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L'histoire des États-Unis
La nouvelle démocratie américaine
II - Le Nord et le Sud
Histoire des Etats-Unis d'Amérique
Whigs et démocrates. 

Harrison, le président élu en 1840 par le parti whig, mourut un mois après son investiture (4 mars-4 avril 1841). Tyler, le vice-président, lui succéda. Tyler était un démocrate modéré que les whigs avaient porté à la vice-présidence pour garder comme alliée la faction de Calhoun, à laquelle le rattachaient des liens étroits. Virginien, propriétaire d'esclaves, et, au demeurant décrit comme un honnête homme et gentleman, Tyler n'avait ni les goûts ni les tendances du parti whig. Il garda toutefois le cabinet que venait de composer Harrison et dans lequel Webster était secrétaire d'État. Clay, chef des whigs, et maître de la majorité du Congrès de 1841 à 1843, voulut appliquer le programme whig (banque nationale, distribution du produit de la vente des terres aux États, relèvement du tarif, etc.), mais se heurta à la résistance de Tyler qui fit échouer, par son veto, le projet de rétablissement d'une banque nationale. Une rupture éclata, et tous les ministres whigs du cabinet se retirèrent, sauf Webster, qui avait à suivre d'importantes négociations engagées avec l'Angleterre et ne tenait nullement d'ailleurs à quitter le pouvoir (septembre 1841). Ces négociations conduisirent à la conclusion du traité de Washington (ou d'Ashburton, du nom du négociateur anglais, lord Ashburton) le 9 août 1842, où plusieurs questions furent réglées, entre autres celle de la frontière du Nord-Est, entre le Canada et les États-Unis. Le parti démocrate reprit dès lors l'ascendant, regagnant en 1843 la majorité dans le Congrès. Webster quitta le ministère, ce qui affaiblit encore l'élément whig dans l'administration. Le parti démocrate, devenu tout-puissant, grâce à une organisation habilement poursuivie dans chaque État, dans chaque comté et dans chaque ville, était de nouveau dirigé avec vigueur, sous l'influence d'hommes tels que Van Buren, Livingston, Benton, Taney, Woodbury, Cass, Marcy (presque tous du Nord et de l'Ouest), et tout annonçait que la candidature Van Buren ne rencontrerait en 1844 aucun obstacle, Tyler et ses amis virginiens restant tout à fait isolés entre les deux partis, lorsque la question du Texas vint modifier la situation et faire passer du Nord au Sud l'élément prépondérant et la force d'impulsion du parti démocrate.
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John Tyler.
John Tyler.

La question du Texas

Le Texas s'était déclaré indépendant du Mexique et demandait à être annexé aux États-Unis. Cette question de l'annexion devint le point capital de division entre les partis pour l'élection de 1844. Les whigs et Clay, leur candidat, se déclarèrent contre l'annexion; les démocrates ayant à choisir entre plusieurs candidats, se déclarèrent pour le moins connu de tous, Polk, du Tennessee, et Polk fut élu. Avant de quitter la présidence, Tyler, et Calhoun, devenu son secrétaire d'État, signèrent une résolution que venait de voter le Congrès, ayant pour objet l'annexion du Texas aux États-Unis et son admission comme État dans l'Union (1er mars 1845). La veille de son départ, Tyler signa encore le bill pour l'admission de la Floride et de l'Iowa comme États (3 mars).

Avec l'annexion du Texas se réveilla la question de l'esclavage. Depuis plusieurs années un parti abolitionniste s'était constitué dans la Nouvelle-Angleterre et était entré en campagne. La majorité du Congrès, whig ou démocrate, opposée à tout ce qui pouvait exciter la désunion, avait repoussé les pétitions présentées par cette ligue, que dirigeait Garrison avec le journal Liberator; la cause des abolitionnistes n'avait pour défenseurs dans la Chambre des représentants que le vieux John Quincy Adams et son élève Joshua Giddings. Les sudistes, en se passionnant pour l'annexion du Texas, montrèrent que ce qu'ils voulaient avant tout était l'extension de l'esclavage dans un immense territoire au Sud de la ligne 36° 30, dût l'Union être entraînée dans une guerre avec le Mexique pour l'acquisition de ce territoire. L'annexion devenait ainsi une mesure non plus nationale, mais sudiste, et c'est bien avec cette signification qu'elle avait dominé l'élection de 1844. Or si Polk, dans le scrutin populaire, avait obtenu, grâce à la puissante organisation du parti démocrate, 1 337 243 voix, Clay en avait rallié 1 299 062 contre l'extension de l'esclavage. C'est sur ce terrain que la lutte des deux sections géographiques du pays, répondant à une antinomie irréductible entre deux situations économiques, deux principes politiques et deux civilisations contraires, allait se resserrer de plus en plus dans les quinze années de 1845 à 1860.
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Polk.
Polk.

