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La civilisation grecque
Les amphictionies
Une amphictionie (ou amphictyonie) était, chez les Grecs, une assemblée où des peuples, unis en confédération par un culte ou des intérêts communs, envoyaient des délégués chargés de délibérer sur leurs affaires, et d'administrer le temple du dieu fédéral. Le mot s'écrit indifféremment amphictyonie ou amphictionie; l'une et l'autre orthographe se trouvent dans tous les textes, mais la seconde est plus fréquente dans les inscriptions. Elle répond à l'étymologie amphi ( = péri) et ktixo, ou plutôt xtio, et convient bien au sens même du mot, réunion de peuples voisins. La première s'explique par une légende : un héros, Amphictyon, fils de Deucalion, aurait le premier groupé des peuples de la Grèce du Nord, et institué une amphictionie aux Thermopyles.

Cette légende montre que les amphictionies avaient une très antique origine. Outre l'amphictionie des Thermopyles, qui devint celle de Delphes, et celle de Délos, qui méritent une étude à part, on en doit signaler un certain nombre d'autres, dont la constitution et l'histoire ne sont que très mal connues: il faut même noter que le nom d'amphictionies donné à ces confédérations n'est peut-être qu'un abus de mot; nous n'en parlons ici que pour nous conformer à l'usage.

Amphictionie d'Onchestos. 
Dans la petite ville d'Onchestos, située sur le bord du lac Copaïs, près d'Haliarte, se trouvait un temple de Poseidon, dont le culte réunit de très bonne heure un certain nombre de peuples, parmi lesquels on connaît, d'après Pausanias (LX, 37, 2), les Thébains et les Orchoméniens. Ot. Müller y joignait les habitants de la Mégaride, de Copae et Platées. Le temple existait encore du temps de Pausanias.

Amphictionie de Calaurica.
Calaurica est une petite île du golfe Saronique. Sept villes, Hermione, Epidaure, Aegine, Athènes, Prasiae, Nauplie, Orchomène des Minyens, étaient unies par le culte de Poseidon, sans doute avant la migration dorienne, au temps de la puissance d'Orchomène. Boekh pensait que cette amphictionie dut sa formation autant à la nécessité de se défendre contre les Pelopides qu'à la communauté du culte de Poseidon. Ot. Muller y a vu une ligue des villes maritimes contre celles de terre ferme, en particulier Argos et Mycènes.

Amphictionie d'Argos. 
Si l'on attache beaucoup d'importance à un texte de Pausanias (IV, 5, 1), l'amphictionie d'Argos est une des plus certaines. Il raconte que les Messéniens, ayant déclaré la guerre aux Lacédémoniens, à cause du meurtre du roi Téléklos, l'affaire fut portée devant les Argiens « qui étaient unis aux uns et aux autres dans l'amphictionie ». Outre les Lacédémoniens, les Messéniens et les Argiens, la ligue comprenait peut-être Sicyone et Aegine. Le culte commun était celui d'Apollon Pythaeus.

Amphictionie d'Amaryntos. 
Le culte commun à Amaryntos (en Eubée) aurait été celui d'Artémis, et les fêtes, très somptueuses, auraient attiré, outre les Eubéens de Karystos, d'Eretri, les habitants de Chalcis, les insulaires d'Andros, Ténos, Céos, etc.

Amphictionie de Samicum.
L'amphictionie de Samicum, en Elide, est beaucoup moins certaine encore. Strabon (VIII, 3, 13) seul parle des fêtes de Samicum, où les Triphyliens se réunissaient pour adorer Poseidon.

Les autres Amphictionies.
Enfin, on a coutume d'assimiler à des amphictionies toutes les confédérations politiques ou réunions religieuses qui apparaissent dans l'histoire grecque, et que l'on connaît par les auteurs ou les inscriptions. En voici la liste :

Union des Doriens d'Asie Mineure au Triopium. Le culte d'Apollon et ses fêtes réunissaient les habitants de Cnide, Halicarnasse, de Cos, et des villes de Lindos, Ialysos et Hameiros (île de Rhodes).

