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L'histoire de la Bactriane
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Les rois*
Les royaumes gréco-bactriens

A la mort d'Alexandre, l'Inde, où régnaient Pithon, Taxile et Porus, était partagée en trois satrapies qui étaient commandées : les Paropamisades par Oxyartès, l'Arachosie et la Drangiane par Stasanor le Solien, et les satrapies de Bactriane et Sogdiane par Amyntas. C'est sous ce dernier que, aussitôt après la mort du conquérant, une tentative de révolte eut lieu de la part des soldats macédoniens restés en Bactriane et qui avaient pour chef Philon ou Biton. Cette révolte fut aussitôt réprimée et Amyntas fut remplacé par Philippe d'Elymée, auquel succéda, en 322, Stasanor qui resta gouverneur de la Bactriane et de la Sogdiane jusqu'en 301, époque où ces provinces passèrent entre les mains de Séleucus ler Nicator lequel était déjà en possession effective depuis 312 (date qui devint plus tard l'ère des Séleucides) de la Mésopotamie, de la Babylonie, de la Perse et de tout l'Orient de l'empire d'Alexandre, y compris les possessions de l'Inde.

Mais un empire aussi étendu ne pouvait conserver longtemps son unité. Dès l'an 305, un roi de l'Inde, Chandragupta ou Sandracottos, qui avait réuni sous son sceptre tout le domaine aryen de la péninsule depuis les bouches du Gange jusqu'au Cachemire et au Goudjerat, avait tenté de reprendre le pays conquis par Alexandre. Séleucus fut obligé de faire une campagne contre lui; il pénétra dans l'Inde, s'avança jusqu'à Patalipoutra (ou Palimbothra, Patna, sur le Gange), mais il fut vaincu par Sandracottos qui lui imposa un traité par lequel le roi grec abandonnait tout le territoire en deçà de l'Indus jusqu'aux Paropamisades, sauf toutefois l'Alexandrie du Caucase. Ce fut le premier démembrement de l'empire d'Alexandre; il devait être suivi d'autres plus importants. En 250, sous Antiochus II Theos, un peu avant la défection des Parthes, Diodote éparque, (satrape) de la Bactriane, lève l'étendard de la révolte et se proclame indépendant des Séleucides; c'est le commencement du royaume de Bactriane.

D'après Justin, il y eut deux personnages du nom de Diodote, dont le second fut associé à son père et contracta plus tard une alliance avec Arsace, le premier roi parthe; mais on ne possède aucune monnaie de Diodote Il. Il est possible cependant que ce soit lui qui fut détrôné, vers 210, par Euthydème, originaire de Magnésie, satrape de la Sogdiane, qui s'était également rendu indépendant dès l'an 220 et qui constitua ainsi un vaste royaume avec la Sogdiane, la Bactriane, la Margiane. D'après les auteurs anciens, d'autres gouverneurs de provinces, comme Agathoclès et Antimache Ier Theos, se seraient également soulevés, à la même époque, contre l'autorité des Séleucides, il existe, en effet, des monnaies où les souverains ne prennent que le titre de régent BASILEGONTOS avec le buste diadémé de «-Diodote Soter-»; mais on a reconnu que ces pièces étaient ce qu'on appelle des monnaies de restitution frappées plus tard en l'honneur de Diodote, le fondateur de la monarchie bactrienne, comme en l'honneur d'Euthydème et d'Antiochus Nicator et même d'Alexandre le Grand. Agathoclès et Antimache sont donc postérieurs à Diodote, ce dernier n'a régné que dans un pays grec, tandis qu'Agathoclès, par la nature des légendes, en indo-pali et en bactrien, des monnaies qu'il a fait frapper, a régné 30 ou 40 ans plus tard sur des contrées où ces deux écritures étaient employées, c'es-à-dire la vallée de Kaboul et le haut Indus. Quand Justin dit qu'après la révolte de Diodote, tous les peuples de l'Orient se sont soulevés contre les Séleucides, il faut entendre les révoltes successives qui eurent lieu dans l'espace d'un demi-siècle, dans les différentes satrapies de Sogdiane, de Kaboul et du Nord de l'Indus qui ne voulaient dépendre ni des Séleucides ni de Chandragupta ou de ses successeurs, dont la puissance, du reste, s'affaiblit de plus en plus après la mort d'Ashoka (en 226 av. J.-C.). C'est ainsi que s'explique la création de ces nouveaux petits royaumes gréco-bactriens.

