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La diaspora juive
Le temps des persécutions
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Le temps des persécutions
Les aspects régionaux
Le judaïsme vers l'an 100 ap. J.-C.

Aux premiers temps de l'Empire romain, le judaïsme constituait déjà une secte religieuse répandue à travers la plupart des pays méditerranéens, l'Arabie et la Babylonie. Dès le Ier siècle de l'ère chrétienne, Strabon et Sénèque déclarent avec quelque exagération qu'il n'y a pas un pays de la Terre où l'on ne rencontre des Juifs. Dans l'Empire romain, leur présence est authentiquement attestée en Syrie, en Asie Mineure, en Égypte, en Cyrénaïque, dans les îles de la mer Egée, en Grèce, en Italie. La population juive s'était énormément accrue pendant les six siècles de la durée du second Temple, d'un côté par le soin apporté à l'éducation des enfants, de l'autre par le prosélytisme individuel, longtemps pratiqué avec passion, et les conversions forcées de peuples entiers comme les Iduméens sous Hyrcan Ier, les Ituréens sous Aristobule  Ier, etc. Même en admettant quelque hyperbole dans les données des historiens, on peut évaluer à 3 millions le chiffre de la population juive au milieu du  Ier siècle. Les effroyables saignées sous Vespasien, Trajan et Hadrien, diminuèrent sans doute ce nombre de près de moitié, mais les vides furent en partie comblés par la propagande religieuse qui se continua après la destruction de l'indépendance juive, et dut trouver des agents efficaces dans les prisonniers de guerre juifs, réduits en servitude et dispersés en Occident.

Le polythéisme classique (Religion romaine), avec ses mythes usés ou incompris, ne satisfaisait plus les besoins religieux de l'époque; entraîné à la fois par le goût d'exotisme et de mystère et le besoin sincère d'une croyance qui parlât au coeur, à la raison, à l'imagination, la société gréco-romaine se portait avec ardeur vers le culte juif, comme elle se portait vers les rites égyptiens, syriens, cappadociens, bientôt aussi vers le christianisme et le culte de Mithra. Les convertisseurs juifs savaient d'ailleurs procéder graduellement dans la conquête des âmes; on était d'abord simple judaïsant, sabbatisant, metuens, sebomenos; à la génération suivante on se faisait complètement juif. A plusieurs reprises, le gouvernement romain s'efforça de réprimer cette propagande, soit en expulsant les Juifs de Rome et de l'Italie, soit en interdisant leurs assemblées, soit en punissant de peines sévères la circoncision de non-Juifs et la « vie judaïque. » Le renouvellement fréquent de ces mesures prouve leur peu d'efficacité.

La législation romaine

Aux yeux de ceux qui ne partageaient pas leurs croyances, les Juifs formaient dans l'Empire une classe méprisée, souvent même ridiculisée ou haïe, à cause de l'humilité de leur condition sociale (on comptait parmi les Juifs beaucoup d'esclaves, d'affranchis, de mendiants), de la bizarrerie de leurs pratiques religieuses, des souvenirs de leur résistance acharnée à la conquête, et surtout de leur particularisme religieux et moral. Leur condition légale était assez complexe. Les Juifs, considérés comme pérégrins sine civitate, étaient exclus des droits politiques (jus honorum) et des droits civils exclusivement réservés aux citoyens romains; mais dans les villes grecques, ils continuaient à jouir du droit de cité local qui leur avait été accordé par les Ptolémées et les Séleucides. Assujettis dans leur pays d'origine à des impôts très élevés qui provoquèrent à diverses reprises des soulèvements ou des réclamations, partout ailleurs ils payaient, outre les taxes ordinaires, une capitation spéciale de 2 drachmes par tête (didrachme), perçue au profit du temple de Jupiter Capitolin. Les employés du fiscus judaicus déployèrent souvent dans la perception de cette taxe une sévérité inquisitoriale. 

Par compensation, les Juifs jouissaient, en raison de leur religion, de certaines exemptions qui constituaient de véritables privilèges, notamment celle du service militaire et des charges plus onéreuses qu'honorifiques de la curie. Leurs communautés, constituées à l'imitation des cités grecques, s'administraient librement, par l'organe d'un conseil d'anciens (gérousia) et de magistrats élus (archontes), entre autres l'archisynagogue, chargé des soins du culte. Le patriarche, qui résidait à Tibériade, était autorisé à percevoir par ses agents (apostoloi) une taxe qui servait à son entretien et à celui du sanhédrin central. Enfin, en leur qualité d'étrangers privilégiés, les Juifs jouissaient de l'autonomie, c.-à-d. réglaient eux-mêmes leurs affaires civiles - mais non pénales - d'après la loi mosaïque les rabbins faisaient fonctions de juges. Tous ces privilèges étaient strictement réservés aux Juifs d'origine : de là en partie la sévérité des lois interdisant la conversion au judaïsme. Ainsi un rescrit d'Antonin le Pieux défendait aux Juifs, sous les peines qui frappaient la castration (mort ou déportation), de circoncire tous autres que leurs propres fils; le circoncis était puni de la relégation et de la confiscation des biens, le médecin de mort (Digeste, 48, 8, 11; Paul, V, 22). 

