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Boris
Godounov (1598-1605) et le temps des troubles (1605-1613).
A la mort sans enfant de Feodor
Ivanovitch, en 1598, après
un simulacre de consultation nationale auquel prirent part les boïars
et des représentants de la petite noblesse et du clergé,
le trône fut offert à
Boris Godounov.
Beau-frère de Feodor, il avait gouverné sous son nom pendant
tout son règne; il possédait la tradition de la politique
russe, et devait la continuer non sans éclat. Mais il avait contre
lui son origine : tandis que beaucoup de ses nouveaux sujets étaient
des Rurikovitch, il était lui, d'origine tatare : il était
le premier de cette origine. Puis on le soupçonnait d'avoir, inspiré
l'assassinat, en 1591, du petit Dimitri;
le dernier fils d'Ivan le Terrible. En réalité,
il était un intrus sur le trône, et le premier incident malheureux
devait démontrer sa faiblesse.
De 1598 à
1601,
tout alla bien - à part quelques échecs dans une entreprise
hasardée au Caucase
- mais de 1601 à 1604, une épouvantable famine désola
la Russie. La peste
lui succéda. Puis, le bruit se répandit dans l'empire que
Dimitri l'assassiné était encore vivant, et qu'il allait
revendiquer son trône les armes à la main.
Boris Godounov
n'avait pour lui que la petite noblesse. Par un ukase qui marque
un des « points tournants » de l'histoire
russe, il venait d'enlever aux paysans le droit de passer librement,
le jour de la Saint-Georges, des terres d'un seigneur sur un autre : en
d'autres termes, pour protéger les petits nobles contre les boïars
qui leur débauchaient leurs paysans, il venait non de créer
le servage, mais de lui donner, pour la première fois, une sorte
de consécration légale. Aussi les masses profondes du peuple
étaient-elles disposées à acclamer le prétendant.
Qui était ce Dimitri?
En dépit de la version officielle russe, qui veut voir en lui un
moine défroqué, du nom de Grégori Otrepiev, on ne
sait encore d'où il provenait; il n'y a d'ailleurs pas de probabilité
qu'il fût vraiment Dimitri. En tout cas, brave soldat et politique
habile, aidé du reste de tous les ennemis de la Russie ou du tsar,
fort de l'appui de Polonais, de Cosaques,
de tous les aventuriers des frontières, des paysans, et de la complicité
secrète des grands seigneurs, il marcha de succès en succès.
La mort de Boris, en 1605, vint juste
à point. Quand Dimitri marcha sur Moscou,
le peuple s'y souleva, massacra le fils et la femme de "l'usurpateur",
acclama Dimitri lvanovitch qui monta triomphalement sur le trône.
II ne s'y maintint pas longtemps. Dépopularisé bientôt
par son goût pour les étrangers et surtout pour les Polonais,
moins d'un an après son entrée dans Moscou, il fut assassiné
par les boïars (1606). Encore
une fois, la Russie était sans prince. Pour lui en donner un, il
aurait fallu une consultation des trois ordres, comme à l'avènement
de Godounov. L'auteur de la conjuration qui venait d'emporter Dimitri,
le prince Vassili Chouïski, se fit
proclamer par les boïars. Impopulaire dès le premier jour,
il eut bientôt à lutter non plus contre un, mais contre plusieurs
Dimitri. Sur toutes les frontières, des samozvantzy (prétendants,
imposteurs) apparurent, avec des armées de serfs et de Cosaques;
derrière eux; accouraient les Polonais. En 1610,
Vassili
Chouïski dut abdiquer, et la douma, le conseil des boïars,
ne voulant pas subir le joug d'un des faux Dimitri, prit le parti d'offrir
la couronne à Vladislas, fils du roi de Pologne, Sigismond.
C'est la dernière période
du grand interrègne russe. Pendant que la plus grande partie des
boïars reconnaissait l'étranger, et que les Polonais occupaient
Moscou,
un soulèvement populaire éclata dans les provinces de l'Est
et du Sud. Une armée se forma à Kazan ,
sous les ordres du boïar Pojarski et du boucher Minine. En 1612
les Polonais étaient expulsés de Moscou; une grande assemblée
nationale s'y réunit en 1613
et proclama tsar Michel Romanov qui n'avait que treize ans, mais dont le
père, le métropolite Philarète, alors prisonnier des
Polonais,
était l'incarnation la plus haute du sentiment national.
