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Associationisme

La théorie de l'associationime a pour fondateur Hartley, dans son livre Observations on man, etc., publié en 1749. Quelques auteurs ont vu en Hume son initiateur, mais si le vrai fondateur d'une doctrine est celui qui en donne un exposé complet et systématique, les titres de Hartley à la priorité ne sont pas douteux. Son livre, très dépassé aujourd'hui, est un exposé sec et géométrique qui paraît avoir peu séduit ses contemporains. C'est par Priestley et James Mill que cette doctrine se perpétue jusqu'au XIXe siècle où elle trouve enfin dans Stuart Mill un interprète digne d'elle. Celui-ci le premier énonce, sous une forme claire, cette thèse fondamentale :
« Ce que la loi de gravitation est à l'astronomie, ce que les propriétés élémentaires des tissus sont à la physiologie, les lois de l'association des idées le sont à la psychologie
Elle est le fait dernier auquel tout se ramène, le mode d'explication le plus général. Parmi les diverses questions qu'il a étudiées à fond, en partant de ce principe, nous citerons son analyse de l'idée de cause. II s'est attaché à la dépouiller de ce caractère de nécessité-transcendante et supérieure à l'expérience qu'on lui attribue d'ordinaire. Pour lui, le rapport de cause à effet consiste en une succession uniforme, invariable, nécessaire même en ce sens que, lorsque toutes les conditions d'un phénomène sont données, il se produit sans exception. Mais c'est l'expérience seule qui nous apprend si cette succession a lieu ou n'a pas lieu entre deux groupes, en sorte que rien ne la dépasse et qu'elle décide en dernier ressort. Stuart Mill, plutôt logicien que psychologue, n'a pas poursuivi l'application de son principe à tous les détails. 
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Lois de l'association des idées

« Pour nous les lois de l'association des idées sont les suivantes 1° les idées des phénomènes semblables tendent à se présenter ensemble à l'esprit. 2° Quand des phénomènes ont été, ou expérimentés, ou conçus en contiguïté intime l'un avec l'autre, leurs idées ont de la tendance à se présenter ensemble. Il y a deux espèces de contiguïté, la simultanéité et la succession immédiate. Quand les faits ont été expérimentés et pensés en succession immédiate, l'antécédent ou son idée rappelle celle du conséquent, mais la réciproque n'est pas vraie. 3° Les associations produites par contiguïté deviennent plus certaines et plus rapides par l'effet de la répétition. Quand deux phénomènes ont été souvent trouvés réunis, et ne se sont jamais, dans aucun cas, présentés séparément, soit dans l'expérience, soit dans la pensée, il se produit entre eux ce que l'on appelle l'association inséparable, autrement, mais moins justement dite indissoluble : on ne veut pas dire par ces mots que l'association doive inévitablement durer jusqu'à la fin de la vie, que nulle expérience subséquente, nulle opération de la pensée ne puisse la dissoudre; mais seulement que tant que cette expérience ou cette opération de la pensée n'aura pas lieu, l'association restera irrésistible; qu'il nous sera impossible de penser l'un de ces éléments séparé de l'autre. 4° Quand une association a acquis cette sorte d'inséparabilité, quand la chaîne qui unit les deux idées a été ainsi fermement rivée, non seulement l'idée évoquée par l'association devient, dans la conscience, inséparable de l'idée qui la suggère, mais les faits ou phénomènes qui répondent à ces idées finissent par sembler inséparables dans la réalité : les choses que nous sommes incapables de concevoir séparées, nous semblent incapables d'exister séparées; et notre croyance à leur coexistence, bien qu'elle soit en réalité un produit de l'expérience, nous paraît intuitive. On pourrait donner d'innombrables exemples de cette loi. »
 

(J. Stuart Mill, La Philosophie de Hamilton).

Ce travail a été fait par Bain. Dans ses deux ouvrages, les Sens et l'Intelligence, les Emotions et la Volonté (plusieurs fois réédités et traduits en français), il a exposé la psychologie tout entière suivant la principe de l'association : sensations, sentiments, imagination, idées, raisonnements, mouvements, volitions, en un mot toutes les manifestations de la vie psychique sont passées en revue et expliquées par le passage d'associations simples à d'autres de plus en plus composées et hétérogènes. Il ne peut être question de donner ici un résumé même succinct de ce travail; mais nous pouvons du moins montrer en quoi cette manière de procéder, supérieure à la doctrine courante des "facultés de l'âme", a pu séduire philosophes et psychologues.

L'usage le plus répandu à l'époque de  Bain consistait à répartir les phénomènes psychiques en classes, à séparer ceux qui diffèrent, à grouper ensemble ceux de même nature, à leur imposer un nom commun et à les attribuer à une même cause. C'est ainsi qu'on parlaitde «facultés» de perception, d'abstraction, de raisonnement, de jugement, etc. Cette méthode est celle qu'on suit en physique où les mots chaleur, électricité, pesanteur, désignent les causes inconnues de certains groupes de phénomènes. Si l'on ne perd pas de vue que les diverses «facultés» ne sont qu'un moyen commode de classer les faits et d'en parler dans la langue de tout le monde; si l'on ne tombe pas dans le défaut si commun d'en faire des entités substantielles, des sortes de personnages qui tantôt s'accordent, tantôt se querellent, on ne voyait point ce qu'il y aurait de trop répréhensible dans ce mode d'exposition, quoiqu'il y en ait certainement d'autres qui sont préférables. Mais en quoi la manière de procéder de Bain pouvait-elle paraître supérieure à la méthode des facultés? C'est que celle-ci n'est qu'une classification souvent artificielle, tandis que la sienne est une explication

