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Les Alaouites (=
partisans d'Ali), sont une population du Nord-Ouest
de la Syrie, en particulier de la montagne dite Djebel en-Nosaïrî (Djebel
al-Ansariyeh, selon une transcription différente), prolongation du Liban
au Nord, s'étendant entre la côte et la vallée de l'Oronte, depuis le
Nahr el-Kebir (l'ancien Eleuthère) au Sud, jusque vers le Casius au Nord.
On a voulu faire remonter le nom de Noçairi (Nosaïrî ,
Nusayri ou d'Ansariyés ), aussi donné aux Alaouites; Ã
celui de Mohammed ibn Nosair. Mais la mention des Nosairis par Pline
doit faire complètement rejeter cette tradition et celle qui en découle,
à savoir que les Nosairis sont originaires de Perse .
Le terme d'Alaouites s'applique ainsi à la population des anciens Nosairis,
à partir du moment où ils ont été
islamisés.
Le religion des Alaouites, rangée parmi
celle des Ghoûlat (= Outrés), est une forme très particulière de l'Islam.
Elle est dérivée de celle des Chiites septimaniens
(Ismaéliens), et se présente comme un moyen
terme entre les vieux cultes syro-phéniciens,
pratiqué par les anciens Noçairi et l'enseignement ismaélien, apparu
vers le IXe siècle. Les Alaouites désignent
un certain el-Khoseibi comme celui qui a mis au point leurs livres
et leur doctrine. Le caractère secret de celle-ci a donné lieu à des
accusations fort malveillantes. On les accusait, par exemple, de vénérer
le sexe des femmes, plutôt que Dieu, ou de prostituer leurs filles. Un
auteur sunnite du XIVe
siècle, Ibn Taïmiyya, lançait ainsi contre les Alaouites toute
sa morve :
Sectateurs
du sens caché, plus infidèles que les Juifs
et les Chrétiens, plus infidèles même
que bien des idolâtres... [ils] ont fait plus de mal à la religion de
Mahomet que les infidèles belligérants, Francs,
Turcs et autres... [Contre eux] la guerre sainte est agréable à Dieu.
On distingue parmi les Alaouites plusieurs
sectes, entre autres : les Chemâliyés ou Chemsiyés, les Kléziyés ou
Qamariyés, les Ghaibiyés et les Haidariyés. Sans entrer dans le détail
de ces sectes, nous dirons que leurs adhérents s'accordent pour reconnaître
la divinité d'Ali. Ils repoussent les traditions
musulmanes concernant le gendre de Mohammed.
Pour eux, Ali ibn Abi Tâlib n'a eu ni père, ni mère, ni frère, ni soeur,
ni femme, ni enfants. Son essence est la lumière, de lui rayonnent les
astres, c'est l'émir des abeilles,
c.-à -d. des étoiles. Il est caché par la nature de son essence
divine, non enveloppé; il est le sens, le Maana. Avec Mohammed
qui est son Voile ou son Nom et Salman el-Farsi qui est sa
Porte,
Ali forme une sorte de triade, sans doute survivance
des triades syro-phéniciennes,
car Ali est identifié au ciel, Mohammed au Soleil
et Salman el-Farsi à la Lune. Plus tard, la comparaison
avec la trinité chrétienne s'imposa. La trinité
alaouite est représentée par un symbole très vénéré, le Ain-Mim-Sïn,
- formé de la première lettre des trois noms divins - qui joue
un grand rôle dans les séances d'initiation. Entre les trois personnes
il y a une gradation fort nette : Ali a créé Mohammed, celui-ci a créé
Salman el-Farsi qui a créé les cinq Incomparables. Ces derniers
représentent les cinq planètes et à leur tour ils ont créé le monde.
La vénération des Ismaéliens
pour Ali s'étendait à sa famille. Les Alaouites,
admettant la divinité d'Ali, furent conduits à englober ses proches dans
la même adoration. Ali, Hasan, Hosein, Mohsin et Fatima sont dieux dans
leur ensemble. Parfois Mohammed est substitué
à Ali, celui-ci étant dieu par excellence, souvent Fater remplace Fatima.
Mais toujours le nombre est fixé à cinq, chiffre qui rappelle la croyance
d'origine grecque
aux cinq éléments primitifs : la Raison universelle, l'Âme universelle,
la Matière première, l'Espace et le Temps, système qu'on trouve à la
base de la doctrine ismaélienne. En dehors des personnages d'Ali, de Mohammed,
etc., il faut citer surtout chez le commun peuple, le non initié, une
vénération toute particulière pour Khodr, ce personnage mythique que
l'on a rapproché de saint Georges.
Les Alaouites possèdent un certain nombre
de livres religieux dont le principal est le Kitâb el-madjmou.