A mesure que le souvenir de l'État juif et les différences entre les citoyens et pérégrins allèrent s'effaçant, les privilèges des Juifs et aussi leurs incapacités spéciales disparurent à leur tour; on s'habitua peu à peu à les traiter comme des citoyens. Les constitutions impériales les déclarèrent habiles à toutes les charges qui n'étaient pas incompatibles avec leur religion, et notamment à la tutelle (Modestin, Dig., 27, 1,15, 56); les empereurs Sévère et Caracalla leur accordèrent le jus honorum (Dig., 50, 2, 3). Bientôt après, la constitution de Caracalla, qui étendait le droit de cité à tous les sujets de l'Empire, ne laissa plus subsister aucune différence légale entre les Juifs et les autres citoyens romains; ils gardèrent toutefois certaines immunités justifiées par la nature de la religion juive et au nombre desquels il faut sans doute continuer à compter l'exemption du service militaire : encore Alexandre Sévère confirme les « privilèges » des Juifs; il leur montre d'ailleurs une estime particulière.

Les lois des empereurs Chrétiens

Quand le christianisme devint avec Constantin la religion officielle de l'empire romain, la législation à l'égard des Juifs prit un nouveau caractère, bien traduit par le langage injurieux et méprisant que les empereurs empruntèrent aux Pères de l'Eglise. D'une part, dans un intérêt unitaire et fiscal, on supprima peu à peu les privilèges des Juifs : successivement, ils sont assujettis aux charges de la curie (321); la juridiction rabbinique et l'autonomie civile sont abolies ou mutilées, le patriarcat même, d'abord admis dans les cadres de la hiérarchie officielle, finit par être supprimé (425). D'autre part, on frappa les Juifs, en leur qualité de mécréants, de nombreuses déchéances, et l'on multiplia les précautions pour réprimer leur propagande et ruiner leur influence qui fut, longtemps encore, très sensible dans beaucoup de communautés chrétiennes (à Antioche, par exemple, les chrétiens prononçaient leurs serments dans les synagogues, célébraient le sabbat et les fêtes juives; en Espagne, il fallut que le concile d'Elvire [320] leur interdit de faire bénir par les Juifs, réputés magiciens, les fruits de leurs champs, etc.). En conséquence, les Juifs perdent le jus honorum; même baptisés, ils sont exclus des fonctions supérieures et de la carrière militaire; il leur est défendu, sous peine de mort, d'avoir commerce avec des chrétiennes, de posséder des esclaves chrétiens, de circoncire des esclaves même païens; s'ils convertissent des chrétiens de condition libre, ils encourent la confiscation et l'exil. En revanche, les renégats israélites obtiennent des avantages dans l'hérédité paternelle. Défense aussi d'élever de nouvelles synagogues. Justinien va jusqu'à refuser toute force au témoignage des Juifs contre les chrétiens devant les tribunaux, réglemente la liturgie juive et interdit l'étude de la Mischna (Talmud).

Ces dispositions, recueillies dans les codes de Théodose II et de Justinien, n'ont pas été longtemps appliquées dans toute l'étendue du monde romain, en raison de la dislocation de l'Empire au Ve siècle; elles n'en ont pas moins une très grande importance historique parce qu'elles ont inspiré le droit canon et par lui toutes les législations temporelles du Moyen âge. Elles conservèrent d'ailleurs toute leur efficacité dans l'empire d'Orient, où elles furent encore expressément renouvelées par les Basiliques au Xe siècle. Le zèle des fanatiques dépassa souvent l'intention du législateur. Sous Théodose Ier, on brûle les synagogues; en 415, Cyrille chasse les Juifs d'Alexandrie (L'Egypte Chrétienne). A plusieurs reprises la Palestine, berceau du Christianisme, fut le théâtre de campagnes violentes d'évangélisation qui provoquèrent des soulèvements cruellement réprimés (en 351, sous Constance, ruine de Sepphoris; en 521, sous Justinien, en 614, sous Héraclius, révolte de Benjamin de Tibériade de concert avec les Perses). Au VIIe siècle, le judaïsme agonise dans son pays d'origine : la conquête arabe lui rendit la liberté, mais non la prospérité. Dans l'empire byzantin, réduit au pourtour de la mer Egée, et en particulier à Constantinople, les Juifs, confinés dans des quartiers spéciaux, soumis à une réglementation tracassière, traînèrent pendant mille ans une existence obscure, humiliée, mais assez paisible, qui a laissé peu de traces dans l'histoire politique ou littéraire. Ils ne furent jamais entravés dans l'exercice des professions et purent continuer à posséder des immeubles.

Les Juifs dans les royaumes barbares

En Occident, ou l'empire romain s'effondra à la fin du Ve siècle, les conquérants germains n'apportèrent pas d'abord des sentiments hostiles envers les Juifs, surtout ceux d'entre eux qui restèrent attachés à l'arianisme. En Italie, les Juifs, quoique assez maltraités par Théodoric, aidèrent les Ostrogoths à défendre Naples contre Bélisaire (526). En Gaule, répandus sur tout le territoire, ils vécurent longtemps en bons termes avec la population et même avec les ecclésiastiques. Il y eut bien çà et là quelques tentatives de conversions forcées de la part des rois mérovingiens (Chilpéric, Dagobert) ou des évêques (Avitus de Clermont, 576); surtout les conciles ne cessèrent de réclamer l'application intégrale des lois du code de Théodose; mais leurs doléances restèrent pour la plupart lettre morte; les rois continuèrent à prendre des médecins, des orfèvres, des fermiers d'impôts israélites.

