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Les
Incas
sont les souverains du Pérou
avec lesquels les Conquistadores
espagnols se trouvèrent en contact au moment de leur venue dans le pays,
et dont ils détruisirent la puissance. Depuis plusieurs siècles, déjÃ
ils régnaient sur une partie du Pérou. L'empire des Incas était
très fortement organisé, et une importante civilisation s'y était développée.
L'écriture était
inconnue des sujets de l'Inca (les quipu, sortes de franges à noeud
ne servaient qu'Ã tenir les comptes), les monuments ne portent donc pas,
comme au Yucatan ,
par exemple,, des inscriptions et des dates. La tradition se transmettait
oralement, d'ailleurs avec le plus grand soin, et c'est par elle que l'on
connaît l'histoire des peuples andins, grâce aux témoignages enregistré
par les premiers chroniqueurs. Cette histoire se réduit, comme pour le
Mexique ,
aux derniers siècles ayant précédé l'expédition de Pizarro
et prend rapidement au delà une teinte mythique qui oblige aujourd'hui
les américanistes à chercher ailleurs des documents. Les pièces archéologiques
heureusement abondent, surtout au pied des montagnes, sur la côte péruvienne
dont les sables secs conservent intacts les corps quasi momifiés qui leur
ont été confiés, ainsi que tous les objets qui les entouraient. La technique
relativement avancée de ces pièces dans les couches les plus profondes
du sol fait supposer que leurs artisans possédaient déjà à cette époque
une culture avancée.
Les découvertes
archéologiques font penser que des tribus, déjà en régression à l'arrivée
des Européens, avaient atteint jadis un
certain développement et que c'est chez elles qu'on trouvera en partie
l'origine de la culture andine primitive, d'où serait sortie la civilisation
aymara et, plus tardivement celle des Quechuas, brillant rejeton de la
précédente.
On parvient ainsi
à l'époque historique, à celle du développement de l'empire des Incas.
Garcilasso
de la Vega, qui croit donner des Incas une chronologie exacte, fait
remonter leur dynastie au XIIe
siècle de notre ère avec son fondateur
Manco-Capac, ce qui paraît admissible. Douze ou treize souverains se seraient
ainsi succédés jusqu'à l'arrivée des Espagnols.
Des légendes merveilleuses entourent la personne de Manco-Capac. Il fut
vraisemblablement un chef remarquable; on lui attribue les grandes réformes
qui devaient amener plus tard les Quechuas au développement que l'on sait.
Il fit bâtir le
premier quartier du Cuzco, future capitale
de l'Empire. Parmi ses successeurs les plus importants, citons Capac-Yupanqui;
il accrut fortement le domaine territorial des Quechuas, en infligeant
des défaites aux tribus voisines qui, voyant avec crainte grandir la puissance
du Cuzco, devenaient chaque jour plus hostiles. Mais c'est dans la seconde
moitié du XIVe
siècle que les Incas étendirent vraiment
leurs possessions : le règne de Yahuar-Huaccac voit la guerre heureuse
contre les Collas au sud, celui de Huiracocha enregistre la défaite des
Chancas; sous Pachacutec (Pachacuti) la puissante tribu des Huancas, qui
barrait le passage au Nord-Est, est vaincue et les Quechuas portent leurs
armes victorieuses jusqu'à Tumibamba en Équateur .
Pachacutec régna de 1438
à 1472;
grand législateur, on lui doit notamment l'obligation du recensement périodique.
Il créa l'institution des Vierges du
Soleil et fit bâtir le fameux temple du Ccoricancha au Cuzco. Son fils
Tupac-Yupanqui s'empare de la côte et consolide les acquisitions paternelles;
il pousse ses armes au sud jusqu'au rio Maule (Chili ).
-
Statue
en hommage à Pachacutec, à Aguas Calientes (Pérou).