La guerre du Mexique

Polk, élu du Sud, représentait au pouvoir la politique de l'annexion au Texas. ll y resta scrupuleusement fidèle. Des négociations furent immédiatement engagées avec le Mexique, qui se refusa obstinément à admettre les prétentions des États-Unis sur la partie du Texas située entre la rivière Nueces et le rio Grande del Norte. Le gouvernement fédéral fit occuper ce territoire par une petite armée que commandait le général Zachary Taylor. En avril 1846, cet officier, campé sur la rive gauche du rio Grande, fut attaqué par le général mexicain Arista, qu'il repoussa. Aussitôt Polk envoya un message spécial au Congrès (11 mai 1846), déclarant que l'état de guerre existait du fait du gouvernement mexicain. Le Congrès vota docilement un emprunt de 10 millions de dollars et l'appel de 50 000 volontaires. Taylor battit les Mexicains à Palo Alto (8 mai) et à Resaca de la Palma (9 mai) sur la rive gauche du rio Grande. Le 18 mai, il franchit le fleuve et entra à Matamoros. Bientôt après, une révolution éclata au Mexique (Le Mexique, de l'indépendance à l'arrivée des Français). Le président Parades était renversé (commencement d'août), Santa-Anna partait de Cuba le 8 du même mois, débarquait à Vera Cruz le 15 et se retrouvait le premier citoyen du Mexique, non, comme on l'avait espéré à Washington, en chef d'un parti de la paix qui n'existait pas, mais bien en chef du parti de la guerre contre l'ennemi envahisseur. Taylor, en septembre, marcha sur Monterey, accorda à la garnison une capitulation honorable et conclut un armistice de deux mois. Il en fut blâmé comme d'une transaction dépassant ses attributions purement militaires, et apprit en novembre qu'il devait envoyer une partie de ses troupes au général Scott, chargé d'une expédition contre Veracruz, qui devait être suivie d'une marche contre la capitale du Mexique. Avant de se laisser affaiblir par le départ de ses meilleurs officiers et soldats, Taylor battit Santa-Anna à Buena Vista (23 février 1847); tout le Nord-Est du Mexique était conquis. Au mois de novembre suivant, il laissa le commandement de son armée au général Wool et rentra aux États-Unis. Scott, pendant ce temps, débarquait le 9 mars 1847 à Veracruz avec 12 000 hommes; il assiégea et prit la ville avant la fin de mars et marcha sur Mexico. Il battit les Mexicains à Cerro Gordo (19 avril), entra en mai à Puebla, vainquit encore à Contreras le 19 août, à Churubusco le 20, à Molino del Rey le 8 septembre, à Chapultepec le 13; le lendemain 14, il fit son entrée à Mexico.
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Le général Scott.
Le général Scott.