Dans le royaume wisigoth d'Espagne, qui comprenait aussi la Septimanie (Narbonaise), les Juifs jouirent pendant longtemps d'une situation élevée et eurent accès aux emplois publics, tant que l'arianisme resta la religion officielle; mais, à partir de la conversion des rois au catholicisme (589), le clergé, très influent sur cette royauté purement élective, inspira une législation tracassière et tyrannique qui renchérit sur le code de Théodose et se traduisit sous certains rois (Reccared, Sisebut, Sisenand, Chintilla, Reccesuinthe, Egica) par de véritables persécutions : non seulement il fut interdit aux Juifs de posséder des esclaves chrétiens, mais on leur défendit l'acquisition des immeubles, le commerce, la navigation; les conversions forcées se multiplièrent, les nouveaux convertis devinrent l'objet d'une surveillance étroite; à la fin, les Juifs furent tous réduits en servage (694). Ils ne respirèrent qu'avec la conquête arabe (711).

Au début de l'empire carolingien, les Juifs, enrichis par leur industrie et le commerce d'esclaves, étaient encore libres et influents : Charlemagne joint un juif, Isaac, à son ambassade auprès du calife Haroun er-Rachid (797); Louis le Pieux les protège contre leurs ennemis et nomme un conservateur de leurs privilèges. Les curieuses lettres d'Agobard, évêque de Lyon, décrivent avec indignation la prospérité « scandaleuse » des Juifs de Gaule sous ce règne des chrétiens allaient entendre les sermons des rabbins, prenaient part à leurs fêtes; ils faisaient impunément des prosélytes, élevaient de nouvelles synagogues, etc. Au concile de Meaux (845), les archevêques Amolon et Hincmar renouvellent ces doléances. C'est seulement sous les derniers Carolingiens que l'influence croissante du clergé et la barbarie des temps amènent des faits isolés de persécution (expulsion des Juifs de Sens, 883), des confiscations au profit de l'Eglise (biens-fonds des Juifs de Narbonne, 899 et 914) et des usages infamants comme la lapidation du dimanche des Rameaux à Béziers et la colaphisation du Vendredi-Saint à Toulouse.

Les Juifs de Babylonie et d'Arabie

A côté des Juifs de l'Empire romain et des nouveaux Etats barbares, il faut mentionner au commencement du Moyen âge les Juifs de Babylonie et d'Arabie.

En Babylonie, les Juifs habitaient entre le Tigre et l'Euphrate, dans les cantons qui avaient été assignés à leurs ancêtres déportés par Nabuchodonosor. C'était un territoire fertile, fécondé par des canaux; ils s'adonnaient à l'agriculture, aux métiers; plusieurs villes étaient entièrement peuplées de Juifs, et l'ensemble de leurs communautés formait comme un Etat vassal, auquel présidait un exilarque (resch-galouta). Sous les Arsacides (Parthes), puis sous les rois sassanides (néo-Perses), qui leur succédèrent au IIIe siècle, les Juifs de Babylonie jouirent longtemps d'une parfaite tolérance à la faveur de laquelle, renforcés par de nombreuses recrues venues de Palestine, ils déployèrent du IIIe au Ve siècle, dans leurs écoles ou académies de Sora, de Poumbadita, de Nahardea, une prodigieuse activité théologique. Cependant les rapports avec les mages, d'abord pacifiques, finirent par s'envenimer; au Ve et au VIe siècle, des rois fanatiques, Firouz, Cobad, Yezdigerd III, entreprirent la conversion violente des Juifs, fermèrent leurs écoles, tuèrent leurs rabbins; leur autonomie politique fut détruite.

En Arabie, les Juifs, nombreux depuis la ruine de Jérusalem, formèrent aussi des groupements politiques indépendants, protégés par des lignes de forteresses; il y en avait surtout autour de Yathreb (Médine) et à Khaïbar. Agriculteurs, pasteurs et guerriers comme les indigènes, souvent en lutte avec eux, ils imitèrent les moeurs chevaleresques des Arabes et leur communiquèrent en échange leurs traditions, leur calendrier, les rudiments de leur civilisation. Dans le Midi, ils réussirent même à convertir au judaïsme le roi (Açad Aboucarib) et une fraction de la principale tribu himyaritique : pendant quelques générations, le Yémen eut des rois juifs, mais les persécutions dirigées par l'un d'eux, Dhou Novas, contre les chrétiens du Nedjran, amenèrent une invasion éthiopienne et la ruine du royaume himayarite (530).

Répartition géographique du judaïsme à diverses époques

La dispersion des Juifs à travers le monde est un fait très complexe, auquel plusieurs causes ont concouru. L'occupation romaine de la Palestine, dont le sol leur était devenu inhospitalier et la capitale même interdite, les expulsions, les mauvais traitements, les conversions forcées ont amené leur diminution ou leur disparition dans certains pays; des transplantations, la vente à l'encan de prisonniers juifs, l'attraction exercée par des législations humaines ou des conditions économiques favorables, la fécondité de la misère, l'essaimage des communautés surpeuplées, le prosélytisme expliquent l'apparition ou l'augmentation rapide de la population israélite dans d'autres régions à diverses époques. Avec sa fortune presque exclusivement mobilière, leur religion plus attachée à un livre qu'à un lieu déterminé, les Juifs, au Moyen âge, se déplaçaient avec une grande facilité; par moments, il semble que certains soient même retournés à une vie nomade. Aussi la répartition géographique de la population juive présente-t-elle dans l'histoire les plus étonnantes vicissitudes. 

