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AI Fergani, dans
l'abrégé de l'Almageste
qu'il a composé et dont la vogue a été si grande au Moyen Âge, adopte
en ses grandes lignes la théorie de la précession
proposée par Ptolémée; mais il la modifie en un point essentiel. Il
regarde le mouvement que l'astronome alexandrin avait attribué aux étoiles
fixes comme un mouvement qui entraîne les orbes de tous les astres, fixes
ou errants; l'aux [1]
et l'opposé de l'aux des diverses planètes
et du Soleil
tournent donc d'Occident en Orient, d'un degré par siècle, autour des
pôles
de l'écliptique .
Voici comment Al Fergani s'exprime à cet
égard [2] :
"Après
avoir exposé quelle est la forme des sphères des astres et la composition
des orbes de ces mêmes astres, venons à la description des mouvements
qu'en trouve en chacun de leurs sphères; commençons par rapporter quel
est le mouvement de la sphère des étoiles fixes [ La
Sphère céleste ],
car ce même mouvement est inséparable des mouvements des divers astres
errants.
Disons
donc que la sphère des étoiles fixes se meut d'Occident en Orient, et
qu'elle entraîne avec elle les sept sphères des astres errants; son mouvement
se fait autour des pôles du zodiaque ,
et il est d'un degré en cent ans, selon l'évaluation de Ptolémée. Par
suite de ce mouvement, les apogées et les noeuds
des excentriques
des planètes tournent, en un siècle, selon l'ordre des signes, de cette
même quantité, de telle sorte qu'ils accomplissent leur révolution
et parcourent la totalité du zodiaque en 36 000 ans.
[...]
Le Soleil a deux mouvements d'Occident en Orient. L'un est son mouvement
propre en son orbe excentrique. L'autre est le mouvement par lequel sa
sphère tourne autour des pôles du zodiaque mouvement est égal à celui
de la sphère des étoiles fixes; il est d'un degré en cent ans."
Al Fergani, comme l'Almageste, suppose
seulement l'existence de huit sphères célestes :
"Au
sujet de la figure des orbes et de leur ordre, dit-il[3],
suivons les opinions en lesquelles les Anciens ont tous été d'accord.
Disons que le nombre des sphères qui environnent tous les mouvements des
planètes et des étoiles est huit. Parmi ces sphères, sept sont attribuées
aux sept astres errants; la huitième, qui est plus élevée et qui est
l'orbe des signes, est attribuée aux étoiles fixes. "
Notre auteur n'imagine donc pas, comme nombre
de Grecs l'avaient fait, un neuvième orbe sans astre, placé au-dessus
de la sphère des étoiles fixes, et chargé de communiquer à toutes les
sphères inférieures le mouvement diurne
dont il est lui-même animé. Il regarde simplement le mouvement diurne
comme étant "celui qui meut le tout" [4],
sans qu'aucune sphère particulière lui soit attribuée.
-
Les Frères
de la Pureté et la Neuvième sphère
L'hypothèse
du neuvième orbe spécialement destiné au mouvement diurne pénétra
de bonne heure dans la science arabe. C'est elle, sans doute, qui inspire
confusément Masciallah; c'est elle qui se trouve clairement et formellement
énoncée en divers traités de la vaste encyclopédie composée, au Xe
siècle de notre ère, par les Frères de la Pureté et de la Sincérité
[a].
Rappelons,
d'abord, que les Frères de la Pureté, selon leur propre témoignage [1],
empruntent leurs connaissances astronomiques non seulement à l'Almageste,
mais encore au petit traité d'Al Fergani. Cela fait, voyons ce que nos
philosophes ont professé touchant le nombre des sphères célestes et
le mouvement de l'orbe des étoiles fixes.
"Il
y a disent-ils en leur second traité [2],
neuf sphères dont sept sont les cieux qui figurent dans le Coran .
