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Les Cathares
La guerre des Albigeois
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La religion cathare*
La guerre des Albigeois
On appelle croisade contre les Albigeois et les Cathares la guerre entreprise sous les auspices de l'Eglise romaine pour ramener sous l'autorité du pape les hérétiques du midi de la France. Cette guerre eut d'importantes conséquences au point de vue politique et au point de vue religieux; elle amena en particulier la réunion au domaine royal des Etats de la maison de Toulouse

Jusqu'à la prédication de la croisade (1209)
Jusque vers le milieu du XIIe siècle, les hérésies, - et on sait combien nombreuses et variées elles furent, - n'avaient trouvé de partisans que dans le clergé même, et il avait suffi à l'Eglise romaine de frapper les théologiens dissidents pour ramener leurs partisans à l'unité dogmatique. Au XIIe siècle, la nouvelle semence trouve dans le midi de la France un terrain mieux préparé. Seuls en effet ou presque seuls, les pays appelés plus tard Languedoc s'étaient en partie affranchis du joug des idées du temps; le clergé méridional, très riche, mais peu instruit, n'inspirait plus le même respect aux populations; les évêques et les abbés, absorbés par la politique, s'occupaient plutôt d'agrandir leurs domaines et d'accroître leur influence que du soin d'instruire leurs ouailles; les classes nobles, composées principalement de petits seigneurs besogneux, n'avaient pas sur leurs hommes une action aussi directe que dans les pays du Nord; enfin, grâce au commerce avec l'Orient et l'Italie, s'était formée une bourgeoisie riche, active, ayant déjà des loisirs. Toutes ces circonstances se réunissent pour créer un commencement de culture laïque, et faire naître l'esprit de curiosité et d'examen, si redoutable pour toutes les croyances religieuses. Venues du dehors, les doctrines cathares se développent donc assez rapidement dans ce milieu favorable. La première fois qu'on cite des hérétiques en Languedoc, c'est vers 1140. Deux pasteurs, un certain Henri, qui avait d'abord prêché à Lausanne, puis au Mans, à Poitiers et enfin à Bordeaux, et son maître Pierre de Bruys, arrivent à Saint-Gilles vers 1140. Le second y est brûlé par les habitants, mais Henri peut échapper et bientôt le nombre des partisans des nouvelles doctrines se trouve assez grand en Toulousain et en Périgord pour exciter les craintes de la papauté et ranimer le zèle des docteurs de l'Eglise. Pierre le Vénérable, abbé de Cluny, un moine cistercien, Héribert, écrivent contre les sectaires, et Eugène IV envoie en Toulousain le légat Albéric, évêque d'Ostie, et saint Bernard (1147). Les effets de cette mission furent considérables, au dire des apologistes du saint abbé; les nouveaux croyants furent convertis, les nobles s'engagèrent à ne plus protéger les hérétiques; toutefois, à vrai dire, la mission ne paraît pas avoir eu de résultats appréciables; le peuple se contenta de recevoir et d'écouter avec respect les prélats (sauf à Albi et à Verfeil), sans trop s'inquiéter de l'avenir.

En 1163, les progrès de l'hérésie attirent l'attention des pères rassemblés à Tours sous la présidence d'Alexandre III, et un canon de ce concile anathématise les sectaires, les place sous la surveillance directe du clergé et engage les princes du pays à les punir sévèrement. Deux ans plus tard, les évêques et les abbés de Languedoc se réunissent à Lombers en Albigeois, et après une discussion publique avec les bonshommes et leur chef Olivier, renouvellent contre eux l'anathème porté à Tours. L'indifférence des princes, la protection accordée aux hérétiques par la petite noblesse rendent ces foudres inutiles. Une nouvelle mission, envoyée dans le Languedoc en 1177 à la demande du comte Raimond V par Alexandre III, mission dirigée par le légat Pierre de Saint-Chrysogone, obtient d'abord quelque succès à Toulouse; le chef des hérétiques, un bourgeois de Toulouse, nommé Pierre Mauran, est contraint à faire amende honorable et reconnaît publiquement ses erreurs. Mais en Albigeois, les missionnaires ne peuvent même pas avoir une entrevue avec le principal seigneur du pays, le vicomte Roger, et se retirent après avoir prononcé contre lui de vaines menaces et l'avoir excommunié. C'est en vain également que le concile de Latran de 1179 frappe les hérétiques et leurs protecteurs d'un nouvel anathème. Une expédition tentée en Albigeois en 1181, cette fois à main armée, par un nouveau légat, Henri, cardinal d'Albano, n'a de même que peu de résultats; on occupe Lavaur, refuge des hérétiques, on force le vicomte Roger à faire amende honorable, mais les progrès de la secte continuent, et, jusqu'à l'avènement d'Innocent III, l'Eglise romaine reste impuissante contre eux.