Huayna-Capac, fils
de Tupac-Yupanqui, paracheva la conquête de l'Équateur ;
il séjourna longtemps à Quito et y mourut (1525)
en ayant porté l'Empire à son apogée territoriale. Celui-ci comprenait
alors une grande partie de l'Équateur, le Pérou
tout entier, le plateau bolivien
et la côte nord du Chili
actuel. Huayna-Capac avait laissé l'Empire à deux de ses fils qui n'étaient
probablement pas plus légitimes l'un que l'autre-:
Huascar devait régner sur l'ensemble du pays au sud et Atahualpa,
petit-fils par sa mère de l'ancien roi des Quitus, avait l'Équateur en
partage. Atahualpa, nommé par Huascar son lieutenant, n'accepte pas ce
rôle de subordonné et se révolte. Il remporte des victoires successives
à Tumibamba, Cajamarca et jusque sur les
rives de l'Apurimac. Huascar est fait prisonnier. A cette époque, Pizarro
et ses deux cents hommes débarquent sur la côte nord du Pérou et sont
favorablement accueillis par la population. Atahualpa les reçoit à Cajamarca
en 1532,
mais il tombe dans un guet-apens et sous prétexte de trahison est mis
à mort par eux. Les Espagnols poursuivent
la conquête du Pérou qui s'achève en 1534 par la prise du Cuzco .
Ce résultat surprenant était dû à l'ascendant que les nouveaux venus
exerçaient sur les Indiens, uni aux graves divisions intérieures qui
affaiblissaient l'Empire et avaient permis de faire marcher les tribus
quechuas les unes contre les autres.
-
Le
régime politique et social
L'organisation
politique.
A la base des institutions
sociales, on trouva chez les Quechuas, comme dans le reste de l'Amérique ,
le clan nommé aylly et le groupement de clans. Très tôt et sans
qu'on puisse préciser l'époque à travers les récits mythiques qui nous
ont été transmis, on constate qu'un certain clan, appelé Inca,
prit un ascendant considérable sur ses voisins. Il était dirigé par
un chef qui se disait d'origine divine et dont les pouvoirs se transmettaient
héréditairement. Au XVe
siècle l'organisation incasique avait
atteint son apogée. Voici le tableau qu'on en peut tracer : au sommet
de la hiérarchie se trouvait le Sapa-Inca ou Inca résidant dans sa capitale
du Cuzco, ville très importante située Ã
plus de 3000 mètres dans la Cordillère des Andes, au nord du lac Titicaca.
Il y régnait en despote entouré des siens. Son origine divine (il se
disait fils du Soleil )
conférait à sa personne et à ses édits un caractère sacré; elle avait
pour conséquence de lui imposer une règle matrimoniale spéciale : il
pouvait avoir autant de concubines que bon lui semblait, les enfants qu'elles
lui donnaient faisaient partie de la famille royale, mais il ne possédait
qu'une épouse légitime, sa soeur aînée, afin que le sang transmis Ã
son héritier restât pur de tout mélange. L'endogamie chez les Incas
ne comportait pas d'exception. L'épouse portait le titre de Ccoya. L'Inca
ne cumulait pas ses fonctions avec celles de grand-prêtre, mais le fait
qu'il avait le Soleil pour ancêtre, l'obligeait à tenir le premier rôle
dans certaines cérémonies
consacrées à l'astre-dieu. On lui témoignait les plus grandes marques
de respect. Il était sensé ne pas mourir; le Soleil, disait-on, le rappelait
à lui. Afin de donner quelque apparence de réalité à cette croyance,
son corps embaumé et richement habillé, la figure dissimulée sous un
masque d'or, prenait place, à côté de ses aïeux, dans une niche du
Ccoricancha, ou temple du Soleil. Sa femme devait le suivre dans son grand
voyage; on l'enterrait vive.
La famille royale
fort nombreuse ressemblait un peu à la gens romana. Elle constituait
comme une cour autour du souverain et jouissait de privilèges. C'est parmi
ses membres que l'Inca recrutait les hauts fonctionnaires, les chefs militaires
et les principaux prêtres. Il existait aussi près du souverain et mêlée
à sa famille, une noblesse d'arme reconnaissable à ses insignes et jouissant
elle aussi, en récompense des charges militaires, de privilèges étendus;
ses membres à l'origine avaient dû appartenir au même clan ayant pour
totem le condor. Les Espagnols les nommèrent
les orejones, c'est-à -dire les « grandes oreilles » en raison
du disque énorme qui leur distendait le lobe de l'oreille. Le titre était
héréditaire, mais devait se gagner au cours d'épreuves d'endurance physique
fort dures.
