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Le Cid

Rodrigo Diaz de Bivar (ou Ruy Diaz de Vivar), surnommé le Cid (ou le Cid Campeador) est un héros  de l'Espagne wisigothique, né à Burgos, probablement sous le règne de Fernando Ier, roi de Castille et Léon, mort en 1099. La date de sa naissance est incertaine (1026 ou 1045). Il était fils de Diego Laynez, descendant de Layn Calvo, juge du comté de Castille au temps du roi Fruela II. Les premiers exploits du Cid appartiennent plus encore à la poésie qu'à l'histoire. On connaît l'outrage fait à D. Diego, le combat de son fils avec le comte Lozano (le comte de Gormas (Gormaz) de la tragédie de Corneille); son mariage avec la Ximena (Chimène), fille d'un chef asturien et nièce du roi D. Alfonso, d'après le Linage del Cid; le pèlerinage à Santiago; l'apparition de saint Lazare ; sa victoire en champ-clos contre Martin Ramirez pour la possession de la ville de Calahorra que se disputaient la Castille et l'Aragon. A la mort de Fernando Ier (1065), et le partage de ses Etats entre ses enfants, le Cid s'attacha à l'aîné, Sancho II le Vaillant, « qui l'éleva, le fit chevalier et s'en fut avec lui à Saragosse. Quand le roi Sancho combattit le roi D. Ramiro à Grados, il n'y eut meilleur chevalier que Rodric Diaz. Le roi D. Sancho s'en vint en Castille, il l'aima fortement et le nomma son alférez mayor ». (Linage del Cid). 

C'est pour lui qu'il combattit à Llantada et à Volpejar contre Alfonso, roi de Léon, qui fut dépouillé de ses Etats et chassé de son héritage. Son frère, Garcia, eut le même sort. Forcé d'abandonner son royaume de Galice, il chercha à y rentrer à la tête d'une bande de fronterizos portugais; mais, défait à Santarem où le Cid décida la victoire en délivrant Sancho, tombé aux mains de l'ennemi, le souverain détrôné alla mourir au château de Luna, sous le règne d'Alfonso VI. Il ne restait plus au rude batailleur qu'à s'emparer de Zamora, défendue par sa soeur Doña Urraca. Ce fut devant ses murailles qu'il vint mettre le siège, accompagné de son alférez mayor. La ville allait succomber, quand Vellido Dolfos le tua traîtreusement d'un coup d'épieu dans le dos (1072).
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Le serment de Santa Gadea, par Armando Menocal, 1889.

A la nouvelle de la mort de son frère, Alfonso accourut de Tolède où il s'était réfugié, et se fit reconnaître, après avoir prêté, dans l'église de Santa Gadea, à Burgos, un serment fameux qu'exigea de lui le Cid au nom de la noblesse de Castille. Le roi jura, la main étendue sur une serrure de fer et sur une arbalète de bois, qu'il était innocent de l'assassinat de Sancho II, répétant par trois fois la formule dictée par Ruy Diaz. La voici, telle du moins que nous la donne un ancien romance :

« Que des vilains te tuent, Alfonso, des vilains, non des hidalgos; qu'ils soient Asturiens d'Oviedo, non Castillans; qu'ils te tuent avec des couteaux au manche de corne, non avec des poignards dorés; qu'ils portent des abarcas, non des chaussures lacées; qu'ils te tuent dans les champs labourés, non dans les villes et les lieux peuplés; qu'ils te sortent le coeur tout vivant, par le côté gauche, si tu ne dis la vérité sur ce qui te fut demandé, si tu as participé ou consenti à la mort de ton frère. » 
Ce serment devait coûter cher au Cid. Alfonso VI, blessé de la hauteur de son vassal, et lui reprochant en outre d'avoir pillé le roi de Tolède, son allié, confisqua ses biens, et « le roi D. Alfons chassa Rodric Diaz de sa terre à tort. » (Linage).

A l'époque de cet exil, la tradition place une curieuse anecdote de la vie du Campeador. Il emprunta 600 marcs à deux juifs, Rachel et Vidas, leur abandonnant en gage deux grands coffres soigneusement fermés, les disant remplis d'objets précieux. Or le Cid, ayant été piller les terres ennemies, fit rendre la somme et révéler aux usuriers que les coffres ne renfermaient que du sable, « mais ce sable contenait l'or de sa parole ». Contrairement à la chronique, et malgré ce superbe langage, le Poema del Cid ne parle pas de cette restitution, et représente Rachel et Vidas réclamant en vain leur argent à son compagnon Minaya.