Dès son avènement (1198), Innocent III commence la lutte contre les sectaires et leurs protecteurs. Il semble peu probable, quoi qu'en aient dit les auteurs ecclésiastiques, que la population du Midi tout entière fût déjà gagnée aux nouvelles doctrines; mais, pour une foule de raisons, l'autorité de la religion s'était tellement affaiblie en Languedoc que les habitants, même catholiques, n'éprouvaient aucune répugnance à voir vivre parmi eux des hétérodoxes; en un mot, sans abandonner la foi romaine, la majorité des catholiques répugnait à la persécution. Cette répugnance était grande surtout chez les princes du pays, qui, tous catholiques, - on n'a jamais pu prouver péremptoirement qu'un seul ait été vraiment hérétique, - jugeaient excessif le zèle des légats et du Saint-siège. Pendant dix ans, les envoyés d'Innocent III ne cessent d'exhorter, de supplier, de menacer Raimond VI; pendant dix ans, ce prince refuse d'écouter leurs conseils trop violents. En 1204, le pape dépouille les évêques du pays de leur autorité disciplinaire et transporte leurs pouvoirs au célèbre Pierre de Castelnau et à son collègue frère Raoul; cette mesure arbitraire, en blessant les prélats languedociens, aggrave encore la situation. Les évêques réfractaires sont frappés durement, déposés, suspendus, mais les légats ne trouvent aucun appui auprès de Raimond VI et des autres princes du pays; ils ont l'imprudence de vouloir intervenir dans les guerres privées, d'imposer leur médiation au comte de Toulouse et à ses grands vassaux tant en Provence qu'en Languedoc, si bien qu'en 1207 Pierre de Castelnau en arrive à excommunier publiquement Raimond, et peu après le pape invite solennellement le roi de France et les grands vassaux du royaume à se croiser contre les hérétiques. Le meurtre de Pierre de Castelnau à Saint-Gilles (15 janvier 1209) précipite les événements; jamais on n'a pu prouver la complicité de Raimond VI ; mais cet acte de violence devait avoir les conséquences les plus désastreuses; dès lors Innocent III ne ménagea plus rien.

La guerre des Albigeois proprement dite (1209 - 1229).
A peine le pape a-t-il appris le meurtre du légat qu'il écrit à tous les princes de l'Europe et les exhorte à se croiser contre Raimond VI et ses alliés, dont il offre la terre au premier occupant. La prétention de la cour romaine parut grande aux gens sages, et Philippe-Auguste crut devoir faire observer à Innocent III qu'il outrepassait ses droits et déclina ses offres. Mais les prédications des moines cisterciens furent accueillies avec faveur dans le nord de l'Europe, et une foule de grands seigneurs et de petits nobles prirent la croix, à la fois par piété et par goût des aventures. Au XIIIe siècle, il n'était pas difficile de former une armée. Quelle conduite allait tenir Raimond VI? Il pouvait résister; si les Languedociens eussent su oublier leurs divisions et se grouper sous la bannière du comte de Toulouse, nul doute que l'entreprise aurait échoué. Mais depuis trop longtemps les princes méridionaux se jalousaient et étaient en rivalité; il faudra quatre ans de malheurs pour amener cette concentration si nécessaire. D'ailleurs la plupart étaient restés catholiques et répugnaient à entrer en lutte avec la papauté. Le pape sut profiter de ces divisions; loin de rejeter les requêtes de Raimond VI, il ordonna aux légats de l'amuser, d'accepter ses excuses, ses propositions, et d'attaquer séparément chacun des barons du Midi; une fois isolé, ajoute Innocent III dans une lettre célèbre, le comte de Toulouse sera facile à abattre. Raimond VI tombe dans le piège; Milon, légat du pape, après s'être fait livrer à Montélimart une partie de la Provence, le réconcilie avec l'Eglise et occupe, au nom du Saint-siège, le Languedoc oriental et le Comtat-Venaissin (juin 1209), ouvrant ainsi la route à l'armée de la foi.