A la tête des grandes
provinces et des régions nouvellement rattachées à l'Empire, se trouvait
un fonctionnaire supérieur nommé
curaca. L'Inca le choisissait
de préférence parmi les membres de sa famille; on conservait parfois
aussi comme curaca les anciens souverains des pays conquis lorsque ceux-ci
avaient donné assez de preuves de soumission et de loyalisme.
Entre l'homme du
peuple et le curaca existait tout un cadre de fonctionnaires hiérarchisés.
Au premier échelon se voit le camayoc, le mentor et en même temps le
porte-parole de dix familles. Pour faire respecter les multiples ordonnances
de l'Inca, il lui fallait exercer une surveillance constante, même sur
la vie privée de ses subordonnés qui en étaient arrivés à prendre
leurs repas la porte ouverte. La réglementation s'étendait au labeur
journalier, à la nourriture, aux vêtements. Les déplacements hors de
l'ayllu entraînaient une autorisation. Cette contrainte perpétuelle,
cette suppression de l'initiative acceptée par les Quechuas et qui faisait
d'eux des enfants, pesa lourdement sur leurs épaules et prépara la servitude
dans laquelle ils devaient tomber avec les Espagnols.
Le camachicuc, autorité d'un rang supérieur, avait cent familles
et par conséquent dix camayoc sous sa juridiction. Cette division en dix
et cent familles, base commode de répartition, n'était peut-être pas
rigoureuse dans la pratique, on cherchait à la faire cadrer avec l'état
de chose existant. Aussi le camachicuc se confondait-il souvent avec le
chef de l'ancien clan, de l'ayllu. Un groupement de cinq ayllu s'appelait
marca;
deux marca avaient droit à un curaca pour chef.
« L'homme du
peuple ».
Devant une telle
armée de fonctionnaires, quel était le sort réservé à l'homme du peuple?
Tout comme au Mexique ,
il recevait en se mariant une surface déterminée de terrain ou tupu,
à ensemencer en maïs; le produit de cette terre suffisait à sustenter
le ménage, elle était accrue d'une quantité égale, ou moindre de moitié,
à chaque naissance de fils ou de fille. Le tupu était concédé à titre
éminemment précaire, Ia mort où le mariage d'un enfant entraînait une
suppression correspondant de terrain. Si le père de famille venait Ã
disparaître, la veuve conservait pour sa subsistance et celle de ses enfants
la surface accordée et un devoir strict de solidarité obligeait les gens
du groupement à lui venir en aide. Des châtiments sévères attendaient
le paresseux, le gaspilleur du précieux liquide, l'eau, car il compromettait
à la fois sa récolte et celle des voisins qui étaient tributaires de
sa propre irrigation.
Outre les charges
militaires supportées par roulement, le paysan avait à fournir de multiples
prestations; la première consistait encore en travaux agricoles; les terres
cultivables se divisaient en trois catégories : celles du Soleil, celles
de l'Inca, celle du peuple. On cultivait obligatoirement en premier lieu
les terres du Soleil dont les produits, placés en des dépôts spéciaux,
servaient à la subsistance des prêtres, des armées en campagne et même
du peuple, en cas de disette. Venaient ensuite les terrains des veuves,
des infirmes, des orphelins, puis ceux des particuliers. On finissait par
les champs appartenant à l'Inca, dont les travaux étaient le signal de
fêtes et de réjouissance Le paysan devait aussi contribuer à la construction
des murs de soutènement qui rendaient l'irrigation possible, à l'établissement
des barrages, des conduites d'eau, à la création et à l'entretien des
routes, orgueil des Quechuas.
-
Portions
de route inca.