Union des Ioniens au temple de Poseidon, au mont Mycale.

Union des insulaires au temple de Poseidon et d'Amphitrite, à Ténos. On sait par Strabon et un certain nombre d'inscriptions que les fêtes de Ténos avaient un grand éclat et une grande importance. Le dieu offrit jusque sous l'Empire une hospitalité magnifique à ses dévots. La tradition s'en est conservée jusqu'à l'époque contemporaine; la Panégyris de Ténos, au commencement d'avril, est une des plus belles et des plus fréquentées de la Grèce moderne.

Etudions maintenant les deux seules amphictionies dont l'existence soit certaine et dont l'histoire ait un grand intérêt :

Amphictionie de Delphes

L'amphictionie de Delphes est de beaucoup la plus importante; son rôle dans l'histoire générale de la Grèce, et sa constitution sont bien connus; des textes importants, des inscriptions nombreuses ont permis de reconstituer en partie cette grande confédération.

Le nom d'amphictionie de Delphes ne s'applique pas bien à la confédération, aux premiers temps de son existence. A une époque indécise, mais certainement très ancienne, une assemblée de peuples confédérés se tenait à Anthéla, aux Thermopyles; on y vénérait et honorait de sacrifices Amphictyon, fondateur légendaire de la ligue, et Déméter. On croit généralement que la confédération avait un second lieu de réunion à Delphes, où elle célébrait le culte d'Apollon Pythien; mais nous ne croyons pas que l'amphictionie ait, dès le début, partagé les sessions de son assemblée entre Delphes et les Thermopyles. En effet, à l'époque où cette séparation est un fait certain, l'assemblée amphictionique d'automne et celle du printemps portent toutes les deux le même nom, pylaia, nom qui vient certainement du mot thermopylai. Comment expliquer que ce nom ait servi pour les assemblées tenues à Delphes, sinon par une assimilation qui prouve que l'assemblée des Thermopyles est plus ancienne que celle de Delphes? Aucun fait historique ne se rattache d'ailleurs à l'amphictionie des Thermopyles; on ne sait même pas au juste quels peuples en firent d'abord partie. Mais il est vraisemblable que des tribus thessaliennes et des populations helléniques, récemment installées en Grèce, formèrent le noyau de la vaste association que l'on ne tarde pas à trouver constituée d'une façon solide, avec son siège principal à Delphes.

Voici la liste des douze peuples confédérés, à l'époque de l'indépendance hellénique :

1 Thessaliens.
2 Phocidiens.
3 Doriens de la Doride. Doriens du Péloponnèse. Ioniens d'Athènes, d'Eubée on d'Ionie. 
5 Béotiens.
6 Achéens Phthiotes. 
7 Maliens.
8 Oetéens.
9 Perrhèbes. Dolopes. 
10 Magnètes. 
11 Oenianes.
12 Locriens Hypoenémidiens. Locriens Hespériens ou Ozoles.
Cette liste a été dressée par Foucart, à l'aide de trois listes inexactes ou incomplètes qui nous ont été transmises par Eschine (De fals. leg. n° 83), Théopompe (frag. 20) et Pausanias (X, 8, 2), et avec les données d'une inscription, qui contient la liste des amphictions à l'époque de la domination romaine, avant Auguste (Wescher, Bull. de l'Instit. archéol. de Rome, 1865, p. 18). La savante discussion que Foucart a instituée sur ce point est concluante (Foucart, Mémoires sur l'histoire et les ruines de Delphes, dans Archives des missions scientifiques, 11e série, 1865, pp. 157 et suiv.). Il faut remarquer la large place que tiennent dans la confédération les petits peuples de la Grèce du Nord. Il n'est pas téméraire de croire que les Achéens Phthiotes, les Maliens, les Oetéens, les Perrhèbes et Dolopes, les Magnètes, les Oenianes, les Locriens, unis aux Thessaliens, furent parmi les premiers membres de l'amphictionie d'Anthéla. On ignore comment les Phocidiens, les Doriens, les Ioniens furent amenés à s'adjoindre aux autres peuples, si l'union fut la conséquence d'événements politiques ou du contact fréquent dû à la communauté du culte d'Apollon Pythien. Les deux causes ont probablement agi de concert, car l'amphictionie fut à la fois politique et religieuse.

