 |
Les Ibères
sont un peuple d'origine inconnue, que les Ligures,
les Celtes, les Phéniciens,
les Grecs et les Romains
trouvèrent fixé dans la péninsule hispanique et la Gaule
méridionale. Les Ibères sont donc, à ce que l'on en sait, le plus ancien
des anciens peuples de l'Europe occidentale dont le nom soit resté, et
il est permis de supposer qu'avant les temps historiques ils occupaient,
hors des limites que l'Antiquité
classique leur assigne, non seulement l'Espagne
et le Sud de la France ,
mais encore toute la Gaule, l'Italie
et peut-être la Grande-Bretagne .
D'après une tradition, conservée par
des écrivains très anciens, comme Hécatée
de la fin du VIe
siècle, Philiste de Syracuse
de la fin du Ve
siècle avant notre ère, et rapportée par Thucydide
(VI, 2), les Sicanes, qui passaient pour être les plus anciens habitants
de la Sicile « étaient des Ibères chassés par les Ligures des rives
du fleuve Sicanos en Ibérie » . Arbois de Jubainville, identifiant le
fleuve Sicane avec la Seine, Sequana, admettait que très anciennement
le Nord de la Gaule était compris dans la vaste étendue des pays soumis
à la domination des Ibères. Les Sicanes, quittant le bassin de la Seine
devant les Ligures, auraient pénétré en Italie ;
mais toujours poursuivis par les hordes ligures, ils auraient été obligés
de leur céder également la péninsule italique, pour se réfugier en
Sicile. Cependant, comme Strabon (III, IV, 49)
nous l'apprend, les anciens auteurs ne donnaient le nom d'Ibérie
qu'au pays situé à l'Ouest du Rhône et s'étendant le long du littoral
de la mer intérieure et au delà des Pyrénées sur toute la péninsule
hispanique. Le Rhône était la frontière orientale de l'empire ibérien.
Festus Aviénus, écrivant d'après des documents
grecs de la fin du VIe
siècle, représente le Rhône comme séparation entre les Ligures
et les Ibères (Or. marit., 608-610). Scymnus,
de Chio
raconte que, vers l'an 600 av. J.-C.,
les Phocéens, après avoir fondé Marseille dans la Ligurie, se rendirent
en Ibérie, où ils fondèrent Agathé et Rhodanusie sur la rive droite
du Rhône (Müller, Geogr. graeci min., I, 204). Enfin Pline
le Jeune nous assure qu'Eschyle plaçait
également le Rhône en Ibérie (Hist. nat., XXXVII, XI, 31).
On peut donc admettre qu'au commencement
du VIe siècle,
les Ligures n'avaient pas encore occupé le pays situé à l'Ouest du Rhône;
mais déjà le Périple
de Scylax, rédigé à l'époque des guerres médiques ,
suppose que la conquête de ces terres par les Ligures était depuis longtemps
un fait accompli. Il mentionne à l'Ouest du Rhône un peuple mixte (ibéro-ligure),
qui s'était formé par la fusion des Ligures conquérants avec les Ibères
vaincus. Ce n'est qu'à une époque postérieure à la retraite des Ibères
devant les Ligures que nous voyons apparaître les Celtes. Ceux-ci envahirent
le Sud de la France ,
et, refoulant à la fois les Ligures et les Ibères, pénétrèrent en
Espagne ,
où ils se mêlèrent avec la famille ibérienne sous le nom de Celtibères.
Diodore de Sicile (V, 33) dit :
«
Les Ibères et les Celtes se disputèrent longtemps le pays, et, la paix
conclue, ils habitèrent ensemble et se confondirent au point de ne plus
former qu'un seul peuple, les Celtibères ».
Quant à l'origine des Ibères, plusieurs
hypothèses ont été émises : ou bien ils ont envahi l'Espagne
en venant du Nord, ou bien ils sont d'origine africaine ,
à moins (ce qui revient à repousser la question à une époque encore
plus ancienne) qu'on ne préfère les considérer comme un peuple autochtone
qui des bords de l'Ebre (lberus) s'est étendu sur tout le pays auquel
il a donné son nom.
Si les Ibères sont venus en Espagne
par le Nord, il faudrait admettre que, toujours pressés vers l'Ouest par
les peuples indo-européens, ils ont fini par occuper pendant la dernière
période de l'époque préhistorique la partie occidentale de l'Europe.