Le régime familial
supposait la monogamie. Des exceptions à cette règle
n'existèrent qu'en
faveur des grands et dans un but déterminé. Le mariage se célébrait
officiellement au nom de l'Inca, il fallait que la femme eût au moins
18 ans et l'homme 24 et tous deux devaient appartenir au même ayllu. Des
obligations réciproques incombaient aux époux. La femme pouvait être
répudiée, mais dans des cas limités; elle n'était traitée ni en esclave
ni en bête de somme, elle aidait son mari dans les travaux agricoles.
Outre les soins à donner aux enfants, elle s'occupait du ménage et surtout
elle filait et tissait l'étoffe des vêtements.
L'agriculture
et l'élevage.
La culture du sol
dans l'Empire incasique avait pris une importance considérable. Il fallait
avant tout assurer une production en maïs suffisante pour l'alimentation
de la population. La mise en valeur des terrains, entreprise de préférence
dans les fonds des vallées, se poursuivait fort haut sur les flancs des
montagnes au moyen de nombreux petits murs de soutènement, ou andenes,
en pierres sèches qui transformaient les pentes en terrasses successives
dont l'horizontalité relative permettait l'irrigation. Le voyageur reste
surpris en voyant encore les Andes couvertes de ces murs, à moitié écroulés
aujourd'hui, qui témoignent de l'effort intelligent de longues générations.
Non moins remarquables étaient les travaux de conduite des eaux et les
barrages destinés à constituer des réserves de liquide pour la saison
sèche. Le principe de l'engrais recevait une application raisonnée; outre
les fumures animales naturelles, on utilisait les riches dépôts de guano
(huanu) que des oiseaux marins depuis des siècles avaient accumulés
sur les îlots de la côte privés de toute pluie. Chaque année, après
l'époque des couvées, le guano était transporté sur le littoral Ã
l'aide de radeaux, ou balsas, et distribué par les soins de fonctionnaires
spéciaux.
Outre le maïs, on
cultivait au Pérou
la pomme de terre ,
la patate douce, la citrouille (sapayo), le haricot, le manioc,
le piment, et des fruits comme la goyave ,
l'avocat (palta), l'anone (chirimoya). La culture de la précieuse
coca
n'était pas libre; les pieds en étaient dénombrés et les feuilles,
recueillies et séchées, ne se distribuaient qu'à bon escient; mâchées
avec une cendre végétale qui en dégageait plus aisément l'alcaloïde,
elles provoquaient une diminution de la fatigue, un apaisement de la faim
qui autorisait la prolongation de l'effort physique. Les Indiens font encore
de nos jours abus de la coca au Pérou et en Bolivie .
Les Quechuas cultivaient aussi deux plantes
textiles : l'agave et le coton.
L'élevage au Pérou
comprenait certaines espèce d'oies et de canards, des cobayes, des chiens,
enfin des camélidés : l'alpaca à la laine soyeuse et le lama, seul animal
domestique d'Amérique
susceptible de porter une charge, encore fallait-il que le faix ne dépassât
pas une trentaine de kilogrammes. Réunis en troupeaux, les lamas paisibles
consentaient à transporter leurs petits fardeaux sur de longs parcours
à travers les Andes. L'homme chargeait ses épaules de poids autrement
lourds.
La
religion
Non seulement les
ayllu
reconnaissaient chacun un esprit protecteur particulier, mais il en était
de même de chaque marca et de chaque grande province. Parmi les
totems les plus fréquemment nommés, on trouve le jaguar, le puma, le
condor, le serpent, des oiseaux marins, des poissons, certains rochers,
même des lacs. On ne connaît pas bien aujourd'hui le culte rendu au totem,
ou paccarisca; l'animal vénéré jouissait de privilèges, on ne
pouvait ni le tuer ni le manger (sauf exceptions rituelles); dans les fêtes,
on portait son insigne, les hommes revêtaient aussi des peaux de jaguar
ou de puma, ou bien s'attachaient au dos de grandes ailes de condor.
