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Salomon

Salomon (personnage de la Bible) est le nom le plus illustre de l'ancienne histoire d'Israël après celui de son père, David. Il aurait été le troisième roi des Juifs, fils et successeur de David. Son règne nous est connu par les développements importants des livres bibliques des Rois et des Chroniques (Paralipomènes), 1 Rois, chap. 1 à XI; 1 Chroniques, passim à partir du chapitre XXII, 6 et 2 Chroniques, chapitres I à IX. Ces textes malheureusement appellent les plus sérieuses réserves; l'auteur du Livre des Rois a visiblement suppléé à l'insuffisance des renseignements qui concernaient un personnage aussi reculé (Xe siècle avant notre ère, date traditionnelle 1015 à 975 av. J.-C., date probable 970-960 à 940-930), par les développements que lui suggéraient les préoccupations dogmatiques et l'organisation rituelle du temps où il vivait lui-même (la rédaction des livres des Rois peut être rapportée aux IVe et IIIe siècles avant notre ère; celle des Chroniques, au IIe siècle av. J.-C.). Toutefois il faut noter que l'auteur des Rois renvoie ses lecteurs à un ouvrage antérieur, qui lui aurait fourni sa propre matière, tout au moins le cadre de son exposition, sans doute un mémorial où étaient consignés les faits essentiels de chaque règne. Par un scrupule, qu'on approuvera sans doute en une matière où les sources sont sujettes à caution, nous analyserons les textes bibliques dans leur ordre consacré, de façon à respecter l'impression que leur examen produit sur le lecteur.

D'une de ses femmes, Bethsabée, veuve d'un officier, dont il se serait débarrassé, rapporte-t-on, dans des circonstances odieuses, David avait eu un fils, Salomon, dit aussi Yedidyah (= cher à Yahvéh); cependant l'ordre de primogéniture désignait l'aîné des fils subsistants des mariages antérieurement contractés, un certain Adonias. Quand la fin de David parut proche, Adonias, appuyé par le chef de L'armée, Joab, et par le grand-prêtre Abiathar, convoqua ses partisans dans un sanctuaire situé dans le voisinage immédiat de Jérusalem, près de la source En-Roguel, afin qu'il fût procédé à son intronisation solennelle selon les formes du rite. Mais Bethsabée, très influente auprès de David, veillait; elle obtint du vieux roi l'autorisation de désigner son fils, Salomon, comme le successeur agréé de lui; autour d'elle se groupèrent un prêtre influent, du nom de Sadoc, le prophète Nathan et le chef de la garde royale, Benaïas. Il fut immédiatement procédé à la consécration officielle de Salomon dans un autre sanctuaire, situé, lui aussi, hors de l'enceinte de la capitale, celui de Guihon; Adonias se vit battu et fit sa soumission. David avait à peine fermé les yeux que Salomon prit ses précautions contre le renouvellement d'une tentative pareille, en faisant mettre à mort Adonias pour un prétexte qui n'apparaît pas clairement, égorger brutalement, et malgré la protection cherchée auprès d'un autel, Joab, dont l'énergie avait sauvé le trône de David dans des circonstances critiques, destituer et déporter le grand prêtre Abiathar, dont il n'osa pas faire couler le sang, peut-être par un scrupule de nature religieuse; un peu plus tard, il devait s'armer d'une circonstance futile pour ordonner le supplice d'un certain Séméi, de la famille de l'ancien roi Saül, de la part duquel il redoutait une compétition possible.

 « Ainsi, dit l'écrivain hébreu, la royauté fut affermie entre les mains de Salomon. » 
L'ensemble de ce qui se rapporte aux débuts de Salomon est généralement tenu pour à peu près digne de foi, bien qu'on sente l'effort fait pour atténuer le caractère des vengeances qui assombrissent l'avènement du fils de David.

Salomon faisait assez bonne figure pour être agréé comme gendre par un souverain d'Egypte, dont l'historien juif n'a pas su d'ailleurs nous dire le nom. À l'exemple des souverains étrangers, il se préoccupa d'élever des palais dignes de son rang, de fortifier sa capitale, enfin d'ériger à la divinité nationale, à Yahvéh, un temple qui remplaçât avantageusement les sanctuaires plus modestes, où la population israélite offrait jusqu'alors ses victimes, ce qu'on appelait les « hauts lieux ». Salomon avait adopté jusque-là le sanctuaire sis à Gabaon; mais il comprenait quel intérêt il y avait pour la jeune dynastie à posséder à Jérusalem un édifice, capable d'attirer le concours respectueux des foules. Ce fut le « grand oeuvre » de son règne, celui que la postérité devait célébrer sans se lasser. Le second trait qui donne à la physionomie de Salomon son allure très spéciale, c'est le don de la Sagesse, qu'il solicite et obtient de la divinité, dans ce même sanctuaire de Gabaon, qui jouissait alors du plus grand crédit. 