Les amphictions, ou députés des peuples confédérés aux assemblées fédérales, constituent d'abord un conseil chargé de délibérer sur les affaires communes, et un tribunal arbitral destiné à juger les différends survenus entre les confédérés. Eschine, qui fut plusieurs fois député d'Athènes à l'assemblée de Delphes, nous a transmis le serment prononcé par les amphictions au nom des peuples qui les envoyaient : 

« Je lus le serment des amphictions, par lequel nos ancêtres s'engageaient à ne détruire aucune ville amphictionique, à n'intercepter les eaux potables ni dans la guerre ni dans la paix, et, si quelque peuple transgressait ces obligations, à marcher contre lui, et à détruire ses villes; et si quelqu'un pille les richesses du dieu, est complice ou auteur d'un projet de pillage contre les biens du temple, à le poursuivre avec le pied, la main, la voix, de toute Leur force. » (Eschine, De fals. leg., 83.) 
Et voici l'imprécation qui rendait ce serment terrible :
« Si quelqu'un, soit ville, soit simple particulier, soit nation, contrevient à ce serment, qu'on le dévoue à Apollon, Artémis, Léto et Athéna Pronaia. Que leurs terres ne produisent aucun fruit; que leurs femmes n'accouchent point d'enfants qui ressemblent à leurs pères, mais de monstres; que dans leurs troupeaux, aucune bête ne mette bas que des animaux contre nature; qu'ils aient toujours le dessous, et à la guerre, et dans les procès, et dans les délibérations publiques; qu'ils soient entièrement exterminés, eux, leurs maisons et leur lignée; qu'ils ne sacrifient jamais saintement à Apollon, à Artémis, à Léto, à Athéna Pronaia, et que ces divinités repoussent leurs offrandes. » (Esch. Cont. Ctésiph., p. 117). 
Ces deux textes marquent bien la place que tient le culte fédéral dans l'amphictionie. Le conseil est vraiment le protecteur d'Apollon; il administre aussi la temple et gère les biens du dieu.

Par malheur, l'autorité des amphictions ne fut jamais assez grande pour leur permettre de bien remplir leur rôle, surtout leur rôle politique. Leur faiblesse tenait à la constitution même de l'amphictionie. En effet, chaque peuple, ou chaque groupe de peuples formant une unité, avait deux suffrages (vingt-quatre en tout) et chaque suffrage avait la même valeur (isonomia). Mais à chaque suffrage égal ne correspondait pas une force militaire ni une autorité politique égale; la majorité des confédérés ne pouvait pas toujours faire respecter par les armes ses décisions. Il est évident qu'une majorité formée de la coalition des suffrages oetéens, maléens, dolopes et perrhèbes, etc., ne pouvait prévaloir, au temps de l'hégémonie d'Athènes, contre une minorité où se trouvait le suffrage athénien. Par suite, les décisions amphictioniques devaient rester lettre morte, toutes les fois qu'un peuple puissant n'avait pas intérêt à les faire exécuter. L'amphictionie était réduite à l'état d'ombre, comme disait Démosthène, ou à l'état d'instrument. Elle ne fit jamais rien d'important par elle-même, malgré son droit reconnu de lever une armée et de nommer un généralissime, de citer les membres réfractaires de la confédération devant son tribunal, et de les punir par des amendes ou des destructions de villes. Aussi voit-on que l'amphictionie, qui aurait du tenir en main les destinées de la Grèce et faire de ce pays une vaste et forte confédération, ayant Delphes pour capitale et l'assemblée pour gouvernement, fut impuissante quand elle ne fut pas funeste.

