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Subrahmanyan
Chandrasekhar
est un astronome né le 19 octobre 1910
à Lahore, mais issu d'une famille de brahmanes
aisée originaire du sud de l'Inde, où il passera les premières années
de sa vie, et neveu du physicien Chandrasekhara Venkata Raman (prix Nobel
de physique en 1930). Après des études à Madras, puis au Trinity College
à Cambridge, il s'est installé aux États-Unis.
Ses recherches ont notamment porté sur la théorie des astres compacts
(naines blanches![]() ![]() Prélude
indien
"Tout ce que je sais est-il donc faux?".Sommerfeld le rassure : "Si vous avez bien assimilé la physique ancienne, vous n'êtes pas complètement désarmé pour aborder la nouvelle".Et le physicien de donner au jeune homme la copie d'un article qu'il vient d'écrire sur une application aux électrons ![]() ![]() ![]() ![]() Eddington prenait
l'exemple du compagnon de Sirius Et vogue la limite de Chandrasekhar! Le 31 juillet 1930, il embarque à Bombay sur un paquebot italien, le Lloyd Triestino, qui vogue vers Venise. Le temps sera exécrable pendant toute la traversée de l'Océan indien, mais les éléments se calment un peu après Aden. Et Chandra, sujet au mal de mer, trouve enfin quelque répit pour retourner à ses travaux. Il met la dernière main à l'article commencé avant son départ. Une théorie de la structure interne des naines blanches dans laquelle pour la première l'équation de Fowler se trouve directement confrontée à celles d'Eddington. Quand il a terminé ce travail, quelque chose le frappe. Au centre d'une naine blanche telle que Sirius B, la vitesse des électrons dégénérés doit atteindre 180 000 km/s. C'est beaucoup. Et c'est même assez pour que les effets relativistes ne doivent plus être négligés. Chandrasekhar comprend que si la masse de la naine blanche est plus importante, les électrons vont frôler des vitesses qui se heurteront nécessairement au mur de la vitesse limite c de la lumière… Que se passe-t-il alors? Le jeune homme pose et résout plus ou moins approximativement quelques équations et la réponse surgit : il ne peut pas exister de naine blanche dont la masse dépasserait 1,4 masses solaires! Au-delà de cette masse la pression de dégénérescence ne peut plus soutenir le poids de l'astre qui s'effondre donc sur lui-même sans que rien ne puisse lui faire obstacle. Ce résultat, obtenu
sur un bateau ivre entre deux nausées, n'a l'air de rien. Il va pourtant
se révéler capital au moins pour deux raisons. La mise en évidence d'une
telle masse maximale, que l'on appelle aujourd'hui la limite de Chandrasekhar,
est ainsi déjà en soi un progrès important des connaissances. Elle est
le point de départ de ce qui est aujourd'hui le pont aux ânes de l'astrophysique
stellaire : le destin des étoiles dépend de leur masse. Elle constitue
aussi la première marche de ce grand escalier qui gravit le siècle, depuis
les naines blanches jusqu'aux trous noirs, en passant par les étoiles
à neutrons. Le second point à souligner est le caractère révolutionnaire
de la démarche qui a été adoptée. Chandrasekhar, pour la première
fois, a établi une propriété d'un astre (sa masse), à partir de concepts,
de grandeurs et de lois qui appartenaient jusque là au seul domaine quantique.