En l'an 208, lors de l'expédition d'Antiochus III sur le bord de l'Indus contre le roi Sophagasenus (Subhâgasena, de la famille des Maurya), Euthydème fit reconnaître son indépendance par le roi de Syrie qui avait besoin d'un allié pour défendre ses frontières. C'est ainsi qu'Antiochus fut considéré comme le bienfaiteur et un des fondateurs de la dynastie bactrienne; d'où la mention de son nom sur les monnaies commémoratives frappées plus tard. A la mort d'Euthydème, vers 195, le royaume grec de Bactriane était fondé, mais il ne comprenait encore que le pays au Nord du Paropamisus. Ce fut Demétrius, son fils, de 195 à 180, qui commença les conquêtes de l'Arachosie où on a trouvé de ses monnaies (avec celles d'Euthydème) et de l'Inde; il s'empara de la ville de Sagala, près de Lahore, détruite par Alexandre, à laquelle il donna le nom de son père Euthydemia; de Pattala dans le delta de l'Indus, et de tout le pays de Saurachtra. Mais, d'un autre côté, il fut obligé de défendre les frontières du Nord et de l'Est de son royaume contre les Touraniens de l'Iaxarte entre les années 201 et 175, époque des conquêtes des Hioungnou sur les Saces.

Demétrius associa de son vivant à l'empire son fils, Euthydème II, mais ils eurent à lutter contre un usurpateur, Eucratidès, qui, après s'être emparé, dès 190 av. J.-C. de la vallée de Kaboul, de l'Arachosie et d'une partie de l'Inde soumises à la domination de Demétrius, finit par chasser ce dernier et Euthydème II de la Bactriane vers l'an 175 av. J.-C. Nous n'avons aucun détail sur les conquêtes d'Eucratidès en Inde, mais elles furent importantes; Justin le compara à Mithridate Ier le Grand, roi des Parthes. Son règne fut très long (environ de 190 à 155), au point qu'on a cru un moment (Raoul Rochette) qu'il y avait eu deux rois de ce nom; ses nombreuses monnaies en argent et bronze sont tantôt en grec seul tantôt bilingues : grec et bactrien, tandis que celles de Demétrius (sauf une pièce unique) n'ont que des légendes grecques, ce qui ferait croire que les conquêtes de Demétrius en Inde ne furent pas durables et qu'il régna plutôt en Bactriane, tandis qu'au contraire Eucratidès régna d'abord et surtout dans l'Inde et plus tard en Bactriane et en Arachosie. 

On verra plus loin que ce roi, après avoir d'abord perdu la Sogdiane vers l'an 175, eut à défendre la Bactriane elle-même contre les Scythes et qu'il ne put chasser ces derniers qu'avec l'aide de Mithridate Ier qui, en retour, lui enleva les deux satrapies d'Aspionus et de Turioua (Strabon) en 160 av. J.-C. Eucratidès fut assassiné, vers l'an 155, par son fils, Helioclès, qu'il avait d'abord associé avec lui (il existe des monnaies représentant Eucratidès, Helioclès et Laodicée, mère de celui-ci). C'est pendant le règne d'Eucratidès et dans la période comprenant la première moitié du IIe siècle avant l'ère chrétienne (entre 190 et 150) qu'il faut placer les règnes d'Antimache Ier Theos, Platon, Pantaleon, Agathoclès et Arsaces Theos qui ne sont connus que  par leurs monnaies d'argent et de bronze trouvées dans les vallées de l'Indus et du Kophen, à Peshawar, en Arachosie et en Drangiane. C'étaient des gouverneurs de province qui se révoltèrent soit contre le joug des Séleucides, soit contre Demétrius et Eucratidès. Un tétradrachme de Platon a cela de particulier qu'il est daté de l'an 147 des Séleucides (165 av. J.-C.), c'est presque la seule date certaine au milieu de cette chronologie si difficile. 

Avec Helioclès (de 155 à 120 av. J.-C.) commence le démembrement du royaume gréco-bactrien. Helioclès semble confiné à la Bactriane qu'il perdit peu après, ainsi qu'on va le voir, pendant que dans les autres provinces se forment des principautés séparées, dont les titulaires ne sont connus que par les monuments monétaires exhumés à la fin du XIXe siècle. D'après les endroits où ces pièces ont été trouvées, on suppose que ces divers souverains, Antialkidès et Amyntas ont régné dans la vallée de Kaboul vers l'an 150; Lysias, Archebius et Philoxène à Peshawar de 150 à 120; et dans le Pendjab : Straton, sa femme Agathocleia et Apollodote. Toutes les monnaies de ces divers princes ont à côté du grec des légendes en langue et caractères bactriens, ce qui indique bien la contrée qui était soumise à leur domination; il faut ajouter, en ce qui concerne Apollodote, que ce prince a dû un moment étendre sa domination jusqu'aux bouches de l'Indus, puisque deux siècles plus tard ses monnaies avaient encore cours à Barygaza. C'est sans doute à cette même époque qu'il faut placer la bataille qui, d'après les chroniques indiennes, eut lieu entre les Yavanas, qui sont ici les Gréco-Bactriens, et Agnimitra, fils de Pushpamitra, roi de Pâtalipoutra vers 130 av. J.-C.