Dès l'époque romaine, les guerres de Titus, de Trajan, d'Hadrien, en jetant sur les marchés de l'Occident des milliers de prisonniers de guerre juifs, la proscription du judaïsme à Chypre, son extermination en Égypte, avaient amené un déplacement partiel des Juifs vers l'Occident d'une part, vers le Sud et le Nord de l'autre. On rencontre les Juifs sur le Rhin et le Danube dès le IIIe siècle; ils sont nombreux en Espagne au IVe et au Ve s. en Gaule au VIe siècle, en Arabie et peut-être en Crimée à la même époque. En Palestine, la judaïsme, déjà très diminué par les massacres de 70 et de 135, disparut à peu près sous les empereurs chrétiens; il fut chassé du Yémen par la conquête éthiopienne, du reste de l'Arabie par Mohammed. La propagation de l'islam et la tolérance des califes abbassides rouvrirent aux Juifs la Palestine, le Nord de l'Afrique et donnèrent un vigoureux essor aux communautés babyloniennes et espagnoles; de la même époque (VIIe siècle) date la conversion au judaïsme d'une partie de la nation des Khazares (Turks), sur la Volga et la Caspienne. Au IXe siècle après l'ère chrétienne, le centre de gravité des populations juives était donc dans le monde musulman (Irak, Égypte, Espagne). 

La décadence du califat de Bagdad, l'intolérance croissante des dynasties musulmanes, la ruine des Khazares (970) portèrent au judaïsme oriental et africain un coup dont il ne se releva pas; au Maroc, presque tous les Juifs durent se convertir; en Espagne, ils refluèrent vers les Etats chrétiens (XIIe siècle). L'Espagne chrétienne, la France, l'Italie renfermèrent dès lors les plus grandes et les plus florissantes agglomérations juives; de France, les Juifs avaient passé en Angleterre avec Guillaume le Conquérant (1066); de l'Italie et des bords du Rhin ils s'étaient répandus lentement (à partir du IXe siècle) dans l'intérieur de l'Allemagne, les pays magyars et slaves, attirés au début par le commerce d'esclaves. 

Les persécutions inaugurées par les croisades, bientôt suivies d'expulsions en masse (Angleterre et Guyenne, 1290; France, 1306 et 1394; Espagne, 1492; Portugal, 1497), modifièrent de nouveau cet état de choses. Le judaïsme occidental ne se maintient plus guère qu'en Italie et en Allemagne, où le morcellement politique s'oppose à une mesure générale d'expulsion. La grande masse des Juifs est rejetée vers l'Europe orientale, particulièrement la Hongrie, la Pologne et la Lituanie, où les attirent des statuts libéraux et l'état économique des populations; seule la Russie leur interdit son territoire dès 1110. La Turquie, les Etats barbaresques au XVIe siècle, la Hollande au commencement du XVIIe, donnent asile à une partie de la population juive expulsée de la péninsule ibérique; puis les sefardim hollandais essaiment à leur tour en Angleterre, au Danemark, dans le nouveau monde (Brésil, Surinam). A partir de la fin du XVIIIe siècle, le régime libéral inauguré par la Révolution française a permis au judaïsme de se développer de nouveau dans l'Europe occidentale et centrale, mais ses plus grandes masses restent concentrées dans les territoires dépendant de l'ancienne Pologne et longtemps partagés entre la Prusse (Posnanie), l'Autriche (Galicie) et la Russie (Pologne propre, Lituanie, etc.), d'où les Juifs ont débordé en Roumanie. Cependant, par l'effet de la législation restrictive qui les étouffait dans ces deux derniers pays, un nouveau courant d'émigration s'est produit tout à la fin du XIXe siècle en sens contraire de celui du XIVe et du XVe siècle, courant qui se dirige alors en majeure partie vers l'Amérique du Nord (Canada et surtout États-Unis).
 

Politique de l'Eglise envers les Juifs. Droit canon

L'animosité contre les Juifs, peu sensible chez les Chrétiens, en dehors des théologiens de profession, au commencement du Moyen âge, a surtout été fortifiée par les efforts séculaires du clergé, des papes et des conciles. L'Eglise est l'âme de la société médiévale : son attitude envers les Juifs a fini par déterminer celle de la société tout entière. L'Eglise, fille, héritière et ennemie née de la synagogue, ne tient pas à exterminer les Juifs; à ses yeux, il est bon qu'il subsiste quelques spécimens du peuple jadis élu, maintenant maudit, qui servent de témoins de l'ancienne loi, attestent par leur humiliation le châtiment du déicide et de l'incrédulité. Mais il est aussi nécessaire de marquer bien nettement aux yeux des populations récemment converties la différence entre les deux religions, qu'elles eurent longtemps une tendance à confondre; il faut par-dessus tout empêcher la propagande religieuse des Juifs. Ces principes règlent la politique de l'Église à l'égard du judaïsme. D'une part, elle est opposée aux baptêmes forcés, comme les ont pratiqués les rois mérovingiens et wisigoths, au renversement des synagogues, à la dévastation des cimetières, aux tueries et aux pillages : le pape Calixte II accorde aux Juifs, dès 1119, pour les protéger contre ces excès, une patente (constitutio Judeorum), qui a été plusieurs fois renouvelée par ses successeurs (bulle d'Alexandre II; 9e concile de Latran). 