Celle-ci cependant s'était lentement formée; elle avait atteint Lyon à la fin de juin. Milon va à sa rencontre, se concerte avec les chefs des croisés, et cette foule immense pénètre en Languedoc. Le premier prince menacé, - le seigneur de Montpellier, Pierre d'Aragon, étant catholique, - était Raimond Roger, vicomte de Béziers et de Carcassonne. Ce jeune prince (il avait à peine vingt-quatre ans), essaie vainement de s'accommoder avec le légat; mal reçu, il se retire, se décide à la résistance et, après avoir fortifié Béziers, se retranche à Carcassonne. Les croisés atteignirent Béziers le 22 juillet. La ville était forte, mais probablement mal gardée; le jour même de l'arrivée de l'ennemi, elle est enlevée d'assaut et les habitants massacrés. Les légats, dans leur lettre au pape, estiment à quinze mille le nombre des habitants qui périrent durant le sac. 

« C'est avec une allégresse extrême, dit le chroniqueur Pierre de Vaux-Cernay, que nos pèlerins brûlèrent encore une grande quantité d'hérétiques. »
Ce massacre, prémédité si l'on en croit un auteur contemporain, Guillem de Tudèle, jeta la terreur dans tout le pays et les croisés arrivèrent devant Carcassonnesans trouver aucune résistance (1er août 1209). L'assiette de cette ville était extrêmement forte et la garnison nombreuse et résolue. Aussi la défense fut-elle plus longue qu'à Béziers. Les croisés emportèrent successivement les deux bourgs qui couvraient les pentes de la colline, mais tout leur courage vint se briser contre les hautes murailles de la place. Malheureusement on était en plein été, l'eau manquait et après avoir refusé les conditions du légat et l'intervention du roi d'Aragon, le vicomte Raimond Roger dut négocier la reddition de la ville. Les habitants sortirent en chemise et en braies (15 août 1209), la place fut occupée par l'armée croisée. Les assaillants la brûlèrent « en long et en travers » après l'avoir pillée et après avoir massacré, sans distinction, catholiques et cathares. Sept mille femmes et enfants, réfugiés dans l'église de la Madeleine, y furent exterminés jusqu'au dernier. Un moine de Cîteaux affirme que son chef le légat Arnaud, criait aux assassins : 
« Tuez-les tous! Dieu saura bien reconnaître les siens !» 
On a soutenu que ce mot farmeux avait été fabriqué après coup. En tous cas, 
« les croisés se sont conduits exactement comme s'il avait été prononcé » (Luchaire). 
Le vicomte retenu prisonnier mourut mystérieusement au mois de novembre suivant. D'après un bruit, rapporté comme vrai par le pape lui-même, Simon de Montfort , le nouvel homme fort, parmi les croisés, l'aurait fait périr.

Les croisés avaient servi les quarante jours auxquels les obligeait leur voeu; la plupart se disposèrent à quitter le pays, beaucoup, parmi les princes, indignés du traitement infligé à un aussi vaillant chevalier que Raimond Roger. Avant de partir, ils donnèrent d'un commun accord la seigneurie des pays conquis par eux à Simon de Montfort, et celui-ci resta bientôt seul ou à peu près seul, avec une petite troupe de chevaliers. La situation du conquérant était périlleuse, mais d'une part l'appui de la papauté ne lui manqua pas, et Innocent III lui confirma la possession de ses nouveaux Etats; et d'autre part il sut, à force d'activité et d'audace, conjurer la fortune. Sans même chercher à se maintenir en bons termes avec Raimond VI que le légat devait bientôt excommunier de nouveau, il achève la conquête du Carcassez et du Razès, se porte ensuite en Albigeois et occupe Lombers et Castres; le comte de Toulouse au surplus lui laisse le champ libre et quitte ses Etats (septembre) pour aller implorer l'appui de Philippe-Auguste et s'expliquer avec le pape. Montfort profite de son absence, enlève au comte de Foix le nord du pays de ce nom (Pamiers et Mirepoix) et achève la conquête de l'Albigeois.