« Puisque tu ne demandes pour toi, répond la voix céleste à son adorateur, ni une longue vie, ni des richesses, ni la mort de tes ennemis, et que tu demandes l'intelligence pour pratiquer la justice, voici, j' agirai selon ta parole. Je te donnerai un coeur sage et intelligent, de telle sorte qu'il n'y aura eu personne avant toi et qu'on ne verra jamais personne de semblable à toi. »
On croit sentir ici quelque influence de l'hellénisme, bien que la forme du privilège concédé à Salomon soit nettement juive et que la Sagesse soit prise au sens un peu étroit de la finesse et du tact apportés dans l'exercice des fonctions judiciaires, dont l'Orient confie la charge au monarque. Salomon est, de plus, présenté comme un «-savant-», le créateur de la littérature gnomique, l'observateur dont le regard pénétrant connaît les secrets du monde végétal et animal, comme il descend dans les profondeurs du coeur humain. Le roi donne aussitôt la preuve de sa nouvelle acquisition en rendant, dans une situation difficile, l'ingénieuse décision, dite «-Jugement de Salomon ».
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Jugement de Salomon.
Le Jugement de Salomon représenté dans la Chronique de Nuremberg (fin du XVe siècle).

Avant de passer au détail de la construction du Temple, l'écrivain nous expose comment le territoire israélite fut réparti entre douze intendants ou fermiers, chargés d'alimenter la cour royale à tour de rôle pendant un mois chacun. Il ajoute que le bien-être était général et qu'à l'éclat du trône répondait l'aisance des populations.

Ces données sont malheureusement trop incomplètes pour nous permettre de reconstituer le régime « économique » de l'époque. Mentionnons ici l'érection d'un palais fastueux, destiné à servir d'habitation au monarque, où se remarquait l'emploi de pierres de taille de dimensions exceptionnelles et de bois de cèdre pour les colonnesportant une série de plafonds, pour la charpente et les revêtements. 

Sept années furent consacrées à l'édification du Temple. Jusqu'alors Jérusalem ne possédait que de modestes lieux de culte. On a vu que Salomon lui-même et son rival Adonias avaient été demander la consécration rituelle à deux sanctuaires sis hors de l'enceinte. Quant à la tente sous laquelle David aurait installé une « arche de Dieu », c.-à-d. un coffret-litière emprunté à un lieu de culte provincial et dont on rapportait l'origine aux souvenirs les plus anciens de la nation, il ne paraît pas qu'elle eût éclipsé les lieux de culte précédemment existants; nous estimons que, au temps de Salomon, tout restait à faire en ce qui concernait la fondation d'un sanctuaire, capable d'abord de rivaliser avec les lieux de culte fameux de Sichem, de Béthel, de Hébron, de Gabaon, de Bersabée, puis de les supplanter, ce qui n'eut lieu qu'à une époque beaucoup plus récente, après Esdras et Néhémie. Il semble que l'Egypte pouvait fournir des modèles, des architectes et des chefs de chantiers; on est étonné de voir Salomon réclamer le concours du roi de Tyr, Hiram. Cela se comprend pour les bois de cèdre et de cyprès, qu'on pouvait transporter par radeaux jusqu'à Yapho (Jaffa); mais l'auteur du Livre des Rois fait fournir également les pierres de taille, de dimension exceptionnelle, par les carrières du Liban, tandis que l'examen a établi qu'elles proviennent de la région jérusalémite elle-même. 

C'est encore un artiste phénicien, Hiram de Tyr, qui dirigea les délicats travaux de fonte et de fabrication des objets métalliques, depuis les deux colonnes monumentales dressées en avant du Temple jusqu'au plus vulgaire matériel de la cuisine sacrée. En résumé, un édifice de 35 m de longueur environ, 10 de largeur, 15 de hauteur, divisé en trois salles : portique, grande salle, sanctuaire, par deux cloisons intermédiaires, flanqué sur trois côtés de chambres en étages ayant leur issue sur l'extérieur, s'éleva au centre d'une plate-forme, distribuée elle-même en plusieurs enceintes. Le tout réclama un effort énorme, des dépenses excessives, une main-d'oeuvre prodigieuse, dont la «-corvée » seule fournit l'explication. Le talent des artistes eut libre carrière dans l'orfèvrerie et la décoration. En dehors des fournitures en matière (huile, froment) par lesquelles Salomon payait le concours du roi Hiram, il est question d'une cession de territoire. En somme, cette description, dont les détails sont souvent curieux, mais qu'il est impossible de tirer au clair et de reconstituer sans y mettre beaucoup du sien, nous laisse perplexe. Nous sommes disposé à admettre que Salomon a construit, le premier, un sanctuaire qui pût être comparé aux temples de l'étranger; nous admettons aussi que, en l'absence d'ingénieurs, d'architectes et d'artistes du pays, il ait fait appel aux ressources des contrées avoisinantes.