La conversion par la persuasion est, au contraire, toujours à l'ordre du jour il semble que l'Eglise ne soit bien sûre de son triomphe que lorsqu'elle conquiert à la nouvelle loi des gardiens de l'ancienne. Un des procédés par lesquels on se flatte d'y arriver sont les colloques religieux, où d'ordinaire un Juif apostat est chargé de confondre ses anciens coreligionnaires tel Nicolas Donin au colloque de Paris sous saint Louis (1240), Pablo Christiani au colloque de Barcelone (1263), Geronimo de Santa Fé au colloque de Tortosa (1413-14). Ces controverses solennelles produisant peu de résultats, on recourt aux campagnes de prédications, qui provoquent souvent des explosions de fanatisme (Capistrano, Vincent Ferrier, Bernardin de Feltre); on oblige les Juifs à assister à des sermons prêchés à leur intention, puis on s'attaque à leur arsenal, à leurs livres qu'on prétend remplis d'insultes au christianisme : on brûle le Talmud et d'autres livres hébraïques à Paris en 1243 et dans beaucoup d'autres villes; les franciscains et les dominicains, nouvelle milice de l'Eglise organisée par Innocent III, dirigent ces perquisitions et ces autodafés. Plus tard, on se contente de confisquer les ouvrages désignés comme scandaleux et de raturer les passages malsonnants : des censeurs, payés par les Juifs, président à cette besogne, qui se poursuit même après l'invention de l'imprimerie. Les anciennes éditions du Talmud sont pleines de blancs, de passages maculés ou corrigés, souvent d'une manière ridicule. Si l'on empêche ainsi les Juifs de blasphémer contre la religion chrétienne, on ne se fait pas faute de les malmener soi-même; le langage des papes, des conciles, des théologiens, reste toujours injurieux et violent.

L'autre face de l'activité de l'Eglise vise la remise en vigueur et l'aggravation de toutes les mesures de précaution, de toutes les incapacités humiliantes édictées par le code de Théodose contre les Juifs et tombées en désuétude pendant la première partie du Moyen âge. Déjà les conciles espagnols et français en avaient constamment réclamé l'application; les recueils de droit canon du Xe au XIIIe  siècle les renouvellent et les précisent; le 10e concile de Latran les érige formellement en lois de I'Eglise (1215), et les papes ne cessent d'en prescrire l'observation aux gouvernements laïcs. Elles se résument en trois principes :

1° Les Juifs ne doivent avoir aucune autorité sur les chrétiens : donc exclusion de toutes fonctions publiques, défense aux Juifs de détenir des esclaves ou même des domestiques, nourrices, sages-femmes, etc., chrétiens; l'esclave né chez le Juif, s'il embrasse le christianisme, devient libre; si c'est un esclave acheté au marché, le Juif doit le revendre dans les trois mois.

2° Le culte Juif ne doit subir aucune extension : défense d'avoir plus d'une synagogue par communauté, de construire de nouvelles synagogues ou d'embellir les anciennes; de circoncire les esclaves païens; le Juif baptisé et relaps est châtié sévèrement.

3° Les chrétiens doivent éviter le contact social des Juifs interdiction des mariages mixtes, des relations familières avec les Juifs; défense de s'asseoir à leur table; défense d'avoir des médecins juifs, etc. A ces prohibitions qui, pour la plupart, remontent à la législation des empereurs chrétiens, l'Eglise ou les législations nées sous son influence en ajoutent d'autres, destinées à achever l'isolement et l'abaissement des Juifs. Déjà, d'après les lois de Justinien, leur témoignage, leur serment, n'étaient pas, en principe, admis contre les chrétiens; en tout cas, on leur impose une formule de serment horrible, accompagnée de cérémonies burlesques ou obscènes (serment more judaico). Presque partout ils doivent habiter des quartiers clos, sans jour sur les autres rues, ouverts et fermés à des heures déterminées : c'est le ghetto, la carrière, le judenviertel ou la Judengasse

Pendant toute la semaine sainte, ils doivent s'enfermer chez eux. A l'imitation des musulmans, le concile de 1215, sous prétexte d'empêcher les unions mixtes contractées par erreur, introduit l'usage d'une marque distinctive que les Juifs doivent désormais porter sur leurs vêtements, à un endroit apparent. C'est presque partout la fameuse rouelle, rouge ou jaune, quelquefois remplacée par un chapeau ou capuchon de forme et de couleur variables, mais généralement grotesque.
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La rouelle, avant l'étoile jaune

La rouelle est le signe distinctif que, par une décision de l'Eglise, les juifs d'Occident devaient porter, au Moyen âge, sur leurs vêtements. L'Église prétendit qu'elle voulait empêcher par là les unions entre chrétiens et juifs.

La rouelle ou roue, appelée parfois aussi cercle, ou O, a été en usage, dans le diocèse de Paris, dès le commencement du XIIIe siècle. En 1232, Raymond VII, comte de Toulouse, et le légat du pape imposent le port de la rouelle aux juifs de plusieurs villes méridionales. A Marseille, les juifs avaient le choix entre le chapeau jaune et la roue. Pour la femme, la roue était souvent remplacée par une espèce de voile. La place de la rouelle était sur la poitrine. 