La première sphère et celle qui se rencontre tout d'abord
[Ã partir de la Terre ],
est la sphère de la Lune
[...] La huitième sphère céleste est celle des étoiles fixes; elle
entoure les sept cieux reconnus [par le Coran;
elle est le marchepied [de Dieu ],
qui embrasse les sept cieux et la Terre. La neuvième sphère est la sphère
enveloppante; elle est le trône seigneurial, porté comme Dieu le dit
: Huit anges
soutiennent le trône de ton Seigneur."
Plus loin,
les Frères de la Pureté décrivent les mouvements de ces sphères [3],
en suivant l'hypothèse qui regarde tous ces mouvements comme dirigés
dans le même sens, de l'Orient vers l'Occident:
"La
sphère enveloppante, qui est immédiatement mise en marche par la puissance
motrice initiale, par l'Ame
universelle, accomplit une révolution en 24 heures égales. Comme la sphère
des étoiles fixes se trouvent à l'intérieur de la précédente, dont
elle touche la face interne, la sphère enveloppante l'entraîne, avec
elle dans le sens même où elle tourne; mais le mouvement de la huitième
sphère demeure, en vitesse, inférieure d'une petite quantité au mouvement
de la sphère motrice, et la différence selon laquelle les parties de
chacune de ces deux sphères cessent de se correspondre atteint un degré
en cent ans [...].
La
sphère enveloppante tourne autour de la Terre exactement en 24 heures;
la sphère des étoiles fixes accomplit sa révolution en un temps un peu
plus long [...].
Si,
parmi les étoiles fixes, on en prend une qui se trouve dans le méridien
d'un certain lieu de la Terre, elle se trouve, au jour suivant, d'un dixième
de seconde en arrière de ce méridien [4];
elle accomplit, sur le zodiaque, une révolution en 36 000 ans."
Ainsi
l'existence d'un neuvième ciel dénué de tout astre est admise par les
Frères de la Pureté aussi nettement qu'elle l'était par les Alexandrins,
d'Origène à Jean Philopon.
Le plus, à la révolution des étoiles fixes, nos philosophes attribuent
la durée même que lui attribuaient Ptolémée et AI Fergani.
Ils
écrivent en outre [5],
dans leur trente-cinquième traité :
"En
3 000 ans, les étoiles fixes, les apogées et les noeuds des astres errants
changent de signe et parcourent tous les degrés d'un signe. En 9 000 ans,
ils se déplacent d'un quadrant. En 36 000 ans, ils accomplissent leur
révolution en parcourant tous les signes."
C'est
encore l'enseignement d'Al Fergani que nous reconnaissons ici.
[a]
Il s'agissait d'une société secrète
d'inspiration pythagoricienne fondée vers 930. Ils ont laissé des Épîtres.
[1]
Fr. Dieterici, Die Lehre von der Weltseele bei den Arabern im X.
Jahrundert, Leipzig, 1872, p. 118 (Traduction allemande du trente-sixième
traité de l'Encyclopédie composée par les Frères de la Pureté).
[2]
Friedrich Dieterici, Die Philosophie der Araber im IX und X. Jahrundert
n. Chr. aus der Theologie des Aristoteles den Abhandlungen Alfarabis
und den Schriften den lautern Brüders Vtes Buch : Die Naturanschauung
and Naturphilosophie. 2te Ausgabe, Leipzig, 1876; p. 26.
[3]
Fr. Dieterici, Op. laud, pp. 35, 36 et 38.
[4]
La traduction de F. Dieterici (loc. cil. p. 38) porte : une seconde (mit
der 2ten Minute des Grades).
[5]
Dieterici, Die Lehre der Weltseele bei den Arabern in X Jahrundert;
Leipzig. 1872; p. 68.
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Le traité d'Al Fergani renferme une remarque
qui devait attirer l'attention sur un fait astronomique d'une haute importance,
savoir la lente diminution qu'éprouve l'inclinaison
de l'écliptique .
