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Les armées prodigieuses

Les légendes rapportent de longue date des apparitions fantastiques d'armées, parfois dans le ciel où elles se livrent bataille, parfois sur la terre, où il s'agit souvent de débris d'armées en errance. Ce thème rappelle celui des chasses fantastiques, il n'y a pas d'interaction entre le monde réel et le monde fantastique. C'est seulement une sorte de spectacle que les récits décrivent, en leur donnant volontiers le sens d'un oracle

Dans le deuxième Livre des Maccabées une telle vision est déjà mentionnée : 

« Vers ce temps-là Antiochus préparait sa seconde expédition en Égypte. Il arriva que dans toute la ville, pendant près de quarante jours, apparurent, courant dans les airs, des cavaliers, vêtus de robes brodées d'or, des troupes armées disposées en cohortes, des escadrons de cavalerie rangés en ordre de bataille, des attaques et des charges conduites de part et d'autre, des agitations de boucliers, des forêts de piques, des épées tirées hors du fourreau, des traits volants, un éclat fulgurant d'armures d'or et des cuirasses de tout modèle. Aussi tous priaient-ils pour que cette apparition fût de bon augure. » (2 Mac. IV,5,1).
Au siège de Jérusalem par Titus, et dans plusieurs autres circonstances, on prétendit voir dans les airs des armées ou des troupes de fantômes, et qui jamais ne présagèrent rien de bon. Les auteurs grecs et latins ne sont pas avares de telles descriptions.

Plutarque raconte, dans ses Vies parallèles (Vie de Thémistocle), que pendant la bataille de Salamine, on vit en l'air des armées prodigieuses et des figures d'hommes, qui, de l'île d'Égine, tendaient les mains au-devant des galères grecques. On publia que c'étaient les Éacides, qu'on avait invoqués avant la bataille. Pausanias évoque une bataille fantastique qui annonce celle de Marathon :

« Là, durant toute la nuit, on put entendre des chevaux hennir et des hommes combattre; celui qui tente de voir précisément ce qui se passe ne s'en tire pas sans dommage. » 
Claude Lecouteux (Chasses fantastiques et cohortes de la nuit au Moyen âge, 1999) a relevé quelques autres exemples. Pour s'en tenir aux auteurs latins de l'Antiquité et de Moyen âge : dans les Métamorphoses, Ovide évoque un « cliquetis d'armes dans les noires nuées-» qui avait annoncé l'assassinat de César. A propos des prodiges qui avaient annoncé la guerre civile,  Lucain fait mention, dans la Pharsale, de sonneries de trompettes dans le ciel et de clameurs comme celles qui accompagnent la mêlée Virgile, dans les Georgiques, évoque lui aussi une bataille aérienne, observée en Germanie, et menée par « des fantômes d'une étrange pâleur [apparus] à l'entrée de la nuit-». Pline l'Ancien évoque une apparition similaire au moment de la campagne contre les Cimbres., ainsi que la vision d'une armée aérienne sous le troisième consulat de Marius
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Conrad Lycosthène : bataille aérienne (Livre des Prodiges).
Conrad Lycosthène : bataille aérienne (Livre des Prodiges).
Batailles aériennes (Livre des Prodiges, de Conrad Lycosthène).

Au XIe siècle, Raoul Glaber mentionne un des prodiges de l'an mil : 

« Dans le bourg fortifié de Tonnerre vivait pieusement un prêtre nommé Frottier [...]. Un dimanche, comme le soir tombait, avant le dîner, il se mit, pour se détendre un peu, à la fenêtre de sa maison; regardant au-dehors, il vit venir du Septentrion une innombrable multitude de cavaliers qui semblaient aller au combat et se dirigeaient vers l'Occident. Il les regarda de tous ses yeux pendant un bon moment, puis voulut appeler quelqu'un de sa maison pour être témoin avec lui d'une telle apparition. Mais à peine avait-il appelé que la vision se dissipa et disparut bien vite. Lui, l'esprit frappé de terreur, à peine pouvait-il retenir ses larmes. Bientôt il tomba malade et mourut l'année suivante, aussi bien qu'il avait vécu. » (Cité par G. Duby, l'An mil).
Environ une siècle et demi plus tard, Giraud de Barri, évoque une bataille fantastique et précise que « des apparitions de ce genre sont habituellement fréquentes en Ibérie, autour des expéditions ». En mai 1236, un combat dans les airs au Pays de Galles est mentionné par Mathieu Paris. En 1506, pendant quatre semaines, on signala, à Nordfeld, en Allemagne, une bataille de géants, entre des cavaliers rouges, sans tête, et des cavaliers blancs, qui se termina dans une forêt

Les armées fantômes.
Les armées prodigieuses se manifestent aussi après le combats pour continuer la bataille au-delà de la mort. Quelquefois, dit-on, on a aussi rencontré des troupes de revenants et de démons allant par bataillons et par bandes. 

Par exemple, ill y eut, selon Damascius, un furieux combat entre les âmes des morts qui dura trois jours et trois nuits après la bataille que les Huns d'Attila et les Romains se livrèrent sous les murs de Rome. On rapporte aussi des batailles qui sont appelées à être éternelles, ainsi que celle que l'on trouve dans une légende du pays de Rocroi, selon laquelle chaque année, le 20 mai, en se plaçant avant le lever du soleil à l'ouest du lieu où se livra la bataille, on voit l'ombre des deux armées espagnole et française, surgir du sol, s'élever lentement vers le ciel, se mesurer au milieu des nuages, s'attaquant, se défendant avec fureur, se confondre dans une épouvantable mêlée, et retomber enfin en vapeur dans la plaine.