Au totémisme se
superposait la religion solaire; il n'y avait pas de véritable incompatibilité
entre les deux croyances. Les Incas ont développé et généralisé le
culte envers l'astre-dieu. Au sommet de la hiérarchie - car à l'imitation
de rouages gouvernementaux, les dieux étaient subordonnés les uns aux
autres, - se trouvait le Soleil ,
Inti. C'était lui le dispensateur de la lumière et de la chaleur, l'animateur
de la nature entière. Les temples lui étaient dédiés; le plus célèbre,
connu sous le nom de Ccoricancha, s'élevait au Cuzco,
il contenait un sanctuaire intérieur où resplendissait l'image du dieu
tout en or. L'Inca, en sa qualité de fils du Soleil, avait seul le droit
de l'appeler par son nom. L'astre avait pour soeur et épouse la Lune ,
Quilla, qu'on nommait aussi parfois Ccoya, comme la femme légitime du
souverain. Autour du couple divin gravitaient des puissances de second
ordre qui lui étaient soumises, telles que l'Éclair, émanation du Soleil ,
la planète
Vénus ,
la constellation
(ou plutôt l'astérisme )
des Pléiades. Toutes ces divinités avaient leur place au Ccoricancha.
Les Incas, dans leurs
efforts d'unification religieuse, ne parvinrent pas à étouffer certains
mythes
aussi vieux sans doute que le culte solaire. Ainsi le dieu Huiracocha,
dont on retrouve la légende dans tout le Pérou ,
était considéré comme le grand créateur de l'univers, des astres aussi
bien que du genre humain. On le représentait sous la forme d'un félin
cruel. Son rôle n'est évidemment pas conciliable avec celui du Soleil.
Le culte de Pachacamac ,
grand dieu des Yunka, ne fut toléré par les Incas qu'après le rattachement
de la côte à l'Empire et, sans doute, dans un but politique.
En dehors des divinités
officielles, chaque Indien possédait des analogues des dieux lares particuliers,
où conopas, auxquels ils prêtaient un pouvoir mystérieux et qui pouvaient
prendre les aspects les plus humbles et les plus inattendus. Tout ce qui
sortait de la norme jouissait de vertus secrètes, fut-ce une pierre aux
formes bizarres, un fruit monstrueux; Ã ces objets naturels s'ajoutaient
de petites figurines en argile ou en pierre, vraies divinités du foyer.
Au Pérou ,
les rites, selon qu'ils intéressaient l'individu ou la collectivité,
pouvaient se diviser en deux catégories. Dans la première se place la
cérémonie de la première coupe des cheveux et de l'imposition du nom
aux enfants âgés d'un an ou deux. Plus tard, à l'apparition de la puberté
jeunes filles et jeunes gens étaients soumis à des jeûnes ,
à une sorte de retraite suivie d'offrandes aux dieux et on leur donnait
leur nom définitif d'adulte. Les Quechuas pratiquaient une confession
de leurs fautes à laquelle succédaient des actes symboliques, comme le
lavage de la tête, ou même des pénitences : saignée, coups de fouets,
abstinence de sel ou de piment, continence. Les rites collectifs accomplis
à l'occasion d'une fête comprenaient surtout les sacrifices
sanglants d'oiseaux, de rongeurs, de lamas (rarement d'êtres humains)
dont les entrailles palpitantes étaient consultées par les sacrificateurs.
Des danses sacrées s'exécutaient ensuite
au milieu de chants sou tenus par le rythme
des instruments.
Des prêtres nombreux
assuraient le maintien de la religion d'État et l'exercice du culte. L'lHuillac-Humu,
ou grand-prêtre, appartenait à la famille inca, il était secondé par
les Amautas, au nombre de dix, qui à leur rôle sacerdotal joignaient
celui de conserver l'Histoire, de la fixer en une forme poétique et de
la redire dans les grandes solennités. L'institution des Vierges
du Soleil est particulière aux Incas; des jeunes filles, sous la direction
de matrones nommées mamaconas, entretenaient, véritables vestales, le
feu sacré au moyen duquel on renouvelait chaque année celui des temples.
