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Abel

Abel  est un roi du Danemark (1250-1252), fils cadet de Waldemar II, dit le Victorieux. Son père avait, avant de mourir, partagé ses Etats entre ses quatre fils, sous la souveraineté royale d'Eric VI, l'aîné; Abel eut pour sa part le duché de Sleswig ou le Jutland méridional. Ce partage ne pouvait qu'engendrer la discorde et la guerre; elle éclata au commencement de 1241. Les trois jeunes frères s'assurèrent l'alliance du comte Adolphe de Holstein, dont Abel avait épousé la fille Mechtilde, et marchèrent contre le roi Eric. La guerre dura sept ans; Eric vainquit successivement les troupes de ses ennemis, s'empara de la ville de Sleswig et força Abel à lui demander la paix et à se reconnaître son vassal (1248). 

Deux ans plus tard, - Eric passait par le Jutland méridional, - son frère Abel, sous prétexte de resserrer les liens d'amitié qui l'unissaient au roi, l'invita à un festin près de Sleswig. Eric accepta sans défiance l'invitation de son frère et se rendit presque seul à l'endroit désigné pour l'entrevue, laissant bien loin derrière lui son armée. L'accueil fut des plus cordiaux; après le repas, les deux frères se mirent à jouer aux échecs, le jeu favori des Scandinaves. La partie durait déjà depuis quelques instants, lorsque Eric proposa à son frère une réconciliation définitive et sincère; Abel, qui n'avait préparé cette entrevue que pour satisfaire sa haine et sa jalousie, donna l'ordre d'arrêter Eric; le roi fut chargé de chaînes, jeté dans une barque et remis aux mains d'un seigneur danois nommé Gudmundson, qu'il avait autrefois exilé de ses Etats. Eric eut la tête tranchée et son corps fut jeté dans la Slie (1250). Des courriers furent envoyés de tous côtés et annoncèrent que le roi Eric était noyé dans la Slie, sans qu'on put parvenir à retrouver son cadavre.

Le Danemark tout entier avait accepté cette fable, lorsque des pêcheurs trouvèrent le cadavre du roi; la tête, seule manquait. Les pêcheurs parlèrent et la nouvelle que le roi avait été assassiné par son frère se répandit de tous côtés. Mais Abel avait pris toutes sortes de précautions pour s'assurer le trône; Eric n'ayant pas eu d'enfants mâles, et les États de Danemark devant bientôt se rassembler pour procéder, selon la coutume scandinave, à l'élection du roi, Abel fit jurer par six seigneurs qu'il était innocent du crime dont on l'accusait et posa sa candidature au trône; les Etats l'élurent roi du Danemark et l'évêque de Sund la couronna dans la ville de Roskild. Cependant; pour gagner le peuple qui paraissait ne pas accepter aussi facilement que les Etats son affirmation d'innocence, il rétablit les corporations municipales que les rois précédents avaient supprimées. 

Tout paraissait le favoriser et, soutenu par toute la noblesse, il semblait qu'il dût vivre sur le trône des années heureuses, lorsqu'il dut, en 1252, prendre les armes pour punir les Frisons qui avaient refusé de payer l'impôt; Abel pénétra dans leurs marais avec une armée et dans la première rencontre vainquit ses ennemis; mais le lendemain ceux-ci revinrent, l'attaquèrent à l'improviste, dispersèrent son armée et le tuèrent. Son frère, Christophe Ier, lui succéda. 

Les Danois ont pendant des siècles considéré Eric comme un saint et prétendu que des miracles s'accomplissaient sur sa tombe. En outre, une légende représente Abel le fratricide chassant, monté sur une jument noire, et parcourant les airs dans une course infernale, au son des cors assourdissants et suivi d'une meute en furie. Cette lugubre histoire des deux princes danois a fourni à OEhlenschlieger la matière d'un drame très remarquable, intitulé : Eric et Abel. (Adhémard Lecler).

Niels Henrik Abel est un mathématicien, né à Frindoë près de Stavanger (Norvège), le 25 août 1802, mort à Frolande-Vare, près d'Arendal, le 6 avril 1829. Il était fils d'un pauvre pasteur protestant et, contrairement à ce que l'on a prétendu parfois, il reçut une instruction soignée; en effet, l'on sait qu'à l'âge de treize.ans il suivait les leçons de l'école cathédrale de Christiania (Oslo), sans, faire du reste prévoir en rien, à cette époque, le plus grand génie mathématique du siècle. Trois ans plus tard seulement, sous l'influence d'Holmboë, mathématicien distingué lui-même, et nouvellement nommé professeur, il se mit à faire des progrès si extraordinaires que son maître étonné lui accorda une attention spéciale et par ses indications lui permit de lire le calcul différentiel d'Euler. A partir de ce moment, Abel travailla seul et, fut bientôt en état de produire des travaux remarquables. 
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Niels Abel.
Niels Abel (1802-1829).