Saint Louis prescrivit une deuxième roue devant être placée sur le dos. Jaune d'abord, elle devint, en vertu d'une ordonnance du roi Jean, « partie de rouge et de blanc ». La dimension variait aux différentes époques. Sous Louis X, elle était large de 8 millimètres, sous le roi Jean de 35, tandis qu'en 1279 l'abbé de Saint-Antonin de Pamiers réduisit cette marque à une rouelle étroite, à peine visible. 

En Espagne, la roue est imposée aux juifs par une ordonnance du roi d'Aragon, en 1248, renouvelée continuellement par ses successeurs. Au Portugal, Innocent III ordonne d'imposer aux juifs ce signe distinctif. Mais cet ordre ne fut guère exécuté; car, en 1287, le clergé se plaint amèrement à Nicolas IV de cette négligence. Alphonse IV, plus orthodoxe, leur impose un chapeau jaune, remplacé, en 1391, au nom de don Juan Ier, par la roue ordinaire, mais une roue très réduite.

A Naples, Frédéric II introduit la rouelle vers 1233, et le concile de Piazza l'impose aux juifs de Sicile en 1296. A Venise, un chapeau roux remplace la rouelle. En Angleterre, dès 1222, les juifs, par ordre de l'archevêque de Canterbury, étaient obligés de porter un signe. Ce signe, qui était d'abord une bande d'étoffe blanche, puis jaune, fut plus tard, sous Edouard  Ier, une bande de feutre de couleur safran. En Allemagne le signe était, au XIIIe siècle, un chapeau rouge, de formé pointue. Au XVe siècle; c'est la vulgaire roue dont la dimension variait suivant les temps et les lieux.

Ainsi l'obligation pour les juifs de porter la rouelle est générale dans les pays d'Occident dès le XIIIe siècle. Les lois et ordonnances des conciles et des souverains ne diffèrent qu'au sujet de la couleur et de la dimension de la rouelle, et de l'endroit exact où elle devait être placée. Elle a disparu d'abord des mœurs, puis des lois. Du moins jusqu'aux années 1930, en Allemagne, où les Nazis l'on remplacée par une étoile jaune. (S. Debré).

Législations particulières

Les lois canoniques contre les Juifs n'ont pas été appliquées partout ni dans tous les siècles du Moyen âge avec une égale rigueur : tantôt atténuées, tantôt exagérées, en général les gouvernements n'en ont tenu compte que dans la mesure de leurs intérêts; c'est ainsi que dans beaucoup d'Etats les rois ont continué à prendre des fonctionnaires, des trésoriers, des médecins juifs malgré les objurgations des papes; à l'inverse, la propriété foncière a été presque partout interdite aux Israélites, en particulier dans les Etats pontificaux. Souvent la condition légale des Juifs a été réglée par un acte législatif, constituant une sorte de pacte entre le gouvernement et eux de ce nombre sont les Judenstaettigkeiten et les Judenordnungen des Etats d'Allemagne, le règlement autrichien de 1244 copié en Hongrie, en Pologne et ailleurs, les conventions des rois de France avec les Juifs au XIVe siècle. La grande préoccupation des gouvernements est d'exploiter les Juifs au profit de leurs finances. Non content d'exiger des Juifs, comme des chrétiens, la dîme du clergé, on commence par poser en principe que le Juif est serf de l'Église d'abord, des princes ensuite : partout les meubles du Juif sont au roi - en France, au baron - tout ce qu'il lui en laisse est bonté pure. De là non seulement des capitations spéciales (en Castille, 30 deniers; en Allemagne, depuis 1342, 1 florin d'or par tête, etc.), mais des tributs en nature de toute espèce (sel, épices, au Portugal une ancre et un câble par vaisseau), des corvées bizarres (entretien de la ménagerie royale, balayage des palais), des sauf-conduits, des péages corporels, qui assimilent les Juifs à un bétail.

Dans certains pays, les tailles perçues sur eux s'élèvent à un chiffre énorme, parfois égal au rendement de tous les autres impôts : c'est la part du gouvernement dans les bénéfices de l'usure juive, et elle contribue naturellement à élever le taux de l'intérêt. Le gouvernement trafique de ces revenus : il les donne en gage, les afferme, les vend ou en fait don à des églises, à des villes, à des seigneurs. Ce système entraîne des conséquences singulières : d'une part le prince s'arroge le droit, soit de confisquer en tout ou en partie les biens des Juifs, soit d'abolir, quand il lui plaît, leurs créances ou les intérêts de leurs créances, sauf une fraction qu'il s'attribue; d'autre part, les Juifrs perdent le droit d'émigrer d'une seigneurie dans l'autre, ils deviennent serfs de la glèbe. Enfin, quand un Juif se fait baptiser, en compensation de la perte qui en résulte pour le Trésor, ses biens sont confisqués; de même, quand une ville allemande expulse ses Juifs, elle doit bonifier au Trésor impérial le revenu qu'il en tirait.