Elles préparaient des aliments rituels pour les grandes fêtes et confectionnaient
le vestiaire de l'Inca. Elles vivaient à demi-cloîtrées, ne pouvant
sortir que le jour et surveillées. Au bout de quelques années, l'Inca
les mariait de préférence à de hauts fonctionnaires ou à des curacas.
Toute fille convaincue de rapports avec un homme était enterrée vive.
Les
arts
Danse et musique.
La danse
et la musique bien qu'intimement liées aux
cérémonies rituelles avaient pourtant aussi une vie propre, une fonction
de pure réjouissance et de délassement. On ne retrouve pas, chez les
Quechuas, de disposition comparable à celle du mitote mexicain;
nul mouvement circulaire autour d'un point fixe occupé par les instruments.
Les danseurs exécutent des farandoles voire des rondes, dont la moderne
kaswa
est une survivance; ils forment de longues chaînes propres à décrire
des figures compliquées, soutenant parfois un câble de laine en forme
de couleuvre ou même une véritable chaîne en or, mais les instruments
sont portatifs, le tambourin résonne aux mains
des danseurs, la scène se déplace sur de longs parcours.
Outre les récits
chantés et les hymnes officiels tels que le chant de triomphe du
haylli,
exécuté pendant le labour symbolique des terres du Soleil ,
il existait une musique intime - pastorale
du contemplatif, lamentations de deuil, chants d'amour - que les Espagnols,
malgré leurs efforts, n'ont pu détruire et qui subsiste encore bien vivante
à l'abri des barrières protectrices des Andes. Les voix mises à part,
l'orchestre quechua comprenait des instruments de percussion, tambourin
(tinya), sonnailles et grelots, et des instruments à vent, trompes,
syrinx et flûtes verticales. Les instruments à cordes, même les plus
primitifs, comme l'arc musical, faisaient défaut au Pérou
avant l'arrivée des Conquistadores.
La flûte et la syrinx tenaient et tiennent toujours une place importante
dans les manifestations émotives des Ouechuas. Leurs chants
basés sur une échelle de cinq sons à l'octave, ont conservé une personnalité
noble et élégante, exempte de sensualité, qui contraste avec les importations
des Espagnols ou même des esclaves africains.
L'architecture.
Les Quechuas se
montrèrent d'excellents constructeurs aussi bien sur la côte que dans
la montagne, mais la nature différente des matériaux employés nous oblige
à distinguer les monuments des deux régions. Sur les bords du Pacifique ,
dans un climat privé de pluies les murs sont élevés en adobes, c'est-à -dire
en blocs d'argile séchée et non cuite pouvant varier de la grosseur d'une
brique moderne à celle d'un gros cube moulé sur place à l'aide d'un
bâti en bois démontable. Les murs fort épais ont une section trapézoïdale.
Ils offrent une surface lisse recouverte d'un badigeon
de teinte unie, rehaussée quelquefois d'une fresque
aux lignes simples; certains monuments plus importants portent des ornements
en relief, moulés également en terre (ruines de Chan-Chan près de Trujillo,
de Huatica près de Lima). La céramique
funéraire nous ayant heureusement conservé des maquettes complètes de
maisons avec leur toit à double pente inclinée, avec leur courette et
leur auvent, nous connaissons les formes de
la partie supérieure des édifices dont les ruines sont aujourd'hui découronnées.
-
Ruines
des différentes constructions de Machu Picchu : terrasses en gradins,
habitations
et temple pyramidal.
Dans la montagne
on s'est également servi de l'argile mélangée à des cailloux, pour
construire des maisons, des greniers, des refuges au long des routes; mais
les édifices importants, les temples sont construits en pierre. Ici le
ciment
disparaît tout à fait. Deux systèmes d'appareillage peuvent être relevés
: dans l'un les pierres, en blocs cyclopéens, ont leur surface extérieure
brute, mais les faces gisantes, malgré la forme polygonale irrégulière
des blocs, sont dressées avec une perfection telle qu'on ne pourrait littéralement
pas introduire une épingle dans leurs joints. On suppose que les Indiens
parvenaient à leurs fins, en dépit du poids énorme des pierres, par
une taille approximative suivie d'un rodage sur place obtenu par frottement
ou va et vient des pierres l'une sur l'autre. Ainsi sont construites les
enceintes des forteresses, les assises des grands monuments. Dans l'autre
système, simple perfectionnement du précédent, les pierres, qu'elles
soient de fortes ou de faibles dimensions, reçoivent sur toutes leurs
faces une taille qui en fait des parallélépipèdes à peu près réguliers.
