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Berruguete

Pedro Berruguete est un peintre espagnol qui travaillait en Castille vers la fin du XVe siècle et probablement encore pendant les toutes premières années du XVIe. On ne trouve dans les biographes espagnols que bien peu de renseignements sur l'existence et les ouvrages de ce maître qui fut cependant le peintre du roi Philippe le Beau, mari de Jeanne la Folle, et le père de l'un des plus grands artistes espagnols, Alonso Berruguete (ci-dessous). Tout ce quea l'on sait de lui, c'est qu'il se maria vers 1478, à Paredes de Nava avec Elvira Gonzalez, fille d'Alonso Gonzalez, qualifié de personne noble et riche dans un testament fait par l'un de ses arrière-petits-fils, Lazaro Diaz, en 1611, et dont Cean Bermudez nous donne le texte. 

On sait aussi, grâce à ce même document, que Pedro Berruguete eut six enfants, deux fils et quatre filles, dont la plus jeune surnommée la Toledana, parce qu'elle était venue au monde à Tolède où son père travailla à diverses reprises, épousa Juan Gonzalez Becerril, élève et collaborateur de son beau-père. En 1483, le chapitre de la cathédrale de Tolède chargeait deux artistes, l'un, Antonio, que l'on suppose être Antonio del Rincon, peintre des rois catholiques, et Pedro Berruguete « natif de Paredes de Nava-»  de décorer de fresques l'ancienne sacristie, travail qui fut suspendu et que Pedro Berruguete s'engagea, le 17 juillet 1488, à terminer complètement de sa propre main, moyennant le prix de soixante mille maravédis. En 1495, le même chapitre ayant résolu de faire décorer de fresques le cloître de la cathédrale, ce fut à Pedro Berruguete qu'il confia cet important ouvrage dont, pas plus que du précédent, il ne reste de trace aujourd'hui. 

Diverses mentions des sommes payées à Berruguete pour cette décoration se retrouvent dans les archives du chapitre; elles établissent qu'il reçut à deux reprises, pour ses peintures du cloître, un premier acompte s'élevant à seize mille cent maravédis, puis un second de quarante et un mille et qu'enfin il reçut une troisième somme de trente six mille maravédis « pour sa décoration de la sacristie extérieure ». Ce dernier paiement porte la date du 17 octobre 1497. A partir de cette époque, on ne trouve plus rien dans les archives de la cathédrale de Tolède concernant Pedro Berruguete et c'est à tort, comme le remarque judicieusement Cean Bermudez, qu'on lui attribue les peintures de la salle capitulaire d'hiver, qui sont l'oeuvre de Jean de Bourgogne et qui furent d'ailleurs exécutées dans les premières années du XVIe siècle, probablement alors que Berruguete était mort. On ignore si ce fut avant ou après son séjour à Tolède que Pedro Berruguete, en collaboration avec un autre peintre, Santos Cruz, sur qui on ne possède aucun autre renseignement biographique, exécutait à Avila des ouvrages nombreux et fort importants, tels que ceux qu'il peignit pour les retables de la cathédrale, et du couvent de Saint-Dominique ainsi que pour le cloître des Rois, du couvent de Saint-Thomas. 

Neuf peintures sur bois, provenant de ce dernier couvent, et attribuées à la collaboration des deux artistes, figurent aujourd'hui au Musée de Madrid. Elles reproduisent divers sujets tirés de la vie de saints de l'ordre des Dominicains. L'une représente saint Dominique, la tête ceinte d'un nimbe d'or, où se lit en caractères gothiques l'inscription Santo Domingo enquisidor, et introduisant sa crosse abbatiale dans la gueule d'un monstre qui vomit des flammes; sept autres ont trait à des sujets relatifs à la vie de saint Dominique, de saint Thomas d'Aquin et de saint Pierre martyr; la neuvième, enfin, représente une communauté de Bernardins assistant à un exorcisme. En étudiant ces peintures, ainsi qu'un dixième panneau représentant un Auto de Fe, présidé par saint Dominique, également attribué à Berruguete et qui fait aussi partie du même musée, on note aisément que deux mains différentes, dont l'une est de beaucoup moins savante que l'autre, y ont collaboré. 