Le Mexique avait été envahi dès 1846 par le Nord-Est. Le général Kearney, après une marche à travers le désert, du fort Leavenworth à Santa Fe, prit possession du Nouveau Mexique (août 1846). Après y avoir institué un gouvernement, il continua sa route vers la Californie, qu'il trouva déjà conquise par le colonel Fremont et le commodore Stockton. Arrivé à Monterey, le général Kearney prit les fonctions de gouverneur et proclama (8 février 1847) l'annexion de la Californie aux États-Unis. Dans le même temps, le colonel Doniphan, à la tête de 1000 Missouriens, pénétrait dans le Mexique par le Nord, battait le 28 février un corps de Mexicains et s'emparait de la ville de Chihuahua. Le gouvernement mexicain, à bout de ressources, entama des négociations, tandis que les troupes des États-Unis occupaient toujours sa capitale, et signa (2 février 1848) le traité de Guadalupe Hidalgo, par lequel il abandonnait aux États-Unis tout le Texas, avec le rio Grande comme frontière, et les deux provinces de New Mexico et de Californie, moyennant le payement par les États-Unis d'une somme de 15 millions de dollars et l'acquittement par eux, jusqu'à concurrence de 3 millions et demi de dollars, des dettes dues par le Mexique à des citoyens américains.

La frontière du Nord-Ouest.
Le gouvernement de Washington, en guerre contre le Mexique, avait terminé pacifiquement, dès le début des hostilités contre cette république soeur, un conflit avec l'Angleterre, relativement aux frontières des États-Unis à l'extrême Nord-Ouest. Il s'agissait de savoir à qui, des États-Unis ou de l'Angleterre, appartiendrait la région de l'Orégon (rives du Puget Sound et vallée de la Wiliamette) occupée en commun par des pionniers des deux nationalités. Un des articles du programme des démocrates dans la campagne présidentielle de 1844 avait été :

« L'Oregon tout entier jusqu'au 54e degré 40'. »
Polk, dans son discours d'inauguration, avait déclaré que les titres des États-Unis sur ce territoire étaient clairs et indiscutables. Finalement, on se résigna, à Washington, à une transaction (juin 1846); un partage établit la ligne frontière au 49° degré de latitude Nord et laissa à l'Angleterre, à l'extrémité de cette ligne, toute l'île de Vancouver.

La même année 1846, le Congrès avait voté une révision du tarif dans le sens d'un certain abaissement des droits. Elle fut l'oeuvre d'une fraction de la majorité démocrate et le Sénat ne la vota que par 27 voix contre 27, le vice-président ayant dû donner son suffrage pour sauver le bill. La Pennsylvanie, ultra-protectionniste, ne pouvait accepter de gaieté de coeur le tarif nouveau et fut très irritée de l'action du vice-président, lui-même Pennsylvanien. Ce vote devait, lors de l'élection présidentielle de 1848, jeter la Pennsylvanie dans les bras des whigs et assurer leur triomphe. C'était, pour le parti démocrate, payer bien cher un tarif qui, de aveu de ses partisans eux-mêmes, ne valait guère mieux que le précédent.

L'esclavage

Le général Taylor n'était pas encore entré à Monterey lorsqu'un député de Pennsylvanie, Wilmot, proposa (août 1846), à l'occasion d'un bill autorisant le président à employer 2 millions de dollars pour négocier la paix, un amendement ainsi conçu : 

« Pourvu que la condition expresse et fondamentale mise à l'acquisition de tout territoire de la république du Mexique par les États-Unis et à l'emploi par le pouvoir exécutif des sommes mises à sa disposition. aux termes du présent bill, soit que l'esclavage ne puisse jamais exister dans aucune partie dudit territoire. » 
C'est le fameux Wilmot proviso que la Chambre vota, mais non le Sénat, et qui remit au premier plan toute la question de l'esclavage. Dans la session suivante (1846-1847), un crédit de 3 millions de dollars fut mis à la disposition du président pour négocier la paix, mais sans aucune réserve analogue à la condition proposée par Wilmot. Après la paix de Guadalupe Hidalgo (février 1848), la question de l'utilisation des territoires acquis du Mexique amena une dislocation des partis existants et prépara les grands courants d'opinion d'où la guerre civile devait bientôt sortir.

