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L'occultisme

On peut grouper sous le nom d'occultisme un ensemble d'idées, de tendances constituant un domaine intermédiaire entre celui du surnaturel et celui de la raison, entre la religion et la science. C'est une croyance extrêmement répandue que celle de faits échappant à toute explication rationnelle et manifestant l'intervention de forces, d'êtres, de volontés généralement inaperçus, qui interviennent dans les affaires humaines ou dans la marche de l'univers d'une manière pour nous arbitraire. Sous sa forme la plus précise, celle du miracle, cette croyance au surnaturel semble à peu près inséparable de l'idée même de religion, le miracle étant la preuve sensible de l'existence de la divinité révélée par des phénomènes que les lois rationnelles sont impuissantes à expliquer. Seulement les progrès de la science et de la critique ont établi que jamais un miracle ne s'était produit en un lieu où il se trouvât des humains capables d'en vérifier la réalité. Les faits qui semblaient jadis surnaturels ne paraissaient tels qu'à notre ignorance; la plupart ont reçu une explication rationnelle, et la conviction s'est enracinée qu'il n'y a d'autres bornes au domaine de la loi scientifique que celles de la perception humaine. Tout ce qui peut être perçu, c.-à-d. senti ou connu par nous à quelque titre que ce soit, est ou pourra être ramené à des lois abstraites. Un nombre chaque jour plus grand de personnes imbues de la culture rationnelle écartent toute idée de surnaturel. La supériorité de la pensée moderne s'affirme à leurs yeux par la substitution des notions scientifiques aux croyances religieuses qui malgré d'ingénieux efforts et des concessions variées, sont inconciliables. Nous n'insistons pas sur cette question, et nous nous contenterons d'examiner ce que furent et ce que deviennent, au moment de l'éviction du surnaturel par la science, les idées occultistes.

La prétention de leurs adeptes fut de tout temps d'étendre leur connaissance et leur pouvoir sur des forces différentes des forces matérielles et susceptibles pourtant d'être étudiées et méthodiquement employées. Ce domaine des sciences occultes, distinct de celui du surnaturel, puisqu'il demeurait accessible à l'action humaine, a été de plus en plus restreint par les progrès de la science rationnelle. Toutefois, aujourd'hui encore, ces idées ont de nombreux partisans et, fidèles à notre règle d'impartialité, nous avons confié à l'un d'eux l'exposé de leur système. On le trouvera plus loin. Ces théories nous paraissent une survivance des époques antérieures où la notion de loi scientifique n'était pas clairement dégagée. L'oeuvre des savants a été précisément d'éliminer cette part de mystère qu'on mêlait autrefois aux pratiques et aux théories scientifiques. Écartée des sciences exactes, elle tend à se confiner dans le champ encore obscur des rapports du physique et du moral. Quant aux imaginations développées par quelques écrivains occultistes sur la primitive histoire de l'humanité, elles sont purement fantaisistes. Avant d'en arriver à l'exposé de l'occultisme contemporain, il nous faut retracer brièvement les données les plus générales et l'historique de ces sciences du surnaturel, desquelles se sont peu à peu dégagées les sciences proprement dites, rejetant un encombrant résidu de superstitions qui n'ont plus d'intérêt que pour l'étude psychologique des diverses sociétés humaines.

A l'origine, les conceptions occultistes remplissent l'horizon tout entier; elles forment un amalgame confus d'où se dégageront ultérieurement la religion et la science confondues à ce stade de l'évolution. Les premières généralisations de l'animisme expliquent tout phénomène par l'action d'esprits semblables au nôtre. Ainsi que l'ont montré les premiers sociologues, notamment Spencer, pour ce qu'ils appellent le sauvage, l'immatériel, l'invisible paraît aussi réel que le matériel. Un nuage se forme, se dissout sur place; que dire du vent dont on sait l'irrésistible violence? de l'ombre, du reflet? Les mirages montrent tour à tour au même endroit des objets fort divers. Les métamorphoses des insectes imposent la notion des transformations inattendues d'un même être. Les pétrifications, les fossiles témoignent qu'elles s'étendent de la nature vivante à l'inanimée. Le rêve conduit à distinguer du corps l'âme qui se promène au loin, accomplit les actes les plus variés, tandis que le corps demeure à la même place à peu près inerte. Une généralisation bien facile assimile la mort à un sommeil prolongé, à une émigration définitive de l'âme, d'autant plus que les survivants revoient en rêve les morts qu'ils ont connus. Les constatations de la vie courante aboutissent donc sans grand effort à cette idée que le monde est peuplé d'âmes, esprits, souffles, auxquels on attribue tout événement dont la cause échappe. L'animisme, le spiritualisme est à la racine de toute notre évolution mentale. Il n'en est pas le résultat, mais le point de départ. Refoulé dans un domaine de plus en plus étroit, à mesure que s'agrandit à ses dépens celui de la science rationnelle, il survit obstinément dans les religions et dans l'occultisme.