Les
premiers Romanov
Michel Feodorovitch.
Doux, indolent, presque incapable, Michel
Feodorovitch (1613-1645),
aussitôt devenu tsar laissa le pouvoir à des favoris d'abord,
plus tard à son père Philarète. La libération
et la pacification de la Russie marchèrent lentement. Il fallut
d'abord débarrasser le plat pays des samozvantzy, des Cosaques
et des brigands, puis résister aux envahisseurs étrangers.
Les Suédois, sous Gustave-Adolphe,
avaient achevé la conquête des côtes russes du golfe
de Finlande et pris Novgorod : on dut leur
acheter la paix par la paix perpétuelle de Stolbova (1617),
qui leur abandonna l'Ingrie ,
et Gustave-Adolphe se vanta, devant le Sénat suédois, d'avoir
à jamais exclu de la mer les barbares. En fait, les Moscovites n'avaient
traité avec la Suède que pour disposer de toutes leurs forces
contre leur ennemi le plus dangereux, Vladislas de Pologne .
En 1618, après une campagne
qui fut malheureuse pour les Russes, mais où les Polonais échouèrent
devant Moscou, une trêve fut conclue
à Deoulino, trêve onéreuse qui laissait aux Polonais,
entre autres places, Smolensk ,
la clef de la Moscovie. En 1632, cette
trêve fut rompue, mais les Moscovites furent encore battus, et les
Polonais gardèrent Smolensk.
Ces défaites étaient dues
au manque, en Moscovie, d'officiers au courant des progrès de la
tactique occidentale. Il n'est donc pas étonnant, que le règne
de Michel ait été marqué par un afflux nouveau d'étrangers.
Sous son règne, on en trouve partout; dans toutes les villes, il
y a des marchands hollandais et anglais; des Hollandais
établissent des manufactures, des fonderies de canons. En même
temps, la Russie prend une place de plus
en plus grande dans la politique européenne. Les puissances en lutte
avec la maison d'Autriche
et par conséquent avec la Pologne ,
alors son alliée, sollicitent l'alliance russe. Des ambassadeurs
suédois, hollandais, impériaux, français, turcs, se
succèdent à Moscou, et les relations
de quelques-uns d'entre eux jettent un jour curieux sur l'état de
la Moscovie à cette époque.
Alexis Mikhaïlovitch.
Alexis Mikhaïlovitch (1645-1676)
continue, à l'intérieur comme à l'extérieur,
la politique de son père. A l'intérieur, l'influence européenne
gagne sans cesse du terrain; les manufactures dirigées par des étrangers
deviennent plus nombreuses; sous l'initiative de ces mêmes étrangers,
la Russie est dotée d'un service
des postes, à l'instar de ceux qui, depuis longtemps, fonctionnaient
dans l'Europe
occidentale; on commence dans les grandes familles à apprendre des
langues étrangères; on lit et on traduit des livres européens;
la législation est modifiée dans un sens favorable aux femmes,
sous l'influence des lois d'Europe. A la
cour même, l'esprit nouveau se manifeste : le tsar se fait jouer,
par des Allemands improvisés acteurs,
des pièces qui, pour ne guère ressembler aux tragédies
contemporaines de Corneille, n'en témoignent
pas moins de l'invasion des divertissements que la Russie
du Moyen âge
avait eus en horreur. Mais la grande réforme du règne d'Alexis,
la plus importante, non par sa valeur en soi, mais par ses conséquences,
c'est la révision de la Bible ,
opérée d'après les textes grecs, par le patriarche
Nikone. Dans les masses du peuple qui voient autant de sacrilèges
dans les modifications apportées aux formes consacrées par
la tradition, la protestation prend la forme d'une hérésie,
celle des vieux croyants, qui aujourd'hui encore compterait des
millions de sectateurs.