Lors des guerres médiques, la plupart des peuples confédérés, qui devaient recevoir le premier choc, et par conséquent montrer le plus de courage et de résolution, se soumirent; l'assemblée qui décida la résistance se tint à l'isthme de Corinthe et non à Delphes. Les amphictions mirent à prix la tête du traître des Thermopyles, décernèrent après la guerre des statues et des honneurs, rédigèrent de belles épitaphes, et ce fut tout. Dans des circonstances moins graves, lorsqu'il avait fallu châtier les Mégariens, qui avaient pillé une théorie envoyée à Delphes et massacré les théores, ou les habitants de Cirrha, coupables d'avoir profané le territoire sacré d'Apollon, les amphictions s'étaient montrés plus énergiques et avaient réussi; mais ç'avait été grâce à l'appui des Athéniens que poussait Solon. Plus tard, ils étaient soutenus par les Thébains, quand ils condamnèrent et contraignirent les Lacédémoniens à rendre aux Thébains la Cadmée, prise par trahison, et à payer une amende de 1000 talents. 

Un décret amphictionique fut, d'après Diodore de Sicile, la cause réelle de la funeste guerre sacrée contre les Phocidiens, guerre qui ouvrit la porte à Philippe de Macédoine, et prépara l'asservissement de la Grèce. Les Phocidiens avaient encouru une amende pour avoir violé le territoire sacré d'Apollon. Ils répondirent par l'envahissement et le pillage du temple. Après dix ans de lutte, les amphictions appelèrent Philippe à leur secours, et, grâce à lui, vainquirent les Phocidiens, qui durent se soumettre. Diodore de Sicile (XVI) a raconté tout au long ces événements; Démosthène a fait un tableau pathétique de l'état ou fut réduite la Phocide par l'arrêt des amphictions. On sait, par Diodore et Pausanias, que nombre de villes furent rasées, et, par des inscriptions d'Elatée, que les Phocidiens payèrent longtemps une amende annuelle de 60 talents (30 à chaque assemblée amphictionique). On sent, dans l'excès même de cette sévérité, la lourde intervention de Philippe; il était dans son intérêt de ruiner les Phocidiens qui auraient pu barrer le passage. Cet événement et cette date (346) sont essentiels dans l'histoire de l'amphictionie, car le conseil perd alors toute indépendance pour philippiser, comme disait Démosthène. La constitution en est du reste altérée, puisque les Phocidiens sont exclus de la confédération.

Philippe ne tarda pas à se servir de l'instrument qui s'était donné à lui. Il souleva, d'accord avec Eschine, la seconde guerre sacrée contre les Locriens d'Amphissa, qui cultivaient la plaine sacrée de Cirrha. On sait comment les amphictions, dont l'appel aux armes n'était pas entendu des peuples confédérés, s'adressèrent de nouveau à Philippe, et comment la guerre, dirigée en apparence contre les Locriens, en réalité contre Athènes, aboutit, en 339, à la bataille de Chéronée. Alexandre hérita de la conquête des amphictions, aussi importante qu'une conquête territoriale, et fut nommé à son tour généralissime par le conseil, entièrement à sa dévotion comme à celle de son père. 

Foucart (Op. laud.) a fort bien résumé l'histoire de l'amphictionie, à partir des successeurs d'Alexandre; il a noté les changements survenus dans la constitution du conseil; on sait par Pausanias que le courage des Phocidiens contre les Gaulois leur valut de recouvrer les deux voix qu'ils avaient perdues; mais le conseil ne revint pas pour cela à sa composition primitive. Il subit bien des modifications de la part des chefs étoliens, qui s'y donnèrent depuis cinq jusqu'à onze et quatorze voix. Voici une des listes amphictioniques de cette époque :