La domination scythe

Ce fut sous Helioclès que les provinces de Sogdiane et de Bactriane tombèrent au pouvoir des Scythes : ce fait important n'est mentionné que d'une manière très sommaire par les auteurs anciens, et, sans les annales chinoises, nous n'aurions aucun détail sur cette période de l'histoire de l'Asie centrale dont les événements seraient ainsi à tout jamais ensevelis dans l'oubli. Grâce aux historiens de la Chine toujours très attentive et très bien renseignée sur tous les mouvements des peuples voisins ou faisant partie de son territoire, nous savons que le Nord de la Sogdiane était depuis quelque temps occupé par une tribu scythe ou touranienne à laquelle les Chinois donnent le nom de Sse. Ce sont les Sse ou Scythes Sakas qui, à l'époque des démêlés d'Euthydème avec Antiochus vers l'an 205, avaient menacé plusieurs fois les frontières de la Bactriane. Vers l'an 175 av. J.-C., ils furent chassés de leur pays par une autre tribu, celle des Tu Yué-tchi "grands Yué-tchi" venant de l'autre côté de l'laxarte, de la province de Kantcheou dont ils étaient originaires, fuyant eux-mêmes devant les Hioun-gnou (Les Huns), puissante tribu ennemie de la Chine. Les Sse se réfugièrent les uns dans le Kipin qui est la vallée de Kaboul, Arachosie et Drangiane, où ils fondèrent un royaume dont il sera question plus loin, les autres, par le Cachemire et le Népal, dans le Nord de l'Inde, du côté du Gange où d'autres populations scythes étaient déjà installées depuis plusieurs siècles. 

Les grands Yué-tchi s'établirent en Sogdiane aux environs de la mer d'Aral; c'est de là qu'ils firent une première invasion en Bactriane sous Eucratidès qui ne les chassa vers 160 av. J.-C. qu'avec le secours de Mithridate Ier, roi des Parthes, lequel enleva à son tour aux Grecs deux provinces et peut-être aussi la Margiane (car elle est mentionnée sur une monnaie d'or de Phraate II, (138 à 126 av. J.-C.). D'après les mêmes annales chinoises, en l'an 139 av. J.-C., le général Tchang-Kian fut envoyé par l'empereur Wou-ti  (Les Han)auprès des Yué-tchi pour négocier une alliance contre l'ennemi commun, les Hioun-gnou  (Les Huns). L'ambassadeur chinois n'arriva chez les Yué-tchi qu'en l'an 129, au moment où ils préparaient une expédition contre le pays de Ta-Hia (la Bactriane). Il les suivit, paraît-il, dans cette campagne, assista à la conquête du pays et revint en Chine par l'Indus et l'Inde, en l'an 126, après une absence de treize ans. Ainsi, c'est vers l'année 129 que les Grecs et les Parthes furent chassés de la Bactriane par les Scythes, et cette indication que donne l'historien chinois Sse-ma-tsien, contemporain de la mission de Tchang-Kian, se trouve confirmée par ce que Justin et Diodore de Sicile nous apprennent au sujet de l'intervention de ces mêmes Scythes dans les affaires des Parthes. En l'an 128, Phraate, fils de Mithridate le Grand, ne put se défaire des prétentions d'Antiochus VII Sidetes qu'en appelant à son secours les Scythes, ses voisins, qu'il mécontenta ensuite et contre lesquels il fut obligé de livrer une bataille dans laquelle il périt (127 av. J.-C.). Cette bataille eut lieu en Médie et les Scythes, après avoir ravagé la Parthie, ne retournèrent en Bactriane que sous le règne d'Artaban, successeur de Phraate.