On y retrouve un grand nombre de préceptes islamiques,
mais, complètement transformés par l'interprétation allégorique, le
tawil. Ainsi, pour les Alaouites, faire le pèlerinage de la Mecque,
c'est arriver à la connaissance des divers personnages religieux, Mohammed,
Salman, etc., symbolisés par les éléments du temple de la Mecque. L'interdiction
de manger de certains animaux comme le chameau,
le lièvre, l'anguille, le sallour ( = poisson noir de l'Oronte
et du lac d'Antioche), le porc
et en général toutes les bêtes mal tuées - à cause du sang - doit
appartenir au plus vieux fonds religieux que certains codes religieux,
comme la Bible
et le Coran ,
ne firent que consacrer. Chez les Alaouites, le vin est d'usage rituel
: il est considéré comme émanation du Soleil
et par suite de la divinité, on le désigne par le titre de abd en-Nour.
Les Alaouites, suivant probablement en cela une coutume fort ancienne,
pratiquent la circoncision.
La connaissance de la religion est exclusivement
réservée aux hommes qui ne peuvent y parvenir qu'après une initiation
à trois degrés où sont peu à peu révélées les formules et leur explication.
Les Alaouites croient à la métempsycose
et vont jusqu'à admettre la transmigration des âmes
dans les animaux, ce qu'ils réservent naturellement
à leurs ennemis. Le séjour sur la Terre
est considéré par eux comme le fait d'une déchéance de l'âme condamnée
à revêtir un corps humain. L'âme de l'Alaouite doit se purifier en revenant
plusieurs fois dans des corps de plus en plus parfaits pour revêtir enfin
l'enveloppe lumineuse et demeurer parmi les étoiles
du ciel. La Terre est en somme leur purgatoire,
si bien que leurs prières les plus insistantes sont pour ne plus revenir
en ce bas monde. Parmi eux les cheikhs jouissent d'une vénération particulière.
Ils sont initiés plus avant dans les mystères
de la religion et constituent une sorte d'aristocratie religieuse. A sa
mort, un cheikh renommé pour sa piété est considéré comme ayant élu
domicile parmi les étoiles, et son tombeau est l'objet d'un véritable
culte. En somme, la religion alaouite est à l'islam
ce que les gnostiques étaient au christianisme.
L'état de dépendance économique dans
laquelle les Alaouites ont longtemps vécu par rapport aux populations
des villes voisines les ont souvent conduits à accepter des fêtes ne
répondant nullement à leur religion. C'est ainsi qu'ils chôment les
principales fêtes chrétiennes comme
les musulmanes. Leur grande fête est celle du
Ghadir, le 18 du mois de Dhou el-Hidjdja. A toutes ces fêtes on fait les
mêmes prières et les mêmes cérémonies.
Le cheikh le plus considérable prend le titre d'imam. A sa droite se place
un cheikh avec le titre de naqib, Ã gauche un autre avec le titre
de nadjib. Ils représentent respectivement
Ali,
Mohammed
et Salman el-Farsi. Après une série de prières, l'imam
trempe ses lèvres dans un verre rempli de vin et le passe successivement
à tous les assistants. Parfois ils font usage d'encens et d'aspersion
d'eau parfumée. Il n'y a pas là , comme on l'a cru, un souvenir de la
messe chrétienne : les Alaouites ne font jamais usage des deux espèces.
Ils ne possèdent pas, comme les chrétiens, les autres musulmans et les
juifs, de sanctuaire où ils viennent prier
en commun. Aux jours de fête, la réunion a lieu dans la maison d'un particulier,
ou bien ils s'assemblent en plein air pour prier autour d'une Qoubbet
vénérée, en général un ancien tombeau. (René Dussaud).
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De
l'époque phénicienne à la Syrie contemporaine
Dès une haute époque,
la montagne des Nosairis semble avoir été sous la domination des Phéniciens
du Nord. Nous savons en particulier qu'à l'arrivée d'Alexandre
le Grand en Syrie tout ce territoire dépendait du royaume d'Arad.
Pendant des siècles les Nosairis durent s'assimiler aux Phéniciens et,
longtemps après la disparition de l'autonomie phénicienne, ils conservèrent
les traditions et les croyances de ce peuple. Pline
mentionne la tétrarchie des Nazerini. A cette époque, la montagne
des Nosairis portait le nom de mons Bargylus. Le christianisme
ne pénétra pas chez les Nosairis. Nous les voyons même, vers la fin
du IVe siècle, prêter main-forte aux
païens d'Apamée
dans leur lutte contre les chrétiens.
Au VIIe
siècle, la grande irruption arabe en Syrie ne les atteint que très superficiellement.