Refoulés au commencement des temps historiques par les Ligures, les avant-coureurs
des Celtes, ils se seraient scindés aux bords de la mer Méditerranée
en deux tronçons : les uns, sous le nom de Sicanes, se dirigeant vers
l'Est, auraient pénétré en Italie
et de là en Sicile; les autres auraient pris le chemin des Pyrénées
pour aller occuper le bassin de l'Ebre et s'étendre delà sur la péninsule
entière.
Si les Ibères ont pénétré en Espagne
par le détroit de Gibraltar ,
il faut admettre qu'après avoir perdu du terrain à la suite de l'établissement
des Phéniciens et des Grecs
sur le littoral hispanique, ils se dirigèrent vers le Nord, franchirent
les Pyrénées pour aller occuper le Sud de la France ,
où leur présence est indiscutable dans l'Aquitaine
proprement dite et où des noms de ville comme Illiberre ou Illiberis (Helena,
Elne) et Boeterrae (Béziers )
ont perpétué leur empreinte dans le Roussillon
et le Languedoc .
De là , ils auraient envahi l'Italie ,
où dans la vallée supérieure et sur la rive droite du Pô, des noms
comme Iria (Voghera) et Ira (rivière, la Staflora) semblent être des
traces de leur ancienne extension.
-
La
Dame d'Elche,
un buste qui témoigne de l'art
des
Ibères au Ve siècle av. J.-C.
(Musée
du Prado, Madrid).
Quoi qu'il en soit, les premiers habitants
de l'Espagne ,
que l'histoire connaisse, sont les Ibères. Après avoir dominé dans un
temps reculé sur toute la presqu'île, ils durent en céder une partie,
d'abord aux Phéniciens qui, dès le
XVe
ou le XIVe siècle
avant notre ère, entretenaient avec eux des relations de commerce, et
plus tard aux Grecs qui dès le IXe
siècle commencèrent à y fonder des colonies. Enfin les Celtes
venant du Nord franchirent ou contournèrent les Pyrénées, leur enlevèrent
les régions du Nord-Ouest et de l'Est comme la Galice et le Portugal
et partagèrent avec eux l'Aragon
et la Catalogne ,
pays correspondant à l'antique Celtibérie .
Les Celtes, toutefois, ne parvinrent pas à les déloger de la région
s'étendant entre la Garonne et les Pyrénées, région que les Romains
connurent sous le nom d'Aquitaine ;
car les Aquitani de Jules César sont incontestablement
des peuples ibériques. Puisque les Romains donnaient au pays ibérien,
situé au Nord des Pyrénées, le nom d'Aquitaine, on comprend que, sous
le règne de Tibère, Strabon
(III, IV, 19) pouvait borner l'Ibérie vers le Nord aux Pyrénées. Pour
lui, l'Ibérie
proprement dite correspondait à la seule péninsule espagnole; mais il
serait plus juste de dire qu'à l'époque de César c'était la Garonne
qui formait la limite septentrionale des pays occupés par des tribus ibériennes.
Aux yeux des Romains ,
les peuples ibéro-aquitains formaient un groupe ethnique nettement délimité,
et Strabon dit que l'Aquitaine ,
comprise entre les Pyrénées, l'Océan Atlantique ,
les Cévennes
et la Garonne ,
est occupée par une population
«
différant absolument des Celtes et des Belges par la langue et le type
physique, bien plus semblable à celui des habitants [de l'Espagne ]
qu'à celui des Celtes ».
A l'arrivée des Romains en Gaule, les Ibères
paraissent y avoir eu deux centres principaux : Auch,
qui, avant d'être appelé Augusta Auscorum, porta le nom bien caractéristique
d'Eliberre ou Elimberrum ( Pomponius
Mela, III, 2) et Elne, dans le Roussillon, qui jusqu'au temps des fils
de Constantin portait un nom analogue,
celui d'Illiberris.
Quant aux tribus ibériennes (ou supposées
telles) de l'Espagne ,
mentionnées par les auteurs anciens, les principales furent : les Cynetes
et les Kempses dans la Lusitanie ,
les Vaccaei, les Carpesii, les Cantabri, les Oretoni, les Olcades dans
la province Tarraconaise, les Callaïci (Callécie), les Tartessi (Tartessos),
les Astures en Asturie, les Bastitani ou Bastui dans la Bétique ,
et enfin, les Vascones sur les deux versants des Pyrénées.
Le rattachement réel de ces différentes
populations aux Ibères proprement dit reste souvent problématique. Ainsi,
les Tartessiens (dont la ville ou la région, Tartessos, a souvent assimilée
à la Tharsis ou Tarsis
de la Bible ),
pourraient correspondre à une population bien distincte, tout en étant
aussi ancienne que celle des Ibères. Quant à l'hypothèse de la commune
origine des Basques (descendants des Vascons) et des Ibères a été âprement
discutée au XIXe
siècle.