Pour donner plus de cohésion aux murs, les matériaux comportent parfois
aussi de véritables mortaises qui s'emboîtent l'une dans l'autre ou sont
munies de crampons métalliques. Les ouvertures, les niches, tout comme
la coupe elle-même des murs, ont une forme légèrement trapézoïdale;
les linteaux sont monolithes. Les monuments ont en général un plan rectangulaire,
les formes rondes sont exceptionnelles. Enfin, pas plus qu'au Mexique ,
la vraie voûte n'a été pratiquée, on la
remplaçait par des avancées de matériaux en encorbellement;
mais le croisement des pierres et les chaînes d'encoignure étaient d'usage
constant.
Les destructions
des Conquistadores ne nous permettent
guère d'admirer aujourd'hui autre chose que des ruines. Nous savons que
les palais comportaient d'habitude deux étages recouverts d'un toit plat
constitué par des dalles finement ajustées. A l'intérieur l'espace était
divisé en chambres symétriquement disposées et communiquant entre elles
par groupes de trois ou de quatre. Le Ccoricancha possédait une triple
enceinte de quatre cents pas de tour, percée de portes
et enfermuant de grands bâtiments consacrés au Soleil et aux divinités
soumises à sa volonté, ainsi que des demeures pour l'Inca, les prêtres
et les serviteurs du culte. Les murs du temple, admirable, d'appareillage,
eussent été nus sans les ceintures et les ornements d'or qui les recouvraient
en partie. D'ailleurs la sculpture sur pierre
pendant la période incasique reste assez rare et se réduit à quelques
frises en relief au bandeau des portes. Ce style sobre contraste avec celui
de monuments appartenant à des périodes plus anciennes sur lesquels apparaissent,
comme à Chavin ou à Tiwanaku, des bas-reliefs
au dessin compliqué et surchargé.
-
Une
maison avec un toit en chaume à Machu-Picchu. Ci-dessous, l'intérieur
avec les
détails
de la charpente et de la maçonnerie. Images :
The World Factbook.-
Industries et
arts appliqués.
Les meilleurs artistes
potiers d'Amérique ont
appartenu, sans contredit, aux peuples du littoral péruvien
(et déjà bien avant que ne se constitue la civilisation des Incas) et
grâce à des conditions climatériques exceptionnelles jointes à des
habitudes funéraires spéciales, nous nous trouvons connaître parfaitement
leurs oeuvres aujourd'hui. La
céramique
extraite des tombeaux est une mine inépuisable de renseignements pour
l'ethnographie. On y trouve, peints ou modelés, les produits du sol, la
faune et la flore, l'homme, les divinités et les totems, les objets manufacturés,
armes, engins, costumes et même les habitations! On y voit des scènes
d'occupations journalières, de combats et de chasse; les actes les plus
intimes de la vie y figurent. Au point de vue artistique, les vases funéraires,
ou huaco, révèlent des tendances artistiques fort différentes. Dans
le Sud, près des anciens centres d'Ica et de Nazca,
les formes sont simples. Il s'agira le plus souvent d'un gobelet d'une
coupe basse ou profonde, d'un vase à panse globulaire surmonté d'un goulot
central ou de deux petites tubulures reliées entre elles par un pont en
ruban formant anse de suspension.
