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La religion
Aperçu
L'émotion religieuse et les formes de la religion.
Méthode de la science des religions.
Les définitions de la religion.
Les formes primitives de l'émotion religieuse.
Les formes primitives des dieux.
Le culte.
La magie.
La notion du sacré et de l'impur.
Évolution du sacrifice et de la prière.
L'animisme et le culte des morts.
Les mythes.
La métaphysique religieuse et le symbolisme.
Le sacerdoce
La religion et la morale.
Classification des religions.
Avenir de la religion.
La religion et la morale.
L'eschatologie. Nous avons traité jusqu'ici du développement de la religion, comme si elle n'avait nulle connexion avec la morale; c'est qu'aux premiers stades de l'évolution, il en est bien ainsi. Partout nous retrouvons des règles de moralité sociale, partout, quoi qu'en aient dit certains anthropologistes qui n'avaient pas coutume de lire avec assez d'attention les documents dont ils se servaient, des coutumes et des idées religieuses, mais nul lien nécessaire n'apparaît entre elles; l'éthique et le culte des dieux sont indépendants l'un de l'autre. Les dieux n'ont pas souci de la manière dort se comportent les hommes les uns à l'égard des autres; lorsqu'ils tirent vengeance d'un crime, c'est que ce crime a été commis contre eux, qu'il les a personnellement et directement lésés. C'est l'explication des phénomènes qui les entourent, ce ne sont pas des sanctions aux lois morales qu'ils conçoivent que les non civilisés cherchent et trouvent dans leurs diverses mythologies. La morale est chose essentiellement humaine et sociale, et ce n'est qu'à une époque relativement récente que les coutumes qui réglaient les rapports des hommes entre eux sont montées jusqu'au ciel, pour cri redescendre revêtues de l'autorité toute nouvelle de décrets divins. Mais à mesure que s'anthropomorphisait davantage la conception que l'on se faisait des dieux, on identifiait plus complètement à la société humaine la société divine; il devenait donc inévitable que l'on supposée qu'à ces mêmes règles qui régissaient les relations des hommes étaient aussi soumis les maîtres surhumains du monde. Il était naturel que l' on vînt à penser qu'ils les aimaient, qu'ils en protégeaient l'exacte observation, qu'ils les avaient eux-mêmes créées.

Les dieux, du reste, étaient conçus par leurs adorateurs à leur propre image; à mesure qu'ils se moralisaient eux-mêmes; ils embellissaient les effigies divines des vertus qu'ils avaient presque inconsciemment pratiquées, puis plus nettement conçues. Le caractère social du culte d'ailleurs, l'élément d'abnégation qui trouve place dans certains des rites sacrificiels, l'arrachement à soi-même et à ses intérêts matériels que provoque dans les âmes l'approche du divin, l'affection désintéressée que suscitaient chez ses adorateurs les bienfaits de leur dieu, l'amour plus intime et plus profond qui naissait les uns envers les autres chez les membres d'une communauté religieuse de la conscience d'être tous ensemble unis en un même corps surnaturel avec leur Protecteur tout-puissant, dont ils se sentaient en commun les enfants, tout cela, sans avoir nettement le caractère impératif d'une loi morale, préparait l'union qui devint, en certaines religions, singulièrement intime des règles éthiques et de la foi mystique dans les Puissances divines qui gouvernent l'univers. La primitive indépendance de la morale et, de la religion a laissé cependant des traces évidentes dans la conception que les non civilisés se font de l'autre vie, que très généralement ils se représentent comme une continuation de la vie terrestre et non pas comme une compensation ou une réparation. Le pays des morts est fort semblable au pays des vivants, les mêmes habitudes y règnent, les mêmes usages, le même genre de vie; et dans ce monde pareil au monde qu'éclaire le soleil, les méchants et les bons, et j'entends parler ici de la bonté et de la méchanceté mesurées à l'échelle des hommes qui entretiennent cette conception de la vie future et pesées à leurs balances, ont même destinée. Si quelque différence apparaît dans le traitement réservé à ceux qui ne sont plus, il résulte du rang qu'occupait un homme dans sa tribu, de sa situation sociale, de sa richesse, de son genre de mort, de la puissance magique qui est en lui, de son degré d'intelligence et de vigueur, qui lui permettent de surmonter plus ou moins heureusement les obstacles qui hérissent la route qui conduit à l'Hadès, de l'accomplissement ou du non-accomplissement des rites funéraires par ses parents et ses amis, jamais, à l'origine, de ses qualités morales, de ses vertus, de ses vices. Et en fait, le roi demeure roi au pays des morts, l'esclave demeure esclave, celui qui a été malheureux et malade voit se continuer sa maladie et sa misère, et le bonheur suit au delà du tombeau l'homme qui en a joui sur cette terre. Lorsque l'union commence à se faire entre les notions morales et les idées religieuses, Isiaque déjà les dieux et les esprits, jadis principes d'explication des phénomènes cosmiques, sont devenus les gardiens des lois de l'action humaine, les juges de la conduite des hommes, les équitables rémunérateurs du bien et du mal, les récompenses et les châtiments, qu'ils dispensent aux mortels, se limitent longtemps à la vie présente, et la vieille croyance naturiste règne encore maîtresse incontestée dans le domaine de la mort.