Ici nous nous arrêtons. Notre principal motif de doute est tiré de cette circonstance, que le livre des prophéties d'Ezéchiel datant, selon l'opinion généralement adoptée, du VIe siècle avant notre ère, et peut-être de date plus récente, propose un plan du temple idéal et théorique qu'il rêve, absolument conforme dans ses grandes lignes à celui que Salomon aurait exécuté, avec le concours des étrangers, quatre siècles auparavant; j'ajouterai que la description des livres des Rois n'est intelligible en maint endroit que si on l'éclaire par les données, beaucoup plus cohérentes et logiques, de la prophétie d'Ezéchiel. J'en conclus que le prétendu « Temple de Salomon » n'est, en réalité, qu'une nouvelle édition, qu'une reproduction sommaire du « Temple d'Ezéchiel ». Je me demande aussi comment un édifice, construit dans des conditions aussi extraordinaires de solidité, aurait réclamé les perpétuelles réparations, dont il est fait mention dans les livres des Rois. Il faut donc, d'après nous, sacrifier complètement l'authenticité des données concernant l'édifice sacré qu'érigea Salomon; cela vaut mieux peut-être que d'en ruiner les détails un à un, en en faisant ressortir l'inexactitude, l'exagération, l'invraisemblance, l'impossibilité matérielle. Prenons comme exemple l' «-arche divine-», qui serait la même que Moïse avait fait établir au pied du Sinaï, qu'avait possédée le sanctuaire de Silo, que David aurait installée à Jérusalem; elle renfermait, prétend-on, les tables de la loi, autrement dit les Dix commandements. Or, c'est là une vue spiritualiste d'époque beaucoup plus récente, ces sortes de coffrets ayant très certainement recélé, dans le principe, des simulacres et emblèmes divins. Enfin, la cérémonie d'inauguration, le discours si significatif placé à cette occasion dans la bouche de Salomon, lequel s'élève à cette hauteur philosophique

 « Mais quoi! Dieu habiterait-il vraiment sur la terre (dans le temple inauguré à cette heure), lui que les cieux ne peuvent contenir, et bien moins encore la maison que je lui ai bâtie ?»
Tout cela nous transporte à une époque de maturité intellectuelle, de développement théologique et moral, où l'on sent le retentissement de l'esprit grec. Dans ce même discours, il est question de la déportation à Babylone et de la restauration d'Israël sur le sol natal.

Après le Temple, à la haute direction duquel fut préposé Sadoc, sans doute l'ancien chef du clergé gabaonite, devenu ainsi la tige du sacerdoce jérusalémite, Salomon poursuit l'achèvement de travaux d'embellissement, de luxe ou d'utilité publique. Les places frontières sont fortifiées et munies d'arsenaux ou magasins. Salomon équipe une flotte à Elath (Akaba), sur la mer Rouge, avec l'aide du roi de Tyr, Hiram, qui lui fournit des ouvriers et des matelots; ces vaisseaux rapportent des matières précieuses et des objets rares, qu'ils vont chercher à Ophir (sans doute, entrepôt de l'Arabie méridionale, d'autres proposent l'Inde). L'auteur tient à mentionner que la population israélite ne fut pas astreinte aux « corvées », sans lesquelles tous ces travaux n'auraient pu être entrepris, mais que ce dur impôt du travail forcé retomba sur la vieille population indigène. 

La reine de Saba, des profondeurs de l'Arabie, entend vanter le luxe, mais surtout la «-sagesse-» de Salomon; elle vient s'en assurer et s'aperçoit que les récits
à elle parvenus étaient fort au-dessous de la réalité. Hors d'elle-même, rapporte l'écrivain juif, elle dit au roi : 

« C'était donc vrai ce que j'ai appris dans mon pays au sujet de ta position et de ta sagesse! Je ne le croyais pas avant d'être venue et d'avoir vu de mes yeux. Et voici, on ne m'en a pas dit la moitié ».
D'ailleurs, le zèle religieux de Salomon ne se dément pas, et il lègue un exemple mémorable à ses successeurs par la fastueuse exagération de ses offrandes. D'autre part, partout l'ivoire, l'or, les bois rares et - nouveauté qui tirait les regards - le luxe des chevaux et des attelages, de provenance égyptienne.

