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La Révolution française
Les sociétés fraternelles des deux sexes
Le féminisme
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Quand éclata la Révolution, il existait en France des démocrates socialistes. Il y eut aussi quelques démocrates féministes, qui furent d'avis d'admettre les femmes dans la cité politique. Déjà Condorcet, en 1788, traçant un plan de réforme politique et sociale, avait demandé publiquement que les femmes participent à l'élection des représentants. Et ce n'était pas là une nouveauté absolument chimérique. Condorcet parlait d'un fait réel, fort oublié aujourd'hui. Si, en effet, l'Ancien régime tenait les femmes en esclavage quant aux droits civils, il ne lui refusait pas absolument tout droit politique. Ainsi les femmes propriétaires d'un fief furent admises à jouer un rôle dans le système électoral des Assemblées provinciales et municipales. Il en fut de même pour les élections aux Etats Généraux, et il arriva que de députés de la noblesse et du clergé durent leur élection à des voix féminines. L'idée d'admettre toutes les femmes à l'exercice du droit de suffrage politique semblait donc justifiée par une expérience partielle. Aussi y eut-il, dès 1789, un premier et assez vif mouvement féministe, qui se manifesta par des pétitions et des brochures, mais qui semble être émané presque uniquement de femmes, et auquel les hommes opposèrent d'abord un silence dédaigneux.

Le femmes plaidèrent aussi leur cause par des actes : elles participèrent à la Révolution, qu'elles contribuèrent à faire réussir, celles-là dans les salons, celles-ci dans la rue, quelques unes à la prise de la Bastille. Elles concoururent à la municipalisation de la France en juillet 1789.  Ce sont des femmes qui rendirent les journées les 5 et 6 octobres, si décisives. La Commune, en 1790, décora de médailles beaucoup de Parisiennes. Il y eut çà et là, en province, des bataillons d'amazones, par exemple à Vic-en-Bigorre. Les femmes avaient vraiment fait acte de citoyennes, lorsque Condorcet reprit en main leur cause, avec plus d'éclat et d'insistance qu'en 1788, et publia, en juillet 1790, dans le Journal de la Société de 1789, un vigoureux et éloquent article, intitulé : Sur l'admission de le femme au droit de cité, qui était un véritable manifeste féministe.

Cette fois, les hommes ne purent, comme en 1789, obtenir un ordre du jour dédaigneux sur la question du droit politique des femmes. Le manifeste de Condorcet fit grand bruit. La question fut débattue dans les journaux, dans les salons, dans les clubs, au Cercle social. Ce cercle, d'abord incertain, adhéra (30 décembre 1790) aux vues de Condorcet, et marqua cette adhésion en faisant imprimer et répandre un discours féministe de Mme Aëlders, qui essayait de fonder et de fédérer dans toute la France des Sociétés patriotiques de citoyennes.

Cependant la plupart des démocrates dirigeants évitèrent de se prononcer théoriquement sur la question du droit des femmes, et surtout d'encourager le mouvement féministe tel que Mme Aëlders essayait de l'organiser. Ces clubs de femmes, établis en face des clubs d'hommes, risquaient de diviser la Révolution. A cette tentative dissociante, stérilisante, des patriotes au coeur chaud et à l'esprit éIevé préférèrent la belle et féconde tentative révolutionnaire d'association fraternelle de des hommes et des femmes. Il s'agit des Sociétés fraternelles des deux sexes, qui jouèrent un rôle si important dans l'élaboration de la démocratie et de la république. Ces sociétés furent un des moyens et un des effets du mouvement démocratique anti-bourgeois; elles furent une des formes des Sociétés populaires.

Aujourd'hui, par ce mot de Sociétés populaires, il semble qu'on doit entendre tous les clubs politiques quelconques, et ce fut bien là, en effet, le sens du mot en 1793 et en 1794. Mais, il n'en était pas de même en 1790 et en 1791. Le club des Jacobins, ou club des amis de la Constitution, était une société bourgeoise, c'est à dire de citoyens actifs, groupés autour d'un noyau primitif de députés, afin de préparer. à huis clos, les délibérations de l'Assemblée nationale. Sans doute il y avait là des démocrates avancés, comme Robespierre; mais ce n'était pas un club populaire, et le peuple en était exclus. Au contraire, le club des Cordeliers (Société des Droits de l'homme et du citoyen), franchement démocratique, unanimement démocratique et anti-bourgeois, fut une société vraiment populaire, aux tribunes publiques, ayant dans son auditoire, et peut-être même parmi ses membres, des citoyens passifs et des femmes.

Quand éclata l'antagonisme entre la politique bourgeoise et la politique démocratique, en 1790, il se fonda, sous les auspices des Cordeliers, des Sociétés populaires, c'est-à-dire admettant parmi leurs membres des citoyens passifs. Il y eut eut dans les grandes villes, par exemple à Lyon, mais surtout à Paris. Quelques-unes ne comptaient que des hommes; mais la plupart admettaient les deux sexes, et il y en eut même qui admirent des enfants à partir de douze ans.