Durant cet intervalle son père était mort, sa famille pauvre et nombreuse ne pouvait lui fournir les moyens de continuer ses études; heureusement pour les mathématiques, mais mal. heureusement peut-être pour Abel, quelques professeurs se cotisèrent pour lui venir en aide et finalement l'Etat lui accorda une petite pension, qui lui permit de suivre pendant deux ans les cours de l'université de Christiania. Vers la fin de ses études, il réussit à faire paraître son mémoire sur l'impossibilité de la résolution algébrique de l'équation générale du cinquième degré et quelques petits travaux. 

Paris, à ce moment, brillait du plus vif éclat; Lagrange, Poisson, Legendre, Cauchy et bien d'autres formaient l'état-major de la science européenne; Abel, encouragé par ses professeurs et ayant de plus pleine confiance en sa force, crut qu'il n'aurait qu'à leur présenter ce qu'il avait fait pour qu'il lui fût rendu justice. Le voilà donc parti après avoir réuni un peu d'argent, fourni par l'Etat et ses amis; il passe par Berlin, où il se crée quelques relations, entre autres celle de Crelle, alors aussi inconnu que lui; traverse l'Autriche, la Suisse et finale ment arrive à Paris, apportant quelques lettres de recom, mandation et surtout de beaux travaux. Il était alors âgé de vingt-quatre ans et le peu qu'il avait pu faire publier à l'étranger n'était même pas venu à la connaissance des mathématiciens français; aussi ne fit-on nullement attention à ce pauvre Norvégien, chaussé de gros souliers, timide, et ne sachant même peut-être pas très bien s'exprimer en français; et, lorsque son fameux mémoire sur les intégrales des fonctions algébriques fut présenté à l'Institut, il ne fut même pas lu, et alla avec bien d'autres s'engouffrer dans un tiroir. 

Pendant ce temps, l'auteur plein de confiance et d'espoir attendait avec impatience l'effet qu'il allait produire; on est navré en relisant les lettres qu'il écrivait à ce moment et qui ont été conservées; il fut, en effet, bientôt, désillusionné. Ne perdant cependant pas courage, il attendit encore, mais ses ressources s'épuisaient et enfin il fallut partir; l'on était au mois de janvier, Abel se mit en route à pied, le désespoir au coeur; il mit six mois pour le retour, après être resté le même temps à Paris, et lorsqu'il fut arrivé les mauvais jours n'étaient pas encore passés. Pendant près de deux ans, il attendit une place du gouvernement norvégien et lorsque enfin on lui eut trouvé une position sortable, il était trop tard; notre pauvre mathématicien était phtisique et mourut bientôt chez sa fiancée; près d'Arendal, à l'âge de vingt-six ans. 

Pendant ce temps, ses travaux répandaient son nom; Poisson, dit-on, trouva par hasard son fameux mémoire et en reconnut aussitôt la valeur; il se mit à la recherche de l'auteur; celui-ci était parti depuis longtemps, l'on ne savait ce qu'il était devenu et les lettres envoyées en même temps de Paris et de Berlin arrivèrent quelques jours trop tard. L'Institut avait partagé le grand prix de mathématiques entre Jacobi et Abel; la part de ce dernier. fut remise à ses héritiers. 

Pour plus de détails, voir l'introduction des OEuvres complètes d'Abel (édition Holmboë) ou une biographie très complète publiée due à Bjerknes, compatriote de l'illustre mathématicien.

Oeuvres d'Abel.
Abel est disciple d'Euler dont il a la clarté, mais il a subi, et cela de la façon la plus heureuse, l'influence de Lagrange, Gauss et Laplace, formant de la réunion des méthodes de ces maîtres un instrument de travail d'une puissance incomparable. Rarement il tourne une difficulté, le plus souvent il l'aborde de front avec une généralité, une ampleur de vue admirables; surtout jamais il ne cache (sauf peut-être pour les intégrales définies) les considérations qui l'ont conduit au résultat. En cela, il est le maître par excellence et si l'on y ajoute que, mort en pleine floraison de son talent, il a dû laisser une foule de travaux seulement ébauchés, l'on comprendra tout l'intérêt qui s'attache à l'étude de ses oeuvres. 

