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Le commerce au Moyen-Âge
Le commerce en Italie
Venise, Gênes, Florence, etc.
Aperçu Byzance Arabes Italie Europe du Nord
Les villes maritimes d'Italie. 
En Europe, l'intelligence commerciale et la civilisation plus avancée des Italiens leur assura pendant tout le Moyen âge une sorte de monopole dans ces industries, et les banquiers furent appelés Lombards

L'extrême decadence économique de l'Europe occidentale; qui fut le résultat de la ruine de l'Empire romain et de l'invasion des Barbares, avait restreint les transactions commerciales à fort peu de chose; elles déclinèrent encore après le démembrement de l'empire carolingien, lorsque les expéditions des Vikings, des Magyars et des Sarrasins (Les invasions au Moyen Âge) et le particularisme féodal supprimèrent presque toutes les communications. Quoique très éprouvée aussi, l'Italie souffrit moins, et sa constitution géographique lui permit de rétablir la première son commerce. Les relations avec les Orientaux, Grecs (le commerce des Byzantins) et Arabes (Le commerce des Arabes au Moyen Âge), plus riches et plus civilisés, lui furent très profitables.

Commencées par les cités maritimes vassales de l'Empire byzantin, elles s'étendirent beaucoup au moment des croisades; les cités marchandes prirent un grand essor; la formation d'une classe commerciale et industrielle considérable, classe intelligente et pacifique, eut une grande influence sur les progrès ultérieurs de la civilisation. Le point de départ fut le commerce du Levant. Inaugurée au XIIe siècle, la prospérité commerciale de l'Italie atteignit son apogée au XVe siècle; la découverte d'une route maritime vers l'Inde et la découverte de l'Amérique(les Grandes découvertes) en marquèrent le terme. Malgré la crainte des pirates sarrasins, le commerce ne dut jamais être interrompu entre les villes grecques d'Italie et le reste de l'empire; c'est donc par cette voie que les produits du Levant parvenaient à l'Europe barbare qui n'en consommait qu'assez peu; le transport des pèlerins qui se rendaient aux lieux saints de Palestine se faisait surtout par navires italiens et représentait une industrie assez lucrative, d'autant que ces pèlerinages pouvaient se combiner avec des opérations commerciales. Nous constatons d'abord le développement de la marine marchande des cités campaniennes, au premier rang d'Amalfi. Ses négociants eurent des comptoirs en Sicile, des relations régulières avec la Syrie et l'Egypte, Beyrouth et Alexandrie, a fortiori avec Constantinople et avec le littoral de l'Adriatique; la monnaie d'Amalfi avait cours dans toute l'Italie, ses lois de navigation furent généralement adoptées; l'habileté de ses marins est prouvée par l'invention ou l'importation en Europe de la boussole. Elle succomba en 1135 à une attaque des Pisans; la guerre fut occasionnée par la rivalité commerciale.

Les marins de la lagune de Venise furent plus heureux; le développement de leur ville fut lent, mais lorsqu'ils eurent assuré leur autonomie vis-à-vis des Francs, ils tirèrent grand avantage de leur situation dans l'empire d'Orient. Vassaux de cet empire, ils avaient pu s'établir dans les villes de Roumélie et dans la capitale; leur supériorité tint à leur esprit d'entreprise et à l'excellence de leurs marins, riverains de la lagune, ou Esclavons (Dalmates). Ils restèrent maîtres de l'Adriatique par le recul des Arabes, la destruction des pirates esclavons qui leur avaient rendu le service de les débarrasser de la rivalité d'Ancône et Comacchio. Raguse (auj. Dubrovnik) seule put se maintenir à côté d'eux dans leur mer. La soumission de l'Istrie et de la Dalmatie leur ouvrit l'accès des fertiles pays du Danube et assura l'approvisionnement de leur ville; les forêts de ces deux régions fournirent les bois de construction nécessaires à la marine; les pêcheries et les salines de l'Adriatique donnèrent de gros bénéfices; le commerce du sel avec l'Europe centrale et avec tous les ports du Levant contribua beaucoup à la fortune de Venise

Nous avons déjà dit que les Italiens eurent de bonne heure la part la plus active au commerce et même à l'industrie de Constantinople; les Vénitiens y figurèrent à côté des Pisans. Pise fut du Xe au XIIe siècle la principale place commerciale d'Italie. Ses foires étaient très fréquentées; la batellerie de l'Arno la mettait en relations avec l'intérieur. Sa marine avait été victorieuse des Sarrasins. Pise trafiquait surtout avec la Sicile et les rivages de la mer Tyrrhénienne, mais aussi avec le littoral africain, l'Empire grec et Constantinople, où elle avait des factoreries et jouissait des mêmes privilèges commerciaux qu'Amalfi et Venise. Sa rivalité avec Gênes, qui l'affaiblit et finit par causer sa ruine, fut profitable à Venise.