Dès cette phase qualifiée de primitive où se confondaient en une généralisation inconsciente des rudiments confus et grossiers de philosophie religieuse et scientifique, la pratique intervient à coté de la théorie. On s'efforce d'entrer en relations avec les esprits; des habitudes s'établissent à ce sujet, des règles sont posées, et voilà le culte avec ses rites. On s'efforce d'utiliser les concomitances, les correspondances que l'observation révèle dans les phénomènes naturels et d'en tirer parti par l'intermédiaire des esprits auxquels on les attribue; on veut faire de ceux-ci des instruments au service des intérêts et des passions humaines; cet art est la magie, la sorcellerie, dont le rôle fut et demeure immense.

Sous ce nom de magie, d'art des anciens mages de l'Iran (Perside, Médie), on a réuni une masse de croyances et de pratiques dont le caractère commun est de dépasser les effets et les causes que leur régulière succession a conduit les humains à regarder comme naturels., ll est malaisé de définir les limites de la magie et de la religion, car la religion adopte souvent des pratiques magiques (c'est le cas, par exemple, de la transsubstantiation qui, par le pouvoir des formules et du prêtre, est censée changer la nature de l'hostie et du vin en chair et en sang); et d'autre part, l'efficacité des pratiques magiques est fréquemment attribuée à l'intervention d'êtres divins. Toutefois, la magie prétend être un art se suffisant pour ainsi dire à lui-même et dont les résultats sont obtenus par la volonté du magicien dominant les puissances naturelles ou divines au moyen des formules dont il a le secret. Il peut évoquer le fantôme des morts pour les questionner, pour les envoyer tourmenter les vivants, faire pénétrer les esprits dans le corps d'un humain ou d'un animal ainsi obsédé ou possédé. C'est par l'intermédiaire des esprits qu'il peut déchaîner le vent, faire tomber la pluie, donner ou guérir les maladies, ressusciter les morts. Il sait lire dans les phénomènes naturels les intentions des dieux; le cri des oiseaux, les combinaisons des astres lui révèlent les événements inconnus passés et même futurs; c'est là une branche spéciale qui s'est développée séparément, la divination. Elle est arrivée à coordonner ses méthodes au point de se détacher presque de l'occultisme.

Si nous jugeons la magie du point de vue expérimental et rationnel, ce qui la caractérise, c'est qu'elle n'est pas réelle. Aucune de ses prétentions n'est justifiée. Ses méthodes se présentent parfois avec une cohérence théorique, mais jamais elles ne produisent aucun résultat pratique; elles n'ont donc pas de tendance à se perfectionner; certaines de ces formules ou de ces règles se sont transmises depuis des milliers d'années toujours les mêmes, à l'opposé des recettes qui correspondent à un effet, réel et que l'expérience perfectionne au cours des âges. Cependant, dans les pays et les époques où les idées occultistes sont dans toute leur force, des, éléments réels sont mélangés aux pratiques de sorcellerie et de magie; mais ils tendent à s'en détacher successivement pour constituer les sciences exactes. La valeur intrinsèque des formules étant nulle et tout l'effet tenant aux pratiques positives, celles-ci seules étaient susceptibles de progrès et se sont développées par l'expérience accumulée, de manière à devenir des spécialités distinctes.