Quant aux récits de fantômes des guerriers qui errent en troupes ou qui hantent les champs de bataille, les exemples ne manquent pas non plus. On raconte ainsi qu'en 1123, dans le comté de Worms, on vit, pendant plusieurs jours, une multitude de gens armés à pied et à cheval, allant et venant avec grand bruit, et qui se rendaient tous les soirs, vers l'heure de none, à une montagne qui paraissait le lieu de leur réunion. Plusieurs personnes du voisinage s'approchèrent de ces gens armés en les conjurant, au nom de Dieu, de leur déclarer ce que signifiait cette troupe innombrable et quel était leur projet. Un des soldats ou fantômes répondit : 

« Nous ne sommes pas ce que vous vous imaginez, ni de vrais fantômes, ni de vrais soldats; nous sommes les âmes de ceux qui ont été tués en cet endroit dans la dernière bataille. Les armes et les chevaux que vous voyez sont les instruments de notre supplice, comme ils l'ont été de nos péchés. Nous sommes tout en feu, quoique vous ne voyiez rien en nous qui paraisse enflammé. » 
On dit qu'on remarqua en leur compagnie le comte Enrico et plusieurs autres seigneurs tués depuis peu d'années, qui déclarèrent qu'on pouvait les soulager par des aumônes et des prières.
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Sur le champ de la bataille d'Auray les âmes de tous ceux qui périrent sans avoir eu l'absolution de leurs péchés sont condamnées à rester près de leurs cadavres ; à une certaine heure de la nuit, elles s'élèvent au sein de la terre et se mettent à parcourir la plaine funèbre dans toute son étendue ; elles sont forcées d'y errer jusqu'au jugement dernier, et de marcher toujours en ligne droite quels que soient les obstacles qu'elles puissent rencontrer. Le voyageur qu'elles touchent tombe frappé par une puissance invisible, et meurt avant le jour. 

Dans le Forez, des Français et des Anglais reviennent aussi sur le lieu où ils se rencontrèrent jadis (La Guerre de Cent Ans), et on les entend choquer leurs épées. 

On voyait des apparitions, des feux et des lances brillantes sur les dunes de Saint-Cast (Cotes-d'Armor) auprès de la Cassière des damnés où furent enterrés les Anglais tués en 1738. 

Les paysans des environs de Dieppe recommandent de ne pas passer à la brune par une petite clairière située sur le bord d'un bois, parce qu'on est exposé à y voir galoper autour de soi des cavaliers blancs, allant, venant, errant ça et là, et remuant sans cesse la terre avec leurs lances. Ces cavaliers blancs ont été jadis mis en déroute par des cavaliers rouges, et ils viennent, de nuit, chercher les restes de leurs camarades enterrés dans le champ.

Les pêcheurs de Zuydcoote restèrent si émus de la bataille des Dunes que Turenne livra dans leur voisinage, que longtemps après ils croyaient entendre dans les airs, aux jours où on agitait les cloches, le son des tambours et des trompettes, le galop des chevaux et le fracas du canon. 

A Torfou et à Begrolle (Maine-et-Loire) on entend la nuit le bruit de la bataille livrée eu 1793 entre Vendéens et Républicains (Les Guerres de Vendée). 

On prétendait à l'île de Ré qu'on ne pouvait passer la nuit dans un certain endroit près du pont de Fénau ou les Anglais furent défaits en 1617, sans entendre des gémissements, et des ombres qui criaient : Tue! Tue!
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Une armée fantastique livre combat  (Livre des Prodiges, de Conrad Lycosthène).

Dans quelques cantons de Bretagne, la population croyait voir errer la nuit les Templiers ou moines rouges montés sur des squelettes de chevaux recouverts de draps mortuaires. Ils poursuivaient les voyageurs, s'attaquant de préférence aux jeunes gens et aux jeunes filles qu'ils enlevaient et qu'on ne revoyait jamais. Ici le thème des armées prodigieuses marque sa parentée avec celui, plus classique, des revenants, envisagés comme des personnages dont la vie fut souillée de crimes, et qui ne peuvent trouver de repos après leur mort.

Parfois les combattant sont de simples esprits. Ainsi, dans le folklore breton trouve-t-on  la croyance selon laquelle, près de Dinan, lorsqu'il y a une tempête à l'époque du Carnaval, les diables se livrent une bataille qui durera jusqu'au moment où le bon Dieu, les ayant entendus, leur aura imposé silence; dans leur lutte ils déracinent les arbres avec leurs pieds fourchus.

La tradition des apparitions en l'air, en plein jour, si courante au Moyen âge, n'a pas complètement disparu aux siècles suivants. Dans le Bocage normand, on prétendait encore à la fin du XIXe siècle qu'à la veille de grandes perturbations sociales, on voit dans le ciel des cavaliers galopant sur des cavales aux crinières échevelées, se livrer de furieux combats parmi les nuées livides ou devenues couleur de sang, et l'on dit que les révolutions de 1789, 1830, 1848 et les grandes guerres ont été annoncées par ces phénomènes. (P. Sébillot / A19).
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Affiche de la Grande Guerre : Armée aérienne en Alsace-Lorraine.
Une armée aérienne dessinée comme allégorie sur une affiche d'hommage 
aux morts de la Grande guerre pour la libération de l'Alsace-Lorraine.
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Dictionnaire Religions, mythes, symboles
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