Les croisades furent très favorables aux républiques maritimes d'Italie par les bénéfices commerciaux qu'elles en retirèrent. Les croisés étant obligés de s'adresser à elle pour se faire transporter en Palestine, elles firent payer leurs services de toutes les manières : directement d'abord, puis en vendant pendant tout le cours de la campagne des approvisionnements et munitions; les escadres pisanes, génoises, vénitiennes suivaient les armées des croisés, et leurs marchands achetaient le butin à bon compte, vendaient les fournitures indispensables. Quand on avait pris une ville, ils se faisaient concéder la liberté du commerce, un quartier de la ville où s'établir, des droits de juridiction sur leurs compatriotes et sur leurs protégés. Au début du XIIe siècle, ils sont ainsi établis dans toutes les villes de Palestine et de Syrie; les Pisans sont les vrais maîtres de Tyr, de Saint-Jean d'Acre, de Tripoli, d'Antioche; à Tyr, ils ont formé une société religieuse et commerciale (Societas humiliorum) qui trafique des tissus de laine; le commerce de la Syrie s'étend avec les pays musulmans voisins et prend de l'extension.

Dans les cités même de l'Empire grec, les Italiens sont très forts; à Constantinople, on compte avec les 10,000 Vénitiens de Péra. Lorsqu'éclata le rupture de 1172 et que Manuel Comnène eut fait confisquer dans tout l'empire les biens des Vénitiens, ceux-ci étaient assez forts pour en tirer vengeance; ils conduisirent la quatrième croisade à Constantinople et renversèrent l'empire grec avec l'aide des Francs. Ils assurèrent ainsi leur prépondérance dans la mer Egée, s'adjugèrent Péra, la Morée (Péloponnèse), les îles les plus fertiles de la mer Egée, où ils possédèrent une chaîne ininterrompue de stations militaires et commerciales. Ils organisèrent à leur profit tout un système colonial. 

En même temps, ils codifièrent le droit maritime; un conseil, tenu à Sainte-Sophie en 1255, adopta un recueil de coutumes qui bientôt fut accepté dans tous les ports de la Méditerranée; on l'appela Consulat de mer. Sans admettre la neutralité du pavillon avec ses conséquences, il marquait un grand progrès vers les idées libérales qui ont prévalu depuis. Maîtres du commerce de Constantinople, les Vénitiens tinrent surtout à s'emparer du trafic de l'Inde, ce qu'ils firent par leurs colonies de la mer Noire, et du commerce de la soie qu'ils traitèrent dans les fabriques de leur capitale.

La chute de l'Empire latin leur porta un coup terrible. Les Génois, leurs rivaux, dirigeaient la restauration de l'Empire byzantin et en profitèrent; ils obtinrent des Paléologue des quartiers de Constantinople, Péra et Galata, Smyrne (Izmir), plusieurs places de la mer Egée, tous les privilèges des Vénitiens. Ils s'établirent en Crimée et leur comptoir de Caffa devint le centre du commerce de terre de l'Europe avec l'Inde. Tout le commerce de la mer Noire fut le prix de cette victoire.

Les Vénitiens, pour contrebalancer ce désastre, ouvrirent une nouvelle route commerciale vers l'Inde et la haute Asie par le port d'Ajazzo sur le golfe d'Issus, la Petite Arménie et Tauris (Tabriz), Mais c'était encore une route bien détournée. Supplantés par les Génois sur la nouvelle route vers l'Inde, celle de la mer Noire, les Vénitiens songèrent à rouvrir l'ancienne, plus directe, qui avait fait la fortune d'Alexandrie. En Egypte, les Mamelouks avaient rétabli l'ordre, tandis que la route du golfe Persique à la Syrie était fermée par le brigandage; Bagdad et Bassorah étaient en pleine décadence, de même les cités syriennes. 

Les Vénitiens se procurèrent des dispenses partielles du pape à l'interdiction générale de commercer avec les Musulmans  (Le commerce des Arabes au Moyen Âge), jusqu'à ce qu'au milieu du XIIIe siècle ils pussent obtenir une dispense générale. Ils conclurent avec les Mamelouks une série de traités de commerce; le plus important est celui de 1262 qui leur accordait des magasins, des églises, l'autorisation d'avoir un consul à Alexandrie, un autre à Damas. L'Egypte redevenait l'entrepôt du commerce des trois continents; les marchandises lourdes de l'Inde vinrent par la mer Rouge, le Nil et ses canaux à Alexandrie; les plus légères pouvaient être apportées par caravanes, de Bassorah à Alep, mais c'était l'exception. 