On
sait que la langue basque ou euskarienne, qui se parle sur les deux versants
des Pyrénées, est complètement étrangère à la famille des langues
indo-européennes .
Guillaume de Humboldt, en assimilant
les noms de lieux ibériens, conservés par la géographie des Romains ,
avec la langue des Basques, a cherché, un des premiers, à rattacher la
langue vivante à cette langue morte qui, d'après Strabon,
était autre que le gaulois et était parlée par les peuples habitant
le Sud de la Garonne et le bassin supérieur de ce fleuve jusqu'aux Cévennes.
Cette thèse fut reprise par Luchaire.
Dans une étude approfondie sur la langue euskarienne, ce linguiste a montré
(ou cru montrer) avec beaucoup de sagacité qu'au temps de Strabon,
de Pline et de Ptolémée,
des localités à noms de consonance basque existaient sur les bords du
Guadalquivir ,
du Tage
et de l'Ebre ,
ainsi que sur les deux versants des Pyrénées. Le domaine de l'euskara
était donc jadis plus étendu qu'aujourd'hui : il comprenait au moins
les deux tiers de l'Espagne
et une notable partie de la Gaule méridionale. Illiberris (Elne dans le
Roussillon), Elimberre (Auch en Gascogne ),
Illiberris
(Grenade en Bétique ),
ces trois noms suffiraient à eux seuls, disait Luchaire, pour établir
que le basque fut jadis parlé dans l'Andalousie ,
en Gascogne et en Roussillon. Il conclut que la géographie romaine nous
a conservé des noms de lieux qui ont perpétué l'empreinte des Ibères,
dont les descendants directs se trouvent encore dans les vallées de la
Navarre et du Béarn .
Les résultats obtenus par les numismatistes
et les épigraphistes sont apparus moins concluants. On peut dire tout
au plus que Boudard, Zangrowiz et Heiss ont à peu près démontré l'origine
ibérienne de certaines monnaies; mais ils n'ont pas réussi à établir
le lien qui rattacherait les légendes de ces monnaies à la langue euskarienne.
La théorie de Guillaume
de Humboldt eut de francs contradicteurs. Sans parler de l'étude de
Hoffmann sur les Ibères de l'Est et de l'Ouest, nous citerons Bladé,
qui niait l'existence politique des Ibères et qui, par conséquent, ne
saurait considérer les Basques comme leurs descendants. Nous citerons
surtout Julien Vinson, qui prétendait que jamais il n'y a eu dans le sens
propre du mot de nationalité basque. Il montrait que l'existence dans
toute l'Espagne ,
dans le midi de la Gaule et en Italie
d'une seule et même population dite ibérienne, qui aurait parlé une
langue parente du basque, n'était qu'une hypothèse sans fondement sérieux.
De fait, l'hypothèse de la parenté entre
les Basques actuels (dont la langue, difficile à classer, tend à être
rangée dans le groupe des langues dene-daucasiennes )
et les anciens Ibères n'a plus beaucoup de partisans. Le déchiffrement
d'une vingtaine d'inscriptions en langue ibérique, il est trop imparfait
pour qu'on puisse en tirer une conséquence décisive. Mais il semble,
cependant que les dialectes de cette langue doivent se ranger dans le groupe
tout différent des langues afrasiennes ,
au côté du Berbère. De quoi donner de la
force à l'hypothèse d'une arrivée par le Sud des Ibères, sans suffire
à la confirmer au demeurant. (L. Will).
-
L'alphabet
ibérique
On a donné le nom
d'écriture ibérique ou celtibérienne à une écriture dont les éléments
sont fournis par des monnaies espagnoles qui datent de la seconde moitié
du Ier siècle avant notre ère. On a pensé que ces monnaies conservaient
le type de l'écriture des anciennes populations celtiques et ibériennes
de l'Espagne
dont on lui a donné le nom. Cet alphabet semble apparenté par certains
côtés à l'écriture phénicienne archaïque et par d'autres à celle
des Grecs
et des Italiotes; mais son origine est obscure. Grimm,
dont l'opinion aujourd'hui est abandonnée, en faisait une branche détachée
du tronc commun des écritures runiques. On en peut distinguer deux types,
l'un, que l'on trouve sur les monnaies turdétanes, se rapproche davantage
du phénicien, l'autre se rencontre sur les monnaies du Nord et du Nord-Est,
et est plus proche de l'écriture gréco-italiote. |
|
|