Voici cette remarque [5]
:
"L'arc
du grand cercle passant par les pôles, qui se trouve compris entre chacun
des points tropiques (solstices )
et l'équateur ,
est l'inclinaison du zodiaque sur l'équateur. Selon ce qu'a trouvé Ptolémée,
cette inclinaison vaut 23° 51', le cercle comprenant 360°. Mais selon
l'observation que Jean, fils d'Al Mansour [6],
au temps du kalife Al Mamoun, elle est de
23° 35' [7];
un grand nombre de sages s'accordent à admettre cette évaluation."
Il semble, en ce passage, qu'Al Fergani regarde
simplement la seconde détermination de l'obliquité
de l'écliptique comme plus exacte que la première; rien n'indique qu'Ã
ses yeux, cette obliquité soit un élément variable avec le temps. Eudème,
dans un passage de son Astronomie que résume Théon
de Smyrne [8],
nous apprend que, de son temps, l'obliquité de l'Écliptique était, par
les astronomes, évaluée à 24°. Cette observation, rapprochée de celles
qui furent faites au temps de Ptolémée et au temps d'Al
Mamoun, eût donné plus de force à la supposition que cette obliquité
diminue lentement. Al Fergani, sans doute, ne connaissait pas la détermination
rapportée par Eudème et n'a pu en tirer une telle conclusion. Mais cette
conclusion s'imposera bientôt aux astronomes. (Duhem).
Al
Fergani se sépare nettement de Ptolémée en un point de grande importance;
au lieu d'admettre, avec l'astronome alexandrin, que l'apogée du Soleil
participe uniquement du mouvement diurne, il admet que ce point est entraîné
avec les étoiles fixes, en sorte que son mouvement se compose du mouvement
diurne et du mouvement de précession. Cette réaction à l'encontre de
l'une des doctrines de l'Almageste fut suivie par tous les astronomes
arabes qui vinrent après Al Fergani.
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[1]
L'aux est l'apogée
de l'excentrique
et que l'opposé de l'aux en est le périgée .
Ce mot (génitif : augis) provient du sanscrit outchtcha (on
le trouve dans le Surya Siddhanta), via l'arabe oudj, et
signifie à l'origine : hauteur.
[2]
Nous citons AI Fergani d'après la traduction abrégée d'Isidorus Hispanensis
que nous avons consultée dans le texte suivant : Incipit liber de aggregationibus
stellarum et principiis celestium motuum quem Ametus Filius Ameti qui dictus
est Alfraganus compilavit, 30 continens capitula (Bibliothèque nationale,
fonds latin ms. n° 7298) - Cap. XIII : De narratione motuum Solis,
et Lune, et stellarum fixarum in orbibus suis in duabus partibus Orientis
et Occidentis, qui nominantur motus longitudinis.
[3]
Al Fergani, Op. laud., cap. XII : De narratione forma orbium
stellarum et de compositione eorum, et de ordinibus longitudinum eorum
a terra.
[4]
Al Fergani, Op laud., cap. V, De duobus primis motibus caeli,
quorum unus est motus totius, alter vero stellarum, quem videntur habere
in orbe signorum.
[5]
Al Fergani, Op. laud., Cap. V. : De duobus primis motibus
qui sont de motibus celi, quorum unus est motus totius, quo dies et noctes
fiunt, ab oriente ad occidentem, et alter est stellatrum quem videntur
habere in orbe signorum ab occidente ad orientem.
[6]
C'est-à -dire là hia (Abou Ali) ben Abou Mansour.
[7]
Le nombre de minutes est laissé en blanc dans le manuscrit que nous avons
consulté : il est marqué dans bon nombre d'autres manuscrits (Cf : Delambre,
Histoire de l'Astronomie du Moyen Âge; Paris, 1819; p. 63 et p.
65). Mais le nombre 23° 35' semble dû à une erreur de copiste. Les autres
auteurs qui nous ont renseignés sur cette observation de Iâhia ben Abou
Mansour ont tous donné le nombre 23° 33' (Cf. : Al Battani, Opus astronomicum,
éd. Nallino, pars I, pp. 157-159.
[8]
Theonis Smyrnaei, Liber de Astronomia, cap. XL; éd. Th. H. Martin,
pp. 324-325; éd. J. Dupuis, pp. 320-321 |