Jusqu'alors les deux grands partis, démocrate et whig, avaient été strictement nationaux. Ils avaient des adhérents dans tous les États, au Nord comme au Sud, et, quelles que fussent leurs divergences de vues sur les questions à l'ordre du jour, banque, tarifs, travaux publics, droits des États, ils étaient d'accord sur un point, la nécessité de faire le silence sur le problème de l'esclavage, réservé par la lettre même de la constitution à la décision, finale et sans appel, de chacun des États où l'institution existait. Mais s'ensuivait-il que ce même silence fût ordonné et imposé par la constitution en ce qui concernait l'établissement de l'esclavage dans les Territoires sur lesquels le Congrès avait une juridiction absolue? Le compromis de 1820 avait résolu la difficulté pour l'ancien Territoire de la Louisiane : esclavage toléré au Sud du 36e degré 30' et dans l'État de Missouri, interdit partout ailleurs au Nord de 36° 30' de latitude Nord. Ce compromis devait-il s'appliquer ipso facto aux territoires acquis du Mexique par le traité de Guadalupe Hidalgo? Le député Wilmot avait soulevé la question en 1846; elle n'était pas encore résolue au moment de la campagne présidentielle de 1848

La montée des abolitionnistes.
Cette campagne aboutit à l'élection du candidat du parti whig, le général Zachary Taylor (vice-président Fillmore) par 163 voix contre 127 données au candidat démocrate, Lewis Cass. A côté des deux candidatures principales, en avait surgi une autre fort intéressante. Le parti des abolitionnistes, qui ne fut longtemps qu'un groupe avec Loyd Garrison et son journal, le Liberator, s'était développé par la création de nombreuses sociétés anti-esclavagistes dans les États libres depuis 1832. L'objet de ces sociétés était d'obtenir, en dehors de toute action politique, par des influences et une propagande purement morales et religieuses, que le Congrès sans intervenir dans les États, où il n'avait aucun droit, intervint là où il avait tous les droits, dans les Territoires, pour y interdire l'esclavage, et commençât par l'abolir dans le district de Columbia (capitale fédérale) et partant où s'étendait sa juridiction constitutionnelle. Les procédés les plus violents furent employés pour arrêter la propagande de ces sociétés; leurs publications étaient saisies à la poste et n'étaient pas distribuées dans les États du Sud. Au Congrès, un règlement inique, le règlement-bâillon (gag cule), qui resta en vigueur de 1836 à 1845, rejetait sans examen toutes les pétitions des sociétés anti-esclavagistes. En 1840, une scission se fit dans le parti des abolitionnistes, jusqu'alors exécrés des whigs comme des démocrates.
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Zachary Taylor.
Zachary Taylor.

Garrisson resta à la tête d'un petit groupe de violents, pour lesquels, les compromis de la constitution sur l'esclavage étant immoraux, l'Union devait être rompue. Les autres, restant fidèles à la constitution et cherchant, pour la réalisation de leurs idées, des moyens plus humains et plus politiques, fondèrent en 1840 le parti de la liberté (Liberty party) qui tint sa convention nationale et élut Birney pour candidat présidentiel. Il n'eut cette fois que 7000 voix dans le suffrage populaire; mais, choisi de nouveau comme candidat du même parti, en 1844, il obtint 62 000 voix. En 1848, après la guerre du Mexique et l'échec du Wilmot proviso, une fraction des whigs des États du Nord se détacha de la masse du parti et se joignit aux anciens adhérents de Birney. Une scission semblable s'opéra dans le parti démocrate, dont une fraction (surtout dans l'État de New York), sous le nom de Barnburners, se joignit également à l'ancien parti de la liberté, et ces trois groupes, par leur réunion, formèrent le nouveau parti du sol libre (Free soil party), qui tint sa convention nationale à Buffalo (9 août 1848) et élut pour candidats à la présidence et à la vice-présidence, Martin Van Buren, l'ancien président démocrate, et Charles-Francis Adams, petit-fils de John Adams, le promoteur de l'indépendance des États-Unis. Le programme de cette organisation était nettement anti-esclavagiste, quoique nullement révolutionnaire. Il reconnaissait que, dans les États où l'esclavage existait, le gouvernement fédéral n'avait aucun droit d'intervenir, mais que le gouvernement, au contraire, avait tout droit d'empêcher, par voie législative, l'établissement de l'esclavage dans un Territoire :

« Nous acceptons la question que nous impose la sclavocratie; à sa demande de nouveaux États et de nouveaux Territoires à esclaves, notre réponse calme et définitive est : point de nouveaux États, point de nouveaux Territoires à esclaves - no more slave States and no more slave Territories). » 
Van Buren et Adams eurent 291 000 voix du suffrage populaire, mais ne purent gagner une voix électorale. Tels furent les commencements du grand parti républicain de 1856 et de 1860.