Parmi les sociétés archaïques, le rôle de la sorcellerie, l'importance du sorcier sont énormes. Les natifs de l'Australie ont leur existence entière dominée par cette croyance et par la terreur du sorcier. Ne concevant la mort que violente, ils rapportent tous les cas de ce que nous appelons mort naturelle à un méfait des êtres invisibles; de même toute maladie. Si un humain est malade, c'est qu'un esprit a pénétré dans son corps; l'Australien sent la piqûre que fait le sorcier au moment où il s'enfonce et la compare à celle d'une pointe de cristal de roche; avec un cristal, le sorcier ami pourra extraire du corps malade l'esprit hostile, sans quoi celui-ci le dévore peu à peu et le malade meurt de consomption. Le sorcier peut aussi venir invisible tuer sa victime endormie, en la frappant avec un os de kangourou. D'autres fois, il se contente de s'emparer d'une mèche de cheveux, et, en la brûlant, il fait périr celui auquel ils appartenaient. Quand un humain meurt, le premier soin des Australiens est donc de rechercher le sorcier qui l'a tué pour en tirer vengeance; c'est aussi leur préoccupation quand un d'eux tombe malade; la guérison est demandée au sorcier ami, qui cherche à enfermer le charme, l'esprit hostile dans une pierre, dans un os de poisson, ou à la faire sortir le long d'une corde dont il tient l'autre extrémité entre ses dents. C'est aux sorciers qu'on attribue l'orage, l'éclair, le tonnerre; on suppose qu'ils peuvent se mouvoir dans le ciel, invisibles, sauf aux autres sorciers. On regarde les étoiles filantes et les comètes comme présages de catastrophes. 

Chez toutes les peuples nous rencontrons le sorcier (souvent identique au prêtre), qui est un des dirigeants des tribus peu civilisées. Dans les îles d'Océanie, les Européens trouvèrent une classe de sorciers dont l'influence s'exerçait principalement sur les malades; il est bon d'observer que, dans ce cas, l'art magique peut produire Un effet réel, non pas par ses pratiques, mais par suggestion sur le patient; on sait combien est considérable à cet égard l'influence morale du médecin; il y a tout un groupe de maladies où la conviction qu'a le patient de l'efficacité des exorcismes petit suffire à lui en procurer une. Nous retrouvons aussi dans l'Océanie cette idée que le sorcier, quand il possède des cheveux ou toute autre parcelle du corps d'un humain on même simplement des objets lui ayant servi, acquiert pouvoir sur lui.

En Afrique, le sorcier mganga ou nyanga est tout d'abord un devin, conseiller toujours consulte par les chefs, qu'il s'agisse d'entreprendre une expédition, de retrouver du bétail volé, de choisir une résidence, de faire périr un ennemi. Sa fonction sociale la plus considérable est de procurer la pluie. Lorsque le pouvoir occulte attribué au morceau de bois ou de pierre ou à la loque quelconque qui constitue le fétiche trompe leur attente, la seule conclusion qu'ils en tirent est de le changer pour un autre. On a beaucoup glosé sur l'extension du fétichisme chez les Africains, que les anciens voyageurs ont décrits copieusement munis de fétiches, amulettes, talismans, grigris, etc. Mais on peut remarquer que le fétichisme n'en est pas moins répandu en Occident où persiste l'usage des porte-bonheur les plus bizarres, des objets rapportés d'un pèlerinage ou d'un sanctuaire célèbre, et auxquels on prête des qualités mystérieuses.

En Amérique, les sorciers que trouvèrent les Espagnols se préparaient en général à leur rôle par des initiations et des épreuves fort dures, retraite dans le désert, jeûne, souffrances. Ils atteignaient ainsi un pouvoir surhumain, devenaient capables d'entrer en relations avec les esprits, de consacrer des amulettes, d'agir sur le temps, d'interpréter les cris et actes des animaux. Ils absorbaient des narcotiques qui les plongeaient dans une sorte d'extase où ils croyaient converser avec les fantômes. Les danses produisaient à lin moindre degré des effets analogues. Ces croyances se retrouvent chez les Indiens de Guyane et du Brésil. Ceux de l'Amérique du Nord attachaient plus de prix à l'oeuvre médicale de leurs sorciers, que les Français désignaient sous le nom de médecins et qui avaient amassé des connaissances étendues sur les simples, herbes vénéneuses, ou salutaires. Ils employaient aussi les instruments musicaux et la danse. Ils prétendaient agir sur des individus par des pratiques accomplies sur une image peinte ou sculptée les représentant. 

Dans toute l'Asie septentrionale et centrale et l'Europe septentrionale, le chamanisme est demeuré la forme des croyances religieuses, subordonnées aux théories et pratiques des sorciers.