Toutes sont exécutées sur des fonds d'or ou d'argent et rehaussées d'or, en relief, dans les accessoires. Par la couleur, qui est assez puissante, plutôt que par le dessin, qui est sec et naïvement incorrect, ces peintures rappellent les primitifs de l'Ecole vénitienne; on ne saurait donc les comparer, comme l'ont fait certains auteurs, avec les ouvrages florentins on ombriens de la fin du XVe siège, notamment avec ceux du Pérugin. Il existe dans la cathédrale de Palencia, une grande composition, peinte sur panneau, et représentant Jésus, accompagné des patriarches sortis des limbes, apparaissant à Marie, sa mère, que Cean Bermudez, sans doute sur la foi d'autrui, attribue à tort à Alonso Berruguete et qui, toute comparaison faite avec les peintures d'Avila et du musée de Madrid, pourrait, avec quelque probabilité, être restituée à Pedro Berruguete. D'après le testament de son arrière-petit-fils, l'artiste serait mort à Madrid; mais ce document ne dit pas en quelle année; Cean Bermudez croit que ce fut vers 1500, mais sans preuve; d'autres reculent cette date jusqu'en 1506. ( P. Lefort).

Alonso Berruguete, fils du précédent, est un peintre, sculpteur et architecte espagnol. Il naquit à Parodes de Nava vers 1480, et mourut à Tolède en 4561. Son père, Pedro Berruguete, peintre de Philippe le Beau, fut son premier maître ; mais, déterminé sans doute par les grandes dispositions dont son fils faisait preuve, il n'hésita pas à l'envoyer continuer ses études d'art en Italie. En 1503, Alonso était à Florence. Vasari, qui nous donne cette date, nous apprend aussi que le jeune artiste espagnol comptait déjà au nombre des élèves de Michel-Ange et que, comme tant d'autres de ses condisciples, il copiait alors le célèbre carton de la Guerre de Pise. Michel-Ange l'emmena l'année suivante à Carrare, où il était allé choisir des marbres, puis à Rome, où il l'employa à ses travaux au Vatican. Berruguete prit part, vers ce même temps, à un concours, établi par Bramante, pour l'exécution d'une copie en cire, grandeur de l'original, du groupe de Laocoon. Mais ce fut le modèle établi par Sansovino et non celui de Berruguete que choisit Bramante et qu'on fondit en bronze. Revenu à Florence, Berruguete fut chargé, après la mort de Filippo Lippi, de travailler au tableau du maître-autel du couvent de Saint-Jérôme que Lippi laissait inachevé. Pour des causes restées ignorées, l'artiste espagnol ne termina pas cet ouvrage, car, abandonnant bientôt l'Italie, il retournait vers 1520 dans son pays. 

Il y rentra par Saragosse, où il fit un assez long séjour et y exécuta dans l'église de Santa-Engracia un retable ainsi que le tombeau de D. Antonio Agustin, vice-chancelier du royaume d'Aragon. Un maître imagier, Damian Forment, qui venait d'achever, dans le style gothique, la décoration du retable de la cathédrale du Pilar à Saragosse, travaillait à cette époque aux sculptures du maître-autel de la cathédrale de Huesca. Berruguete désira le connaître et se rendit à Huesca, où il s'associa vraisemblablement, au moins pendant quelque temps, aux travaux de Forment, puisque celui-ci, modifiant dès lors sa manière, adopta le style de la Renaissance que Berruguete lui avait enseigné et dont l'élève de Michel-Ange allait être le premier et fécond initiateur auprès des artistes espagnols. 