Entre la psychologie qui ramène les faits psychiques à quelques facultés et celle qui les réduit à la seule loi de l'association, il y a la même différence qu'entre la physique qui attribue les phénomènes à cinq ou six causes et celle qui ramène la pesanteur, la chaleur, la lumière, etc., au mouvement. Le système des facultés n'explique rien, puisque chacune d'elles n'est qu'un flatus vocis (Nominalisme)qui ne vaut que par les phénomènes qu'il renferma et ne signifie rien de plus que ces phénomènes. La théorie de l'association, au contraire, montre que les diverses manifestations de la vie psychique ne sont que les formes diverses d'une loi unique : que imaginer, déduire, induire, percevoir, éprouver une passion, agir, vouloir, etc., c'est combiner des idées, des sentiments on des mouvements d'une manière déterminée, et que les différences de facultés ne sont que des différences d'association. Elle explique donc, non sans doute à la manière de la métaphysique, qui réclame la raison dernière et absolue des choses, mais à la manière de la physique qui ne recherche que leur cause seconde et prochaine. Pour ne donner qu'un exemple : la perception d'un objet extérieur n'est plus expliquée par une «faculté» mais par des associations fondées sur la contiguïté dans le temps et l'espace. C'est parce que nous associons les données de nos divers sens, celles de la vue, du toucher, du sens musculaire, de l'odorat, etc., que nous percevons des objets concrets qui nous sont donnés comme extérieurs. Percevoir une maison A st associer en un groupe unique des idées de résistance, forme, hauteur, position, distance, etc.; par la répétition et l'habitude, ces notions se sont fondues en un tout qui est perçu presque instantanément: elles sont organisées en un tout et, comme le dit Herbert Spencer, « intégrées ».

Avec ce dernier philosophe, la théorie associationiste a atteint son plus haut degré comme doctrine et comme mode d'explication. Beaucoup plus systématique que Mill et Bain, il procède en biologiste; il rattache toujours les phénomènes mentaux aux phénomènes vitaux. La vie est définie par lui : «une correspondance entre le vivant et son milieu». La loi d'association n'est qu'un cas de cette correspondance. De même que l'être vivent subit et reflète toutes les variations de son milieu, de même l'être pensant doit refléter les événements externes, successifs et simultanés : l'intelligence est une correspondance. Mais ces phénomènes externes, successifs et simultanés, ont entre eux tous les degrés possibles de cohésion. Il y a ceux qui sont exceptions connues : il y a ceux dont la liaison est si faible qu'ils n'ont été donnés dans l'expérience qu'une fois au plus comme associés. Entre ces deux formes d'association, l'une intime, l'autre toute fortuite, il y a toutes les formes possibles.

Pour que la correspondance se réalise, il faut que l'intelligence reproduise aussi tous ces degrés. La loi de l'intelligence peut donc se formuler ainsi :

« La force de la tendance qu'a l'antécédent d'un changement à être suivi par son conséquent est proportionnée à la persistance entre les objets externes qu'ils représentent.» 
La loi d'association semble donc ainsi avoir une valeur biologique objective : elle n'est que le reflet, dans l'esprit, de l'ordre des choses. On voit que Herbert Spencer, comme Stuart Mill, ramène les vérités dites nécessaires à des associations indissolubles. Toutefois il fait intervenir un nouveau facteur, l'hérédité. Ces associations indissolubles que l'on appelle communément des jugements nécessaires, a priori, ont une force invincible parce qu'elles sont la conséquence des expériences enregistrées non seulement dans l'individu, mais dans tous ses ancêtres humains, et même pour quelques notions, comme le temps et l'espace, dans tous les organismes animaux dont dérivent les organismes humains, suivant la théorie évolutioniste. C'est parce qu'elles sont la répétition de milliers et de millions d'expériences qu'elles ont cette stabilité, et c'est parce qu'elles sont inscrites dans le système nerveux qu'elles peuvent être léguées par transmission héréditaire. Nous naissons donc avec elles et en ce sens elles sont innées. Elles sont aussi antérieures à l'expérience, mais à l'expérience de l'individu, non à celle de l'espèce et des espèces dont elles sont au contraire le résultat et en qui elles se sont organisées par un procédé de lente genèse.

L'étude de l'association a été presque exclusivement l'oeuvre de l'école anglaise. Il faut noter cependant que, en Allemagne, Herbart (Psychologie als Wissenschaft, 1824-1825; Lehrbuch der Psychologie, 1815) et ses disciples ont fait un travail qui s'en rapproche. Les «représentations» (états de conscience) sont considérées par eux comme des forces qui sont naturellement à l'état d'antagonisme et qui tantôt se font équilibre, tantôt s'entravent partiellement, tantôt se fusionnent pour former des états complexes. Les divers rapports de ces forces entre elles sont soumis par Herbart au calcul des hautes mathématiques. A proprement parler, ce que cette école a étudié c'est plutôt le conflit des états de conscience, cette tendance qu'a tout état nouveau à en chasser un autre. Elle a très bien vu que nos idées contiennent véritablement de la force, qu'elles ne peuvent coexister sans exercer une action réciproque, et qu'elles ne peuvent paraître ou disparaître sans une certaine quantité de force. C'est la traduction dans le langage de la psychologie de ce que toute activité cérébrale (et aucun état de conscience ne se produit sans cette condition) suppose une production de mouvement, une dépense de force. 

A la fin du XIXe siècle, Wundt et ses élèves, à l'aide de procédés expérimentaux, ont étudié le temps minimum requis pour diverses formes d'associations entre deux perceptions, une perception et une idée, deux ou plusieurs idées, une perception et une volition, etc., et les variations de cette durée suivant que les associations sont simples ou complexes, ordinaires ou insolites.  (Th. Ribot, 1900).

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Dictionnaire Idées et méthodes
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