Les années suivantes (1210-1211) sont marquées pour le conquérant par des alternatives de succès et de revers; il semble qu'à ce moment Innocent III ait éprouvé quelque hésitation à consommer l'exhérédation du comte de Toulouse; mais les légats apostoliques, moins scrupuleux, traversent les démarches conciliantes du souverain pontife et leurs atermoiements permettent à Montfort de se fortifier; la prise de Minerve (juillet 1210), celle de Termes (23 novembre 1210) affermissent son autorité en Carcassez, et en janvier 1211, Pierre d'Aragon doit accepter les événements accomplis et recevoir l'hommage de Simon de Montfort pour Carcassonne. Dès lors les événements se précipitent; Raimond VI, qui a vainement cherché à se justifier du meurtre de Pierre de Castelnau, est solennellement excommunié au concile d'Arles (février 1211); le pape lui enlève le comté de Melgueil, à la suzeraineté duquel l'Eglise romaine prétendait, et la guerre devient inévitable. De nouveaux croisés viennent renforcer l'armée de Montfort, et, prenant l'offensive, celui-ci s'empare de la forte place de Cabaret, assiège et prend Lavaur (3 mai 1211). Ce n'est qu'après ce succès éclatant que se tournant ouvertement contre le comte de Toulouse, il envahit les Etats de ce prince. Une première fois, il paraît devant Toulouse (juin 1211); cette tentative échoue, mais sur d'autres points il est plus heureux, l'évêque de Cahors le reconnaît pour suzerain, ainsi que le comte de Pailhas. Les comtes de Foix et de Toulouse reprennent cependant l'offensive; Montfort, assiégé par eux dans Castelnaudary, semble un instant perdu; il échappe encore une fois. Le reste de l'année 1211 et l'année 1212 se passent en alternatives de succès et de revers, mais Raimond VI ne peut arrêter les progrès des croisés qui envahissent l'Agenais et enlèvent le château de Penne (25 juillet 1212); Montfort soumet encore Moissac, Muret, une partie du comté de Comminges, resserrant tous les jours le cercle de fer dont il enveloppe Toulouse, Il se sent même assez fort pour édicter, au mois de novembre de la même année, des statuts généraux dans l'assemblée de Pamiers.

Avec l'année 1213, un nouvel acteur entre en scène. Le roi Pierre d'Aragon, jadis brouillé avec son beau-frère, le comte de Toulouse, et occupé à des expéditions contre les Maures (La Reconquista), s'était jusque-là abstenu d'intervenir. Vers la fin de 1212, il se décide à s'entremettre et obtient du pape l'ordre de suspendre la croisade et de faire une nouvelle enquête sur la situation du comte Raimond. Mais Montfort et les prélats étaient trop attachés à leurs projets pour reculer. Le concile de Lavaur rejette les propositions de Pierre d'Aragon en faveur des comtes de Toulouse, de Comminges et de Foix (janvier 1213), et dès la fin du même mois le roi et Montfort se défient mutuellement. Toutefois ce ne fut qu'en septembre 1213 que les deux adversaires se trouvèrent en présence dans la plaine de Muret (13 septembre). L'armée méridionale était la plus forte en nombre, et tout semblait assurer le succès. On sait comment la négligence du roi d'Aragon, l'inaction des Toulousains et des gens du comte de Foix assurèrent la victoire à Montfort; celui-ci fit preuve en ce jour de décision et d'intelligence et se conduisit en capitaine judicieux et avisé. Le roi d'Aragon périt et les comtes languedociens n'échappèrent que par la fuite.