En 1526, Berruguete épousait Juana Pereda, de Rioseco et s'établissait définitivement à Valladolid, où l'empereur Charles-Quint l'avait très probablement chargé déjà de l'exécution de travaux importants à l'Alcazar. Ce fut dans cette même année 1526 que, par contrat authentique signé à Valladolid, Berruguete. qualifié dans ce document de greffier au criminel, charge dont l'avait sans doute gratifié Charles-Quint et qu'il n'exerça, du reste, jamais, s'engagea à faire pour le couvent de Saint-Benoît un grand retable de sculpture sur bois; il était expressément spécifié dans ce contrat que les têtes et les mains des personnages qui entreraient dans la composition du retable seraient exécutées par l'artiste lui-même, de même que l'estofado ou peinture au naturel, dont les sculptures devaient être revêtues. Ce grand ouvrage, qui comprenait trente figures exécutées en demi-grandeur, plusieurs bas-reliefs et frises d'ornement ainsi qu'une statue de saint Benoît, plus grande que nature, qui couronnait l'oeuvre, ne fut terminé qu'en 1532. 

A ce moment, l'artiste eut, avant d'obtenir son paiement, d'assez longs démêlés avec le couvent. Deux arbitres furent choisis pour taxer son travail; l'un, Andrés de Najera, sculpteur gothique, représentait les moines; l'autre, Julio de Aquiles, un peintre qui avait, croyons-nous, décoré dans le style de la Renaissance diverses parties de l'Alhambra de Grenade, représentait Berruguete. Comme ces deux arbitres ne purent se mettre d'accord, un troisième, Philippe Vigarni, appelé en Espagne le Bourguignon, apprécia définitivement la valeur totale du retable à 4400 ducats. Le couvent de Saint-Benoît ayant été supprimé à la suite de la loi de desamortizacion, toutes les sculptures de Berruguete furent transportées au musée de Valladolid où l'on peut en étudier à loisir le style et l'exécution. Assurément, Berruguete a dû se servir d'aides et de praticiens pour cet ouvrage considérable, et ceux-ci lui étaient sûrement de beaucoup inférieurs en talent car, au musée, il est facile de noter combien certaines statues, celle de saint Benoît notamment, sont d'un travail timide et en somme assez faible, tandis que d'autres, - comme celle de saint Sébastien, par exemple - d'une tournure superbe, parfois même violente et d'une facture mâle et puissante, font aisément reconnaître la main de l'élève de Michel-Ange, mais exagérant, en les reproduisant de préférence, les attitudes et la manière tourmentée du maître. 

Vers ce même temps, Berruguete exécutait en marbre, à Valladolid, le tombeau monumental de fray Alonso de Burgos, confesseur de la reine Isabelle la Catholique. Placé dans la chapelle du collège de San Gregorio, dont Alonso de Burgos avait été le fondateur, ce tombeau dont les historiens de l'art parlent avec les plus grands éloges, fut entièrement détruit pendant la guerre de l'indépendance; une tradition qui a cours à Valladolid prétend, au contraire, que le monument, soigneusement démoli partie par partie, fut par les soins de l'un des généraux français expédié à Paris.

Charles-Quint, que le talent de Berruguete avait charmé, lui confia l'exécution des travaux de sculpture et de décoration du palais qu'il se faisait construire à l'Alhambra de Grenade. Déjà, il avait accordé à l'artiste le titre envié de peintre et sculpteur de camara; plus tard, il le comprit au nombre de ses valets de chambre. Berruguete fut également employé à la décoration architecturale de l'Alcazar de Tolède et du palais archiépiscopal. Alonso de Fonseca, alors archevêque de Tolède, traita en 1529 avec lui pour l'exécution, sur bois, du retable de sculpture polychrome qui devait orner la chapelle du collège que le prélat faisait construire à Salamanque. Dans cette même ville, il dirigea en même temps que ces travaux au collège de l'archevêque, toute la décoration conçue dans le style de la Renaissance italienne des galeries qui entourent le patio du collège de Cuenca. 