Nous pourrions multiplier les exemples, mais ce n'est pas le lieu d'analyser et de classer les pratiques de sorcellerie. Sur ce fonds commun aux peuples non civilisés se sont développées la magie et la divination des sociétés plus cultivées, prenant physionomie d'art et de science.

Les anciens Égyptiens avaient coordonné les idées et pratiques magiques en systèmes et rituels sur lesquels nous sommes amplement renseignés par plusieurs papyrus. Tantôt nous y trouvons des invocations à des divinités dont on veut obtenir ou contraindre le concours; tantôt des formules combinant des recettes médicales avec des appels au démon qui est supposé les rendre efficaces. A l'action physique du médicament s'ajoutait l'action morale sur l'imagination du malade. Les Égyptiens divisaient le corps humain en parties dont chacune était placée sons la protection spéciale d'une divinité. Ils avaient dressé une nomenclature dos jours heureux on néfastes, tenant compte de la nature de l'entreprise; on ne devait pas s'embarquer sur le Nil le 19 du mois Athor; l'enfant né le 5 du mois Paopi était condamné à mort. A cité de la magie officielle, pratiquée par les prêtres et scribes, et fort estimée, on signale des magiciens clandestins faisant usage de philtres, de poisons; à l'époque de Ramsès III eut lieu une condamnation à mort pour envoûtement. Toute la science d'alors avait d'ailleurs ce caractère occulte. Le secret des recettes industrielles (teintures, verreries, etc.) était préservé par un langage conventionnel à tournure mystique. On en trouvera des exemples saisissants dans les écrits alchimiques publiés et traduits par Berthelot.

La Chaldée fut la terre d'élection des sciences et arts occultes de la magie, de la divination, de l'astrologie. Son monde fourmillait de démons, de génies; l'art de les concilier ou de les expulser par des formules était un des principaux efforts de la pensée chaldéenne. Les inscriptions cunéiformes nous ont transmis quantité de ces formules. Une idée curieuse des Babyloniens était celle du double nom des dieux; à côté du nom officiel, ils avaient un nom secret auquel était attaché le pouvoir magique que sa connaissance conférait sur eux. Ces idées se répandirent on se formèrent dans d'autres pays, en Italie notamment où l'on prétendait tenir caché le véritable nom du dieu protecteur des cités, afin que l'ennemi ne plût l'invoquer et l'influencer. La divination fut codifiée à Babylone où il faut chercher l'origine de beaucoup de pratiques gréco-romaines. La branche la plus développée fut l'astrologie, dont toute la savante construction fut édifiée en Chaldée. C'est de là que viennent aussi les croyances sur les douze signes du zodiaque, sur les affinités des sept métaux et des sept planètes ( Berthelot, Chimie des anciens), sur les qualités occultes des corps, envisagées comme complémentaires des qualités apparentes, etc. Bref, c'est en Chaldée que l'occultisme s'élabore en système complet oui s'incorporent la philosophie et les sciences positives.

Les légendes de la littérature primitive des Grecs font une large place à la magie; rappelons seulement la Toison d'or et le rôle de Médée; celui de Circé dans l'Odyssée; l'évocation des morts dans le même poème. On trouvera dans l'art. Divination des détails sur les croyances divinatoires qui sont connexes à la magie et se confondirent avec elle aux derniers siècles de la république, lorsque les devins et magiciens orientaux envahirent l'Occident; le sénat et les empereurs les poursuivirent et les expliquèrent à plusieurs reprises. Les savants recueillent les faits positifs mêlés aux recettes magiques et en combattent les théories illusoires et les pratiques frauduleuses. Il faut lire à ce sujet Pline l'Ancien et Sextus Empiricus. Dans la philosophie pythagoricienne avait passé la science de l'Orient avec son mysticisme. Peu à peu la raison hellénique la dégagea de cet alliage et en tira nos mathématiques; mais les pythagoriciens demeurèrent fidèles à la tradition mystique, attribuant aux nombres des significations symboliques. Épurée par Platon, cette philosophie scientifique revient chez ses disciples alexandrins à la théurgie et à la magie.

