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Les acteurs
Comédiens
L'acteur est celui qui se voue au théâtre et à ses dérivés pour concourir à la représentation des oeuvres scéniques. Le nom convient aux interprètes de tous les genres, tragédiens, comédiens au sens propre, chanteurs, mimes, et danseurs. On utilise couramment le terme de comédien pour désigner tout acteur de théâtre; le terme d'acteur tout court étant considéré comme plus large, ont l'étend aussi aux acteurs de cinéma.

Dans l'Antiquité grecque, les femmes ne montaient pas sur le théâtre; tous les rôles étaient remplis par des hommes. On sait que le culte de Dionysos fut l'origine du théâtre grec, et les citoyens qui le célébraient furent, occasionnellement, les premiers acteurs. Dans les campagnes, des vendangeurs barbouillés de lie, ivres de joie et de vin, s'élançaient sur leurs chariots, s'attaquaient sur les chemins par des impromptus grossiers, se vengeaient de leurs voisins en les couvrant de ridicule, et des gens riches, en dévoilant leurs injustices. Bientôt les chefs de la république, à Athènes, se préoccupèrent de l'utilité, comme aussi des dangers des jeux scéniques, et songèrent à en faire une institution officielle, régulièrement organisée, en les rattachant à la célébration des fêtes religieuses. Les acteurs devinrent en quelque sorte fonctionnaires publics. Le poète (Didascalos, le maître, parce qu'il instruisait les acteurs) recevait un choeur, qu'il préparait pour la solennité des Dionysies (Didascalie); outre les choreutes, attachés spécialement à  la partie lyrique, il disposait de deux ou trois acteurs principaux, qu'on appelait Ie protagoniste, le deutéragoniste, le tritagoniste, et qui, représentaient l'action et débitaient le dialogue dramatique. Le citoyen qui, sous le titre de chorège, se chargeait de fournir, de costumer, et de nourrir le choeur, s'ouvrait l'accès des premières magistratures. 

Le même acteur jouait parfois plusieurs rôles, à l'aide d'un changement de masques et de costumes : le son de la voix pouvant nuire à l'illusion par l'uniformité des inflexions, il y avait des moyens mécaniques pour varier l'organe du personnage. Les acteurs pouvaient parvenir aux emplois les plus honorables.; ainsi, Aristodème, Néoptolème, Satyrus, furent envoyés en ambassade auprès de Philippe, roi de Macédoine; Alexandre le Grand envoya l'acteur Thessalus demander à un satrape de Carie la main de sa fille. L'éloignement de la scène imposé aux femmes était, à quelques égards, une garantie de plus de la moralité des artistes dramatiques. Cependant ils étaient soumis à la mauvaise humeur, et aux brutalités du peuple dans l'exercice de leur profession : s'ils faiblissaient, s'ils prenaient une fausse intonation ou faisaient un faux mouvement, des murmures, des cris, des sifilets, des frappements de pieds, les punissaient d'être moins parfaits qu'à l'ordinaire; les spectateurs allaient jusqu'à leur faire ôter le masque, pour jouir de leur honte, et jusqu'à les chasser de la scène. Eschyle, Sophocle, Aristophane furent acteurs dans leurs propres pièces mais il ne paraît pas vraisemblable qu'ils se soumissent à de pareils affronts. Les plus grands acteurs de l'Antiquité grecque furent Polus et Théodore. Polus recevait pour deux jours un talent.

Au IVe siècle av. J.-C., une révolution s'opéra dans l'état social des acteurs grecs : les finances obérées ne suffisant plus aux frais toujours croissants des représentations théâtrales, les acteurs, privés des secours de l'État et des subventions des chorèges, formèrent des confréries ou associations pour l'exploitation des théâtres. La plus considérable fut celle des Artistes de Dionysos ou Artistes dionysiaques, qui étendit ses ramifications par toute la Grèce, en Asie, à Corcyre, etc., et dont les diverses sections étaient  régies par des statuts communs. Venaient ensuite les Synagonistes, à Téos, les Attalistes, qui, devaient leur nom à la protection des Attale, les Basilistes (acteurs royaux), protégés par les rois Lagides en Égypte, les Eupatorides, qui tiraient leur nom de Mithridate Eupator, roi de Pont, les Artistes de Némée et de d'isthme de Corinthe, etc. Sous ce régime d'association substitué à la protection de l'État, les dépenses furent surtout couvertes par les libéralités des particuliers. Les compagnies dramatiques prospérèrent, et les artistes dionysiaques de l'Ionie devinrent assez puissants pour assurer, entre autres avantages, aux membres de leur corporation le droit de cité dans les villes où ils se rendaient.