Les travaux de Jacobi, Hermite et tant d'autres, montrent tout ce qu'on peut en tirer, mais la source est si abondante qu'elle est loin d'être tarie. Les progrès qu'il 'a fait faire aux mathématiques ne sont pas tous consignés dans ses oeuvres, mais il a fourni l'impulsion et une somme d'idées nouvelles qui font de lui le plus grand génie mathématique qui ait existé.

La première découverte d'Abel, qui aurait suffi pour rendre célèbre un autre que lui, fut que, passé le quatrième degré, il était impossible de résoudre algébriquement les équations algébriques générales; il n'arriva à le reconnaître qu'après avoir essayé de trouver la solution directe par les méthodes Lagrange, et nous donne, dans un grand mémoire, malheureusement inachevé, les considérations qui l'ont guidé. L'introduction de ce mémoire (Oeuvres complètes, 2 volumes) est un vrai chef-d'oeuvre de philosophie et d'éloquence mathématique; et si simple, que n'importe qui peut la lire. 

Il fut ensuite tout naturellement conduit, par la suite de ses travaux sur les fonctions algébriques, à s'occuper des intégrales elliptiques, découvrit la double périodicité des fonctions inverses et développa leurs principales propriétés. Un grand traité publié après sa mort renferme ses principales découvertes à ce sujet et est un vrai modèle de l'emploi des coefficients indéterminés. 

A la même époque et par des procédés complètement différents Jacobi arrivait aux mêmes résulats; il ne peut y avoir rivalité à ce sujet entre les deux maîtres : chacun a découvert séparément la double périodicité et résolu le problème de la transformation; mais l'on ne peut s'empêcher de reconnaître la supériorité énorme d'Abel à ce moment; il eut du reste, sur Jacobi, l'influence la plus heureuse, surtout au point de vue de la clarté; c'est chose facile à reconnaître dans les oeuvres de ce dernier. 

Abel ne devait pas s'en tenir là; après les intégrales elliptiques, il s'attaqua aux transcendantes algébriques d'ordre supérieur : il donna, la fonction algébrique placée sous le signe étant connue, le moyen de déterminer le nombre des transcendantes simples réellement distinctes et les formules de réduction qui s'y rapportent (Théorème d'Abel). Tel fut en gros le sujet du mémoire presenté à l'Institut en 1826 aussi Jacobi a-t-il donné, avec raison le nom d'intégrales abéliennes à ces nouvelles transcendantes.

Dans le cours de ses recherches, Abel s'est trouvé amené à résoudre une foule de questions nouvelles et a fait ainsi nombre de découvertes intéressantes; c'est ainsi qu'en cherchant à exprimer une fonction elliptique au moyen de fonctions contenant des multiples de l'argument, il trouva une classe nouvelle d'équations résolubles, algébriquement et en obtint les racines par une méthode analogue à celle de Gauss pour les équations binômes. Ce sont les équations abéliennes; une racine s'exprime rationnellement au moyen d'une autre. En outre, il étudia à fond la question des fonctions symétriques et leur emploi dans l'élimination.

La convergence des séries préoccupait aussi beaucoup Abel; il a donné à ce sujet nombre de résultats intéressants; entre autres, dans une de ses lettres, l'on trouve cette remarque curieuse que si l'on différencie les deux membres d'une identité dont l'un est représenté par une série convergente, les deux résultats ne sont pas toujours identiques; c'est là la base de la théorie des fonctions qui n'admettent pas de dérivées. Enfin, il convient encore de citer ses mémoires sur les intégrales définies, pour lesquels il paraît avoir employé la théorie des fonctions génératrices, mais qu'il démontre par des méthodes ordinaires; et une étude très originale des intégrales de 3e espèce, considérées par rapport à l'argument. 

Ce qui précède suffit à montrer l'importance du travail d'Abel et ne peut que faire déplorer davantage la fin prématurée d'un tel homme. Le Gouvernement norvégien, après la mort d'Abel, confia à Holmboë le soin de réunir ses travaux tous écrits en français (Christiania / Oslo, 1835, 2 vol.); cette édition étant épuisée, Slov et Lie en ont fait paraître une plus complète, toujours aux frais de l'Etat (Christiania, 1881, 2 vol.). (Oltramare).

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