« Ensuite passa Rodric Diaz par de grands labeurs et de grandes aventures. » (Linage del Cid.) 
Entré au service du roi musulman de Saragosse, il vainquit pour lui Sancho Ramirez d'Aragon et Ramon Berenguer, comte de Barcelone, sous les pins de Tebar, 
« et il le prit avec grande compagnie de chevaliers et de riches-hommes, et, pour la grande bonté qu'avait mon Cid, il les laissa tous aller ». (Linage del Cid.) 
Toujours armé, bataillant indifféremment contre les musulmans et contre les chrétiens, pillant ses alliés comme ses ennemis, entassant son butin dans ses forteresses, héros et bandit, le banni se taillait à coups d'épée une principauté sur les frontières castillanes pendant qu'Alfonso VI s'emparait de Tolède (1085). L'Islam reculait vers le sud, quand l'invasion des Almoravides vint arrêter l'oeuvre de la Reconquista
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Statue du Cid, à Burgos.
Statue du Cid, à Burgos.

La cavalerie du désert déborda sur l'Espagne, appelée par Ibn-Abbad de Séville. Au lendemain de la désastreuse journée de Zalaca (1086), le Cid amena ses bandes au secours du roi, et le suivit jusque devant Grenade, mais, accusé on ne sait de quel crime, il quitta secrètement l'armée et se retira dans ses terres. Après une expédition contre Garcia Ordoñez, son ennemi personnel, dont il ravagea les domaines avec une épouvantable férocité (1094), Ruy Diaz, qui s'était rendu maître de Cebolla, vint enfin bloquer Valence, conquise par les Almoravides sur son allié Yahya benu Dy'lnoun. Les walis de Jàtiva, Murviedro et Denia joignirent leur cavalerie aux hommes d'armes castillans; l'armée chrétienne et musulmane s'empara des faubourgs d'Alcudia et de Villanueva. Une horrible famine se déclara dans la ville, ceux qui cherchaient à sortir de l'enceinte étaient massacrés ou vendus comme esclaves. Au bout de neuf mois, Valence capitula à des conditions avantageuses ou fut emportée d'assaut, à ce que prétend la chronique latine publiée par le P. Risco (1095).

Les historiens arabes, traduits par Conde, accusent « Ruderik le Cambitor, celui qu'Allah maudisse » d'avoir manqué à sa parole en faisant torturer, puis brûler vif, enterré jusqu'à la ceinture, le cadi Ahmed ben Gehâf qui refusait de révéler le lieu où il avait enfoui ses trésors. Maître d'une des principales villes d'Espagne, enrichi par la guerre, le banni était presque un souverain. Ce fut le moment choisi par Alfonso pour rendre sa faveur au vassal et révoquer son exil. (Ce rapprochement aurait eu lieu plus tôt, d'après quelques historiens).

C'est à la suite de cette conquête que le Poema del Cid rapporte un épisode célèbre, mais d'une authenticité douteuse. Les infants de Carrion demandèrent par l'entremise du roi la main de Sol et d'Elvira, ses filles. Ruy Diaz les fêta magnifiquement en sa ville de Valence, et leur fit présent à chacun d'une de ses épées. Ayant pris congé, et arrivés dans la solitude de Tormès, les deux frères, sous prétexte de venger une injure qu'ils disaient avoir reçue de leur beau-père, traînèrent leurs épouses par les cheveux, les frappant avec les courroies de leurs selles et leur déchirant la chair à coups d'éperons. Les abandonnant meurtries et dépouillées, les traîtres s'enfuirent. A la nouvelle de cet outrage, le Campeador vint demander justice au roi qui présidait les Cortès de Tolède; les infants, vaincus en champ clos, confessèrent leur félonie et rendirent les épées. Dans la suite, Elvira et Sol auraient épousé l'infant de Navarre, Garcia Ramirez, et Ramon Berenguer III, comte de Barcelone. (Outre ses filles, qu'il nomme Maria et Cristina, le Linage del Cid lui donne un fils, Diego Roiz, tombé au combat de Consuegra).