Le compromis de 1850

Lorsque Taylor fut installé à la Maison Blanche en 1849, il eut à s'occuper de la Californie, que peuplait la fièvre de l'or et dont la population, dès cette année, vota une constitution où l'esclavage était interdit. En 1850, un bill fut proposé pour l'admission de cette splendide possession comme État dans l'Union. Calhoun entra en lice contre le bill, à cause de l'interdiction prononcée par la constitution du futur État contre l'esclavage. La lutte fut extrêmement vive. Elle embrassa beaucoup d'autres questions, notamment celles du New Mexico, du Texas et du district de Columbia et la législation sur les esclaves fugitifs. Les deux grands partis, whig et démocrate, depuis l'abandon de la section libérale et anti-esclavagiste que contenait chacun d'eux, devaient se rapprocher sur un terrain commun et s'entendre pour faire de nouveau le silence sur la question de l'esclavage en proclamant l'intérêt supérieur de l'Union. C'est en effet la mission que se donnèrent les chefs modérés des deux partis. Une grande mesure de compromis fut adoptée et Clay fut appelé de nouveau le pacificateur. Le « compromis de 1850 » se composa d'une série de lois distinctes :

1°  admission de la Californie comme État libre; 

2° organisation de gouvernements territoriaux dans le New Mexico et l'Utah et décision sur l'esclavage laissée à la population locale;

3° fixation des frontières du Texas;

4° abolition du commerce des esclaves dans le district de Columbia; 

5° législation rigoureuse pour la reddition des esclaves fugitifs. 
Le président Taylor était mort (9 juillet 1850) pendant la discussion de ces bills, auxquels l'administration de Fillmore, vice-président devenu président, donna tout son appui. Le 20 septembre, le dernier bill du compromis était voté. Il était entendu par les auteurs de cette grande mesure d'apaisement qu'on la devait considérer comme une solution formelle, définitive, et que plus jamais on n'entendrait parler, aux États-Unis, d'une question de l'esclavage. Le parti free soil du Nord ne l'entendait pas ainsi, non plus qu'une fraction importante des whigs et surtout des démocrates du Sud, barons de la sclavocratie; ceux-ci ne se faisaient pas illusion sur la durée de la trêve qui venait d'être signée; ils voyaient clairement que, si les États à esclaves restaient dans l'Union, la suprématie politique leur échapperait avant peu, à cause de l'écrasante supériorité du nombre et de la richesse au Nord, et qu'alors, c'en serait fait de l'esclavage. Un parti résolument sécessionniste commença ainsi a se former et Jefferson Davis en fut un des principaux chefs. Dès 1850, avec une dizaine de ses collègues, il protesta contre le compromis à cause de l'admission de la Californie comme État libre.

Il n'en reste pas moins vrai que le compromis de 1850 arrêta pour quelque temps la marche des événements qui portaient les États-Unis à une crise décisive, et retarda sans doute de quelques années l'explosion de la guerre civile. Des questions étrangères occupèrent l'opinion publique, l'expédition de Lopez à Cuba (1851), la visite de Kossuth (1854), un conflit avec l'Angleterre sur les pêcheries (1852), la conclusion par le commodore Perry d'un traité avec le Japon, ouvrant au monde le commerce de ce pays jusqu'alors fermé. En 1852 apparut, très tranchée, la division des démocrates du Sud en « hommes de l'Union » et « hommes des droits du Sud » ou sécessionnistes. Les whigs du Sud étaient en très grande majorité des « Union men », tandis que les whigs du Nord s'associaient à une vigoureuse campagne entreprise par les free soilers contre la législation de 1850 sur les esclaves fugitifs.