En 1535, Berruguete fut appelé à Tolède, en même temps que son digne rival, Philippe Vigarni, pour y commencer l'un des ouvrages qui témoigne le plus en faveur de son inépuisable richesse d'invention, comme aussi de la robustesse et de la grave de son exécution, nous voulons parler de la sculpture du deuxième et du troisième rang de stalles du choeur de la cathédrale de Tolède. Vigarni pour sa part eut à décorer les trente-cinq stalles qui sont à la gauche du trône épiscopal, ainsi que le trône lui-même, mais, comme il mourut avant d'avoir accompli ce dernier ouvrage, ce fut Berruguete qui, chargé de la décoration des trente-cinq stalles placées à la droite du trône, acheva également celui-ci à l'exception toutefois du médaillon qui orne le dossier du trône et où est représentée la Vierge apportant lit chasuble à saint Ildefonse, bas-relief dû au ciseau de Grégoire Vigarni, frère de Philippe. Toutes les sculptures de cette magnifique silleria, sont exécutées en bois de noyer avec des incrustations de bois divers, de jaspe et d'albâtre; elles sont du plus riche style renaissance. Au-dessus du siège épiscopal, s'élèvent des figures d'albâtre représentant le sujet de la Transfiguration; elles sont également l'oeuvre de Berruguete, et on n'en saurait trop louer l'élégante tournure et superbe caractère.

Outre la réputation qu'ils lui méritèrent, ces importants travaux procurèrent encore à Berruguete une grande fortune. En 1559, l'artiste acquérait de Philippe II la seigneurie et les revenus de la ville de Ventosa, près de Valladolid, propriétés qui demeurèrent dans sa famille jusqu'à la fin du XVIIIe siècle. 

Berruguete mourut à Tolède, alors qu'il travaillait avec son fils au mausolée du cardinal Tavera, à l'hôpital de Saint-Jean-Baptiste. L'Espagne est fière de ce grand artiste qui a peuplé de ses ouvrages ses églises et ses palais. Saragosse, Tolède, Madrid, Valladolid, la Ventosa, Palencia, Salamanque, Medina del Campo, Alcalà de Henarés, Paredes de Nava, et bien d'autres localités encore, possèdent quelques superbes travaux du maître, dans l'un ou l'autre des trois arts qu'il exerçait concurremment.

Comme architecte, Berruguete a été l'initiateur de ce style somptueux que l'Espagne désigne sous le titre de plateresco, mélange de renaissance italienne et d'invention nationale d'une richesse souvent excessive, mais dont Berruguete sait du moins racheter l'exubérance par la beauté, le choix et l'élégance des détails. Comme sculpteur, il a laissé de magnifiques ouvrages où brillent surtout la force et la grandeur des formes et qui rappellent par leur savante anatomie, par leur attitude où le geste est énergique et outré et encore par leur modelé toujours trop ressenti, qu'il est un élève de Michel-Ange, mais un élève qui s'est surtout assimilé tout ce qu'il y a d'excessif et de tourmenté dans la plastique du maître. 

Comme peintre, enfin, Berruguete ne l'a guère été que dans ses retables dont il exécutait toutes les parties. Devenus aujourd'hui très rares, ses ouvrages en ce genre afectent dans leur dessin des lignes grandioses, des attitudes et des poses strapassées, mais leur coloris est froid et manque quelque peu de caractère. On n'en saurait signaler qu'un très petit nombre : à Paredes de Nava, quelques tableaux peu importants font partie d'un retable dont il est l'auteur. A la Ventosa, une Nativité; l'Archange chassant Adam et Eve du paradis terrestre et la Chute des mauvais anges, font également partie intégrante d'un retable dont l'architecture et la sculpture sont entièrement son oeuvre. 

A la liste des ouvrages de sculpture qui sont attribués à Berruguete par Cean Bermudez, il convient d'ajouter un buste en marbre, placé dans la bibliothèque provinciale de Tolède et représentant l'ingénieurJuanelo; ce buste,d'un très beau caractère,est tout à fait digne du ciseau de l'élève de Michel-Ange. (P. L.).

Alonso Berruguete y Pereda,  fils du précédent dont il fut l'élève, est un sculpteur espagnol. Le tombeau du cardinal Tavera, placé dans la chapelle de l'hôpital Saint-Jean-Baptiste, hors des murs de Tolède, est le seul ouvrage où il soit constant que le fils du grand Berruguete ait collaboré avec son père, mort, du reste, bien avant le complet achèvement du mausolée. Son talent, à en juger par les figures des Vertus qui en décorent les angles, ne saurait être comparé avec celui de son père. Il est d'ailleurs à peu près certain qu'après la mort de celui-ci, Alonso Berruguete renonça à la pratique de son art. (P. L.).
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