Etoliens  5 voix.
Delphiens 2 voix.
Phocidiens  2 voix.
Locriens  2 voix.
Béotiens 2 voix.
Athéniens 1 voix.
Epidauriens 1 voix..
En tout 15 suffrages répartis inégalement entre sept peuples. Nous sommes loin de la liste primitive. Les petits peuples thessaliens ont disparu; on pense qu'Athènes et Sparte, réduites à un suffrage, se tinrent à l'écart. Un traité d'alliance entre les Etoliens et les habitants de Céos fait allusion - pour protéger contre cette éventualité les contractants - à la possibilité d'une accusation amphictionique. C'est le seul renseignement que l'on ait sur le rôle politique du conseil; il dut s'occuper surtout de l'administration du temple, des fêtes publiques (aux jeux pythiques étaient joints maintenant les sôtèria, depuis la défaite des Gaulois, et les amphictions en avaient l'intendance). Il décernait aussi des honneurs et conférait des privilèges à peu près semblables à ceux de la proxénie. Quand Sylla mit la main sur Delphes et les trésors d'Apollon, pour combattre Mithridate, les amphictions essayèrent d'arrêter son agent. Cela n'émut pas les Romains, qui en usèrent à leur guise, et laissèrent même le conseil réorganisé aux mains des Etoliens vaincus. Auguste montra combien l'amphictionie était loin de son origine, en donnant le premier rang dans le conseil, sans que personne murmurât, aux habitants de Nicopolis, ville qu'il avait fondée en mémoire de la bataille d'Actium; on leur attribua 10 voix sur 24. L'amphictionie ne fut plus qu'une commission administrative du temple, si faible, qu'elle eut souvent recours à l'intervention de légats impériaux. Elle vécut encore longtemps dans l'ombre - elle existait encore au temps de Pausanias - et finit par disparaître sans qu'on s'en aperçût. Nous n'entrerons pas dans le détail des attributions non politiques des amphictions, nous en avons indiqué quelques-unes; d'autres, par exemple, le soin de veiller à ce que le territoire sacré d'Apollon ne fût pas cultivé, ont apparu, dans le récit historique, comme la conséquence même ou la raison des faits. Ajoutons seulement que les amphictions frappent monnaie. Voici, d'après Foucart (art. Amphictionie, dans le Dictionnaire des antiquités de Daremberg et Saglio) la description d'une pièce amphictionique.
D. Tête de Déméter voilée;

R. L'omphalos de Delphes, sur lequel est assis Apollon vêtu; il tient un rameau de laurier de la main gauche ; à ses pieds est la lyre (quelquefois un serpent s'enroule autour de l'omphalos). Dans le champ: AMPHIKTYONÔN.

Nous n'avons rien dit encore de la composition même et du fonctionnement du conseil. Il y a sur ce point des détails obscurs. Il semble bien établi seulement : 
1° que l'assemblée comptait deux sortes de membres : les hiéromnémons (ou amphictions) et les pylagores (ou agoratres). Ces deux ordres de députés n'avaient pas le même rôle; les premiers avaient voix délibérative; les seconds, sauf exception, voix consultative seulement. Ainsi, Athènes envoyait quatre députés à rassemblée, et n'avait pourtant que deux suffrages; il semble, du reste, que les hiéromnémons aient été nommés à vie, et les pylagores élus pour une période fixe de temps. Les hiéromnémons, entre leur importance politique de votants, semblent avoir eu l'administration du temple, à l'exclusion des pylagores; ils sont seuls nommés dans les inscriptions relatives au culte, et même aux jeux pythiques ou aux sôtèria. Ce sont eux, d'autre part, qui présentent les décrets - par exemple contre les Amphissiens - et semblent par conséquent avoir l'initiative des questions à traiter. Le nombre des hiéromnémons est fixe; celui des pylagores, malgré l'exemple cité plus haut pour Athènes, était probablement variable. 

2° L'assemblée, lorsqu'elle tient des sessions ou des séances ordinaires, porte le nom de synédrion; lorsqu'elle se réunit extraordinairement, c'est l'ekklesia. Quant aux sessions elles-mêmes, celles d'automne comme celles de printemps, aux Thermopyles comme à Delphes, elles sont appelées pylai ou pylaiai, d'où le nom pylagorai. Ce mot paraît du reste avoir pris un sens plus général, et des villes, par exemple Drymaea en Phocide, appellent leurs assemblées particulières du même nom (Bull. de Corr. hellén., 137.).