Un document, assurément de provenance autre que celui qui vient d'être analysé, s'inspire de cette réflexion chagrine, que la mort de Salomon devait marquer la rupture du lien qui avait réuni les douze tribus d'Israël sous son règne et sous celui de son père. L'écrivain croit avoir trouvé la raison de ce fâcheux événement - et il la signale - dans les facilités que Salomon, sollicité par ses épouses d'origine étrangère, aurait données aux religions voisines, des Moabites, Ammonites, Edomites, Sidoniens. Ce reproche nous paraît sans signification pour l'époque. D'une part, la tolérance de la religion, et tout particulièrement du culte, était la pratique constante, les sanctuaires de n'importe quel vocable s'ouvrant à tous et offrant aux solliciteurs la participation aux vertus surnaturelles dont ils étaient détenteurs; d'autre part, les princesses étrangères et les colonies des peuples voisins avaient droit à pratiquer le culte de leur nation dans les villes internationales, telles que Jérusalem. La présence d'édicules dédiés aux divinités de Moab, d'Aramon, etc., n'impliquerait, en aucune façon, de la part du monarque régnant, une atteinte aux droits de la divinité nationale, Yahvéh. On mentionne enfin une tentative de révolte en Edomie, mais qui semblé dater des débuts du règne de Salomon, et l'hostilité du prince de la Syrie damascène; en dernier lieu, l'écrivain note les inquiétudes que causa à Salomon le crédit pris par un certain Jéroboam, chef des «-gens de corvée de la maison de Joseph-» ; il l'écarta, le soupçonnant de provoquer un mouvement sécessioniste, ce qui eut lieu en réalité après sa mort. Salomon meurt après quarante ans de règne (chiffre rond, partant suspect, le même que David) laissant son trône à Roboam, son fils.
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Salomon.
Salomon, musicien. Miniature médiévale du Psautier de saint Augustin.

Les Chroniques n'osant s'inscrire en faux contre l'attribution du Temple à Salomon, cherchent à amoindrir son initiative en prêtant le même dessein à David; mais la divinité s'y étant opposée, celui-ci dut se borner à accumuler les matériaux, que son fils mettrait en oeuvre. 

« Par mes efforts, aurait dit David à son fils, j'ai préparé pour la maison de Yahvéh 100 000 talents d'or, 1 million de talents d'argent et une quantité d'airain et de fer qu'il n'est pas possible de peser [...]. J'ai aussi préparé du bois et des pierres, et tu en ajouteras encore. Tu as auprès de toi un grand nombre d'ouvriers, des tailleurs de pierre et des charpentiers et des hommes habiles dans toute espèce d'ouvrages. L'or, l'argent, l'airain et le fer sont sans nombre. Lève-toi et agis, et que Yahvéh soit avec toi ! »

David aurait également organisé à l'avance tous les services du Temple, notamment le chant sacré. Salomon est ici réduit au rôle de simple agent d'exécution.

Nous ne suivrons pas tels de nos devanciers dans leurs appréciations d'un prince ancien, qu'on a tantôt dénigré avec âpreté, tantôt vanté sans mesure. En somme, les livres bibliques lui sont favorables. Il sut maintenir le royaume fondé par David, il lui assura un éclat nouveau, il créa un centre religieux destiné à une haute fortune. Ses sujets durent-ils payer cet éclat par de lourds impôts, qui auraient accéléré la décomposition du royaume? 

On l'a prétendu, sans preuves positives; on  pourrait aussi prétendre qu'il l'a retardée, l'unité politique d'Israël n'ayant jamais été solide (pour lui assurer la durée, il aurait fallu que Juda acceptât l'hégémonie d'Ephraïm et que Sichem devint la capitale commune), et l'unité religieuse ne devant être consommée qu'au IVe siècle avant notre ère par le monopole reconnu au temple de Jérusalem. De quel droit nous inscrire en faux contre l'opinion traditionnelle?

Les Juifs puritains ont cherché à jeter l'ombre sur le prétendu fauteur de l'idolâtrie étrangère; en dépit de ces attaques, Salomon est et reste le fondateur du Temple, c.-à-d. de la « fortune d'Israël ». D'autre part, il est le représentant de la sagesse, le modèle du discernement moral, de la pénétration judiciaire. Son nom placé en tête d'écrits gnomiques, l'Ecclésiaste, les Proverbes, la Sapience et, dans un ordre d'idées un peu différent, du Cantique des Cantiques, leur a assuré la durée. (Maurice Vernes).

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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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