel, l'avantage qu'un maraud peut avoir sur un honnête homme. "
Étant allée à Versailles à une époque où Mme de Maintenon touchait à la soixantaine et où Seignelay, qui n'avait que trente-six ans, venait d'être nommé ministre, on lui demanda, à son retour, ce qu'il y avait de nou veau : 
"J'ai vu, dit-elle, l'amour au tombeau et des ministres au berceau. "
Entourée d'un groupe de jeunes gens parfumés à l'excès et ne soufflant mot, elle s'éloigna en disant :
" Ils sont comme les morts ils sentent mauvais et ne parlent pas. "
A propos de Mme de Lyonne, fameuse par ses galanteries, et dont les pendants d'oreilles luisaient comme des étoiles :
"Ses diamants, dit-elle, sont comme du lard dans la souricière. "
Elle répondit à Mme de Fiesque, qui affirmait que Combourg n'était pas fou : 
" Bonne comtesse, vous êtes comme les gens qui ont mangé de l'ail. "
Elle dit un autre jour à propos de la même comtesse, qui, quoiqu'elle comptât près d'un demi-siècle, prétendait n'avoir pas plus de dix-huit ans : 
" Ce qui conserve sa beauté, c'est qu'elle est salée dans la folie ".  - " Elle s'entretient dans l'extravagance comme les cerises, dans l'eau-de-vie ", disait-elle encore.
Mlle de Piennes, qui avait été chanoinesse, commençant à se passer, mettait toujours un masque pour préserver son teint, ce qui fit dire à Mme Cornuel que sa beauté était "comme un lit qui s'use sous la housse ".

C'est elle aussi qui disait d'un homme très pâle et tout décharné qui se promenait par la ville :

" Voilà un monsieur qui a oublié de se faire enterrer."
Quand elle apprit la mort de Mme de Villesavin, sa voisine, âgée de quatre-vingt-douze ans, elle s'écria : 
" Me voilà découverte !"
"M. le duc de Rohan, disait-elle, est bien né, mais il a été bien mal fouetté. "
Un de ses laquais ayant fait une maladresse et étant tombé à quatre pattes : 
"Je te défends de te relever, lui dit-elle; tu es fait pour aller comme cela. "
Elle alla visiter Versailles en l'absence du roi :
"N'est-ce pas là, lui dit-on, un séjour enchanté? - Oui, mais il faut que l'enchanteur y soit. "

" La grande différence entre les temps de paix et de guerre, fit-elle remarquer un jour, c'est que, dans la paix, les fils enterrent leurs pères, et que, dans la guerre, ce sont les pères qui enterrent leurs enfants. "

A une messe de minuit, au Dominus vobiscum, Mme Cornuel, voyant que c'était l'abbé de Boisrobert qui officiait, dit :
"Voilà toute ma dévotion évanouie!"
Le lendemain, on voulut la mener au sermon; elle refusa : 
"Après avoir trouvé Boisrobert disant la messe, je trouverais, sans doute, Trivelin en chaire ",  et elle ajouta : " Je crois que sa chasuble était faite d'une jupe de Ninon."
On sait que Mlle de Scudéry avait le teint noir. Mme Cornuel disait que " la Providence paraissait en ce que Dieu avait fait suer de encre à Mlle de Scudéry, qui barbouillait tant de papier ".

Quand Turenne mort fut remplacé par huit maréchaux, Mme Cornuel dit :

"C'est la monnaie de M. de Turenne. "
Le mot fut attribué mal à propos à Mme de Maintenon.

Elle comparait les cornes aux dents : 

"Cela fait très mal quand elles percent, disait-elle; mais aussitôt que c'est passé, on ne sent plus rien, et bientôt on en rit."
Une dame de province avait écrit à Mme Cornuel, pour la prier de lui chercher un précepteur. Celui-ci devait être doué de qualités dont le dénombrement ne finissait pas. Mme Cornuel répondit spirituellement à sa correspondante : 
"Madame, j'ai cherché un récepteur tel que vous me le demandez. Je n'ai pas encore été assez heureuse pour le rencontrer, mais je continue activement mes recherches, et je vous promets que, dès que je l'aurai trouvé, je l'épouserai. "
Un soir qu'elle traversait la forêt de Bondy; sa voiture fut arrêtée par un grand escogriffe qui, brisant la portière, introduisit la main dans la gorge de Mme Cornuel, espérant y rencontrer des perles et des diamants :
"Mon ami, lui dit-elle, c'est peine perdue; aujourd'hui; je suis vieille et malheureuse : il n'y a plus ni tétons ni testons."
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