Transformation économique du Judaïsme

Parallèlement à cette aggravation des conditions légales, en grande partie par l'effet même de cette aggravation, un profond changement s'opère dans les conditions économiques et sociales de la vie juive. Les anciens Hébreux, même les Juifs de l'époque de la Restauration, étaient essentiellement un peuple agricole et pastoral, sans aptitude spéciale, sans goût pour le commerce. Ils n'apprirent le négoce qu'à l'école des Grecs; ils ne le pratiquèrent avec succès que dans quelques établissements de la diaspora, comme Alexandrie; en Palestine, en Babylonie, ils continuèrent à s'adonner presque exclusivement à la culture du sol et aux métiers. Les Juifs amenés en Occident par les émigrations volontaires ou forcées s'y trouvèrent dans des conditions moins favorables pour pratiquer l'agriculture : l'acquisition des immeubles était difficile dans des pays de grande propriété; la population agricole réduite à une condition à peu près servile n'ouvrait pas ses rangs aux nouveaux venus. Partout cependant où cela leur fut possible, nous voyons les Juifs s'attacher au sol et tâcher d'y prendre racine; en Champagne, beaucoup d'entre eux vivent du produit de leurs champs et de leurs vignes; dans la vicomté de Narbonne, ils ont des terres; il en est de même en Espagne, en Italie; au XIIe siècle, Benjamin de Tudèle rencontre en Orient de nombreuses colonies de Juifs cultivateurs. 

Cependant en Occident, dès le commencement du Moyen âge, les Juifs sont une population principalement urbaine et marchande; groupés dans les villes, ils peuvent plus aisément s'y défendre; beaucoup d'entre eux sont « argentiers » (c.-à-d. sans doute à la fois orfèvres, monnayeurs et banquiers) et marchands d'esclaves; ils exercent aussi les métiers. A partir de l'époque féodale, ils se spécialisent de plus en plus dans le commerce d'argent. En effet, toutes les autres carrières lucratives leur étaient alors pratiquement fermées : l'agriculture par le système des tenures féodales et les nombreuses législations qui leur défendaient de posséder des biens-fonds, l'industrie par le système des corporations où dominait l'esprit religieux, - en Espagne, au XIVe siècle, on leur interdit formellement les métiers manuels, - les carrières administratives et judiciaires par l'application de plus en plus stricte du droit canon; restaient la médecine, débouché très restreint, et le commerce. En Italie, seul pays où le commerce maritime eût quelque importance, les Juifs y prirent une part honorable; en Hongrie et en Pologne, ils furent intendants des seigneurs; partout ailleurs, ils se rejetèrent sur la friperie, le colportage et principalement la banque.

Il y avait à cela une autre raison : l'Eglise interdisait aux fidèles le prêt à intérêt (alors appelé usure); cette prohibition était surtout fondée sur un verset de l'Evangile selon saint Luc (VI, 35), d'ailleurs défiguré par une faute de copie. D'autre part, le prêt à intérêt est indispensable à toute société civilisée, car sans lui l'argent ne circule pas, et sans argent point de trafic. Pour concilier la nécessité économique avec la loi religieuse, on essaya de divers expédients peu satisfaisants (tels que le système des rentes constituées), mais surtout on s'avisa que la défense canonique ne concernait pas les Juifs, et que leur propre loi leur permettait de prêter à intérêt aux non-Juifs. Les Juifs devinrent ainsi le banquier nécessaire, souvent unique, de la société chrétienne au Moyen âge; on leur défendit à dessein les autres occupations pour concentrer leur activité vers celle-là;

« dans beaucoup de villes, on ne les recevait même qu'à la condition de tenir une banque ouverte, avec des capitaux toujours disponibles » (I. Loeb). 
Les prêteurs juifs n'eurent d'autres concurrents que les Lombards et les Caorsins; ils exerçaient donc une sorte de monopole, et, comme tous les monopoles, leur « usure » était onéreuse pour le public et les rendait impopulaires. Le taux de l'intérêt, d'ailleurs très variable, était nécessairement fort élevé, vu la rareté des capitaux, la grandeur du risque, l'avidité des gouvernements qui prélevaient sous forme d'impôts une large part dans les bénéfices; il ne paraît pas que les préteurs juifs aient été particulièrement rapaces ni malhonnêtes. Chassés, la clameur publique ne tardait pas à exiger leur rappel. Il en fut ainsi tant que le préjugé canonique resta vivace; quand il commença à s'affaiblir, au XIVe siècle (d'abord en Lombardie où les monts-de-piété firent aux Juifs une concurrence victorieuse), on apprit à se passer des Juifs; la bourgeoisie commerçante, oublieuse de leurs services, fut au premier rang de leurs ennemis; la populace et les gouvernements se partagèrent leurs dépouilles. Là où l'on toléra encore leur présence, les Juifs n'en restèrent pas moins, par la force des choses et par l'habitude prise, voués au commerce d'argent; ils y conserveront longtemps une incontestable supériorité, qui leur a valu plus de maux que de profits.

Sources des persécutions.
Les persécutions dont le judaïsme a été l'objet au Moyen âge, - lois tyranniques, massacres et pillages populaires, expulsions collectives, - ont une double origine : l'une juive, l'autre chrétienne. Les Juifs, sous l'influence de plus en plus exclusive de l'esprit talmudique, leur ont fourni un prétexte par la persistance ou même le renforcement de leur sentiment national, par leur éloignement ou leur mépris trop souvent affiché des «-gentils », par l'exagération des lois cérémonielles qui, dans l'intention d'élever une haie autour de la foi, enveloppaient la vie tout entière dans un réseau serré d'observances rigoureuses, rendaient impossible la communauté de vie, de table, entre les Juifs et les Chrétiens, perpétuaient chez les Juifs l'étroite solidarité, l'aspect étranger, l'isolement farouche qui, aux heures de crise, devaient fatalement les désigner à la méfiance et à la haine.