On recommence à tenter de se mettre en rapport avec les puissances démoniaques de l'univers, par les invocations, les sacrifices, les talismans. Les formules se multiplient et se compliquent; une des plus célèbres est l'Abraxas. On trouve dans les écrits apocalyptiques la trace de ces spéculations. Les Juifs y eurent une grande part; sans parler de la classification hiérarchique des anges et des démons, où l'influence iranienne est évidente, ils ont développé la théurgie et l'ont propagée à travers tout le Moyen âge. Dans leurs écrits se trouvent amalgamés des détritus d'origine diverse : les grands démons Asmodée, Astaroth, Achéront nous reportent à la Perse, à la Syrie, à la Grèce; le pentagramme est emprunté aux pythagoriciens et adjoint au cercle magique pour l'invocation démoniaque. Cette figure géométrique, dont la construction parut une merveille, devint un signe de reconnaissance entre les mathématiciens, entre les initiés et, d'un bout à l'autre du continent, de l'Atlantique à la mer de Chine, il fut adopté par les magiciens.

Les musulmans ont emprunté la magie et la démonologie aux Juifs, aux Syriens, aux Iraniens, l'astrologie aux Chaldéens et aux Grecs. Les arts occultes sont alors à peu près codifiés; les procédés sont à peu près les mêmes de l'Espagne à l'Inde : fumigations, incantations, talismans, horoscopes, almanachs. On s'en fera une idée fort exacte par la lecture des Mille et une Nuits. Dans l'Inde, l'occultisme a un fond antérieur; la religion est inséparable de la magie, non seulement par le rôle prêté aux démons, mais par l'opinion que l'on peut, au moyen des sacrifices, de pratiques d'austérité ou même de formules et de charmes, acquérir un pouvoir sur les dieux. Le bouddhisme n'élimine pas l'élément magique, lequel a une grande importance au Tibet; en Mongolie, l'antique chamanisme persiste, combiné, comme dans l'extrême Orient, avec les calendriers zodiacaux et toute une divination astrologique rudimentaire. Les idées magiques se traduisent en Chine par les règles du Foug-choui, l'aménagement des maisons, des tombes, etc.

Dans l'Europe chrétienne, la magie fut pourchassée par l'Église, qui, assimilant les dieux des autres religions à des démons, enveloppe les cultes étrangers dans cette proscription. Elle sévit ainsi contre les vieux rites gréco-romains, puis contre ceux des Germains, des Celtes et des Slaves, traitant leurs piètres de sorciers. Elle ne put cependant étouffer ni la sorcellerie, qui persista dans les classes inférieures, ni la magie, l'astrologie, l'alchimie qui conservèrent leurs adeptes dans les classes relativement instruites. Il était conforme à l'esprit général de l'époque, tout imbu de religion, de revêtir de formes mystiques ce qui avait survécu de science dans le naufrage de la civilisation antique. Le coup mortel fut porté à l'occultisme par la Renaissance. Lorsqu'on fut revenu aux méthodes critiques et expérimentales, on examina si les effets annoncés par les magiciens se produisaient réellement, et l'on constata bien vite le contraire; l'astronomie se dégagea de l'astrologie, la chimie de l'alchimie, ne retenant comme vérité scientifique que les faits, dégagés de l'alliage de spéculations mystiques. A l'époque contemporaine, des multiples théories et pratiques de l'occultisme il ne subsiste guère que le spiritisme qui a remplacé la nécromancie, et, d'une manière générale, des systèmes sur les relations du physique et du moral, des vivants et des morts. Dans les classes moins instruites, beaucoup des vieilles superstitions survivent : la divination compte encore de nombreux adeptes; citerait aux revenants, au mauvais oeil, etc.

Dans cette revue rapide nous ne sommes pas entré dans le détail et n'avons pas décrit les pratiques de la magie, de la sorcellerie, des enchantements. Mieux que par toute analyse on se mettra au courant par la simple lecture de quelques-uns des ouvrages ou elles figurent: l'Âne d'or d'Apulée, les Mille et une Nuits, les Contes de la nuit de Noël de Souvestre, des romans du Moyen âge, les grands traités ethnographiques et les récits de voyage où ils puisent leurs renseignements, les textes alchimiques grecs, syriaques, arabes publiés, traduits et commentés par Berthelot, etc.