Or, si l'on voulait résumer en une formule ce qui aura caractérisé l'astrophysique
du XXe siècle, on dira certainement, avec
Kameshwar Wali ( La vie est dure! Ralph Fowler, qui dirigera sa thèse, accueille Chandrasekhar à Cambridge avec bonhomie. Il l'aide à publier son article sur la structure des naines blanches, mais se montre réservé devant le second, où l'existence de la masse limite est présentée. Cette attitude sera globalement celle de tout Cambridge pendant les années suivantes. Frustrant, mais tant pis. L'étudiant est là aussi pour apprendre. Il suit les cours de mécanique statistique de Fowler, ceux de mécanique quantique de Dirac, ainsi que l'enseignement de la relativité générale dispensé par Eddington. Avec celui-ci, une forme d'amitié s'instaure progressivement. Ils partagent les mêmes options pacifistes et internationalistes, et le même goût pour les longues promenades à vélo… En dépit de cela, la vie est dure à Cambridge. Il y a la mort de sa mère, la solitude, le racisme rampant, etc. sans parler de son végétarisme rigoureux, qui s'accorde si mal avec la cuisine anglaise! Et puis, personne non plus pour s'intéresser à sa découverte. Il doute, et songe à abandonner l'astronomie et s'orienter vers la physique théorique. Il séjourne ainsi quelque temps à Göttingen chez Max Born, puis à Copenhague, auprès de Niels Bohr. Échouant dans la résolution d'un problème que lui avait confié Dirac, il reviendra dépité en Angleterre. Après l'obtention de son doctorat, une autre envie lui vient. Léon Rosenfeld, rencontré au Danemark, lui avait fait partager son enthousiasme pour la révolution soviétique. Alors, maintenant, il souhaite se rendre compte par lui-même et se rend à l'observatoire de Pulkovo en juillet 1934. Là -bas, il rencontre la jeune garde de l'astronomie soviétique, Lev Landau, Viktor Ambartsumian, Nikolai Kozyrev et d'autres. A l'exception d'Ambartsumian, tous seront plus tard déportés en Sibérie, emprisonnés ou éliminés par le régime stalinien. En attendant, c'est l'insouciance. Et Chandrasekhar a la surprise de constater l'intérêt que suscitent ici ses travaux sur les naines blanches. Landau a publié en 1932 dans une revue soviétique un bref article qui conclut lui aussi à l'existence d'une masse limite. A la différence de Chandra, il ne croit pourtant pas qu'un effondrement indéfini soit inéluctable au-delà . Il est déjà sur la piste de ce que seront les étoiles à neutrons. Mais c'est une suggestion d'Ambartsumian que Chandrasekhar va surtout retenir. "Jusqu'ici, lui dit son interlocuteur, tu n'as considéré que des naines blanches de masse supérieure à la masse limite, et un autre dont la masse est inférieure. Tu seras beaucoup plus convaincant, si tu parviens à produire une théorie complète qui établirait la loi qui fournit, pour toutes les valeurs possibles de masse, la valeur du rayon de l'étoile…"De retour à Cambridge, Chandrasekhar se sent revigoré et s'attelle à ce nouveau problème. Malheureusement les mathématiques nécessaires se révèlent vite trop compliquées. Et il ne voit qu'une solution : faire les calculs numériques pour un certain nombre de points et tracer sa courbe "à la main". A l'époque, les machines à calculer sont rares. Mais il se trouve qu'Eddington en possède une. Une Braunshweiger dont il faut tourner la manivelle jusqu'à ce qu'un jeu compliqué de bielles et de roues dentées consente à livrer le résultat... Le professeur ne voit aucune objection à la prêter à son étudiant, qui la transporte aussitôt sur un chariot jusqu'à sa chambre. Le travail prendra plusieurs mois. Et presque chaque jour durant cette période, Eddington, dont rien ne laisse prévoir la prochaine trahison, vient s'informer de l'avancement des travaux et l'encourager. Il consulte ses brouillons, et n'élève jamais la moindre objection. Vient enfin le grand jour. Le 11 janvier 1935, Chandrasekhar