Presque tout le transit de l'Inde passa par Alexandrie; les Mamelouks percevaient un droit de sortie d'un tiers; les Italiens, ayant le monopole, fixaient arbitrairement les prix des épices en Europe. Ils payaient eu marchandises, produits de l'industrie italienne, lainages, armes, glaces, verrerie, bijouterie, en esclaves, même chrétiens, le plus souvent caucasiens. Outre les épices, ils achetaient des drogues, des perles, des pierres précieuses, de l'ivoire, de la soie et du coton pour leurs manufactures; la balance se soldait au profit de l'Egypte en métaux qu'on tirait des mines d'Allemagne

Pisans et Génois rivalisèrent bientôt avec les Vénitiens pour le commerce de l'Egypte, d'autant que les Vénitiens s'étaient maintenus dans la mer Noire et attiraient par Trébizonde le commerce du Caucase; de plus, tous étaient menacés de ce côté par les progrès des Turcs qui finirent par leur fermer cette mer. Le commerce du Levant se concentrait donc en Egypte et tous en voulaient leur part; dès 1225 Pise, dès 1290 Gênes avaient traité avec Alexandrie; après la ruine de la domination chrétienne en Syrie, elles surent faire conserver leurs privilèges commerciaux par les sultans d'Alep et d'Egypte. Leur échec dans la guerre de Chioggia et la ruine de l'Empire byzantin décidèrent la prépondérance de Venise que Gênes avait déjà débarrassée de la concurrence pisane.

Florence prit la place de Pise, mais plutôt pour l'industrie manufacturière, car son port de Livourne, achevé en 1421, n'eut pas l'importance de Pise. Cependant il eut au XVe siècle deux flottes florentines d'Orient et d'Occident faisant en février pour l'Orient, septembre pour l'Occident des traversées régulières. Mais leur alliance avec les Turcs contre Venise ne put donner aux Florentins une grande puissance commerciale; ils durent se contenter d'être les plus grands industriels d'Italie, de créer partout des comptoirs, à Avignon et à Bruges comme à Naples et à Barletta, pour vendre leurs draps et leurs soieries; la soie leur venait d'Egypte, la grosse laine d'Angleterre par la France, la laine fine d'Espagne; les couleurs de leurs teinturiers venaient du Levant. La richesse des Florentins fut due pour beaucoup à leurs opérations de banque, pour lesquelles les Vénitiens eux-mêmes s'adressaient à eux.

Leurs quatre-vingts maisons d'Italie avaient des succursales dans le monde entier. Les Peruzzi prêtèrent aux chevaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, les Bardi aux rois d'Angleterre; les Médicis firent leur fortune par des spéculations sur les laines, les draps et les épices. Malgré sa terrible banqueroute, Florence conserva son importance commerciale jusqu'au XVIe siècle.

Venise, débarrassée de la concurrence de Pise et de Gênes, perdit une à une ses colonies de Grèce enlevées par les Turcs, mais elle sut conserver chez les musulmans une situation tenable, et sa prospérité ne diminua pas. Le commerce du sel fait par I'Etat approvisionnait toute l'Europe du Sud-Est; on le tirait d'Istrie, mais aussi d'Afrique; le blé importé pour la consommation locale était revenu en partie; on le faisait venir de Crimée et de la Russie méridionale, de la Morée, de la Pouille, de la Sicile, de Tunis, de la Vénétie même dans les bonnes années; citons les pêcheries de la mer d'Azov et de l'Adriatique, la vente du poisson salé et fumé, du thon, des sardines. 

Les constructions navales dans l'arsenal de Venise occupaient 16.000 ouvriers au XVe siècle; on comptait 3000 bâtiments marchands montés par 214.000 matelots, sans compter les galères de la marine de guerre (11.000 matelots) qu'on employait pour escorter les convois de bâtiments hors de l'Adriatique. On partait en avril pour les Pays-Bas(Le commerce des pays du Nord au Moyen Âge), en juillet pour la mer Noire, en septembre pour l'Egypte, d'où l'on allait en Syrie. Les galères ne pouvaient relâcher ni se décharger en cours de voyage; les marchandises du Levant importées par les particuliers payaient un droit de 5%; le grand conseil modifiait souvent les ordonnances très nombreuses qui réglaient le commerce; on supprimait, par exemple, les droits sur les toiles de Flandre; le système était de faire passer tout le commerce entre le Levant et l'Europe par Venise. 

On échangeait les épices et drogueries aux Pays-Bas, le sucre à Londres, contre de la laine et des toiles; mais dans cette longue navigation, on pouvait se charger des échanges de l'Espagne avec les Pays-Bas. Le commerce de terre était peu développé, même avec l'Allemagne; mais il se développa rapidement au milieu du XIVe siècle, quand la voie du Danube fut fermée et qu'Augsbourg et Nuremberg s'approvisionnèrent à Venise ; les routes étaient celle de Villach en Carinthie et celles du Brenner. Les étrangers affluaient à Venise, mais on ne les y laissait guère séjourner; le commerce proprement dit était interdit aux Juifs, limités aux affaires de banque. 