Strabon nous a laissé les noms des peuples scythes qui enlevèrent aux Grecs la Bactriane : c'étaient les Asii, les Pasiani, les Tochari et les Sakaraules faisant partie de la grande famille des Yué-tchi. On sait que les historiens et les géographes anciens désignaient sous le nom générique de Scythes tous les peuples nomades qui confinaient le monde connu d'alors soit en Europe, soit en Asie; Hérodote et Pline nous apprennent que les Perses donnaient le nom de Sakas aux Scythes d'Asie et, en effet, on trouve déjà ce mot dans les inscriptions de Darius à côté des Humavarka, (les Scythae Amyrgii d'Hérodote), qui habitaient Badakhchân dans le Haut-Oxus à l'Est de Bactres. Cette appellation a été adoptée par les indiens qui désignaient d'une manière générale sous le même nom de Saka toutes les populations touraniennes venues du Nord et qui ont occupé les vallées de l'Inde et du Gange pendant six à sept siècles. Le mot de Vridji que l'on trouve aussi dans les auteurs indiens pour désigner les mêmes populations paraît s'appliquer à des peuples scythes, contemporains de Bouddha (Ve ou VIe siècle avant notre ère). On est convenu aujourd'hui de réserver le mot Sakas ou Saces pour désigner spécialement les Sse Chinois, qui ont occupé successivement la Sogdiane, le Kipin et le Pendjâb; de laisser aux peuples qui ont conquis le Ta-Hia et ensuite le Kipin et le Thien-tchou (Inde) le nom chinois de Yué-tchi ou Kouchans; et, enfin, d'employer l'expression d'Indo-Scythes, que l'on trouve pour la première fois dans la géographe Ptolémée, pour désigner ces mêmes Kouchans une fois en possession de l'Inde, dans les premiers siècles de notre ère.

Après avoir conquis la Bactriane, les Yué-tchi la partagèrent en cinq principautés : Hieou-mi, Chouang-mo, Hi-thun, Tou-mi et Koueï-chouang, avec chacune une capitale dont une seule, Bâmyân, au pied de l'Hindou-kouch, a pu être identifiée. Les auteurs chinois citent aussi comme villes importantes du pays de Ta-Hia : Kien-chi ou Lan-chi au Sud de l'Oxus (Zariaspa?) et Po-tchi (Bactres). La Bactriane resta ainsi partagée pendant environ un siècle. Pendant celte période, on trouve les Yué-tchi en contact avec les Parthes, sous Mithridate II qui leur infligea plusieurs défaites en 120 et en 90 av. J.-C., et sous Sinatrocès qui ne put se faire restaurer sur le trône qu'avec le concours des Sakaraules vers l'an 76. Environ cent ans après la conquête entière du Ta-Hia, c.-à-d. vers l'an 30 av. J.-C., le chef de la principauté de Kouei-chouang, qui se nommait Kieou-tsieou-Kio (par corruption Koutchouko), attaqua et subjugua les quatre Etats et les réunit sous un seul sceptre avec le titre de «-roi des Koueï-chouang-» ou «-roi des Kouchans-», suivant l'appellation des auteurs arméniens et arabes. Le mot de Kouchna fut, du reste, adopté par les Yué-tchi eux-mêmes pour désigner leur famille, tant sur leurs monnaies que sur les inscriptions monumentales. 

Une fois affermi, sur le trône, Koutchouko déclara la guerre aux A-si (Arsacides, Parthes) et leur enleva le pays de Kao-fou (Kaboul); cette expédition, racontée par les historiens chinois, concorde parfaitement avec la guerre relatée par Justin, entre les Parthes et les Scythes Phraate IV, chassé de ses Etats pour sa cruauté, fut vainqueur de Tiridate II, grâce à leur concours, Scytharum maximo auxilio, en l'an 27 av. J.-C. La province de Kao-fou, qui appartenait en partie aux Arsacides Ce reste dépendait des Sse du Kipin et des rois gréco-indiens), fut le prix de cette intervention des Yué-tchi. C'était, dit l'auteur chinois, un pays très vaste dont les habitants, excellents commerçants et très riches, avaient les mêmes moeurs que ceux du Thien-tchou (Inde). Les Yué-tchi s'emparèrent ensuite du Kipin et en chassèrent les Sse. La puissance des Kouchans était alors considérable et on les voit entrer en rapport avec les Romains : Marc Antoine envoie des ambassadeurs à Bactres et, de leur côté, les Bactriens (c'est-à-dire les princes des Kouchans) adressent des députés à Rome sous Auguste et plus tard encore sous Trajan et Hadrienorando foederi contre les Parthes. Koutchouko mourut à l'âge de quatre-vingts ans et ce fut son fils Yen-Kao-tching qui fit la conquête de l'Inde et y établit des généraux qui gouvernèrent au nom des Yué-tchi. Les annales chinoises n'ont pas conservé la date de cet événement sur lequel, de leur côté, ni les auteurs classiques ni les chroniques indiennes n'ont laissé aucun renseignement précis, en sorte que l'on en est encore réduit aux conjectures pour l'année de cette conquête. (E. Drouin).

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