L'Amphictionie attico-délienne

Dès la plus haute antiquité, les habitants des Cyclades et leurs voisins d'Ionie se réunissaient à Délos, dont la mythologie faisait l'île natale d'Apollon et d'Artémis, pour y célébrer en commun le culte de ces divinités. L'Hymne homérique à Apollon prouve ce fait, et marque l'importance de ce rendez-vous religieux. Mis en contact par le culte commun d'un grand dieu et par le commerce journalier, les Grecs des îles et les Ioniens devaient bientôt former une alliance : unies, les îles seraient fortes, et se protégeraient contre les barbares et les pirates, peut-être aussi contre leurs entreprises mutuelles; isolées, leurs biens étaient compromis, leur existence éphémère. La position centrale de Délos, la pauvreté de son sol, qui la condamnaient à peu d'importance politique et comme à la neutralité, le renom de son temple et la vénération portée à son dieu, désignaient la petite île comme capitale de la fédération, dont Thucydide et Plutarque prétendent que Thésée fut le fondateur. 

L'histoire politique de l'amphictionie délienne est obscure; on ignore même si l'assemblée fédérale porta ce nom; on sait seulement que des fêtes se célébraient à Délos, avec grand éclat, comprenant des jeux gymniques, des concours de musique, et notamment des choeurs de femmes, comme à Delphes. Mais ces jeux mêmes étaient tombés en désuétude lorsque les Athéniens devinrent maîtres de Délos. En 476, ils restaurèrent les fêtes fédérales et organisèrent l'amphictionie attico-délienne, dont il me semble qu'ils empruntèrent le nom à l'amphictionie delphique, mais rien que le nom. 

L'histoire et la constitution de cette amphictionie, d'abord étudiée par Boekh, au moyen de quelques rares documents épigraphiques trouvés à Athènes, est mieux connue depuis les fouilles de Th. Homolle à Délos. Aux dix-huit inscriptions réunies dans le Corpus inscriptionum atticarum (I, 283 ; II, 813-828 ; II, 115 b.), Homolle en a ajouté vingt-deux, dont quelques-unes d'une extrême importance (Bull. de Corr. hellén., VIII, 282). 

Malgré la part prédominante qu'Athènes avait prise à la défense du territoire contre les Mèdes et les Perses, elle se trouvait partager l'hégémonie avec Sparte; quoiqu'ils eussent abandonné le commandement naval à leurs rivaux, les Athéniens sentaient bien que leur force était surtout maritime. Aristide conçut et exécuta le projet de grouper autour d'Athènes, en une puissante ligue, les îles de la mer Egée et l'Ionie riveraine. Chacun conservait son indépendance, mais les intérêts communs devaient être débattus à Délos dans une assemblée de députés. Athènes était chargée de l'exécution des décrets; de plus elle recevait la garde, à Délos, d'un trésor (460 talents de tribut annuel). Le but apparent de cette amphictionie était de finir les guerres contre le grand roi et d'expulser les Barbares d'Europe; mais en fait, Athènes voulait s'assurer des alliés riches, qui ne tarderaient pas à être à sa merci, et exercer, grâce à eux, un empire incontesté sur toute la mer. 

Les confédérés sentirent bientôt que tous n'étaient pas égaux dans l'assemblée; Athènes marqua sa supériorité ; les révoltes de Naxos, qui devint ville sujette, et de Thasos, qui perdit la propriété de ses mines d'or, ne servirent qu'à montrer la force d'Athènes, et à faire élever à 600 talents le tribut fédéral. Les alliés étaient déjà résignés à n'être que de simples sujets, quand les Athéniens jugèrent bon de transférer le trésor de Délos à Athènes, afin de le dépenser pour leur propre compte (461). L'assemblée inutile cessa de se réunir ; l'amphictionie subsista néanmoins, mais sans aucun rôle politique, jusqu'à la bataille d'Aegos-Potamos (406), époque à laquelle Délos, redevenue libre, devint la protégée de Sparte. On possède un acte amphictionique de 378 ; l'amphictionie était donc reconstituée à cette époque - sur de nouvelles bases du reste, - mais on ne sait pas depuis quand ; ce ne put pas être avant 397. 