Le sort de Toulouse s'était décidé dans les plaines de Muret; cette ville se soumet aussitôt à Montfort, qui ne cache plus le but qu'il s'est toujours proposé : détrôner la maison de Toulouse et se substituer à elle dans le midi du royaume. Un nouveau légat, le cardinal de Bénévent, se prête à ses desseins, et reçoit la soumission des princes du Midi, y compris Raimond VI (avril 1214), mais les croisés continuent la conquête des Etats de ce prince, Nîmes, Agde, Vivarais, Provence, Rouergue, Quercy, Agenais, et le cardinal Robert de Courçon investit Montfort de toutes ces conquêtes (juillet 1214); cet acte est confirmé par le concile de Montpellier (janvier 1215) et par le pape (avril). Innocent III avait réservé, il est vrai, au concile général convoqué au Latran pour la même année, le droit de revenir sur cette décision provisoire. A ce concile assistèrent la plupart des princes féodaux dépossédés, les envoyés de Montfort et un grand nombre d'évêques de la chrétienté. Les débats furent longs, et beaucoup de prélats prirent la défense de Raimond VI et surtout de son jeune fils, dont la dépossession semblait inique à plus d'un. Mais le pape s'était trop avancé pour reculer; après de longues hésitations, il se crut assez fort de son droit pour confirmer à Simon la possession des domaines conquis par lui dans le midi de la France; Raimond VI fut définitivement dépossédé; au fils de ce prince, le pape réserva les terres de son père en Provence, et l'affaire du comte de Foix resta en suspens (novembre 1215). Telle est cette décision célèbre ; jamais peut-être, même au temps d'Innocent IV et de Boniface VIII, la papauté ne porta plus loin ses empiétements sur le pouvoir séculier, et jamais elle n'obtint autant de succès. Quelques mois plus tard, Simon de Montfort, au cours d'un voyage triomphal dans le nord de la France, devient vassal de Philippe-Auguste pour le duché de Narbonne, le comté de Toulouse, et la vicomté de Béziers et Carcassonne (avril 1216); le roi de France acceptait les faits accomplis.

Simon de Montfort paraissait à l'apogée de la puissance. Il avait vaincu sans peine Raimond VI, prince faible, versatile et universellement décrié; mais un nouvel adversaire plus actif, et mieux soutenu par la noblesse du Midi, va remplacer le vieux comte de Toulouse. Le jeune Raimond, plus tard Raimond VIl, entre alors en scène; il a pour lui les sympathies des populations méridionales et l'appui déclaré de la cour d'Angleterre. A peine revenu de Rome, où le pape lui a fait un accueil empressé, il fait appel à ses sujets de Provence, entre à Tarascon, occupe Beaucaire et commence le siège du château de cette ville. Simon accourt au secours de la garnison, mais après des combats répétés, il est obligé de conclure un accord; les Provençaux occupent le château qu'évacue la garnison française (juillet 1216). Il semble que dès lors la fortune abandonne le conquérant. Il va se venger de son échec sur Toulouse, dont il démolit les remparts, qu'il frappe d'une amende exorbitante, et perd son temps à d'infructueuses expéditions en Agenais, en Bigorre, dans le comté de Foix. Il n'a su en somme ni se concilier l'affection de ses nouveaux sujets, ni conserver ses fidèles auxiliaires, les prélats français établis dans le Midi, que son ambition inquiète et irrite (notamment à Narbonne). Toulouse, exaspérée par les rigueurs de son nouveau maître, se soulève; Raimond VI y rentre en triomphe le 13 septembre 1217, et alors commence une lutte héroïque de plus de dix mois. La ville était démantelée, appauvrie, dépeuplée; les gens de Montfort occupaient la citadelle, le vieux château Narbonnais. On cerne la garnison ennemie, les consuls trouvent de l'argent et des auxiliaires, des barricades improvisées s'élèvent, et, pour les défendre, toute la noblesse du Midi occidental, que la défaite a rendue moins indocile, vient se ranger sous les bannières des chefs nationaux, les comtes de Toulouse, de Foix et de Comminges. Le succès était encore incertain, ou plutôt Montfort ne combattait plus que pour retarder sa défaite, quand une pierre, lancée, dit-on, par une femme, le fait périr le 25 juin 1218

Tous les historiens catholiques du siècle et beaucoup de nos jours ont fait l'éloge de ce personnage peu sympathique. Il avait des qualités réelles de capitaine et de négociateur; on aurait tort de lui reprocher sa cruauté et son fanatisme, il partageait ces défauts avec tous ses contemporains. Mais on ne saurait assez flétrir son ambition, sa duplicité, sa violence. Pour fonder une dynastie, il avait couvert le Midi de ruines, versé des flots de sang, et perdu bientôt de vue le but primitif de la croisade.