Il semble que le châtiment d'outre-tombe, réservé aux actes de violence, d'improbité ou de perfidie, ait été tout d'abord affaire privée et que ce soit ainsi que la notion d'une sanction posthume de la conduite terrestre se soit créée dans les 'âmes. Ce sont, à l'origine, les victimes et leurs amis qui tirent dans l'Hadès vengeance des meurtriers s'ils le peuvent, Mais l'autorité des deux s'accroît en même temps que l'image que l'on se fait d'eux s'ennoblit et se spiritualise; non contents de châtier les crimes qui les atteignent directement, ils châtient ceux dont sont victimes leurs serviteurs dévoués, leurs adorateurs fidèles. Lorsque, d'ailleurs, la pratique se généralise du sacrifice communiel et des rites par lesquels se noue l'alliance du sang entre un dieu et les membres d'un clan ou d'une confrérie, l'union se l'ait plus intime et plus étroite entre le protecteur surhumain et ceux qui se réunissent autour de son autel; il en vient à être considéré comme faisant partie intégrante du groupe, comme formant avec ses adorateurs une seule chair, un seul être aux multiples manifestations; ce qui les lèse le lèse, ce qui les offense l'offense. Tout crime commis contre l'un d'entre eux l'atteindra et le blessera directement, et ce sera pour lui un devoir, en raison des impérieuses obligations de clan, d'en tirer vengeance, un devoir aussi de continuer au delà de la tombe, à ceux qu'unissent à lui les liens infrangibles du sang, la bienveillance protectrice, l'affectueuse et paternelle assistance qu'il leur a accordée durant leur vie terrestre. Peu à peu les dieux apparaissent, les dieux du moins qui habitent le pays des morts, comme des juges qui étendent leur juridiction sur tous les actes des hommes et punissent même celles de leurs fautes qui ne les lèsent point eux-mêmes.

L'idée une fois créée du dieu juge, une association par contraste a naturellement fait apparaître celle du dieu distributeur de récompenses, du dieu qui répare dans l'autre vie les injustices de ce monde. La satisfaction des impérieux besoins d'équité que déçoit la vie présente a été graduellement reportée à la vie à venir, si bien que si la croyance est encore enracinée au cour de la plupart des hommes que l'âme est immortelle et qu'ils ne périront pas tout entiers, qu'en dépit des apparences contraires, la pensée et la conscience demeurent vivantes, et vivantes d'une vie personnelle, c'est pour des raisons morales qu'ils le croient.