peut enfin présenter ses résultats à une réunion de la Royal Astronomical Society, à Burlington House, à Londres. Le jeune homme est anxieux, car par une indiscrétion il a appris qu'Eddington prendra la parole après lui, avec une communication intitulée "Dégénérescence relativiste". Il a raison de s'inquiéter, car aussitôt qu'il aura terminé son exposé, Eddington va l'assassiner. En quelque phrases, il démolit tout le travail de l'étudiant. Des étoiles qui imploseraient? Mais vers quoi? Imaginera-t-on que des densités puissent être atteintes telles que la lumière elle-même, comme l'avait montré Karl Schwarzschild en 1916, se trouve piégée par le champ de gravitation ![]() Le refuge américain Son premier réflexe est la contre-attaque. Dès le lendemain, il fait parvenir son travail, ainsi que l'argumentation d'Eddington, à Dirac, Bohr, Rosenfeld, Fowler, Pauli et d'autres. Tous sont d'accord avec ses résultats et contestent le point de vue d'Eddington. Pauli résume l'opinion générale : "Votre travail est impeccable, alors que les thèses d'Eddington sont dénuées de sens. Il ne comprend rien à la physique. Il voudrait que ses lois se règlent sur sa vision de la nature".Pourtant personne n'accepte d'exprimer publiquement son désaveu du trop prestigieux astronome. Chandrasekhar est seul. Désespéré, il ne songe plus qu'à fuir Cambridge. Pas question pourtant de retourner en Inde. La recherche en Inde est devenue un panier de crabes. On y intrigue plus que l'on y travaille. Le rêve de prestige des grands esprits au service de l'indépendance, s'est piteusement brisé depuis que son oncle Raman et Saha pont commencé à s'entre-déchirer au seul nom de leurs vanités. Finalement, c'est en Amérique, où Eddington n'est pas un mandarin intouchable, qu'il partira s'installer dès 1936, et où il demeura jusqu'à sa mort en 1995. Sollicité d'abord par Harlow Shapley à Harvard, il rejoint l'année suivante Otto Struve, arrière-petit fils du fondateur de l'observatoire de Pulkovo, et qui dirige l'observatoire de Yerkes, à Wiliams Bay, près de Chicago. Struve est préoccupé par le recul de son observatoire, longtemps le plus prestigieux du monde, depuis la montée en puissance de l'astronomie californienne ![]() Pendant ce temps Eddington, de l'autre côté de l'Atlantique, poursuit son travail de sape, qualifiant à chacune de ses conférences le résultat de Chandrasekhar de "bouffonnerie stellaire". Un colloque consacré aux novae ![]() ![]() Nouveau départ De retour à Chicago,
Chandresekhar décide qu'il ne s'occupera plus jamais des naines blanches.
Parallèlement à ses activités pédagogiques, il aborde la période la
plus productive et la plus heureuse de sa carrière. Il n'est aucun domaine
de l'astrophysique auquel il n'apporte sa pierre, défrichant à l'occasion
de nouveaux grands chapitres. Mais tout se détraque en 1952. En pleine
chasse aux sorcières maccarthyste, il va être la victime des intrigues
de Strömgren. Chandrasekhar se trouve ainsi écarté de ses activités
d'enseignant. Trahi par ses amis, lâché par ses collègues, il trouve
une position de repli, qu'il pense provisoire, en devenant rédacteur en
chef de l'Astrophysical Journal. Cette revue, jusque-là ne publiait,
pour l'essentiel, que des articles techniques émanant de l'université
de Chicago, mais elle passe à cette époque entre les mains de l'American
astronomical Association (AAS) qui veut en faire un espace privilégié
où sera publiée toute la recherche en astrophysique produite aux États-Unis.
C'est un homme aigri et taciturne, qui va donc conduire cette transition,
puis, pendant près de 20 ans, diriger d'une main d'acier le journal. Chandrasekhar,
qui ne cessera son travail de recherche, se coupe à partir de cette époque
complètement de la communauté astronomique. Il n'entretiendra plus avec
ses confrères que des échanges liés à la publication de leurs articles.