C'est dans ces dispositions qu'eut lieu l'élection présidentielle de 1852. Trois candidats étaient en présence, Franklin Pierce pour les démocrates, Winfield Scott pour les whigs, Hale pour les free soilers. Les deux premiers représentaient l'adhésion formelle au compromis de 1850, le dernier, la dénonciation de ce compromis au nom des droits du Congrès à légiférer pour les Territoires :

« L'esclavage est sectionnel, disait le programme, la liberté est nationale; le gouvernement général doit se séparer de l'esclavage et exercer son influence constitutionnelle dans le sens de la liberté. »
Il y avait dans tous les États-Unis un tel désir du maintien de l'Union que Hale n'eut que 155 000 voix du suffrage populaire contre 1 386 000 pour Scott et 1 601 000 pour Pierce. Celui-ci obtint 254 voix. électorales de 27 États contre 42 données à Scott par 4 États.
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Franklin Pierce.
Franklin Pierce.

Les disparités Nord/Sud

Cette grande victoire rendait au parti démocrate national son ancienne suprématie dans l'Union. Pendant quelque temps, les partisans de la liberté dans le Nord, comme les sécessionnistes dans le Sud, se tinrent silencieux ou n'agitèrent que faiblement l'opinion. Mais une force énorme se développait dans le Nord d'année en année par l'immigration (383 000 en moyenne par an pendant la période quinquennale de 1850 à 1855), par le développement commercial et industriel, l'agriculture, les chemins de fer, le défrichement des terres nouvelles. La publication des résultats du census de 1850 mettait brusquement en lumière l'infériorité des États du Sud et de leurs conditions économiques en face de ce géant du Nord dont la puissance s'accroissait avec une telle rapidité.

Les chiffres suivants suffisent pour faire éclater le contraste entre les deux sociétés, et l'histoire des États-Unis de 1850 à 1860 s'éclaire de cette considération que l'infériorité du Sud à l'égard du Nord devait fatalement s'aggraver, puisque les mêmes causes qui l'avaient produite continuaient d'agir.

Quinze États à esclaves couvraient une superficie de 929 000 milles carrés, seize États libres (y compris la Californie) 643 000. La population des derniers était de 13 342 000 habitants, celle des premiers de 9 613 000; chaque mille carré au Nord avait en moyenne 46 habitants, chaque mille carré au Sud, 19. Sur les 9 613 000 habitants  du Sud (c.-à-d. des quinze États à esclaves), il y avait 229 000 Noirs libres et 3 220 000 Noirs esclaves qui, pour la représentation au Congrès, ne comptaient que comme une population de 1 932 000 habitants  libres. Il restait donc, au Sud, une population blanche de 6 164 000 habitants contre les 13 millions du Nord (c.-à-d. des seize États où l'esclavage n'existait pas). On ne comptait au Sud que 305 000 personnes nées hors du pays, contre 1 893 000 au Nord, dont 652 000 dans le seul État de New York. Le Sud ne recevait même pas par l'immigration venant du Nord ce que lui faisait perdre en population la seule émigration des États à esclaves vers les États libres. La légende des richesses fabuleuses du Sud ne reposait que sur l'évaluation des sommes perçues pour son unique produit, le coton. 

Ces sommes s'élevaient à 300 ou 350 millions de F de l'époque, par année pour 2 millions de balles de coton; mais le prix du coton ne cessait de baisser et les frais d'exploitation de s'élever; l'immense majorité des planteurs était obérée. La valeur moyenne des terres au Sud était à peu près le tiers de celle du Nord. La part du Sud, dans un total du commerce maritime s'élevant (1853) à 4 269 000 tonnes, était de 438 000 tonnes. Les manufactures de coton représentaient un capital de 43 millions de dollars dans la Nouvelle-Angleterre, de 2 millions seulement dans le Tennessee, l'Alabama, la Géorgie et la Caroline du Sud. Le Nord avait en exploitation (1850) 6 300 milles de chemins de fer, le Sud 2 300. Le nombre des imprimeurs était de 11 810 au Nord, de 2 625 au Sud; celui des journaux politiques de 1 161 au Nord et de 469 au Sud, des journaux littéraires de 411 d'un coté, de 157 de l'autre. Le Sud, par une singulière anomalie, avait plus de collèges que le Nord (120 contre 114, avec 992 000 dollars de revenus annuels contre 924 000), mais le Nord possédait 14 893 bibliothèques populaires contre 722 et 62 460 écoles publiques avec 2 770 000 élèves contre 29 540 avec 583 000 élèves. 