C'est au XIVe siècle que se développa le commerce continental des Vénitiens, avec la France notamment, ainsi que leur navigation sur l'Atlantique, vers la Flandre, leur principal marché au XVe siècle. Par une singularité paradoxale, les navigateurs vénitiens n'ont nulle part dépassé le cercle des pays connus, tandis que leur compatriote Marco Polo est le plus célèbre des voyageurs du Moyen âge (La géographie au Moyen Age) : il explora toute l'Asie, par terre surtout. 

On possède sur le commerce vénitien d'excellents documents, entre autres un rapport au Sénat du doge Mocenigo (1421) et les prix courants des marchandises à la bourse commerciale de Venise. Les villes italiennes de la terre ferme vendent 90.000 pièces de drap et paient 1.555.000 sequins; en échange ils reçoivent 50.000 quintaux de coton, 20.000 quintaux de fil, 40.000 quintaux de laine catalane, autant de laine française, pour 250.000 ducats d'étoffes de soie et d'or, pour 250.000 ducats de savon, pour 30.000 ducats d'esclaves, pour 30.000 ducats de linge, pour 93.000 ducats de sucre, pour 30.000 ducats de substances tinctoriales; 400 paquets de cannelle, 3.000 charges de poivre, 2.000 quintaux de gingembre, 40.000 quintaux de bois de teinture. 

Comme tout ce trafic est un véritable monopole, les bénéfices sont énormes, l'intérêt de l'argent est couramment de 20%. La banque de Venise est garantie par l'Etat ; elle remonte au moins au XIIIe siècle. Pour être juste, il ne faut pas oublier le grand développement de l'industrie vénitienne; ses soieries, ses brocarts, ses velours, ses fabriques d'armes, sa bijouterie et sa joaillerie, ses verreries étaient renommés; ses perles de verre ont servi pendant des siècles de monnaie en Nubie. Les Vénitiens n'étaient donc pas seulement des marchands.

Les Vénitiens étaient arrivés à la fin du Moyen âge à l'apogée de leur puissance commerciale; mieux ils avaient organisé leur exploitation, plus ils furent frappés par les deux grandes découvertes qui marquèrent la fin du XVe siècle, et provoquèrent une révolution économique : la découverte de l'Amérique, qui bouleversa toute l'ancienne navigation et jeta dans la circulation une masse de métaux précieux, la découverte d'une route maritime vers les Indes qui les priva de leur principal trafic (les Grandes découvertes). Alliés aux Mamelouks, ils essayèrent de la violence; mais la victoire navale des Portugais fut complète. Bientôt les Turcs conquirent l'Egypte; malgré les privilèges concédés par Sélim Ier, les Vénitiens ne purent résister. La décadence politique de Venise suivit, et bientôt les guerres du XVIe et du XVIIe siècles lui fermèrent à peu près le Levant et même tout le Sud-Est de l'Europe.

Les rivaux des Vénitiens, les Génois, avaient perdu le commerce du Levant bien avant eux, dès la conquête turque, leur fortune étant liée à celle des Byzantins. Le marché espagnol leur resta plus longtemps, les Maures d'Espagne aussi bien que les comtes de Barcelone les favorisaient; leur station de Majorque grandit; dans le midi de la France, en Provence et Languedoc, mêmes privilèges; bien vus des papes ils en tiraient avantage. Les grandes foires du Languedoc, surtout celle de Beaucaire, mettaient à leur portée les laines anglaises, les produits des Pays-Bas; les premiers ils s'engagèrent dans l'Atlantique pour aller par mer à Londres et en Flandre dès la fin du XIIIe siècle. Leurs relations avec les Barbaresques étaient bonnes. 

L'organisation commerciale ressemblait à celle de Venise; les précieuses cargaisons du Levant étaient transportées sur des vaisseaux d'un fort tonnage. L'alliance de Gênes avec les Français était compensée par la rivalité des Catalans, amis de Venise. Ils se disputaient le commerce de la Sicile. La banque de Saint-Georges, qui plusieurs fois prêta à des souverains étrangers, notamment à Charles VIII, était un excellent instrument commercial. La concurrence croissante des Espagnols fut autant que les crises politiques cause de la décadence de Gênes. Ajoutons qu'en dehors des causes économiques, l'entrée en scène des nations centralisées de l'Europe moderne devait forcément enlever aux républiques maritimes d'Italie leur importance même commerciale. (A.-M. B).

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