Sa mort était un coup cruel pour l'entreprise. Son fils aîné, Amauri, n'avait ni les talents militaires, ni l'expérience de son père. Un mois, jour pour jour, après la mort de celui-ci, il lève le siège de Toulouse et se retire à Carcassonne. Dès lors, l'oeuvre de la croisade semble frappée à mort. En 1218, Amauri perd Nîmes et le Languedoc oriental, l'Agenais et le Comminges. En 1219, rejoint par le prince Louis de France, plus tard roi sous le nom de Louis VIII, il reprend Marmande, mais échoue une fois encore devant Toulouse; l'année suivante, il perd la majeure partie de l'Albigeois, et Raimond VII rentre à Moissac. En vain le pape Honorius III et Amauri lui-même pressent le roi Philippe-Auguste de prendre la direction de la guerre, de descendre avec une forte armée dans la terre d'Albigeois; ce prince, vieilli et fatigué, s'y refuse obstinément à plusieurs reprises. Enfin après mille revers, abandonné de ses troupes, sans argent, sans vivres, Amauri doit, par un traité conclu le 14 janvier 1224, s'engager à quitter le pays, remettre aux princes du Midi la plupart des places qu'il tient encore et promettre de s'employer pour ménager un accord entre la cour romaine, Raimond VII et le comte de Foix. Peu soucieux de ses promesses, à peine arrivé à Paris, il cédait ses droits ou plutôt ses prétentions sur le Languedoc au jeune roi de France, Louis VIII.

Qu'allait faire la papauté? Il ne semble pas que ni Innocent, ni Honorius III, son successeur, aient eu réellement le désir de faire participer le roi de France à la croisade; les vues de la cour de Rome étaient tout autres, car elle avait bien plus de chances de maintenir sa suprématie avec les Montfort qu'avec le premier prince de l'Europe. Aussi Honorius III, à peine connue la défaite d'Amauri, prête une oreille plus favorable aux propositions du jeune comte de Toulouse et de ses alliés. Depuis plusieurs années, en effet, les princes méridionaux essayaient de fléchir le courroux du souverain pontife. Louis VIII, à peine obtenu l'acte de renonciation du jeune Amauri de Montfort, avait envoyé à Honorius III un long mémoire énumérant les conditions mises par lui à son concours. Ces conditions étaient si onéreuses pour l'Eglise, elles témoignaient si nettement de l'intention arrêtée chez le roi de tirer tout le profit possible de l'entreprise, que le pape se décide à écouter les défenseurs de Raimond VII et se rend aux instances du roi d'Angleterre et de l'empereur Frédéric Il. Dans une lettre du 4 avril 1224, il expose ses nouvelles vues au roi Louis VIII; si Raimond VII veut se joindre à l'Eglise pour la poursuite des hérétiques, le but de la croisade est atteint, et par suite l'intervention du roi de France devient inutile. Le roi, en réponse à cette communication, répliqua que si l'Eglise romaine trouvait son avantage à s'entendre avec le comte de Toulouse, il n'éprouvait aucun désir de traverser l'accord, mais qu'il se jugeait désormais délié de toutes ses promesses et qu'il se refusait à entendre aucunes propositions nouvelles. Les négociations continuent durant toute l'année 1224; les prélats du Midi acceptent à Montpellier (juin et août 1224) les propositions de Raimond, du comte de Foix et du vicomte de Béziers, et transmettent le tout au pape au mois d'octobre suivant.

Tout semblait terminé, mais les influences hostiles au comte de Toulouse étaient trop fortes, elles l'emportèrent, et Honorius III, esprit faible et irrésolu, bien inférieur à tous égards à son prédécesseur, le politique Innocent III, revint encore une fois sur ses promesses et nomma pour terminer l'affaire un nouveau légat, Romain, cardinal de Saint-Ange, ennemi notoire de Raimond VII. Ce prélat part presque aussitôt pour la France, avec l'intention bien arrêtée, semble-t-il, de renouer les négociations avec le roi de France. Dès lors, les événements se pressent; au mois de novembre 1225, le légat réunit un concile à Bourges, fait rejeter les offres du comte, comme peu avantageuses pour l'Eglise, et obtient bientôt du roi la promesse de prendre la croix contre les Albigeois. Il accepte au nom du pape les conditions mises par Louis VIII à son concours, conditions qu'Honorius III, deux ans plus tôt, trouvait peu avantageuses, et le roi de France se prépare à son expédition. L'issue de la lutte n'était pas douteuse. A l'annonce des projets du roi, nombre de villes et de petits seigneurs du Midi lui envoient leurs lettres de soumission, conçues dans les termes les plus respectueux et les plus humbles. Aussi Louis VIII peut-il commettre toutes les fautes, l'expédition n'en réussit pas moins. Arrivé près d'Avignon (juin 1226), il entreprend pour une querelle de bienséance le siège de cette ville, alors située en terre d'Empire, consacre à ce siège inutile et impolitique presque tout l'été, perd devant la place la majeure partie de ses troupes et est abandonné par beaucoup de ses vassaux. La ville finit par se rendre le 12 septembre 1226, et l'armée française, fort réduite en nombre, entreprend dans le Languedoc une longue promenade militaire; le pays se soumet jusqu'aux portes de Toulouse; Louis VIII installe partout ses officiers, leur laisse des forces suffisantes commandées par Imbert de Beaujeu et regagne la France à petites journées; il meurt en route, à Montpensier en Auvergne, le 8 novembre.