Nous n'avons pas de liste complète de toutes ces sociétés; mais il semble qu'il s'en soit établi dans presque toutes les sections de Paris. Le but premier et avoué des Sociétés populaires, c'est l'instruction du peuple. On réunit le soir, surtout le dimanche, des familles d'ouvriers pour leur lire la Déclaration des droits, les lois, leur faire un cours d'enseignement civique. Rien de plus simple au début. Une des Sociétés fraternelle des deux sexes, celle qui s'installe dans le même couvent des Jacobins où siègent les Amis de la Constitution, est fondée en octobre 1791 (semble-t-il) par un pauvre maître  de pension, Claude Dansard. Il apportait chaque fois un bout de chandelle dans sa poche avec un briquet et de l'amadou. Quand la séance se prolongeait, l'assistance se cotisait pour avoir une autre chandelle.

Ces humbles réunions ont, dès le début, une grande importance sociale, puisqu'elles réunissent en groupes fraternels des bourgeois et des prolétaires, des hommes et des femmes. Elles jouent un rôle politique parce qu'elles enseignent au peuple ses droits et popularisent l'idée du suffrage universel. Bientôt, ce n'est plus le pauvre Dansard qui préside celle qui siège aux Jacobins : ce sont des hommes assez considérables. François Robert, Mittié, l'abbé Mathieu, Pépin-Dégrouhette. Des femmes connues s'y font admettre : Mme Robert-Keralio, Mme Moitte, de l'Académie de peinture. Mme Roland fait d'abord la dédaigneuse; elle raille les femmes qui se montrent; puis, après la fuite à Varennes, elle se fait inscrire aux Sociétés fraternelles.

Ces Sociétés passent de l'enseignement à l'action : elles surveillent, dénoncent les fonctionnaires, morigènent le Département de Paris, publient des adresses. Elles font tout ce que fait le club des Jacobins, mais avec des visées unanimement démocratiques. Au commencement de 1791, la Société des indigents (des deux sexes) s'organise contre la nouvelle aristocratie des riches.

Toutes préparent des moeurs républicaines, en adoptant le tutoiement, en substituant les mots de frère et de soeur à ceux de monsieur, madame, mademoiselle. Mme Robert, qui va s'appeler soeur Louise Robert, se félicite publiquement du grand rôle démocratique que prennent les Sociétés populaires, qui deviennent en horreur aux ennemis de l'Etat  et s'écrie avec enthousiasme :

« Nos fils, parvenus au plus haut de la félicité publique, élèveront enfin un véritable monu ment à la liberté; ils graveront sur la pierre dont il sera construit : Nous le devons aux Sociétés fraternelles. »
Les femmes sont l'âme de ces Sociétés et du mouvement démocratique : 
« Honneur à la plus intéressante moitié du genre humain! Jusqu'à ce jour, elle avait pris peu de part à la Révolution; jusqu'à ce jour, on avait compté peu de femmes patriotes: mais enfin voilà que la candeur et la grâce sont aussi de la partie, et, à coup sûr, ça ira. »
La démocratie que rêvent les Sociétés populaires est très large; on y admettra même les domestiques, que Mme Robert propose d'élever par la fraternité a la dignité d'hommes. Mais ce ne sera pas une démocratie socialiste : en mai 1791, la Société des Indigents arrête de réfuter dans une adresse un libelle incendiaire sur le partage des terres. Ce ne sera pas une démocratie féministe, car on ne voit pas qu'aucune Société populaire ait revendiqué les droits politiques pour les femmes. Et si ces Sociétés préparent les moeurs républicaines, si les républicains en sont les meneurs les plus ardents, il ne semble pas qu'on y prononce encore le mot de république.

Habilement restreint de manière à ne pas trop choquer l'opinion et à rallier toutes le forces révolutionnaires, leur programme, c'est la suppression des conditions censitaires : c'est le suffrage universel.

Au commencement de mai, il y eut une tentative (dont l'idée semble titre partie du salon Keralio-Robert) pour fédérer les Sociétés populaires de Paris. Sous la présidence de Robert. il se forma un Comité central de trente de ces Sociétés, qui tint ses deux premières séances les 7 et 10 mai 1791, dans le local de Cordeliers. Le gouvernement de la bourgeoisie sentit la gravité de cet effort en vue d'unifier le mouvement démocratique : le maire fit mettre les scellés sur le couvent des Cordeliers, et c'est alors que la Société des droits de l'homme émigra rue Dauphine. Le Comité central tient séance, le 14, dans un jeu de paume. Il tente, le 15, une coalition de toutes les Sociétés « pour arriver aux moyens de tenir tête à l'orage ». Le club des Jacobins est invité à envoyer des délégués au Comité central. Il hésite, il va le faire : un discours de Gaultier de Biauzat l'en détourne; il reste officiellement un club bourgeois. Le Comité central continue à se réunir et à fonctionner, d'abord chez Robert, puis dans une maison de la rue de la Cité. Mais les hommes politiques importants ne s'y adjoignent pas. Toujours monarchistes, ils se défient de ce Comité présidé par un républicain. C'est dans le cadre bourgeois des Jacobins que Robespierre et Pétion persistent à placer leur action politique. Mais les voilà obligés d'être aussi démocrates que les chefs des Sociétés populaires. (Aulard).

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