Les esprits éclairés qui, dans le Sud, voyaient cet état de choses et cherchaient à l'améliorer, faisaient éternellement entendre la même plainte : manque de tout esprit d'entreprise, règne absolu de la routine, même pour la culture du coton, cette source unique de la richesse, et c'était là une conséquence forcée du régime économique fondé sur l'esclavage. La plupart des villes ne progressaient plus, Charleston et la Nouvelle-Orléans notamment; d'autres, comme Mobile, étaient en pleine décadence.

Dans ces conditions, la victoire politique que le Sud venait de remporter sur le Nord ne pouvait avoir de suites prolongées. Elle n'avait été possible que par l'asservissement où la sclavocratie du Sud avait réussi à maintenir sa clientèle du Nord par l'ingénieux et redoutable mécanisme de l'organisation de parti. Une armée de politiciens, dans les États de New York, de Pennsylvanie, d'Ohio et dans la Nouvelle Angleterre, n'était occupée qu'à démontrer au commerce, à la finance, à l'industrie, à l'agriculture, au clergé des diverses dénominations, la nécessité de ne pas pousser le Sud à bout, de le ménager dans l'intérêt de la paix et de l'Union, de ne point le précipiter à une rupture, inévitable si on le blessait dans son intérêt le plus cher. De cette façon, toutes les forces sociales, dans le Nord, s'employaient à dompter les colères des abolitionnistes, à calmer les impatiences du parti free soiler, à prêcher la concorde, la paix, l'union, les concessions nécessaires. C'est l'histoire des années de 1852 à 1856.

Franklin Pierce appela Marcy aux affaires étrangères et Jefferson Davis à la guerre (démocratie du Nord et démocratie du Sud). La nouvelle administration acheta au Mexique un territoire de 55 000 milles carrés au Sud du New Mexico et de l'Arizona (traité Gadsden, 1853) et s'occupa activement d'un projet de voie ferrée du Mississippi au Pacifique. Cuba était la grande préoccupation des esprits dans le Sud. On craignait l'adoption, par le gouvernement espagnol, d'une mesure de libération des Noirs dans cette île. C'est à cette occasion que les représentants des États-Unis en Angleterre, en France et en Espagne (Buchanan, Mason et Soulé) se réunirent à Ostende et y lancèrent un manifeste qui causa une grande sensation en Europe et dans le Nord des États-Unis (1854). Il y était dit qu'il fallait que l'Union américaine proposât à l'Espagne d'acheter Cuba ou s'emparât de l'île par la force, si par tout autre moyen on ne pouvait prévenir une émancipation des Noirs. L'expédition de l'aventurier William Walker au Nicaragua occupa encore l'opinion, puis toute l'attention dut se reporter sur les affaires intérieures, à l'occasion du Kansas.

En janvier 1854, un démocrate du Nord, inféodé à la cause esclavagiste, Stephen Douglas, sénateur de l'Illinois, président du comité du Sénat sur les Territoires, présenta un bill pour l'organisation de deux nouveaux Territoires, Kansas et Nebraska, dans la région située à l'Ouest du Missouri, au Nord du 36e degré 30'. Le bill proposait l'abrogation du compromis de 1820, et autorisait l'esclavage dans une partie du pays où ce compromis l'avait interdit pour toujours. Un grand débat fut engagé dans les deux Chambres du Congrès. Le bill fut soutenu par l'administration et les principaux chefs du parti démocrate, attaqué par les avocats du free soil, Chase et Wade (de l'Ohio), Everett et Sumner (du Massachusetts), Seward (du New York), même par Houston (du Texas), Bell (du Tennessee) et Benton (du Missouri). Finalement, il fut voté dans les deux Chambres et devint loi en mai 1854. La presse et les meetings dénoncèrent le bill du Kansas et le rappel du compromis de 1820 (Missouri compromise) comme une violation de tous les engagements du Sud, une rupture de la trêve de 1850. (A. Moireau).

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