Son fils, Louis IX, n'avait que douze ans, mais la reine-mère, Blanche de Castille, n'était pas d'humeur à abandonner l'affaire des Albigeois. La guerre continue, acharnée, avec des alternatives de revers et de succès, pendant deux ans. Enfin, en 1228, le pape sent la nécessité d'y mettre un terme; il semblait impossible de réduire définitivement Raimond VII, et l'état du royaume de France rendait la paix indispensable. Elle fut conclue en avril 1229. Le roi prenait la part du lion : tous les pays, du Rhône aux frontières du diocèse de Toulouse (vers Castelnaudary), soit les départements actuels du Gard, de l'Hérault, de la Lozère, de l'Ardèche en entier; une partie de l'Ariège (Mirepoix), le sud de l'Albigeois (sur la rive gauche du Tarn). Raimond VII conservait le Rouergue (Aveyron), le nord de l'Albigeois (Tarn), le Toulousain (Haute-Garonne, Tarn-et-Garonne, partie de l'Aude et du Tarn), et l'Agenais (Lot-et-Garonne), ce dernier pays relevant de la couronne d'Angleterre. Mais il s'engageait à léguer ces domaines à sa fille unique Jeanne, laquelle devait épouser l'un des frères du jeune roi; elle devint plus tard femme d'Alphonse, comte de Poitiers et d'Auvergne. Des autres princes du Midi, l'un, Raimond-Trencavel, fils de l'infortuné Raimond-Roger, vicomte de Béziers, de Carcassonne et d'Albi, était entièrement dépossédé, trois autres, les comtes de Comminges et de Foix, et le vicomte de Narbonne, gardaient leurs Etats, mais perdaient en grande partie leur indépendance. La paix de Paris de 1229 marque en réalité la fin de la croisade des Albigeois; toutefois, les conséquences de cette terrible aventure n'étaient pas encore épuisées, et il ne sera pas inutile de marquer brièvement le système suivi par la royauté capétienne pour achever la conquête morale et matérielle du pays.

La soumission définitive du Midi (1229-1400).
La situation du Languedoc, en 1229, était lamentable; vingt ans de guerre l'avaient épuisé; dans plusieurs diocèses (Narbonne, Béziers, Carcassonne), la noblesse territoriale avait été dépossédée, des villes entières (Béziers, Carcassonne) dépeuplées. Les premières années qui suivirent la paix de Paris furent pénibles à traverser. Si Raimond VII, si le comte de Foix donnent asile dans leurs Etats aux proscrits, aux faidits, ceux-ci ont à redouter, à Toulouse comme à Foix, les rigueurs du nouveau tribunal créé par les papes pour la poursuite du crime d'hérésie, du tribunal de l'Inquisition. Mais dans les pays cédés au roi de France, la situation est encore pire; occupée à d'autres soins, la régente Blanche de Castille laisse ses officiers, sénéchaux, viguiers, châtelains et bayles, rançonner et écraser le pays. Cet état de choses dura longtemps; aussi les souverains dépossédés ne perdirent-ils pas l'espoir de rentrer dans leurs Etats. 