Les dernières années de Ruy Diaz furent occupées par la prise de Murviedro et la défense de Valence contre les Almoravides qu'il vainquit à Jativa avec l'aide de Pedro Ier d'Aragon. Après sa mort (1099), et suivant les romances, ses compagnons d'armes en cachèrent la nouvelle aux musulmans qui assiégeaient la ville, revêtirent le cadavre de son armure, l'attachèrent sur son cheval Babhieca, la Tizona au poing, et, sous sa conduite, mirent une fois encore l'ennemi en déroute. Malgré tant de victoires, Valence ne devait pas rester longtemps aux chrétiens. L'Almoravide Syr ben Ahi Bekr la reprenait en 1102. La dépouille du héros fut ensevelie à San-Pedro de Cardera, auprès de son épouse Ximena. En 1272, Alfonso X lui fit faire un cercueil de pierre, placé à la gauche de l'autel. Changé en 1447, il fut rétabli à son ancienne place sur l'ordre de Charles-Quint (1344). On prétend que Jayme d'Aragon portait la Tizona lors de la reprise de Valence (1238); la glorieuse épée passa ensuite à la maison de Falce. La Colada (l'autre épée du Cid) figure aujourd'hui à l'Armeria real de Madrid, et la cathédrale de Burgos affirme posséder un des fameux coffres légendaires.
Tizona.

La Tizona (copie de l'épée du Cid).

Pour toute l'Espagne, le Cid, grandi et idéalisé par l'imagination populaire, incarna la Castille et sa lutte contre les conquérants arabes; le coureur de frontières devint le chevalier par excellence, et que en buen hora nasco, et l'orgueil national lui attribua les exploits les plus extravagants; c'est ainsi qu'il triomphe du roi de France et de l'empereur d'Allemagne, franchit le défilé d'Aspa malgré le comte de Savoie, le fait prisonnier, brave le pape dans Rome, et reçoit à Valence une ambassade du soudan de Perse. La Cronica rimada le conduit même jusque devant Paris où il défie Charlemagne et les douze pairs. Son tombeau ne tarda pas à devenir un lieu de pèlerinage, et Philippe II fit demander à Rome, par l'entremise de son ambassadeur Diego Hurtado de Mendoza, la canonisation du champion de la foi catholique. Ce projet n'eut pas de suite.

Des oeuvres poétiques inspirées par les exploits du Campeador, la plus remarquable de toutes, et vraisemblablement la plus ancienne, est le Poema del Cid, publié pour la première fois par l'érudit Sanchez en 1779, dans sa Coleccion de poesias castellanas anteriores al siglo XVe. Ce poème, dont nous ne possédons probablement que la seconde partie, semble dater du milieu du XIIe siècle, compte trois mille sept cent quarante quatre vers, et s'étend depuis l'exil du héros jusqu'à ses dernières années. Signalons ensuite le Romancero del Cid, recueil de ballades composées à différentes époques, et dont plusieurs ont un incontestable caractère d'ancienneté, en dépit des remaniements incessants que leur ont fait subir les jongleurs

Les romances populaires forment un récit complet de sa vie légendaire. Ces fragments épiques inspirèrent plus tard Guillen de Castro dans son drame célèbre : Las mocedades del Cid (1624). Le poète valencien imagina le premier de dramatiser la passion de Rodrigo et de Ximena, et développa sur la scène en vers retentissants et, combat de l'amour et de l'honneur que devait reprendre Corneille dans sa tragédie du Cid (1636) imitée du chef-d'oeuvre castillan. Vers la même époque, mais probablement après lui, un poète espagnol, Juan Bautista Diamante, traitait le même sujet sous ce litre : El honrador de su padre.

Parmi les modernes, citons : Hartzenbusch, la Jura en Santa Gadea; Trueba, et Cid Campeador (roman historique) et las Hijas del Cid; Casimir Delavigne, la Fille du Cid; Bivar, le Cid exilé, etc., de Victor Hugo, dans la Légende des siècles (1re et 2e série); la Tête du comte, la Ximene, l'Accident de Don lñigo, de Leconte de Lisle, dans les Poèmes barbares; le Romancero du Cid, de José-Maria de Hérédia (Revue des Deux-Mondes du 1er décembre 1883), enfin Massenet, auteur de l'opéra du Cid. Herder a traduit en vers allemands une partie du Romancero du Cid. (Lucien Dollfus).

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