L'intérêt de cette
céramique
se concentre en son étonnante décoration et la riche palette qu'elle
emploie. Sur un engobe lisse et un fond uni blanc, jaune ou brun-rouge,
se détachent des motifs peints, étrangement stylisés, parmi lesquels
on reconnaît des fleurs, des oiseaux, des chimères, des idoles, des faces
humaines ou même des parties de visages, voire des yeux, des bouches,
isolés ou groupés dans un but évident de décoration. Les scènes de
supplice abondent et nous révèlent les moeurs cruelles du lieu. Dans
ces vases, le relief des formes intervient peu
souvent et dans le seul but de rendre la peinture
plus saisissante.
Tout autres apparaissent
les préoccupations artistiques des céramistes du nord de la côte. Ici
la peinture passe au second plan; l'artiste est un modeleur réaliste qui
cherche à reproduire dans la glaise un personnage ou un objet tel qu'il
le voit. Certaines pièces auront l'exactitude d'un bronze
japonais ,
d'autres moins précises s'efforceront de représenter des scènes à plusieurs
acteurs, de modeler un seul être humain - les vases anthropomorphes abondent;
- le corps est en général traité d'une manière sommaire, tout l'effort
du potier a porté sur le modelage de la tête, de la face. On possède
ainsi une véritable galerie de portraits
où non seulement apparaissent des types, mais où se reflètent les sentiments,
et jusqu'aux impressions fugitives des modèles.
La céramique
incasique, proprement dite, beaucoup plus sobre dans ses représentations
et son décor, ne s'écarte pas du but utilitaire et se contente d'équilibrer
ses formes et de rendre les lignes plus pures.
L'habileté des Ouechuas
en matière plastique se retrouve aussi dans le tissage. Ils avaient Ã
leur disposition le coton qu'ils cultivaient dans les vallées chaudes
de la côte sous ses deux variétés blanche et brune et la laine des camélidés
de la sierra : lamas, alpacas et vigognes.
Ils n'en restèrent
pas aux étoffes résultant d'un croisement simple et régulier de fils
de même nature; ils surent varier les tissus, utiliser le coton pour la
chaîne et la laine pour la trame, et parvinrent à produire des tapisseries
comparables, quant au procédé, à ceux de la manufacture
des Gobelins et qui font encore l'admiration des spécialistes par
leur régularité, leur finesse et la richesse de leur décor et de leur
coloris.
Les Quechuas furent
en effet d'excellents teinturiers; on retrouve dans les vêtements exhumés
des tombeaux les teintes les plus fines et les gammes les plus étendues.
Les procédés employés se rapprochent de ceux des Coptes. Les plumes
intervenaient dans la parure, on savait en couvrir un tissu et les fixer
habilement de manière à leur conserver leur qualité de souplesse et
de légèreté.
Les techniques métallurgiques
ont été utilisées par les Quechuas, mais ceux-ci avaient fait en outre
l'acquisition de l'argent qu'ils employaient pur ou uni à l'or
et ils avaient surtout découvert le
bronze;
l'intérêt du durcissement du cuivre par l'étain ne leur avait pas échappé.
Ils étaient donc en possession des procédés les plus complets qui aient
été élaborés sur le sol américain avant l'arrivée des Espagnols.
(HUP).
 |
Carmen
Bernand, Les
Incas : Peuple du Soleil, Editions Gallimard (Découvertes),
2010. - En 1527, au sud de l'isthme de Panama, les
conquistadores découvrent, éblouis, une contrée aux richesses inouïes.
Persuadé d'avoir trouvé l'Eldorado, leur chef, Pizarro, convainc la Couronne
espagnole de financer la conquête du Pérou. De retour en 1532, il met
à profit la guerre fratricide qui déchire le pays. La mort du souverain,
Atahualpa, scelle le destin de l'Empire inca. Les Espagnols entrent dans
Cuzco et saccagent le temple du Soleil. Pendant deux siècles, l'ordre
espagnol va régner sans partage sur les Cordillères. Usant tour à tour
de la répression et de la persuasion, les colons s'acharnent à briser
les rites et les croyances des Indiens. En 1780, encore, l'insurrection
fomentée par Tupac Amaru est impitoyablement écrasée par le pouvoir
colonial. Carmen Bernand fait revivre ce destin tourmenté et tragique
du peuple du Soleil. (couv.). |
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