Dans l'ancienne Rome, tout acteur était nommé histrion, mais sans qu'aucune idée défavorable s'attachât, comme chez nous; à ce mot, qui venait de l'étrusque hister. On vit, par une étrange anomalie, les jeunes patriciens jouer primitivement les farces populaires counues sous le nom d'Atellanes, tandis qu'on flétrit ensuite les acteurs de profession qui représentèrent les pièces classiques et les imitations du théâtre grec. Ces acteurs ne pouvaient être que des étrangers, des esclaves on des affranchis : un Romain qui montait sur le théâtre était noté d'infamie, dégradé par les censeurs, et exclu de sa tribu. Un sénateur ne pouvait visiter les acteurs chez eux, ni un chevalier les accompagner dans la rue. Le préteur avait le droit de faire fustiger les acteurs, s'ils se permettaient dans leurs rôes quelque liberté blâmable, et il fallut les réclamations d'un tribun du peuple et la volonté de l'empereur Tibère, pour qu'une ordonnance d'Auguste, qui les déclarait exempts du fouet, fut maintenue.

Le métier de l'acteur était rude : il lui fallait s'exercer pendant quatre ou cinq ans, assouplir sa voix, s'habituer à parler assis, ou couché sur le dos, ou la poitrine chargée de lames de plomb; on le sifflait impitoyablement pour une erreur de mémoire, un faux pas, un faux geste, une articulation moins claire que de coutume. La scène romaine admettait les femmes; mais ces femmes étaient déshonorées; défense était faite aux sénateurs d'épouser des actrices, non plus que des filles ou petites-filles d'histrions. On peut juger du mépris qui s'attachait à la profession d'acteur, par les plaintes que le chevalier Labérius, contraint par César de paraître sur la scène, adresse aux spectateurs dans un prologue que nous avons. Certains acteurs parvinrent cependant à gagner, par un admirable talent, l'estime et même l'amitié des grands personnages : Ambivius Turpio, Roscius et Aesopus furent liés avec Cicéron; les pantomimes Pylade et Bathylle devinrent des personnages importants sous l'Empire. Roscius gagnait par représentation 1000 deniers, et Aesopus laissa à son fils une fortune de 20 millions de sesterces! A cette époque, les compagnies d'acteurs romains paraissent s'être confondues avec les associations grecques, et l'on comptait, dans le monde romain, plus de 100 théâtres desservis par des acteurs de tous pays. Le salaire de ces acteurs ambulants paraît avoir été de 7 drachmes par représentation. Les spectateurs leur donnaient quelquefois des couronnes d'or ou d'argent.

Au IIe siècle de l'ère chrétienne, le pouvoir impérial enleva aux sociétés dramatiques, comme aux corporations d'artisans, leur indépendance primitive, et les soumit à des statuts. Les empereurs ne tardèrent pas à subir deux pressions opposées, celle du peuple, qui réclamait sans cesse des spectacles et des jeux, et celle de l'Église chrétienne, qui fulminait contre l'immoralité du théâtre. L'Église finit par l'emporter : le concile d'Arles, en 315, déclara excommuniés ceux qui se livraient à la profession de comédien; un édit de Théodose Ier autorisa les acteurs à recevoir le baptême, qui, en les régénérant, devait briser les liens par lesquels ils étaient enchaînés à leur état, mais les déclara esclaves à jamais des plaisirs de la populace, s'ils reprenaient leur profession; un autre édit du même prince, en 394, leur interdit comme une profanation de prendre sur le théâtre la robe des vierges chrétiennes, et défendit aux femmes et aux enfants l'accès des représentations profanes; en 413, Honorius confirma l'excommunication attachée aux fonctions d'acteur.

Lors de l'invasion des Germains et de la chute de l'Empire, les acteurs disparaissent en Occident. On les voit renaître, sous le nom romain d'histrions, pendant le règne de Charlemagne; mais leurs représentations étaient si obscènes et leurs moeurs si dissolues, que l'empereur leur interdit leur profession. Les troubadours, qui étaient eux-mêmes des espèces d'acteurs-poètes réveillèrent le goût des représentations dramatiques, vers le commencement du XIIe siècle : ils allaient, sous le nom de comiques, jouer de châteaux en châteaux de petits drames qu'ils improvisaient; c'étaient des pastorales, des chantrels, des comédies. Mais, profitant de leur vogue, ils devinrent licencieux, et, vers la fin du même siècle, on les bannit de toute honnête société.