Au dehors, Alexis Mikhaïlovitch reprend
la lutte contre les Polonais. Cette fois,
favorisés par l'anarchie polonaise et
surtout par la révolte, contre les Polonais catholiques,
des populations orthodoxes de la Petite-Russie - l'ancienne Kiévie
- les Moscovites ont le dessus. Ils arrivent jusque dans Vilna (Vilnius) .
Repoussés plus tard, ils n'en gardent pas moins, à la trêve
d'Androussovo
(1667), Smolensk
et Kiev, avec la suzeraineté sur l'Ukraine,
c.-à-d. sur le pays des Cosaques, à l'Est du Dniepr, qui
devient, sur la partie moyenne de son cours, frontière entre la
Pologne et la Moscovie. En fait, il faudra de longues années pour
établir, dans cette turbulente Ukraine, la domination effective
des tsars. La réintégration des terres russes, ce but de
la politique moscovite depuis deux siècles, n'en est pas moins commencée,
et l'on peut dire que, dès ce temps, la Pologne subit son premier
démembrement. Contre les
Suédois,
Alexis est moins heureux. Après avoir conquis presque toute la Livonie ,
il la reperd, et le traité de Kardis (1661)
rétablit le statu quo ante bellum. Enfin, sous Alexis, la
Moscovie subit encore la répercussion des troubles de l'époque
précédente. Ses provinces de l'Est et du Sud sont dévastées
par la révolte du Cosaque Stenka Razine, qui, finalement battu et
fait prisonnier, est écartelé à Moscou
en 1670. ( Les
Ballades de Stenka Razine )
Feodor Alexeievitch.
Le règne de Feodor
Alexeievitch (1672-1682)
est beaucoup moins riche en événements. Il n'y eut pas de
guerre, si ce n'est en Ukraine, où les deux partis, moscovite et
polonais, se disputaient le pouvoir. A l'intérieur, Feodor fonda
«-l'académie slavo-gréco-latine
» de Moscou qui, tout arriérés
que fussent ses programmes et ses méthodes, devait donner des hommes
distingués à la Russie; et
enfin il abolit le miestnitchevstvo, les querelles sur le droit
de préséance, qui, mettant constamment les boïars aux
prises, avait déjà causé des désastres aux
armées moscovites. En 1682,
Feodor mourut sans enfant.
Il laissait deux frères, Ivan
et Pierre, nés de deux épouses
successives d'Alexis Mikhaïlovitch. Ivan était l'aîné,
mais il était notoirement imbécile; les boïars et le
patriarche Joachim proclamèrent donc tsar le jeune Pierre qui n'avait
que neuf ans, sous la tutelle de sa mère, Natalie Narichkine. Le
parti adverse, celui des parents d'Ivan, les Miloslavski, chercha sa revanche
dans l'émeute. Quelques mois après l'avènement de
Pierre, une révolte de troupes éclata - les Streltzy
(littéralement tireurs, arquebusiers ou mousquetaires), massacrèrent
plusieurs Narichkine, et mirent Ivan sur le trône, à côté
de Pierre. La régence devait être exercée par un personnage
qui, caché dans la coulisse, avait tout dirigé; c'était
la tsarevna Sophie, la soeur ainée des deux petits tsars.
La régence dura sept années.
Aucun événement important ne les illustra. Sophie se rapprocha
des Polonais pour entrer avec eux et les
Autrichiens
dans une grande alliance dirigée contre les Turcs.
Mais l'expédition qu'elle envoya contre les Tatars de Crimée ,
vassaux du sultan, ne put pénétrer en Crimée, et son
échec accrut encore l'impopularité d'un gouvernement qui
scandalisait et irritait les vieux Moscovites; avait-on jamais vu Moscou
gouvernée par une femme? A mesure que Pierre
grandissait, tous les regards se tournaient vers lui. Sophie, sentant approcher
la fin de son pouvoir, suscita une révolte dans laquelle elle espérait
que le jeune tsar disparaîtrait. Elle échoua, fut enfermée
dans un couvent, tandis que Pierre prenait possession du trône. (Haumant). |
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