Il en sera de même des conquêtes successives des Byzantins ,
des Arabes et des Croisés .
Les plus ardents se contenteront d'occuper certains points stratégiques
assurant leur domination morale et la sécurité des routes. Entre temps,
sous l'influence de la propagande, des Ismaéliens,
les Nosairis subirent une transformation religieuse. Les écrits
druzes
prouvent que la religion nosairi, telle qu'elle nous est connue aujourd'hui,
était déjà constituée au commencement du XIe
siècle de notre ère et qu'elle était distincte de la doctrine ismaélienne.
Un siècle après,
les Ismaéliens, chassés de la forteresse
de Panéas, près de Damas, se rejettent dans le Djebel en-Nosairi dont
ils occupent un grand nombre de points et d'où ils répandent la terreur
chez les musulmans comme chez les Croisés
sous le nom d'Assassins. Quand il eut détruit
en Syrie la puissance ismaélienne, Beibars essaya, sans y réussir, de
contraindre les Nosairis à embrasser l'Islam.
Plusieurs fois leur perte fut décidée; mais les propriétaires musulmans
locaux, soucieux de leurs intérêts, intervinrent à temps.
A l'époque moderne,
leur région ayant été absorbée dans l'Empire ottoman ,
on trouve les Nosairis, que l'on peut désormais appeler aussi Alaouites,
divisés en tribus ou Achirés qui dominent alternativement et cherchent
à asseoir leur autorité en payant tribut au pacha de Tripoli.
Ibrahim Pacha ruina ce centre d'indépendance en détruisant tous les châteaux
forts
de la montagne. Le dernier chef local fut lsmaël Beg, qui, contre une
forte redevance annuelle payée au gouvernement turc, eut le pouvoir le
plus absolu sur toute la région. Les exigences du petit potentat amenèrent
des soulèvements, et lorsqu'il se fut aliéné les musulmans de la région,
le gouvernement turc fut obligé d'intervenir (1858). Ismael Beg ne put
tenir tête aux troupes turques. S'étant enfui dans la haute montagne.
il fut trahi et tué par un de ses propres parents.
Par la suite, le
gouvernement turc n'a cessé de substituer des fonctionnaires ottomans
aux chefs locaux. Considérés comme sujets infidèles et renégats, ne
pouvant comme les Maronites se prévaloir de la protection des puissances
européennes, les Alaouites sont alors en butte à toutes les exigences
de fonctionnaires avides et prévaricateurs. Les tentatives de toute sorte
pour les amener à renoncer à leur religion et à embrasser l'Islam
sunnite, le grand nombre de recrues qu'ils doivent fournir, ajoutent
au malaise de cette population. Si bien que les Alaouites, que l'on pouvait
jusque là voir pratiquer le commerce dans les villes côtières (Antioche,
Lattaquié ,
Adana, Tartous, etc.) se sont majoritairement repliés dans leurs montagnes,
ne cultivant que le nécessaire pour subvenir aux besoins les plus immédiats.
Une partie d'entre eux intégraient l'armée ottomane.
En 1920, au moment
du démantèlement de l'Empire ottoman ,
la montagne alaouite passa dans la zone sous mandat de la France .
Celle-ci poursuivit la politique ottomane d'intégrations des minorités
dans l'armée. Il s'agissait ainsi, en Syrie, de contrebalancer le pouvoir
de la majorité sunnite. Dès 1920, le général Gouraud, créa un Territoire
autonome des Alaouites. Il fut transformé en État deux ans
plus tard, puis en Gouvernement de Lattaquié, en 1930. A la fin
du mandat français, en 1946, une sorte d'État alaouite indépendant chercha
à se constituer, mais il fut rapidement absorbé par le nouvel État syrien.
Le chef charismatique des Alaouites, Suleïman Murchid, largement instrumentalisé
par les Français pendant la période de leur présence, fut pendu
en place publique.
Redevenus une minorité
brimée, les Alaouites continuèrent à voir dans l'armée un outil de
promotion sociale. Lorsque la parti baas (ba'th) commença à s'implanter
en Syrie, c'est au près des minorités (Ismaéliens, Druzes, Alaouites)
qu'il rencontra le plus d'échos. A partir de 1963, trois officiers alaouites,
Mohammed Omran, Salah al-Jadid et Hafez el-Asad, entreprirent leur stratégie
de noyautage de l'armée par des baassistes, de préférence alaouites,
qui fut l'une des clé de leur coup d'État en 1966. Lors de la prise de
pouvoir officielle par Hafez el-Assad (mort en
2000), se fut, outre l'Armée et ses services secrets (Moukhabarat),
tout l'appareil d'État qui fut progressivement placé sous le contrôle
d'Alaouites, via le Baas. |
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