La pénétration s'est donc faite lentement des idées morales dans la vie religieuse, des conceptions religieuses dans la pratique des vertus sociales, et, de nos jours, on plus exactement, à la période qui s'achève à l'heure actuelle du développement des nations civilisées, la fusion s'est produite si complète entre ces deux ordres de notions et de sentiments primitivement indépendants, que l'éthique o envahi le domaine entier du divin et que, pour beaucoup d'esprits, l'âme même de la foi est une inspiration morale, un effort pour s'affranchir de la sujétion du mal et accroître en son coeur le respect du devoir et l'amour passionné du bien, tandis que, d'autre part, la morale purement humaine, la morale qui a pour seul principe le désir de conformer notre vie, à un modèle idéal, de la faire plus harmonieuse, plus vivante, plus pleine, et d'associer à notre progrès nos frères en humanité en nous unissant à eux en un sentiment d'amour, leur apparaît corme un ensemble de formules vides dépourvues d'efficacité et de vertu
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Cette étroite association de l'émotion religieuse et des règles de lu conduite a eu pour conséquence que les notions morales ont pu devenir les symboles qui la représentent et lui imposent une forme définie. La morale constitue dès lors la forme extérieure de la religion, la religion devient l'âme de la morale. Le rôle des anciens symboles est par là nécessairement réduit et il va diminuant graduellement, puisque des symboles nouveaux, des images plus abstraites, plus semblables déjà à des concepts, des images sociales et des idées aussi, des idées morales, des conceptions à demi métaphysiques se sont substituées à eux et ont assumé la fonction, qu'exerçaient seuls naguère les mythes, d'incarner en des représentations imaginables et intelligibles la confuse émotion du divin.

Il faut néanmoins avouer que dans les religions naturistes cette pénétration ne s'est jamais achevée entre le culte, les rites, les légendes mythiques d'une part et les règles éthiques d'autre part. A coté de la morale sociale et de la moralité intérieure, a toujours subsisté une moralité cérémonielle et rituelle, qui seule apparaît aux fidèles comme proprement et spécifiquement religieuse, et, d'autre part, les dieux continuent à se désintéresser en quelque mesure de bon nombre des manifestations de l'activité humaine. Il s'en faut d'ailleurs, que même transformées par l'interprétation allégorique, leurs aventures, dont le sens cosmique est souvent méconnu, puissent offrir à la conduite humaine de parfaits modèles, au jugement même de leurs adorateurs.

Si certaines vertus, telles que la chasteté, prennent en quelques religions une valeur très haute, ce n'est pas en raison de l'excellence morale qu'on leur suppose, mais en raison de notions d'ordre mystique ou magique, relatives à la pureté cérémonielle. La probité, la loyauté, l'amour du prochain, n'entrent point en balance dans l'appréciation de la valeur religieuse d'un homme avec la fidèle observation des rites. Dans le polythéisme hellénique ou latin, il y a une dissociation évidente entre les vertus religieuses et les vertus sociales, encore que parfois une apparente confusion puisse résulter de ce fait que certaines d'entre elles, telles que l'hospitalité, sont revêtues du double caractère d'obligations morales et de prescriptions sacrées. Si toutes les religions étaient des religions naturistes, la théorie soutenue par Benjamin Constant que la racine du sentiment religieux est dans la conscience du péché et de la misère morale de l'homme n'aurait même pu être édifiée, elle eut apparu en trop évidente contradiction avec les faits. La plupart des théologiens ont donné à cette notion du péché la place centrale dans la religion, mais c'est que ceux mêmes, dont l'esprit était le plus émancipé et le plus libre, étaient d'éducation chrétienne et voyaient toute religion à travers les enseignements de l'Évangile. Et ici nous est fourni le seul principe de classification des diverses religions qui ait vraiment, en fait, une valeur et une portée universelles : leur division en religions naturistes et religions éthiques. (L. Marillier, ca. 1900).

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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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