De leur côté, les Chrétiens ont fortement travaillé à accentuer ce particularisme par une série de mesures de séquestration matérielle et morale qui, dans la pensée de leurs auteurs, étaient destinées d'abord et surtout à défendre la foi chrétienne contre la propagande israélite, mais qui ont singulièrement dépassé le but. Les mauvais sentiments si généralement répandus contre les Juifs à la fin du Moyen âge sont en grande partie l'oeuvre consciente ou inconsciente de cette législation restrictive qui a fait tomber les Juifs du côté où ils penchaient naturellement à cette époque. A l'époque où l'antijudaïsme bat son plein, il a simultanément eu tour à tour trois aspects différents :

1° Aspect religieux. Le peuple mécréant, déicide, réprouvé, flétri tous les jours par les prédicateurs et les écrivains ecclésiastiques, excite, par son obstination à rejeter la vérité évangélique, à faire des prosélytes ou à reprendre les nouveaux convertis, une indignation d'autant plus vive que le christianisme des peuples européens, d'abord assez superficiel, gagne en profondeur et en intensité.
2° Aspect national. Les Juifs sont de plus en plus des étrangers, à qui leurs habitations séparées, leurs coutumes bizarres, leur langue incompréhensible, leur costume exotique composent une physionomie inquiétante, sinistre ou grotesque; à mesure que le sentiment national se développe chez les peuples chrétiens, ils se sentent gênés par cet élément hétérogène, impossible à assimiler, et en réclament ou en approuvent l'expulsion.
3° Aspect économique. Les Juifs, devenus par l'effet des lois canoniques les seuls banquiers du Moyen âge, se sont faits autant d'ennemis que de débiteurs; les uns veulent se débarrasser de créanciers incommodes, les autres envient des trésors que l'imagination populaire exagère singulièrement; d'autres enfin, quand l'esprit commercial se réveille, poursuivent dans les Juifs des concurrents gênants, détenteurs d'un monopole suranné.
Tels sont les trois motifs généraux dont l'action se fait sentir à peu près partout; il faut y ajouter quantité de préjugés populaires, nés de la calomnie ou de la superstition, qui atteignent d'ailleurs tous les « maudits » du Moyen âge (sorciers, lépreux, cagots), mais qui se traduisent, en ce qui concerne les Juifs, par des vengeances particulièrement féroces. Les Juifs, dit-on, tuent des enfants chrétiens pour mêler leur sang aux pains azymes de Pâques; ils volent et percent des hosties pour en faire couler le sang de Jésus; leurs médecins empoisonnent les rois; en temps d'épidémie, ils ont infecté les puits (Les Pestes au Moyen âge); en temps de guerre, ils font des signaux à l'ennemi et lui livrent les forteresses. Ces crimes imaginaires sont expiés trop souvent sur le bûcher, en prison ou dans l'exil. En particulier, l'accusation du meurtre rituel a fait des milliers de victimes innocentes depuis le XIIe siècle (affaire de l'enfant Richard à Pontoise, 1182) jusqu'au XIXe siècle encore (affaire du P. Thomas à Damas, 1840).

Persécutions générales

Si les spoliations, les violences isolées contre les Juifs remontent à une date très ancienne, les grandes persécutions n'ont guère commencé qu'à la fin du XIe siècle, Lorsque le christianisme des peuples de l'Europe occidentale eut pris une profondeur et une intensité allant jusqu'au fanatisme, qui se traduisent par le prodigieux élan des croisades. Plusieurs de ces persécutions ont un caractère en quelque sorte international et se rattachent à de grands mouvements d'opinion ou à de grandes calamités répandues sur toute l'Europe : les croisades, la peste, les invasions, l'Inquisition. Lors de la première croisade (1096) l'avant-garde de l'armée chrétienne se rua sur les juiveries de la Moselle, du Rhin et du Danube, et y sema le carnage; les Juifs acceptèrent le martyre ou coururent au-devant avec un véritable héroïsme. Des scènes analogues se produisent, dans l'Allemagne du Sud, pendant la prédication de la deuxième croisade (1146), en Angleterre pendant les préparatifs de la troisième (1189). 

Le pontificat d'Innocent III (1198-1216), l'organisation de l'inquisition franciscaine et dominicaine, les sévères décisions du dixième concile de Latran (1215) marquent une nouvelle recrudescence dans le martyrologe des Juifs. Dans la deuxième moitié du XIIIe siècle, les terreurs provoquées par les progrès menaçants des Mongols, qu'on soupçonnait d'être favorisés par les Juifs, eurent leur contre-coup jusqu'en Alsace. Plus effroyable encore fut la persécution dont la peste noire (1348-50) donna le signal; les Juifs, accusés d'avoir empoisonné les puits par le moyen des lépreux ou d'une horrible mixture, furent massacrés par milliers; la fureur de sang se promena depuis l'Espagne jusqu'au fond de la Silésie et de la Hongrie, en passant par la Provence, la Savoie, le Dauphiné, la Suisse, l'Allemagne et l'Autriche. Des excès semblables faillirent se reproduire encore deux et trois siècles plus tard, à l'époque des invasions turques; les Juifs furent accusés d'avoir vendu Rhodes à Soliman; on les exila de Vienne (1670) sous prétexte de connivence avec les Ottomans. (Th. Reinach). 

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