L'occultisme est une survivance des conceptions archaïques de l'humanité, forgées dans un contexte où l'ignorance supposait partout des causes et des agents mystérieux. Dérivé d'une tendance philosophique où se confondaient les idées scientifiques et religieuses, il est très important dans l'évolution mentale de l'humain. L'analogie, avec ses généralisations hâtives et superficielles, est le précurseur du raisonnement scientifique. L'humain, se sentant partie d'un ensemble, fit effort pour déterminer et mesurer l'action du milieu sur lui et réciproquement pour agir sur le milieu. Ce second cas fut naturellement de beaucoup le plus commun, parce que pratique. Nous sourions aujourd'hui des vieux astrologues abordant sans sourciller des problèmes « dont le moindre écraserait tout l'appareil des mathématiques modernes », mais c'est en vite de ces tentatives qu'a été commencée la construction de ce puissant instrument de nos sciences. Les relations affirmées jadis entre les planètes et les métaux, entre des animaux et: les signes du zodiaque, entre le calendrier et les phases de la vie humaine (Année climatérique), nous semblent puériles, mais elles ont été un prétexte à des recherches qui furent approfondies les propriétés réelles de la matière et mieux observée la manière d'être des vivants. Combien de prétentions chimériques de la magie la science n'a-t-elle pas réalisées? la communication à distance par l'électricité, la vision à distance par les télescopes et longues-vues, la vision à travers les corps opaques à l'aide de la radiographie, une prodigieuse rapidité de translation, etc. On sait que les très habiles physiciens donnent le nom de magie blanche à l'art des illusions optiques par lequel ils stupéfient le public; Robert Houdain en France, Maskelyne en Angleterre simulaient des prodiges comparables à ceux dont se vantaient les magiciens; non moins que les apparitions et disparitions de fantasmes, que le décapité parlant ou l'humain déambulant. en l'air, les automates habilement construits et truqués excitent l'admiration; l'automate joueur d'échecs, étudié par Poe, a été dépassé par le joueur de whist, par le calculateur Psycho. Des fraudes et des trucs de ce genre ont pu intervenir quelquefois dans les opérations magiques. Toutefois, ce n'est là qu'un côté accessoire de la question.

Dans les arts et sciences occultes, nous discernons deux éléments longtemps enchevêtrés : un élément positif, et, élément mystique et illusoire. Dans les pratiques médicales, dans les combinaisons alchimiques, dans les calculs astrologiques, quantité de faits et de relations parfaitement réels ont été découverts et utilisés. On conçoit aisément comment toute la science appliquée put être enveloppée de ce voile occultiste. Le secret des recettes et des procédés de fabrication encore observé dans certaines industries, malgré la garantie des brevets et la rapidité des progrès industriels, fut de règle autrefois. Les familles, les corporations se les transmettaient; fréquemment, ces corporations avaient un lien religieux ou même étaient attachées à un temple. Les secrets techniques étaient transmis en un langage conventionnel à forme mystique. Avant l'imprimerie, les livres étaient rares, les connaissances limitées à quelques privilégiés qui les gardaient secrètes, écar-tant le vulgaire par l'obscurité du langage conventionnel. L'initié lui-même distinguait  dans la science la part du fait positif, de la loi abstraite, et celle du langage, du signe par lequel on l'exprimait. Aujourd'hui même, constamment des savants confondent la relation abstraite, qui est seule objet de science avec le signe par lequel on la traduit en représentation imagée. La notion même de loi rationnelle ne fut nettement dégagée que par les Grecs du IVe, au 1er siècle av. J.-C. Auparavant, tout était de nature à entretenir la confusion.

L'état d'esprit universel était la croyance à une sorte de pouvoir mystique des formules; elle a des racines multiples dans la religion, dans la jurisprudence, dans les sciences exactes, et partout elle a sa raison d'être. Une opération physique ne réussit qu'à tue température déterminée ni au-dessus, ni au-dessous; une combinaison chimique ne se réalise que dans des proportions déterminées; il en est de même pour l'action thérapeutique. D'autre part, les sociétés archaïques ont, à un plus haut degré que quiconque, le sentiment de la stricte et littérale observation du formalisme juridique; ce qu'on sait des Celtes irlandais et des Indous, des Scandinaves ( par exemple, la Saga de Nial) est frappant. L'application de ce formalisme à la religion, dont le rituel n'est pas moins minutieusement précisé, favorise cette conviction que les formules ont une valeur intrinsèque, et agissent par leur simple récitation non moins que par les actes accomplis en même temps.