Deux décrets de proxénie trouvés à Délos (Bull. Corr. hellén., VIII, 291) et l'inscription célèbre, connue sous le nom de marbre de Sandwich (C. I, Gr. 158), aujourd'hui au Louvre, sont les seuls documents indiquant que l'amphictionie garda quelque importance politique; ils relatent tous les trois des efforts faits par les Déliens pour se débarrasser de la présence et de l'autorité des Athéniens ; le marbre de Sandwich enregistre le paiement d'une amende infligée en 374 à des Déliens qui avaient chassé les amphictions du temple d'Apollon et les avaient battus. Le dernier texte amphictionique daté est de 341. L'amphictionie attico-délienne disparut naturellement lors de la conquête macédonienne.

On ne connaît pas exactement le nom de toutes les villes qui furent comprises dans la confédération. Voici la liste - très incomplète sans doute - que l'on peut former à l'aide des inscriptions, dont quelques-unes relatent des versements faits au trésor sacré : Délos, Rhénée. Egine, Mykonos, Syros, Ténos, Céos, Sériphos, Siphnos, Ios, Paros, Ikaros (Oenaiens et Thermiens), Naxos, Andros, Karystos d'Eubée, Stiris (?), Tauromenium (?). - Mais il ne faut pas croire que chacune de ces îles ou villes ait joué un rôle dans l'amphictionie. Dans tous les documents antérieurs au IVe siècle, c.-à-d. à Aegos-Potamos, il n'est fait mention que des amphictions athéniens. Ils semblent avoir complètement effacé tous les autres.

Les fonctions de ces magistrats sont assez bien connues. Ils apparaissent comme des administrateurs du temple fédéral, envoyés par les Athéniens. La plupart des inscriptions trouvées à Athènes et à Délos ne sont autre chose que des comptes de recettes et de dépenses et des inventaires des richesses sacrées. La composition de ce collège au Ve siècle est parfaitement connue; Homolle a établi, contrairement à l'opinion soutenue par Boekh, que les amphictions étaient au nombre de quatre; la durée de leurs fonctions était d'un an. Ils avaient un greffier. Sans doute par condescendance, les Athéniens avaient confié à des néocores déliens (probablement un par temple), sous la haute surveillance des amphictions, la garde des trésors déposés dans le temple d'Apollon et celui d'Artémis

Un double des comptes était envoyé à Athènes, ce qui explique pourquoi on a trouvé des documents amphictioniques à Athènes et à Délos. En 377, au lieu de quatre amphictions athéniens, on en trouve cinq (marbre de Sandwich); ils sont assistés d'un greffier et restent en charge pendant quatre ans; ainsi, les délégués de l'amphictionie primitive deviennent de vrais fonctionnaires, presque établis à poste fixe. Notons que, dans la seconde moitié du IVe siècle, il est fait mention d'amphictions annuels. Dans la première moitié, les amphictions restent en charge depuis l'année qui suit la célébration de la fête fédérale (elle était quinquennale) jusqu'à la fin de l'année où cette fête revient. Mais la plus importante modification apportée à l'amphictionie est l'adjonction d'amphictions andriens; ils furent sans doute admis au conseil comme représentants des insulaires. Ils paraissent en 375, année qui suivit la révolte dont nous avons parlé plus haut. Les fonctions du collège sont restées les mêmes : administration du temple et garde du trésor. Cela comprenait jusqu'aux plus petits détails. Une intéressante inscription prouve que la bâtisse même du temple et ses dépendances devaient être entretenues par les soins des amphictions; les prêtres leur rendent compte des dépenses faites pour des réparations et des constructions; l'architecte même est à leur discrétion. 

II n'y a rien à dire du greffier, ou secrétaire des amphictions; il faut noter cependant qu'il est chargé de faire graver les décrets amphictioniques à Délos, comme le greffier de la boulè à Athènes. (Pierre Paris).

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