Les Confrères de la Passion relevèrent une troisième fois, à la fin du XIVe siècle, l'art et la profession dramatique en France. Ils eurent pour rivaux les Clercs de la Basoche et les Enfants sans-souci; telles furent les premières troupes d'acteurs de profession Dans ces troupes, des hommes jouaient les rôles de femmes, et ce ne fut qu'en 1634, dans la Galerie du Palais, de P. Corneille, qu'une femme, la Beaupré, parut pour la première fois sur la scène. La condition des acteurs était alors encore fort misérable; le tableau qu'en fit Scarron dans son Roman comique, publié vers 1662, en donne une idée, et ne s'applique pas uniquement aux comédiens ambulants. Cependant, c'est dans ce XVIIIe siècle que la profession d'acteur acquit, du moins à Paris, une certaine importance, par les études sérieuses qu'elle exigea pour jouer des pièces plus parfaites, par les directions que les comédiens reçurent de poètes tels que Corneille, Molière et Racine. De cette école sortirent Baron, Dufresne, Montfleury, Poisson, la Champmêlé. Molière, que Louis XIV honorait de sa familiarité, exerça aussi la profession d'acteur : mais c'était à l'auteur bien plus qu'au comédien que s'adressait la haute distinction du roi. La profession était si médiocrement considérée, qu'un noble qui l'embrassait dérogeait, à moins que, comme Floridor, il n'entrât dans la troupe des comédiens royaux. Une autre cause du décri des acteurs, c'était l'excommunication de l'Église. Cependant les chanteurs de l'Académie royale de musique n'étaient point excommuniés, peut-être parce que ce spectacle avait été établi sous le nom d'Académie. Au XVIIIe siècle, les acteurs de l'Opéra-Italien et ceux de l'Opéra-Comique ne furent pas non plus repoussés du sein de l'Église, comme l'étaient, bien que comédiens ordinaires du roi, les acteurs du Théâtre-Français.

Cependant toute la haute société semblait presque s'assimiler à eux par son goût effréné pour le théâtre, goût dont le souvenir se trouve consigné dans les vers suivants de la Métromanie (III, 5 ), jouée en 1733 :

J'ai vu ce charme en France opérer des miracles, 
Nos palais devenir des salles de spectacles,
Et nos marquis, chaussant à l'envi l'escarpin, 
Représenter Hector, Sganarelle ou Crispin.
Dans ce siècle se développèrent plusieurs grands talents d'acteurs, Lekain, Larive, Mlles Clairon et Gaussin, dans le tragique; Molé, Préville, Dugazon, Mlle Contat, dans le comique. Les moeurs licencieuses de l'époque, la légèreté de la haute société qui ne voyait partout que le plaisir, donnèrent une sorte d'importance aux acteurs, qu'elle prenait pour malices et pour modèles, qu'elle admettait dans ses salons pour jouer la comédie avec eux. Malgré cette familiarité, elle garda toujours son rang vis-à-vis d'eux dans les relations purement sociales.

Vint la Révolution, qui, en effaçant toutes les distinctions de rang, de naissance et d'origine, en détruisant la religion qui anathématisait les acteurs, sembla les mettre su rang de tous les citoyens. On en vit plusieurs, en effet, comme chez les Athéniens, occuper des positions assez élevées dans les assemblées délibérantes, et même dans la haute administration d'alors; mais ils avaient quitté leur profession d'acteur. L'ordre politique, rétabli par Napoléon Ier, rendit les acteurs tout à leur art; et dans cette période, étendue jusqu'aux premières années de la Restauration, il s'éleva des talents distingués, tels que Talma, Mlles Duchesnois et Georges, dans la tragédie; Fleury et Mlle Mars dans la comédie; enfin, depuis 1830 Mlle Rachel qui procura encore une période brillante à la vieille tragédie de Corneille et de Racine.

L'opinion vulgaire attribue la rigueur de la censure publique qui atteint les acteurs à la facilité de leurs moeurs, en général, facilité provoquée par la nécessité où ils sont de jouer avec les passions. Ne pourrait-on pas dire que le préjugé qui pèse sur eux est une cause non moins puissante du relâchement qu'on leur reproche, et , que, par une sorte de capitulation de conscience, à laquelle la faiblesse humaine ne résiste pas toujours, il tend à les délier, en quelque sorte, de la règle commune? Quoi qu'il en soit, les préventions tendirent dans la seconde moitié du XIXe siècle à s'éteindre, et l'acteur honnête homme, galant homme, homme de talent, fut alors accueilli comme tel, sans que sa profession soit un obstacle à sa considération.

Hors de France, la condition des acteurs commença aussi par être fort misérable : l'Histriomastix (le fouet des comédiens), publié par Prynne en 1633, prouve combien les acteurs étaient méprisés en Angleterre. Plus tard, il se fit aussi une révolution d'estime à leur égard. Aujourd'hui, particulièrement en Angleterre, en Allemagne et dans plusieurs pays du nord de l'Europe, les grands artistes dramatiques sont plus honorés, plus haut placés qu'en France, jusque-là que des personnages de l'aristocratie n'ont pas cru déroger en épousant des actrices. Des lords et des pairs d'Angleterre suivirent le convoi funèbre de Garrick et de mistriss Odlefields; et les restes de Shakespeare et de Garrick reposent dans l'église de Westminster, auprès de la sépulture des rois.  (B. et C. D-Y.). 

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