En août 1240, le vicomte de Carcassonne, Trencavel, paraît inopinément sur les frontières d'Aragon; tout le pays se soumet sans résistance, et il peut dans les premiers jours de septembre venir mettre le siège devant la cité de Carcassonne. Défendue énergiquement par le sénéchal Guillaume des Ormes, cette place lui échappe, et l'armée de secours, commandée par l'un des meilleurs capitaines du temps, Jean de Beaumont, rétablit sans grand-peine la domination française dans la vallée de l'Aude; Béziers était restée fidèle. La répression fut encore une fois terrible et le pays en grande partie dépeuplé. Raimond VII, sans prendre parti pour les faidits, avait refusé de secourir les officiers royaux; il se préparait en effet à une nouvelle prise d'armes. Allié du roi d'Angleterre, Henri III, et du comte de la Marche, il se déclare contre Louis IX (1242). Mais les Anglais et leurs alliés sont battus à Taillebourg et à Saintes, le comte de Foix trahit son suzerain, le comte de Toulouse, et celui-ci est obligé de subir les dures conditions de la paix de Lorris de 1242. Une partie du domaine royal, jusqu'à l'Hérault, avait embrassé son parti : les révoltés furent punis sévèrement. 

Encore une fois le Midi était vaincu. Les officiers royaux profitèrent de la paix pour achever la conquête de la région montagneuse qui s'étend entre Foix et Limoux; dès 1240, ils avaient occupé la haute vallée de l'Aude et annexé au domaine royal le pays de Sault et la baronnie de Niort; en 1245, ils entreprennent le siège de la forte place de Montségur (aujourd'hui dans l'Ariège), dernier asile des barons hérétiques, Mirepoix, Péreille, etc. L'affaire fut rude; les assiégés se défendirent avec énergie; toutefois, pressés par la faim, ils finirent par accepter les conditions des vainqueurs et par livrer deux cents hérétiques réfugiés dans leur nid d'aigle, lesquels furent tous brûlés en une seule journée. Les autres faidits purent se réfugier en Aragon. La tragédie de Montségur marque la fin de la guerre albigeoise; il y aura bien encore quelques expéditions dans les montagnes, le siège de Quéribus en 1255 par exemple, mais ce seront de simples mesures de police plutôt que des expéditions régulières.

Jusqu'alors, la royauté n'avait rien fait pour gagner l'affection des populations méridionales. En 1247, saint Louis inaugure une nouvelle politique. Des enquêteurs (clerici inquisitores), envoyés par lui, parcourent le pays, reçoivent les plaintes, punissent les agents prévaricateurs, réparent les torts causés aux personnes et aux choses. Il n'était pas question de rétablir l'ancien ordre de choses, mais de réparer dans la mesure du possible les maux causés par plus de trente ans de guerres et de violences. Depuis un an le roi était le maître légitime du pays par la cession de Trencavel en 1247, il était à la fois politique et humain de marquer cet heureux événement par des mesures de clémence. Les travaux des enquêteurs durèrent trois ans (1247-1249) et s'étendirent à tout le Midi royal; de sages ordonnances, rendues par saint Louis en 1254, à son retour de Terre-Sainte, continuèrent cette oeuvre de pacification. De nouveaux statuts en 1259, une longue enquête de 1258 à 1264 y mirent la dernière main. Le comté de Toulouse, aux mains du frère du roi, Alphonse de Poitiers, depuis 1249, n'était pas administré avec moins de soins et d'intelligence.

Ces vint ans de régime sage et modéré firent plus pour l'assimilation de la France du Midi que toutes les violences de l'époque précédente. Aussi doit-on faire dater du règne de saint Louis la France telle que nous la connaissons; c'est lui qui a définitivement réuni au domaine la terre d'Albigeois. Son fils, Philippe III, héritier à la fois de son père et de son oncle Alphonse, suit la même politique. Philippe IV est plus âpre. Toutefois, s'il punit sévèrement les complots contre son autorité souveraine, témoin la tragédie de Carcassonne (1305), il soutient les justes revendications de ses sujets du Midi contre les excès de l'Inquisition; il est impuissant à obtenir la moindre cession de l'implacable Boniface VIII, mais Clément V se montre plus humain, et une constitution promulguée au concile de Venise en 1312, donne quelques garanties aux prévenus cités devant ce tribunal exceptionnel. Au surplus, l'hérésie albigeoise s'éteint dans les premières années du XIVe siècle, et à dater de 1330, on ne retrouve plus mentionnés dans les actes du pays que quelques rares procès d'inquisition. Le Midi ne cesse dès lors de se montrer fidèle à la royauté, en dépit de la détestable administration des premiers Valois, au milieu des désastres de la guerre de Cent ans, et c'est dans le Languedoc, plus dévoué que les anciens domaines de la couronne, que Charles VII trouvera cent ans plus tard de l'argent et des soldats pour reconquérir ses Etats héréditaires. (A. Molinier).

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