Les sentiments religieux et mystiques de tout ordre manquent d'ailleurs presque toujours de précision, comportent des rapprochements et des généralisations intuitifs. De là l'idée de la force d'action extérieure de nos souhaits. La religion y fait intervenir la prière, qui suppose l'intermédiaire du dieu; la magie supprime volontiers cet intermédiaire spirituel aussi bien que l'intermédiaire matériel et admet que, en remplissant certaines conditions, on puisse extérioriser sa volonté. Les superstitions populaires du mauvais oeil, du sort jeté se réfèrent à cet ordre d'idées. A fortiori admet-on qu'on puisse agir sur un être à l'aide d'un symbolisme rudimentaire tel que celui de l'envoûtement usité ches les aborigènes australiens comme dans l'Europe du Moyen,âge et même dans la France contemporaine. Mieux encore que par l'image de la victime, on agit sur elle par la possession d'objets lui ayant appartenu. Ces superstitions sont très répandues et expliquent la terreur de tant de populations pour la photographie; elles sont convaincues qu'on acquiert pouvoir sur l'humain dont on a le portrait.

Une autre forme très générale de l'occultisme est l'effort pour se mettre en communication avec les forces mystérieuses de la nature, en particulier avec celles qui président à la vie animale et végétale lors du retour périodique des moments de reproduction. Ce sentiment se manifeste dans les cultes enthousiastes ( les articles Dionysos, Mère des dieux, Adonis, Mystères, Orphisme), où par la danse, par diverses pratiques, les fidèles arrivent à l'état d'extase et à un véritable délire. Les hallucinations et autosuggestions réalisent pour eux toutes les chimères de leur imagination. Il serait difficile de comprendre la puissance et la ténacité des croyances occultistes, si l'on ne faisait entrer en ligue les illusions des sens qui leur donnent la même apparence de réalité qu'aux autres phénomènes. Dans les pays du Midi, le mirage, dans ceux du Nord, le mirage ajouté au brouillard, favorisent extrêmement la croyance aux enchantements. Mais plus encore il faut tenir compte des boissons et vapeurs qui troublent l'esprit et les sens, des narcotiques comme l'opium et le haschich, des solanées. Aussi les récits d'opérations magiques débutent-ils constamment par des fumigations.

C'est par un travail séculaire que l'expérience scientifique a fait le partage entre les influences réelles et chimériques, aidée peut-être par les religions constituées qui combattaient la magie, et par les gouvernements qui réprimaient un art dont les manoeuvres secrètes les effrayaient et qui était couramment employé par des empoisonneurs et par des charlatans pour l'exploitation des dupes. Le prêtre, confondu à l'origine avec le sorcier, s'en distingue avec le progrès de la religion et de l'Etat. Il devient alors son ennemi et, bien qu'il utilise encore à l'occasion les ressources que les cultes enthousiastes, l'hystérie, fournissent à la production des miracles, d'une manière générale il combat les appels trop fréquents au surnaturel. Les Occidentaux ont emprunté à l'Iran la commode théorie du dualisme et attribuent au diable et aux démons tous les faits extranaturels qu'ils répudient. La divination, mise au service de la religion dans l'antiquité, a été de même évincée par le christianisme
 

Quant aux rapports de l'occultisme avec la science, ils lui ont été encore plus dommageables. A l'origine, il l'absorbait et lui fournissait sa philosophie; mais les pratiques et recettes techniques qui constituaient la partie réelle se sont développées avec l'expérience et spécialisées; comme les sciences mathématiques se dégagèrent de l'astrologie, les sciences physiques de l'alchimie, la médecine et les sciences naturelles se dégagèrent de la magie. Lorsque le lucide génie des Grecs eut arrêté les principes de la méthode rationnelle, les éléments mystiques furent rejetés. Aucune des affirmations de l'occultisme n'a pu être prouvée par une expérience méthodique. Le cas est le même que pour le surnaturel et les miracles, et la critique rationnelle les écarte au même titre. De fait, entre l'Église qui a arrêté le dogme et discipliné le sentiment religieux, et la science qui a ruiné toute idée d'influence mystérieuse et qui déclare tout phénomène explicable, sinon expliqué, par les seules ressources de la raison, le champ de l'occultisme s'est sans cesse rétréci. Après s'être étendu sur toute la pensée humaine, il tend à se confiner aux rapports de l'âme et du corps, et ses destinées sont liées à celles, bien compromises, du spiritualisme qui affirme ce dualisme hypothétique. (A. M. B.).

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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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