Cet isolement intransigeant ne l'empêche pourtant pas de jouer un rôle
capital dans les évolutions que connaît alors l'astrophysique, spécialement
avec l'explosion de la radioastronomie (quasars
Chandrasekhar a-t-il désormais tourné la page Eddington? La suite montre que non. En 1971, il abandonne ses fonctions à l'Astrophysical Journal pour s'attaquer de front à la discipline qui avait fait la gloire de son aîné : la relativité générale! Ayant dépassé le maître, il va se plonger, entouré par une équipe de jeunes théoriciens, dans l'étude de ces monstruosités qu'elle génère, et dont Eddington n'avait jamais voulu entendre parler : les trous noirs! Il faut dire que la situation avait bien changée. La découverte des premières étoiles à neutrons fin 1967, qui s'étaient révélées sous la forme de pulsars avait ajouté de la crédibilité à toutes les spéculations sur la mort compacte des étoiles. Et beaucoup de chercheurs travaillaient à cette époque sur ce sujet. Tous avaient fini cependant par se heurter à des difficultés que seules des connaissances approfondies aussi bien en astrophysique et en relativité générale qu'une extrême dextérité mathématique pouvaient lever. Or à cette époque il n'y a que trois personnes au monde, et deux seulement, capable de relever le défi : l'une vit en Union soviétique et appartient à l'équipe de Zel'dovich, c'est Igor Novikov, une autre vit en Angleterre, c'est Dennis Sciama, qui sera à Cambridge le professeur de Stephen Hawking. La dernière vit aux États-Unis : il s'agit d'un homme à l'élégance stricte, aux cheveux désormais aussi gris que ses célèbres costumes impeccablement taillés, et vers qui désormais tous les regards se tournent. C'est bien sûr Chandrasekhar, enfin sorti de la tour d'ivoire dans laquelle il s'était reclus pendant 20 ans. On le croise de plus en plus souvent à partir de 1971, dans les cafétérias des campus contestataires de Californie. Au milieu de jeunes chevelus en chemises à fleurs et pattes d'ef, il fait tache. Pourtant, ils boivent ses paroles avec révérence. Pas seulement parce qu'il partage leurs valeurs non-violentes et leur opposition à la guerre du Viet-Nâm, mais parce qu'il leur apporte exactement les outils dont ils ont besoin pour résoudre les petits problèmes théoriques qui les tracassent... Au bout de quelque
temps, Chandrasekhar va pourtant être lâché par ces jeunes ingrats.
Jugeant que pour l'essentiel, l'affaire est close, et décidés à relever
de nouveaux défis, ils le laisseront finir seul les derniers calculs.
Des travaux qui sont interrompus à la fin des années 1970 par deux attaques
cardiaques, mais il parvient à achever en 1983, son ouvrage sur la théorie
mathématique des trous noirs qui est encore aujourd'hui la bible de tous
les chercheurs qui abordent ce domaine. Et lorsque, un certain jour de
novembre, il est tiré de sa douche à six heures du matin par un coup
de téléphone lui annonçant son prix Nobel, il croit d'abord que c'est
pour ce travail. Aussi, quand on lui explique qu'il devra partager la récompense
avec un autre lauréat, il lance : "Hawking, je parie!". Mais non,
il s'agit de Wiliam Fowler (à ne pas confondre avec Ralph), qui a travaillé
sur la fabrication des atomes "Apparemment, lui dit une dame assise à côté de lui, les travaux pour lesquels vous êtes reconnu ont été accomplis il y a cinquante ans. Qu'avez-vous fait depuis? Oh, vous avez attendu le Nobel pendant tout ce temps! ".En tout cas, la boucle est presque bouclée pour Chandrasekhar. Il lui reste encore à écrire, dans sa retraite de Wiliams Bay, une biographie d'Eddington. Une forme d'hommage à son vieil adversaire, en même temps qu'un exorcisme pour qu'enfin puisse se refermer la blessure trop de temps restée à vif. |
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